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28/01/2013

Sibylle Claudel

9782246746317.gifSibylle Claudel, Bonjour ma douce vie (Grasset, 2009)

 

Ce livre est le récit d’une descente en enfer, au cœur d’un sale cancer – la maladie de Hodgkin, une forme de leucémie - qui s’abat sur Sibylle Claudel comme la foudre. Avec des mots bruts, des sensations vraies, des réflexions pertinentes, elle raconte ses leçons de ténèbres de chimiothérapie en séjours hospitaliers, son état déconnecté par rapport aux autres, avant d’entrevoir le retour à la lumière et la guérison, à force de courage. Son style est celui d’un écrivain, un vrai, qui ne renonce jamais, sait émouvoir et ne donne de conseils à personne !


Si les étoiles existent, c’est qu’il y a sur terre des êtres de lumière. 

05:09 Écrit par Claude Amstutz dans Documents et témoignages, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; récit; document; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

25/01/2013

Actualité de la poésie

Bloc-Notes, 25 janvier / Les Saules

Bona Mangangu.jpg

En littérature, quand je parle d'un roman, il m'est souvent facile de dévoiler le sujet, de raconter la vie de ses personnages, afin d'en exprimer la résonance et de susciter l'enthousiasme - ou le rejet - auprès des lecteurs possibles; de même pour les ouvrages scientifiques ou politiques en principe ancrés dans le concret, où prévaut l'analyse des faits et des actions, avec leurs répercussions éventuelles sur une manière de pensée ou de vivre. Rien de tel avec la musique ou la poésie: autour de ces deux arts de la solitude qui tutoient l'invisible, il est difficile de prolonger les lignes et d'échapper aux mots communs. Banal me direz-vous? Pourtant, derrière celle ou celui qui prononce ou écrit l'un de ces mots ordinaires pour commenter une sonate, un poème, se manifeste un accent de sincérité bien réel qui recouvre, à chaque fois, une réalité différente pour chacun, et dont la somme laisse présager un arc-en-ciel aux teintes méconnues dont les contours ne seront jamais évidents pour tout le monde. Et je n'échappe pas mieux que les autres à ce décalage entre l'intensité fusionnelle que suscite une note de musique ou un vers, et les limites du langage pour l'extérioriser et la partager. Ce qui explique qu'en règle générale, je préfère publier les textes des poètes plutôt que d'en parler. Ainsi, à propos de poésie dans cet article, je vais me contenter de vous présenter, sans plus, quelques belles parutions de découverte récente, appartenant à ce monde de la poésie, aussi nécessaire à l'âme que l'eau, le sang et les rêves.

Bona Mangangu - comme les autres auteurs mentionnés sur cette page à l'exception de Jean-Pierre Siméon - est connu des utilisateurs de Facebook, entre autres, à travers une suite d'articles que Jean-Louis Kuffer lui a consacré l'an dernier. Né en 1961 à Kinshasa, ce peintre et écrivain vit et travaille aujourd'hui à Sheffield, au Royaume-Uni. Ce que disent mes mains sur la toile, est son premier livre paru en langue française. Dans ce recueil, la plupart des poèmes de l'auteur s'imposent en miroir de peintures, de musiques - une autre de ses passions vives - ou d'autres écrivains pour filtrer la lumière qui le traverse. Dans certains vers, on peut y reconnaître un langage proche de celui de René Char: Sonde ton coeur, sa part irrésolue. Au fond de toi une étreinte ajournée hante l'azur de mon élan, ô toi la dérobée et la toujours désirée. Mon coeur pélerin entretient toujours la flamme des jours vagabonds que ton mutisme avait allumé. Très beau, n'est-ce pas?

