18/03/2012
Actualité de la poésie
Bloc-Notes, 18 mars / Les Saules
Comme je l'ai mentionné à plusieurs reprises, la poésie est intensément présente sur le réseau social de Facebook qui m'a ainsi permis de faire plus ample connaissance avec des grands noms de la littérature classique ou contemporaine - tels, pêle-mêle: Alphonse de Lamartine, Anne de Noailles, Abdellatif Laâbi ou Emily Dickinson - et davantage encore avec des auteurs que je n'aurais jamais lus sans la magie de cette toile lumineuse à ses heures et qui recèle de nombreux trésors de plume, pour peu qu'on éprouve le plaisir de les savoir partagés et multipliés à travers ces incomparables amitiés nouées autour de la poésie.
C'est ainsi que je me suis glissé entre les pages de ces jeunes talents - ou moins jeunes mais absents des grandes chaînes de librarie - avec les deux anthologies Le chant des larmes et Les cygnes de l'aube, sous la direction de Abbassia Naïmi, déjà présentés dans ces colonnes. Aujourd'hui, voici quelques récentes acquisitions susceptibles de vous intéresser, même si elles ne sont pas parues au cours de ces derniers mois!
Marie Hurtrel est artiste peintre dans l'Indre - voir ses oeuvres dans les liens de La scie rêveuse - mais se consacre également à l'écriture. On ne vit pas de son art, mais l'art est notre vie, chiche d'un côté et riche en l'autre, écrit-elle sur son site Internet: des mots qui éclairent sa démarche et son ouverture à tous les horizons. Lézards de poussière ressemble un peu au vol du cormoran qui survole les terres amères - celles qui attisent la violence, la révolte, l'injustice - mais aussi les territoires de l'intime, germe d'espoir, de douceur, de paix: Comment te dire ce que tu dis, comment te dire quel ciel je vois, comment écrire cette larme qui ne pleure pas, cette perle des yeux qui te chante?
Avec Patrick Berta Forgas, né à Montreuil, vous ne rencontrez pas un nouveau venu en littérature. Auteur d'une dizaine de recueils poétiques, il signe avec La chambre des hommes des textes aux contours sombres: le vertige de l'enfer, la brûlure du silence, la mémoire des cassures, les hommes fragiles, les simulacres et les cris, l'ombre des guerres. C'est aussi le chant de la terre perdue, aimée, attendue: Je sais l'effort du vent pour soulager la mer. Je sais la douleur du souvenir rangée au chant amer. Ou encore: L'ombre est l'artère noire de la lumière et le corps du monde, un silence qui pleure ses cris.
Jean-Philippe Miginiac, pour sa part, est à la fois photographe, historien, archéologue, grand admirateur de Paul Eluard, passionné de musique classique et poète lui-même. Dans les liens de La scie rêveuse, vous pouvez aussi découvrir l'ensemble de ses oeuvres. Musiques imaginaires célèbre les amours, la terre, mais aussi la colère devant cette armée des ombres qui incarne pour lui ces fragments d'injustices: le visage des exilés, des étrangers, des mendiants, des rebelles au rythme de leurs infortunes. Si demain, ami, quelqu'un s'inquiète de mon absence, dis-lui que je suis parti dans la nuit chercher d'autres mots, sans attendre que sèche l'encre de mes poèmes, et sans que les dieux en soient informés, dis-lui que je suis parti me perdre où je voulais.
Kadour Naïmi - frère de Abbasssia Naïmi - est l'auteur d’essais et de colloques autour du théâtre, réalisateur pour le cinéma et la télévision, poète, prosateur et dramaturge. Il écrit en langue italienne, dont Les mots d'amour, poèmes pleins d'ardeur et de tendresse, pénétrant tels les rayons matinaux du soleil, cet au-delà des sentiments épousant sa variété de couleurs: Si tu veux être mon soleil, je serai ta planète. Si tu veux être mon vent, je serai ta bannière. Si tu veux être mon oasis, je serai ton eau. D'autres pages évoquent l'exil, avec amertume, mais sans haine: Pour ne pas périr, j'ai besoin d'aimer.
