15/12/2012
La citation du jour
Paul Léautaud
Il est dangereux de trop répéter à sa maîtresse qu'elle est jolie: C'est courir grand risque qu'elle prenne envie d'aller se le faire dire ailleurs.
Paul Léautaud, Propos d'un jour (Mercure de France, 1947)
06:35 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |
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12/12/2012
Le poème de la semaine
René Char
N'égraine pas le tournesol, Tes cyprès auraient de la peine, Chardonneret, reprends ton vol Et reviens à ton nid de laine. Tu n'es pas un caillou du ciel Pour que le vent te tienne quitte. Oiseau rural; l'arc-en-ciel S'unifie dans la marguerite. L'homme fusille, cache-toi; Le tournesol est son complice. Seules les herbes sont pour toi, Les herbes des champs qui se plissent. Le serpent ne te connaît pas. Et la sauterelle est bougonne; La taupe, elle, n'y voit pas; Le papillon ne hait personne. Il est midi, chardonneret.Le séneçon est là qui brille.Attarde-toi, va, sans danger: L'homme est rentré dans sa famille! L'écho de ce pays est sûr. J'observe, je suis bon prophète; Je vois tout de mon petit mur, Même tituber la chouette. Qui, mieux qu'un lézard amoureux, Peut dire les secrets terrestres?O léger gentil roi des cieux, Que n'as-tu ton nid dans ma pierre!Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
02:37 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, René Char | Lien permanent | Commentaires (2) | |
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11/12/2012
Morceaux choisis - Frédéric Pajak
Frédéric Pajak
C'est curieux comme les mots paraissent une nécessité, une consolation, en même temps qu'ils sont une faute, un égarement, une source d'incompréhension. Je suis ébahi et consterné devant l'aisance oratoire, devant ces bouches pleines d'elles-mêmes, ces voix qui portent, qui proclament haut et fort leur appartenance à la réalité: je veux dire à l'autorité. Bien sûr, des abîmes s'ouvrent devant ce vaste bruit trop bien ordonné, et je n'en crois pas un mot. Je crois au balbutiement, à la parole déchiquetée dans ses ronces et sa broussaille. Je crois en une vérité totale et absolue, et parfaitement inexprimable.
Frédéric Pajak, Manifeste incertain, I (Noir sur Blanc, 2012)
00:12 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; morceaux choisis; livres | |
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Malika Mokeddem
Malika Mokeddem, Mes hommes (Grasset, 2005)
Après La transe des insoumis, Malika Mokeddem nous revient avec ce récit important qui est un hymne constant à la liberté personnelle, à l’intégration française, sans pour autant couper les racines avec sa terre natale, l’Algérie : Une caractéristique assez rare… Son ton est juste, lucide, courageux et nous interpelle à chaque page. De plus, son style est magnifique !
J'ai quitté mon père pour apprendre à aimer les hommes, ce continent encore hostile car inconnu. Et je lui dois aussi de savoir me séparer d'eux. Même quand je les ai dans la peau. J'ai grandi parmi des garçons. J'ai été la seule fille de ma classe de la cinquième à la terminale. J'ai été la seule pionne dans l'internat au milieu des hommes... Je me suis faite avec eux et contre eux. Ils incarnent tout ce qu'il m'a fallu conquérir, pour accéder à la liberté.
Egalement disponible en coll. Livre de poche (LGF, 2007)
00:11 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Malika Mokeddem | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |
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07/12/2012
Morceaux choisis - Charles-Albert Cingria
Charles-Albert Cingria
Quand on fait du feu on s'y intéresse. On souffle souvent, pour ainsi dire tout le temps. On remet de la braise ou des boulets entre les bûches afin qu'il y ait de l'air entre celles-ci, autrement elles font un corps inattaquable, surtout si elles sont mouillées. Cela prend du temps, une ruse où se dépense l'imagination. Et, en plus, cela procure de l'intérêt - un formidable intérêt - et du plaisir. Il est indubitable que la chaleur est un plaisir et le froid même léger une douleur, et cette douleur moi et des êtres comme moi sommes bien décidés à ne pas la supporter. Dès que je me lève, je fais du feu et m'intéresse à ce feu, autrement - si je n'ai plus de bois ni d'argent pour en acheter -je ne me lève pas.