Jean-Pierre Siméon - dont plusieurs poèmes ont été choisis sur La scie rêveuse - a obtenu le prix Max Jacob 2006 pour Lettre à la femme aimée au sujet de la mort, précédé de: Fresque peinte sur un mur obscur. Un titre qui se définit lui-même dont voici une magnifique illustration: Toute vie est un paysage, tout amour sa rivière possible et puisse être la mort, cette chemise d'eau qui glisse du bras après la nage, et que soit la tristesse, cette lumière répandue dans l'herbe et qui fera le soir venu un autre ciel à la mémoire. Né à Paris en 1950, Jean-Pierre Siméon, auteur d'une quarantaine d'ouvrages pour adultes et enfants, mériterait enfin d'occuper une place plus juste au panthéon des poètes contemporains! Lisez-le, vous ne le regretterez pas... 

Avec une préface de Paul Nwesla Biyong, le dernier recueil de Patrick Berta Forgas, Le testament de Pandore, convoque une fois encore la guerre et son cortège de sang qui semble se répéter à l'infini, pour dénoncer les dérives du pouvoir, le refus de la résignation, l'espoir aussi, davantage présent que dans ses oeuvres précédentes: Me voilà perdu aux multiples appels de l'inconnu. Appuyé, mais seul. Je suis las. Comme un oubli fort de ses cris. Je veux écrire le livre qui signe l'abandon des voix! Et puis, reprendre la route qui fait le pélerinage du doute pour remonter l'avalanche des espoirs. Je suis vivant. Et, plus loin il ajoute: Il faut sauver le grain qui veut grandir, celui du coeur et du vent. L'auteur signe ici son dixième ouvrage et lui aussi, il serait temps de reconnaître sa voix! 

S'il n'est plus nécessaire de présenter Thierry Renard - lui aussi, souvent cité et publié sur La scie rêveuse - il faut signaler que sa démarche traduit toujours une grande générosité et une ouverture au monde des autres. Ainsi est né Un monde à l'envers, dialogue à deux voix avec Ahmed Kalouaz - auteur d'une trentaine de livres à ce jour - autour de la poésie, de visages lus, de politique, de femmes, de mémoire et de l'air du temps. L'un voulait changer le monde. L'autre le gagner, souligne Yvon Le Men dans sa préface. Deux auteurs et amis qui parlent en parrallèle et finissent par se croiser, s'épouser sans dérailler. Un bel extrait signé Ahmed Kalouaz, peut vous laisser entrevoir la tonalité de l'ouvrage: Une branche d'aubépine se balance dans l'air doux de janvier. Hier on m'a dit, voilà ton âge dans le sac. A prendre ou à laisser. J'ai laissé de peur de trop prendre. Pour marcher la tête haute j'ai besoin d'un tapis de fleurs d'hiver, d'une mousse verdâtre, d'un rugueux tronc d'amandier. Je laisse les mystères au temps. Mes lilas ont l'air si triste, et pourtant mai les verra refleurir. Mon âge est une vague. Un jour une larme, un autre le sourire. Je ne saurai plus courir comme hier et pourtant. Mon âge ? Qu'il entre, je l'attends. Une tasse pour l'amitié, une autre pour l'adieu. La douceur ira se lire sur d'autres bouches. Y répond, en confidence, Thierry Renard: C'est une chanson qui te ressemble, mon ami couvert de bras. Une chanson où les petits riens donnent le change, où les petits riens vont bien ensemble. Une chanson où quand tu n'es pas là je meurs. Où, quand tu n'es pas là, je pleure. Ah! mon ami, mon ami couvert de bras... Un vrai plaisir d'être la troisième voix - celle qui écoute - de cette lecture qui interroge, affirme et se souvient.

Pour conclure, voici Impoésie de Abed Manseur, poète algérien plus connu sous le nom de Nadire Seurman, sur Facebook  où ses textes sont régulièrement publiés. Un auteur qui s'amuse avec les mots qu'il détourne et fait danser, dont l'écriture n'est simple qu'en apparence, comme le relève Thierry Renard dans sa préface. Un livre composé par Monique Delord, découvreuse attentive de poésie: Aux pieds de tes lettres sublimes je déposerai les armes, brûlant comme des champs d'honneur sur le vent porteur de flamme. Je t'enverrai les cendres de la guerre, je lyncherai tous ses livres d'histoire, n'en laisserai que ton univers. Je suis tes lunes où qu'elles aillent. Je suis toit sous ta belle étoile.