Pour les deux derniers auteurs, leur lueur discrète est déjà connue de ceux que la passion de la poésie habite. Véritable passeur en littérature, producteur d'émissions radiophoniques, Thierry Renard a publié à ce jour une trentaine d'ouvrages, parmi lesquels Il neige sur ta face. Toute la vie y remue dans cette poésie du quotidien, où se confondent les rêves, les réminiscences du football, les doutes de l'écrivain, les misères du monde, et la neige - en filigrane tout au long de ce recueil - et l'amour aux formes d'un coeur de lierre. Le mal est fait, le moindre mal. Ecrire est un verbe qui m'est avec le temps devenu familier. Ecrire est un verbe dont j'interroge encore le sens et qui donne du sens à ma vie. La roue tourne, la chance aussi. Avant j'étais zéro, aujourd'hui je ne vole pas bien haut. Demain j'irai sans ma vie lasse, petite cendre dans le vent.
Quant à Jean-Pierre Siméon, on lui doit une quarantaine de livres: recueils de poèmes, essais littéraires, pièces de théâtre et ouvrages destinés aux jeunes. Traité des sentiments contraires explore l'ombre et la lumière, la douleur et l'apaisement, la blessure et la joie: Silence maintenant, immobile et obstiné silence, c'est l'instant timide en vous, l'instant effarouché, où vient tout le ciel immense trouver son appui. On appellerait bien cela un bonheur sans usure, une phrase dans l'air parfaite comme la neige.
Dans la catégorie Morceaux choisis de ce jour, vous trouverez un extrait de ce livre.
Un poème, c'est quoi au juste? C'est presque rien, un silence, une idée, un amour, un élan, une fuite, quelques gouttes d'encre sur la page blanche. (Thierry Renard)
Thierry Renard, Il neige sur ta face (Le bruit des autres, 2001)
Marie Hurtrel, Lézards de poussière (Lire et Méditer, 2011)
Patrick Berta Forgas, La chambre des hommes (L'Harmattan, 2009)
Jean-Philippe Miginiac, Musiques imaginaires (TheBookEdition/J.P.Miginiac, 2010)
Kadour Naïmi, Mots d'amour (Lire et Méditer, 2011)
Jean-Pierre Siméon, Traité des sentiments contraires (Cheyne, 2011)
image: Thierry Renard (Maxime Roccisano, 2009)
22:39 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie; livres | |
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17/03/2012
La citation du jour
André Suarès
Il est possible que le livre soit le dernier refuge de l'homme libre. Si l'homme tourne décidément à l'automate, s'il lui arrive de ne plus penser que selon les images toutes faites d'un écran, ce termite finira par ne plus lire. Toutes sortes de machines y suppléeront : il se laissera manier l'esprit par un système de visions parlantes ; la couleur, le rythme, le relief, mille moyens de remplacer l'effort et l'attention morte, de combler le vide ou la paresse de la recherche et de l'imagination particulières; tout y sera, moins l'esprit. Cette loi est celle du troupeau.
André Suarès, Autour du livre - Valeurs et autres écrits historiques vol. 2 (coll. Bouquins/Laffont, 2002)
image: Vasil Qesari
07:41 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essais; livres | |
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14/03/2012
Le poème de la semaine
Abdellatif Laâbi
Les dés sont jetés Malgré toutes tes contorsionstu n'as pas de prise sur la mortAlors écris la vie!ton calame d'encre et de sangton royaume sans sujets ni maîtreta patrie sans terreta seule croyance hors religiontes yeux et ta langueta richesse et ton dénuementta face éclairée et ton ombreta génitrice et ta progénitureta perdition et ton salutta croix d'infamie et ton diadèmeton lupanar et ton templeton désert et ton oasista science et ton ignoranceta boussole et ton dédaleton jeu de marelle et ta cité idéaleta règle et ton exceptionta peau de chagrin et ton éternitéta blessure et ta drogue Ecris la vie ainsi nomméequalifiéeet reconnueQuelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
07:20 Écrit par Claude Amstutz dans Abdellatif Laâbi, Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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11/03/2012
La citation du jour
René Char
Malgré la fenêtre ouverte dans la chambre au long congé, l'arôme de la rose reste lié au souffle qui fut là. Nous sommes une fois encore sans expérience antérieure, nouveaux venus, épris. La rose! Le champs de ses allées éventerait même la hardiesse de la mort. Nulle grille qui s'oppose. Le désir resurgit mal de nos fronts évaporés. Celui qui marche sur la terre des pluies n'a rien à redouter de l'épine, dans les lieux finis ou hostiles. Mais s'il s'arrête et se recueille, malheur à lui! Blessé au vif, il vole en cendres, archer repris par la beauté.