Je parle de moi parce que c'est très à sa place dans une chronique. Il doit être question de l'hiver, il me semble, et des plus durs mois qui sont février, mars et avril. Mais bien souvent et du début à la fin de juin. Enfin même en juillet quelquefois un supplément de commande de bois n'a rien d'exagéré.
Je pourrais suppléer à cela - cette perte de temps veux-je dire à ce continuel travail fastidieux qui compromet des journées entières - par un chauffage électrique. Il n'y a qu'à braquer une manette dans le mur et tout est dit. Oui, mais je n'en veux pas. L'électricité peut faire défaillance et simplement à ce moment-là on crève. Non, les romains hivernaient, je veux faire comme les romains.
Charles-Albert Cingria, Il a fait des bourrasques insensées, dans: Oeuvres complètes, vol. 2 (L'Age d'Homme, 2011)
17:08 Écrit par Claude Amstutz dans Charles-Albert Cingria, Littérature francophone, Littérature suisse, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récits; morceaux choisis; livres | |
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05/12/2012
Le poème de la semaine
Pierre-Albert Jourdan
Que l'innocence demeureQu'il lui soit donné de pouvoir se perdredans l'inutilité de ce monde.Qu'elle soit suffisamment fortepour oublier de le clamerQue dans son silence où elle éclaireil n'y ait pas d'obstacle à son silenceQu'elle soulève ce monde laset danse dans sa poussièreQue son sourire de fleur soit à jamaisinscrit sur mes lèvreslorsqu'elles deviendront givreQu'elle soit l'innocence à jamais. Que d'autres puissent s'en saisirqui voudront sauter hors du bourbierQu'elle soit ce que de toujoursl'affirme ce dialogue de terre et de cielà l'écart des chemins imposésQu'elle soit cette folie, suffisamment sourde,receleuse de sourcepour que tant de soifs s'y abreuvent. Amen. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
02:09 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Pierre-Albert Jourdan, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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01/12/2012
Morceaux choisis - Addellatif Laâbi
Abdellatif Laâbi
Abdellatif Laâbi, Ecris la vie, dans: Oeuvre poétique vol. 2 (La Différence, 2010)
image: lejardindenatiora.wordpress.com
06:42 Écrit par Claude Amstutz dans Abdellatif Laâbi, Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |
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28/11/2012
Le poème de la semaine
Jean-Pierre Siméon
Malgré la pluie et le coeur exposénous allonsplus hautplus voyageursmoi dans l'appeltoi dans le soleil qui lui répond Nos joies nous escortentplus loin que les routeset le malheur rusé des hommes Soudain ma paroleest un mur dont tu es le jardin Parcourons encore contre l'usageet contre ceux qui dormentsous un ciel trop éteintcherchons l'autre patrie Il est des nuits non civiliséespour la hâte des lèvreset la vigueur des parfums Eveille-toi avant les larmestu sais que ta main est sauve Je dis pierrepour que vous lisiez le mot pierrepour que vous entendiez le mot pierremais aussi cette choseen dessousqui a à voir avec votre enfance- l'été la rivière - mais aussi un amour peut-êtredébâti par le ventou bien ce murqui fait le bord vertigineuxdu vide Et je dis homme ton orageserré dans le poing Et si je cherche à genoux dans le gravier des métaphoresle nom qui nous rendà la beauté des corpsc'est que nul n'a assez de peaupour éprouver l'airque fait le mouvementdu jour Enfin je dis que j'aimepour que le monde paraissedans l'effort qu'accomplit le sangdans mes veines Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
11:21 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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26/11/2012
Lire les classiques - François de Malherbe
François de Malherbe
François de Malherbe, Poésies (coll. Poésie/Gallimard, 1997)
image: Frank Bernard Dicksee, Contemplation / 1897 (galerie-creation.com)
01:09 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |
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Daniel Fazan
Bloc-Notes, 26 novembre / Les Saules
Paul est vigneron, quelque part dans le Dézaley vaudois. Depuis de nombreuses années, il ne supporte plus sa femme Roberte qui a coupé les sarments de sa tendresse, porte le phylloxéra du couple et se défoule avec des mots assassins pour oublier qu'elle n'a plus sa place auprès de lui, rageant de savoir qu'elle ne trouvera plus chaussure à son pied, ailleurs, selon toute vraissemblance. Délaissée, Roberte? Plutôt deux fois qu'une puisque Paul refait sa vie avec... Roger, un vigneron comme lui, qui a des mots rares, jolis comme un coquelicot d'octobre quand on ne l'attend pas au pied d'un cep.