Assurément, parmi tous ses textes, il y a matière à ces étonnements heureux que la poésie sait nous réfléchir comme de fragiles rayons de soleil arrachés au néant...         

Bona Mangangu, Ce que disent mes mains sur la toile (L'Harmattan, 2002)

Jean-Pierre Siméon, Lettre à la femme aimée au sujet de la mort, précédé de: Fresque peinte sur un mur obscur (Cheyne, 2002)

Patrick Berta Forgas, Le testament de Pandore (L'Harmattan, 2012)

Ahmed Kalouaz et Thierry Renard, Un monde à l'envers - Correspondances (Le bruit des autres, 2010)

Abed Manseur, Impoésie (Blurb, 2013)

image: Bona Mangangu, Pietas / Sheffield Institute of Arts, UK (bonamangangu.webs.com)

 

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12:29 Écrit par Claude Amstutz dans Jean-Louis Kuffer, Littérature francophone, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Imprimer |  Facebook | | |

24/01/2013

Morceaux choisis - Josyane de Jesus-Bergey

Josyane de Jesus-Bergey

Blue Nude.jpg

L'émigrée,
 
Je suis celle qui vient de l'autre pays
partagée entre le père
et l'enfance.
 
Je me sais sans terre ni ciel
n'appartenant qu'à l'instant
qui me voit vivre.
 
Venue d'ailleurs
jamais au bon moment
jamais au bon endroit
 
Toujours étrangère
 
avec quelque chose de moins
avec quelque chose de plus
 
Jamais d'accord
 
Mais fière d'être.
 

Josyane de Jesus-Bergey, L'émigrée, dans: Pas d'ici, pas d'ailleurs - Anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines / présentation et choix: Sabine Huynh, Andrée Lacelle, Angèle Paoli, Aurélie Tourniaire / préface: Déborah Heissler (Voix d'Encre, 2012) 

image: Henri Matisse, Nu bleu (habit-of-art.blogspot.com)

07:32 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

23/01/2013

Le poème de la semaine

Henri Michaux

Poussant la porte en toi, je suis entré
Agir, je viens
Je suis là
Je te soutiens
Tu n'es plus à l'abandon
Tu n'es plus en difficulté
Ficelles déliées, tes difficultés tombent
Le cauchemar d'où tu revins hagarde n'est plus
Je t'épaule
Tu poses avec moi
Le pied sur le premier degré de l'escalier sans fin
Qui te porte
Qui te monte
Qui t'accomplit
 
Je t'apaise
Je fais des nappes de paix en toi
Je fais du bien à l'enfant de ton rêve
Afflux
Afflux en palmes sur le cercle des images de l'apeurée
Afflux sur les neiges de sa pâleur
Afflux sur son âtre... et le feu s'y ranime
 
Agir, je viens
Tes pensées d'élan sont soutenues
Tes pensées d'échec sont affaiblies
J'ai ma force dans ton corps, insinuée...
et ton visage, perdant ses rides, est rafraîchi
La maladie ne trouve plus son trajet en toi
La fièvre t'abandonne
La paix des voûtes
La paix des prairies refleurissantes
La paix rentre en toi
 
Au nom du nombre le plus élevé, je t'aide
Comme une fumerolle
S'envole tout le pesant de dessus tes épaules accablées
Les têtes méchantes d'autour de toi
Observatrices vipérines des misères des faibles
Ne te voient plus
Ne sont plus
 
Equipage de renfort
En mystère et en ligne profonde
Comme un sillage sous-marin
Comme un chant grave
Je viens
Ce chant te prend
Ce chant te soulève
Ce chant est animé de beaucoup de ruisseaux
Ce chant est nourri par un Niagara calmé
Ce chant est tout entier pour toi
 
Plus de tenailles
Plus d'ombres noires
Plus de craintes
Il n'y en a plus trace
Il n'y a plus à en avoir
Où était peine, est ouate
Où était éparpillement, est soudure
Où était infection, est sang nouveau
Où étaient les verrous est l'océan ouvert
L'océan porteur et la plénitude de toi
Intacte, comme un œuf d'ivoire.
 