René Char, Le front de la rose - La parole en archipel (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1983)
11:19 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, René Char | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : citations; livres | |
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08/03/2012
Morceaux choisis - Georges Bernanos
Georges Bernanos
La joie du jour, le jour en fleur, un matin d'août, avec son humeur et son éclat, tout luisant - et déjà, dans l'air trop lourd, les perfides aromates d'automne - éclatait à chaque fenêtre de l'interminable véranda aux vitraux rouges et verts. C'était la joie du jour, et par on ne sait quelle splendeur périssable, c'était aussi la joie d'un seul jour, le jour unique, si délicat, si fragile dans son implacable sérénité, où paraît pour la première fois à la cime ardente de la canicule, la brume insidieuse traînant encore au-dessus de l'horizon et qui descendra quelques semaines plus tard sur la terre épuisée, les prés défraîchis, l'eau dormante, avec l'odeur des feuillages taris.
De son pas juste et léger, rarement hâtif, la jeune fille traversa toute cette lumière, et ne s'arrêta que dans l'ombre du vestibule, les volets clos. Elle écoutait battre son coeur et ce n'était assurément ni de terreur ni de vaine curiosité, car depuis des semaines et des semaines, sans qu'elle y prît garde peut-être, chaque heure de sa vie était pleine et parfaite, et il lui semblait que toutes ses forces ensemble n'y eussent rien ajouté ni moins encore retranché... C'étaient les heures de jadis, si pareilles à celles de l'enfance, et il n'y manquait même pas la merveilleuse attente qui lui donnait autrefois l'illusion de courir à perdre haleine au bord d'un abîme enchanté. Délices profondes, plus secrètes qu'aucun battement de coeur profond! Au flanc des Pyrénées, sur un sentier vertigineux, regardant par la portière du coche le gouffre rose où tournent les aigles, la petite fille préférée de sainte Thérèse s'écrie joyeusement: Je ne puis tomber qu'en Dieu! C'étaient les heures de jadis peut-être, mais elle avait perdu jusqu'au goût de les retenir en passant, pour y chercher la part de joie ou de tristesse enclose, aini qu'on ouvre un fruit.
Elle avait cru d'abord, elle aurait voulu croire toujours, que l'espèce d'indifférence heureuse, ce sommeil heureux du désir, n'était rien d'autre que la miraculeuse insouciance des enfants, leur pureté... Bien avant qu'elle en eût fait confidence à personne, ou même qu'elle fût capable de la concevoir clairement, la pauvreté, une pauvreté surnaturelle, fondamentale, avait brillé sur son enfance, ainsi qu'un petit astre familier, une lueur égale et douce. Si loin qu'elle remontât vers le passé, un sens exquis de sa propre faiblesse l'avait merveilleusement réconfortée et consolée, car il semblait qu'il fût en elle comme le signe ineffable de la présence de Dieu, Dieu lui-même qui resplendissait dans son coeur. Elle croyait n'avoir jamais rien désiré au-delà de ce qu'elle était capable d'atteindre, et toujours cependant, l'heure venue, l'effort avait été moins grand qu'elle n'eût osé l'imaginer, comme si l'eût miraculeusement devancée la céleste compassion.