Et tandis que Roberte déverse ses rancoeurs auprès du pasteur Borda - dont la rumeur populaire dit que le fils partagerait la même ambiguïté que son mari -, Paul se raconte à Madame - sa psy -, lui parle de Roger, de sa noblesse terrienne d'aristocrate, de ses silences qui laissent pousser la vie, de sa beauté comme la vendange du siècle. L'alcool - une pause dans la cruauté ambiante d'une Roberte qu'il préfère floue - est aussi au programme de Paul qui compte bien réussir sa cure de désintoxication et se contenter de fantasmer sur un nettoyage des dents au chasselas, pas avalé, un peu comme le dentrifice!
Beaucoup d'humour, donc, dans ce Millésime, mais comme dans son précédent récit Vacarme d'automne, Daniel Fazan règle ses comptes avec l'hypocrisie, le conformisme et la médiocrité. Le décor s'y prête et parmi ses plus belles pages figurent celles consacrées au village de Paul, perché au milieu des vignes: Les maisons se sont agrippées les unes aux autres dans l'impossibilité de prendre de la distance. Il n'y en a pas. Cette communauté est jalouse de tout, des autres, de ses avoirs en plus. Chaque cep est connu de tous, chaque mètre vaut son pesant de bouteilles. On n'a plus besoin de policer qui que ce soit, la police locale c'est chaque habitant qui l'incarne. (...) Ici on économise tout, surtout les mots.
Provocateur avec ce sujet délicat de l'homosexualité rurale et de l'alcoolisme, Daniel Fazan sait à merveille réveiller sa tendresse d'insoumis et son amour des beautés qui l'environnent à travers ce roman dont le personnage principal est, bien sûr, la vigne: Une vigne, c'est une image vivante et souvent arrêtée. Et ce ciel jamais lassé de se regarder dans l'eau, cette eau jamais agacée par ces nuages qui font les malins. Cette eau que remuent les vents pour en mélanger tout le mystère. Les poètes ont marché sur ma terre, les musiciens ont joué ce spectacle, à lui seul un opéra silencieux.
Ailleurs, Paul médite sur ce plus bel endroit du monde: Je suis fragilisé par l'étreinte, presque mortifère du paysage protégé, étroit comme une image cernée par une fenêtre de la dimension d'une meurtrière de château-fort qui regarde l'espace sublime et changeant d'un lac capricieux et solitaire, parfois morne, proche de l'ennui. Je me sens prisonnier de mes devoirs, de mes voisins, des avis saturés d'incompréhension alors que j'aspire à la tendresse.
Et cette tendresse, Paul la trouvera auprès de Roger, et la scellera avec cette force de vie qui devrait lui permettre, un jour, de bien mourir... Millésime est une lecture tonique et pétillante, comme cette vigne sur laquelle baigne parfois une lumière cruelle, mais qui répand de même sur nous une brise légère qui parle d'amour et incline à la bonne humeur!
Daniel Fazan, Millésime (Olivier Morattel, 2012)
Daniel Fazan, Vacarme d'automne (Olivier Morattel, 2011)
image: Daniel Fazan (rts.ch)
00:35 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |
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