J'ai lavé le visage de ton avenir.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

07:46 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

22/01/2013

L'ami chien

Madeleine Chapsal 

littérature; récit; animaux; morceaux choisis; livres

pour mon père

Existe-t-il des vies humaines qui n'auraient pas connu de chiens, du moins parmi nos sociétés? Toutes les personnes que j'interroge ont fréquenté au moins un chien, si elles n'en ont pas un actuellement. C'était le chien de leur enfance, qui vivait au foyer, ou alors chez une tante, une grand-mère, ou qu'on retrouvait l'été en vacances... Le chien des jeux, de la tendresse... Il s'appelait? Comment l'appelait-on, déjà? Ne vous inquiétez pas, on ne l'a pas oublié. Il s'appelait Fido, Junior, Brunet, Pyrame, Alphonse... Hé oui! Les chiens ont tous les noms... Comme les gens.

Aux chiens ont égalment échu un rôle magique: ils sont dans les familles comme autrefois les dieux lares. Des ancêtres de l'humanité, en quelque sorte, et si on ne leur rend pas vraiment un culte - certains sont l'objet de mauvais traitements, même de la part des enfants -, ils occupent une place à part, presque sacrée, dans nos mémoires.

Les chiens sont les habitants du silence. C'est beau la parole, c'est ce qui nous fait hommes: des parlêtres, comme disent les habitués de la psychanalyse. Mais c'est magnifique, le silence, car il ne laisse pas place au mensonge. Les chiens ne mentent pas. Certes, ils jouent la comédie, ils miment, ils font semblant. Ils peuvent même se montrer d'excellents acteurs, à l'occasion. Qui a mangé la part de gâteau restée sur la table à portée de mâchoires? On ne sait pas. En tous cas, on ne le dira pas. Ma queue rentrée sous mon ventre n'est pas un aveu... c'est juste par hasard!

En fait, les chiens avouent tout, d'une façon ou d'une autre, ce qui nous donne vis-à-vis d'eux un sentiment hautain de supériorité. Qu'y a-t-il pourtant de si méritoire dans la dissimulation? Serait-ce le mensonge qui fait l'homme, et particulièrement le grand homme? Lequel, à force de vérités niées, effacées, gommées, finit par se déguiser en héros? Les chiens, eux, ne se prennent jamais pour des héros. C'est nous qui le faisons, en les félicitant d'avoir sauvé quelqu'un de la noyade, repéré un survivant sous l'avalanche, ou empêché un gosse de se faire écraser. Eux veulent seulement nous faire plaisir.

Autant qu'une femme amoureuse... 

Madeleine Chapsal, L'ami chien (Stock, 1998)

06:49 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; animaux; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

21/01/2013

Jean Echenoz 1a

Bloc-Notes, 21 janvier / Les Saules

Jrean Echenoz.jpg

Dans un entretien accordé à Eléonore Sulser, dans Le Temps du 10 octobre 2012, voici ce que Jean Echenoz confie à propos de 14, son dernier livre: J'avais envie de revenir à la fiction, à un projet de roman que j'ai depuis quatre ou cinq ans. Mais un incident s'est produit. Je suis tombé sur des carnets de guerre en aidant quelqu'un qui m'est très proche à ranger des papiers de famille: six petits cahiers, carnets de guerre d'un grand-oncle, parti le jour de la mobilisation et resté soldat jusqu'en 19. J’ai commencé à les lire, puis à les transcrire. Il fallait déchiffrer tout cela, j’ai travaillé sur des cartes, pour vérifier des orthographes de lieux, des parcours, etc. Puis je me suis demandé ce qui se passait au juste pendant ce temps-là, sur le plan de la guerre elle-même et de la politique internationale. J’ai lu des travaux d’historiens, d’autres carnets, des romans sur la Grande Guerre; j’ai regardé des archives filmées. Les six carnets, eux, parlaient surtout du temps qu’il fait – ce qui compte quand on est à la guerre –, des corvées, très peu des combats sans doute par pudeur ou par peur de la censure, je ne sais pas. A partir du point de vue très humble d’un homme parmi des millions plongés dans cette affaire, je me suis immergé dans la Grande Guerre. Et est arrivé un moment où j’ai eu envie d’inventer des personnages et de revenir à la fiction par ce biais-là.