Georges Bernanos, La joie (Castor Astral, 2011)
image: Olgun Yürekler
08:54 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |
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07/03/2012
Le poème de la semaine
Louis Aragon
Toutes les chambres de ma vieM'auront étranglé de leurs mursIci les murmures s'étouffent Les cris se cassent Celles où j'ai vécu seulA grands pas videsCelles Qui gardaient leurs spectres anciensLes chambres d'indifférence Les chambres de la fièvre et celle queJ'avais installée afin d'y froidement mourirLe plaisir loué Les nuits étrangèresIl y a des chambres plus belles que blessuresIl y a des chambres qui vous paraîtront banalesIl y a des chambres de supplicationsDes chambres de lumière basse desChambres prêtes à tout sauf au bonheurIl y a des chambres à jamais pour moi de mon sangEclabousséesToutes les chambres un jour vientQue l'homme s'y écorche vifQu'il y tombe à genoux qu'il demande pitiéQu'il balbutie et se renverse comme un verreEt subit le supplice épouvantable du tempsDerviche lent le temps est rond qui tournesur lui-mêmeQui regarde d'un oeil circulaireL'écartèlement de son destinEt le petit bruit d'angoisse avant lesHeures les demiesJe ne sais jamais si cela va sonner ma mortToutes les chambres sont chambres de justiceIci je connais ma mesure et le miroirNe me pardonne pasToutes les chambres quand enfin je m'endormisOnt jeté sur moi la punition des rêvesCar je ne sais des deux le pis rêver ou vivre.Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
15:06 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Louis Aragon, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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29/02/2012
Le poème de la semaine
Nadia Tuéni
En pays de prièresla lumière habite un vitrail.Le matin glisse dans la chapelle,un moine et son ombre jumelle.La vierge dort sous son émail.Le soleil professe et travaille,sur les terres de Mâr Charbel. En pays de prières,la montagne à un double nez;des larmes en formes de peupliers.On cultive entre les rochers,graines et fleurs de chapelets. En pays de prièresla lune quitte son orbite.Un enfant cache dans la bruyère,un Ave plus quatre Pater. Et la nuit ouvre sa portière,s'en échappe une Carmélite,qui serre dans son aumônière,des dragées blanches d'eau bénite.La lune quitte son orbite,pour rejoindre sur la clairièrela robe brune de l'Ermite. En pays de prièresles corps sont bribes d'un même secret.C'est le souffle du Juste,qui rend plus bleu le ciel,au-dessus des vallées. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
07:24 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Nadia Tuéni, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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25/02/2012
Morceaux choisis - Rainer-Maria Rilke
Rainer-Maria Rilke
Rainer-Maria Rilke, Vergers (coll. Poésie/Gallimard, 1978)
01:47 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature francophone, Morceaux choisis, Rainer-Maria Rilke | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | |
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23/02/2012
Morceaux choisis - Colette Fellous/Paul Nizon
Colette Fellous et Paul Nizon
Je dévorais et buvais sa présence, ses yeux avec ces mignones petites taches dans le brun clair, la bouche joliment peinte, et surtout cette façon qu'avaient ses lèvres de laisser passer la voix. Pas seulement le son, mais les mots, les phrases dans cette langue étrangère que j'aime tant, et quel frisson quand cette voix prononçait mon nom. Je ne pouvais me rassasier de son visage ni de ses doigts fins aux ongles merveilleusement soignés qui maniaient les couverts.
J'enregistrais tout cela, ce port de reine, la lumière de son visage, notre intimité, et j'étais conscient que cette heure et ces secondes n'auraient eu lieu qu'une fois, j'aimais t sentais le monde autour de moi comme jamais, la rue avec ses mélopées du soir, tout, j'étais aveugle et voyant. Miracle sur miracle, moi avec elle, dans cette ville unique, et c'était comme si elle l'avait inventée pour moi et qu'elle me l'offrait, à moi. A moi seul.
Colette Fellous et Paul Nizon, Maria Maria (Maren Sell, 2004)
08:29 Écrit par Claude Amstutz dans Colette Fellous, Littérature francophone, Littérature suisse, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |
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22/02/2012
Le poème de la semaine
Catherine Pozzi
Très haut amour, s’il se peut que je meureSans avoir su d’où je vous possédais,En quel soleil était votre demeureEn quel passé votre temps, en quelle heureJe vous aimais, Très haut amour qui passez la mémoire,Feu sans foyer dont j’ai fait tout mon jour,En quel destin vous traciez mon histoire,En quel sommeil se voyait votre gloire,Ô mon séjour… Quand je serai pour moi-même perdueEt divisée à l’abîme infini,Infiniment, quand je serai rompue,Quand le présent dont je suis revêtueAura trahi, Par l’univers en mille corps brisée,De mille instants non rassemblés encor,De cendre aux cieux jusqu’au néant vannée,Vous referez pour une étrange annéeUn seul trésor Vous referez mon nom et mon imageDe mille corps emportés par le jour,Vive unité sans nom et sans visage,Cœur de l’esprit, ô centre du mirage,Très haut amour.Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
07:30 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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