Toute l'histoire commence avec Anthime - le personnage central de ce roman - quand, une certaine journée d'août, il entend les cloches qui, tout alentour sonnent à l'unisson dans un désordre grave. Le tocsin, pour être plus précis, signe de la mobilisation. Le voici parti sous les drapeaux, avec Charles - son frère aîné et fiancé de Blanche -, Bossis, Arcenel et Padioleau. Cinq hommes et une femme, Blanche, qui attend le retour de deux d'entre eux, Charles et Anthime, conservant dans son bureau les lettres et cartes postales qu'ils lui envoient régulièrement, rangées en piles serrées par des rubans aux couleurs opposées dans des tiroirs distincts.

Jean Echenoz a le souci de ne pas vouloir réécrire l'histoire, mais de souligner le quotidien de ces hommes, accablés de faim, de froid, de fatigue, de peur, au point d'espérer une blessure de guerre honorable ou choisir la désertion pour être soustraits à l'horreur sous ces pluies de bombes mêlées aux gerbes de sang qui les entoure. Tout a été décrit mille fois, peut-être n'est-il pas la peine de s'attarder encore sur cet opéra sordide et puant. Peut-être n'est-il d'ailleurs pas bien utile non plus, ni très pertinent, de comparer la guerre à un opéra, d'autant moins quand on n'aime pas tellement l'opéra, même si comme lui c'est grandiose, emphatique, excessif, plein de longueurs pénibles, comme lui cela fait beaucoup de bruit et souvent, à la longue, c'est assez ennuyeux.

Un récit fulgurant dont le style épuré, semblable à un film de Robert Bresson, évite toute pesanteur, tout excès. Et quand tout pourrait basculer dans le mélodrame, Jean Echenoz parfois, d'une pirouette, nous en éloigne par un humour de situation particulier qui articule ces épargnés au jour le jour, dont le rire extravagant ou dérisoire résonne tel un entr'acte avant l'appel des manquants.

Pendant ce temps, au village où ne demeurent que les femmes, les enfants et les vieillards, Blanche, qui a donné naissance à une fille prénommée Juliette, fruit de son amour partagé avec Charles, attend. Qui donc, le moment venu, lui reviendra?

Si vous ne l'avez déjà fait, lisez vite 14 de Jean Echenoz, car à une émotion sourde qui agrafe le lecteur dès les premières lignes pour ne plus le quitter, s'ajoute le plaisir de lire un roman sobre, abouti, dont la langue précise et chaleureuse malgré la gravité du temps, traduit une sincère empathie de l'auteur pour ces anonymes de la Grande Guerre.

Comme je l'ai mentionné autrefois à propos du livre de Philippe Claudel, Le rapport de Brodeck - dont la toile de fond est la seconde guerre mondiale - le propos de Jean Echenoz touche à l'universel, et à ce titre, son roman mériterait, lui aussi, d'être inscrit au programme des lectures scolaires...      

Jean Echenoz, 14 (Minuit, 2012)

Philippe Claudel, Le rapport de Brodeck (coll. Livre de poche/LGF, 2009)

Eléonore Sulser, Article et entretien avec Jean Echenoz / 10 octobre  2012 (letemps.ch)

03:55 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Philippe Claudel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/01/2013

Lire les classiques - Charles Baudelaire

Charles Baudelaire

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merci à Christiane H

Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle. Ce qu'on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie. 

Charles Baudelaire, Les fenêtres / extrait, dans: Le spleen de Paris, Oeuvres complètes (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1961)

image: Bernard Plossu, Mexique / 1981 (lebleuduciel.net)

19/01/2013

La citation du jour

La citation du jour 

citation; livres

Ce sont les lecteurs, en fait, qui écrivent un livre. Les autres qui en fait, vivent notre vie. Toute lecture est écriture.

Yves Navarre, Biographie (Flammarion, 1981)

09:11 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, Yves Navarre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Laurent Seksik

littérature; récit; document; livresLaurent Seksik, Les derniers jours de Stefan Zweig (coll. J'ai Lu, 2011)

Si vous n'avez rien lu de Stefan Zweig - parmi ses chefs d'oeuvres: Lettre d'une inconnue, Le joueur d'échecs, Ivresse de la métamorphose, La confusion des sentiments, Vingt-quatre heures de la vie d'une femme, Le monde d'hier ou Voyage dans le passé - prenez vite ce livre qui se lit comme un roman, dresse un portrait saisissant des années 30 et de la guerre, et pénètre dans l'âme de cet incontournable écrivain en proie au pressentiment des barbaries à venir, à la désillusion sur ses semblables, à la nostalgie d'un passé révolu, à tout jamais. Bien que sérieusement documenté, ce livre est une oeuvre littéraire - une vraie - avec ses atmosphères vibrant au rythme du parcours de l'écrivain, de Vienne à New York et à Pétropolis enfin, où Stefan Zweig et son épouse Lotte se donneront la mort, le 22 février 1942.

Toute la tragédie humaine de cette époque est condensée dans ce récit. On y côtoie ses amis Joseph Roth - un autre auteur crépusculaire -, Ernst Feder - un journaliste berlinois - ou encore Georges Bernanos le conjurant de poursuivre sa littérature de résistance. Pourtant, parmi ces aspects sombres que l'Histoire a provoqués, Les derniers jours de Stefan Zweig est aussi une histoire d'amour, dramatique certes, à laquelle répondent comme un écho lointain ou un signe du destin ces vers de Heinrich von Kleist, cités par l'auteur: Seul peut goûter la joie de contempler le monde, celui qui plus rien ne désire... Jamais la vue n'est plus étincelante et libre qu'à la lumière du couchant.

Une magnifique évocation, qui ne peut qu'inciter à (re-)découvrir un des plus grands écrivains de sa génération.

04:49 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; document; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/01/2013

Morceaux choisis - Henri Pichette

Henri Pichette

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La
légère
candide
capricieuse
tourbillonnante
ouatée
poudreuse
neige dont j'aime
la
lente lente chute
 
Par un jour de grisaille aux vapeurs violâtres
ou quelques fois même (je l'ai vu)
par un ciel terre de Sienne
elle
papillonne blanc,
plus blanc que les piérides blanches
qui volettent en avril
comme fiévreusement, 
à moins que ce ne soit frileusement
autour
de roses
couleur d'âtre
 
Météore
qui touche ma manche
de ratine, y posant des cristaux à six branches
sous mes yeux d'étincelles
 
Pluie
de
plumes
de
mouettes
muettes
 
Recouvrant la plaine déshéritée
emmantelant la forêt squelettique
 
Epaisse, assoupissante et ensevelissante
 
Blanche telle
une belle absence de parole
 
Blanche autant qu'absolue
dans un silence d'oeil
qui rêve l'éternité blanche
 
Neige neigée
tellement soleillée
que d'un blanc aveuglant,
et brûlante!
 
Neiges de Harfang aux iris jaune d'or
et ventre blanc pur de la Panthère des neiges
 
De quel oiseau fléché fuyant à travers ciel
ce pointillé de sang sur la neige vierge?
 
Regardez, par delà
cette grille givrée
d'innocentes hermines
dorment tout de leur long
sur les bras des croix
 
Alors qu'à l'intérieur l'enfant
le front appuyé à la vitre
pour jouer
fait de la buée,
dehors chaque flocon
éclate une petite larme
qui roule
en bas
du carreau
où le mastic est vieux comme la maison
 
Et
tout là-bas
(à l'heure de mon coeur qui bat tout bas)
quelqu'un
contemple
la rencontre de la neige
floconneuse, innombrable
avec la mer
formidable, comme
de plomb,
glauque
 

Henri Pichette, Ode à la neige, dans: Odes à chacun, suivi de: Tombeau de Gérard Philipe (coll. Poésie/Gallimard, 2009)

image: Le port de Brest (lilasjade.centerblog.net)

05:04 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |