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16/01/2013

Le poème de la semaine

Paul Eluard

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable de neige
J’écris ton nom
 
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
 
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
 
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
 
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
 
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
 
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
 
Sur chaque bouffées d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
 
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
 
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom
 
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
 
Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes raisons réunies
J’écris ton nom
 
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom
 
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom
 
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom
 
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom
 
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attendries
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
 
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
 
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
 
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
 
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

13/01/2013

Morceaux choisis - Georges Perros

Georges Perros

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Dans la brousse de l’âme
Sur les pistes du cœur,
Dans la forêt des sens
Plus obscure que l’autre
Dans sa bruyante et clandestine
Multitude sauvage
A travers les images
Qui prennent l’air du rien
Quand il vente très haut
Dans le ciel du grand vide,
Prends ton sac, droit le dos,
Marche et rêve au pas vif
De qui n’est jamais las
D’aller où ne vont plus
Que quelques chers fantômes
Nous leur devons la vie
Nous doivent-ils leur mort
La parole s’éteint
Au rythme des relais
On se passe un témoin
Qui détient le secret
Au dernier homme de l’ouvrir
Quand plus personne devant lui
Pour délivrer le lourd message
Dont nous bégayons entre nous
Les aveuglantes évidences.
Les grecs en suçaient les deux bouts.
 

Georges Perros, Pour ainsi dire, dans: Collectif, Avec Georges Perros (coll. Encres/Recherches Exit, 1980) 

Image : Maison de Georges Perros (fr.wikipedia.org)

17:45 Écrit par Claude Amstutz dans Georges Perros, Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

09/01/2013

Le poème de la semaine

Jean-Michel Maulpoix

Nous sommes les naufragés de la langue
D'un pays l'autre nous allons, accrochés aux bois flottés de nos phrases
Ce sont les restes d'un ancien navire depuis longtemps fracassé
Mais le désir nous point encore, tandis que nous dérivons
De sculpter dans ces planches des statuettes de sirènes aux cheveux bleus
Et de chanter toujours avec ces poumons-là:
Laissez-nous répéter la mer
N'intentez point de procès stupide au grand large
 
La mer, accrochée à la mer
Tremble et glisse sur la mer
Ses mouvements de jupe, ses coups d'épaules, ses redondances
Et tout ce bleu qui vient à nous sur les grands aplats de la mer
Nous aimons la manière dont s'en va la barque
Se déhanchant d'une vague à l'autre, dansant son émoi de retrouver la mer
Et son curieux bruit de grelot
Quand la musique se déploie sur l'immense partition de la mer 
 
La mer se mêle avec la mer
Mélange ses lacs et ses flaques
Ses idées de mouettes et d'écumes
Ses rêves d'algues et de cormorans
Aux lourds chrysanthèmes bleus du large
Aux myosotis en touffes sur les murs blancs des îles
Aux ecchymoses de l'horizon, aux phares éteints
Aux songes du ciel impénétrable
 
La mer est un ciel bleu tombé
Voici longtemps déjà que le ciel a perdu ses clefs dans la mer
Sous quels soleils désormais nous perdre?
Sur quelle épaule poser la fièvre de notre tête humide?
Nos rêves sont des pattes d'oiseaux sur le sable
Des fragments d'ongles coupés à deux pas de la mer
Nous brûlons sur la plage des monceaux de cadavres
Puisque tels sont les mots avec leurs os et leurs fumées
 
Tas de fémurs et de métacarpes
Bûcher d'herbes odorantes et de poudres qui crépitent
C'est un pré sec qui prendrait feu près de la mer
De hautes flammes tête baissée sautent parmi les genêts
Et soudain ce buste de femme dressé dans le crépitement
Offert à ce furieux amour
Lançant vers le ciel la longue plainte
De qui s'est calciné le coeur
 
Seul, il avance vers elle, sur le môle de granit étroit
Embarquant vers rien son corps périssable
Elle la couchée immense qui accourt
Lançant vers lui ses gerbes et ses jupons
Lui, le petit homme droit sur la digue avec un crayon
Collé contre elle, mais séparé
L'un et l'autre, quoique si proches, se perdant de vue
L'un contre l'autre se pressant, le coeur mal amarré
 
Le large baigne un peu ce petit corps d'homme
Le bleu le prend dans ses filets
Graine de chair ou pépite d'amour transi
Touffe de clarté entre les paumes
Tachées d'encre profonde
Lèvres closes par la vague
Muet, n'ayant rien à répondre au large
Sans voix dans les dédales de l'eau
 
Pourquoi ne pouvons-nous prendre racine dans la mer
A la façon des noyés et des algues?
Nous porterions sans peine sur nos épaules
Le ciel bleu qui ne se fane pas mais rêve à des couleurs
Et la laine tiède des écumes
Et les fruits vénéneux du large
Où n'a mordu nulle lèvre humaine
Nous serions de retour dans l'infini jardin
 
Nous ne remplirons pas la mer de nos larmes
Nous soutiendrons plutôt de nos chants l'effort des tempêtes
Qui versent sur nos têtes leurs cris et leurs lessives
Et quand nos yeux délavés n'y verront plus rien
Nous saurons mieux encore ce qu'est la mer
Les écailles seront tombées qui nous couvrent le coeur
Et notre peau nacreuse sera enfin si blanche
Que nous ne craindrons plus l'amour fou des sirènes
 
A la santé des cieux du large
Dans les calices et les ciboires
Nous buvons goulûment la mer
Aucune eau ne nous désaltère
Nous avons soif de sel
Nos lèvres sont avides
Dans l'eau bleue, c'est toujours dimanche
Quand s'agenouillent les poissons d'or.
 
Depuis que le flot nous transporte
Nous avons pris goût à l'éternité
Nous avons de l'eau plein la tête
Et des cristaux de sel dans le sang
Nous nous souvenons mal de nos semblables
Dont se fanent les jardins
Et grandissent les enfants
Notre coeur est si bleu. 
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

sources: http://www.maulpoix.net/naufrages.htm

 

08/01/2013

Morceaux choisis - Paul Léautaud

Paul Léautaud

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pour Catherine P

Stendhal! l'enchantement de ma jeunesse, l'enchantement de mon âge mûr. Stendhal! l'intelligence, la sensibilité, l'observation et l'analyse faites littérature au plus haut degré. Stendhal! l'écrivain inimitable, car on imite une rhétorique, un vocabulaire, on n'imite pas les facultés intellectuelles, la personnalité supérieure. Arrigo Beyle, Milanese... Qu'elle m'émeut, cette épitaphe, qu'elle me donne de pensées! Grand esprit, âme libre et voluptueuse. Pas d'autre patrie que la patrie du coeur et de l'esprit. Là où a été le bonheur, là où on a connu l'amour, l'amitié, là est la seule et vraie patrie.

Justement ces derniers soirs, dégoûté plus que jamais des livres d'aujourd'hui - la guerre favorise beaucoup la mauvaise littérature et les ouvrages niais sur des questions prétendues sérieuses - je relisais au hasard la Correspondance. Même dans les courts billets d'amour, quelle maîtrise de l'esprit sur le sentiment, et en même temps quelle profondeur du sentiment sous l'esprit qui persifle et se raille soi-même. Quel plaisir il devait avoir en les écrivant! Quelle merveilleuse lecture que toutes ces lettres! Partout, quelle brièveté, quelle rapidité, quel naturel, quel abandon - le ton de la causerie! - quelle correspondance parfaite entre l'expression et l'idée, le sentiment ou la sensation, que de mots touchants, que d'idées fortes, que d'observations profondes, que tout cela est plein avec peu de mots et qu'il est pénétrant et qu'il excite l'esprit, à quelque endroit de son oeuvre qu'on le lise! Comment ne pas l'adorer, l'homme qui a pensé, senti de tels livres, imaginé et réalisé de telles figures, car jamais cela n'a été plus vrai qu'avec lui qu'un véritable écrivain n'écrit qu'à sa ressemblance intime et secrète. 

Tous tant que nous sommes aujourd'hui, mes chers confrères, mais oui, tous, ceux qui sont de l'Académie et ceux qui n'en sont pas, nous ne sommes à côté de lui que des zéros, d'incontestables zéros. Qu'on mette au pilon tous les romantiques, qui ont corrompu notre langue, abîmé notre littérature, déformé, vicié, abêti notre esprit. Qu'on me donne Chamfort, La Rochefoucauld, Le neveu de Rameau (Diderot bien supérieur pour moi à ce phraseur et pleurard de Rousseau), quelques Stendhal, La Correspondance, Le Brulard, les Souvenirs et La chartreuse en tête, qu'on joigne à tout cela de quoi faire des cigarettes, ce qu'il faut pour écrivasser de temps en temps, une belle image libertine d'une jolie femme nue pour me consoler de la réalité que je n'ai pas, qu'on m'assure avec cela ma subsistance, et je consens à vivre enfermé entre quatre murs, sans plus voir personne et sans jamais m'ennuyer. Ce que je dis là est pur superflu. J'ai ce bonheur de pouvoir rester enfermé aussi longtemps qu'on voudra, sans livres ni papiers ni aucune société, sans m'ennuyer jamais, tant j'ai dans la tête de quoi m'occuper.

On ne peut penser à Stendhal sans penser à la question du style. Des gens qu'un style sans ornements, sans redondance, simplement précis et net, déconcerte, lui ont beaucoup reproché le sien. C'est qu'on est en général extrêmement sensible à la forme, dans le plus mauvais sens du mot. Des phrases chantantes, cadencées, nombreuses, comme on dit, font pâmer le lecteur. Qu'importe que dix mots aient pu suffire là où l'auteur a mis dix lignes et qu'avec des métaphores chaque chose à tout bout de champ soit dite deux fois, comme dans Flaubert. Si par surcroît, vous y ajoutez un peu de pathos romantique, d'enflure verbale, vous êtes sacré grand écrivain!

Paul Léautaud, 1er novembre 1918, dans: Maria Dormoy, Paul Léautaud (coll. La Bibliothèque idéale/Gallimard, 1958)

Stendhal, Correspondance - 3 vols (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard 1963-1969)

07/01/2013

François Mauriac

littérature; roman; livresFrançois Mauriac, La fin de la nuit (Coll. Livre de poche 2004)

 

Dans son appartement parisien, Thérèse Desqueyroux s'apprête à affronter la solitude d'un samedi soir. Sa fille Marie, âgée de dix-sept ans, qu'elle n'a pas vue depuis trois ans surgit de façon inopinée.

 

Marie, qui est partie sans prévenir sa famille, évoque avec ironie les difficultés financières des Desqueyroux : Bernard son père, et sa grand-mère, subissent le contrecoup de la débâcle de la résine. Puis elle exprime sa révolte par rapport à l'univers étouffant de son entourage et manifeste sa solidarité avec sa mère qui a su tout quitter...


Ce texte, un peu injustement oublié, est le prolongement de Thérèse Desqueroux, probablement le plus beau personnage créé par son auteur, image vacillante d’un cœur tourmenté, épris de liberté, rebelle dans un milieu conformiste et hypocrite.

 

Je n'ai pas voulu donner dans La fin de la nuit une suite à Thérèse Desqueyroux, mais le portrait d'une femme à son déclin, que j'avais peinte déjà du temps de sa jeunesse criminelle. Il n'est aucunement nécessaire d'avoir connu la première Thérèse pour s'intéresser à celle dont je raconte ici le dernier amour. (François Mauriac)

09:18 Écrit par Claude Amstutz dans François Mauriac, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/01/2013

La citation du jour

Paul Léautaud

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Il y a deux sortes d'êtres qui ne devraient jamais être malheureux: les enfants et les bêtes.

Paul Léautaud, Le Théâtre de Maurice Boissard (Gallimard, 1926)

23:00 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

02/01/2013

Pascale Roze

littérature: roman; livresPascale Roze, L'eau rouge (Coll. Folio/Gallimard, 2007)

Au cap Saint-Jacques, elle embarqua sur un bâtiment de transport de troupes pour remonter la rivière de Saigon. On entrait dans les terres. on touchait au but. A l'avant du bateau, conquérante, elle scrutait le paysage, un médiocre paysage, très plat, des mangroves pleines de palétuviers, puis des rizières à l'infini dans lesquelles travaillaient des Annamites sons leur chapeau pointu, et des buffles gris et maigres. La rivière n'en finit pas de dérouler ses méandres. Enfin le quai des Messageries. Une fanfare militaire les accueille, qui lui donne des frissons au coeur. Mais ce qui l'envahit avant même de descendre à terre, c'est l'odeur. L'odeur de Saigon, ce mélange lourd de vase, de sucre, d'épices, de saumure...

Découvrez vite Pascale Roze, l’une des plus belles et discrètes plumes de la littérature française, dont la plupart des textes –L’homme sans larmes par exemple – figurent au catalogue des livres de poche. Dans ce roman, nous voici en compagnie de Laurence Bertilleux, qui se remémore au soir de sa vie ses années de jeunesse, vécues volontairement pendant la guerre en Indochine, parmi les militaires. Une héroïne émouvante dans ce contexte douloureux.

00:10 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

01/01/2013

Morceaux choisis - Jean-Michel Maulpoix

Jean-Michel Maulpoix

littérature; récit; morceaux choisis; livres

Tu voudrais marcher sur la neige à pas de vair, entendre la blancheur crisser, palper la fourrure tiède des contes, t'abandonner à leur sommeil comme à un oreiller où blottir la tête quand quelqu'un raconte une histoire. Chaque fois que ton coeur craque. tu prends ton dé, ta trousse et tes aiguilles: des mots encore avec des mots, bouts de bois, cabanes d'enfants, excès, accès de ciel, fièvres d'encre, une convoitise de bleu, sa mélancolie de jupes claires; tu es l'ouvrier de l'amour.

Jean-Michel Maulpoix, Une histoire de bleu (Mercure de France, 1992)

image: vergson.canalblog.com

30/12/2012

Morceaux choisis - Jocelyne François

Jocelyne François

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Le vent est tombé. Il reste seulement derrière la vitre froide le mouvement retenu du ciel. La nuit approche la colline, désarme la maison.

Je sais que l'ombre du cyprès que j'ai touché tout à l'heure tournera lentement avec la lune, et que le sol autour d'elle, libre comme un désert, deviendra cadran lunaire et mesure du temps durant notre sommeil. Le vent est tombé. Les oiseaux ne chantent pas encore le soir. La terre navigue et je la regarde. Je me regarde embarquée dans ce voyage que je n'ai pas choisi et que je me suis prise à aimer au point de le confondre avec mon corps, au point de le désirer éternel. Ah! l'éternité ne serait pas ce trou si nous y pouvions emporter cette frange sur les collines que lève la lune ou le soleil. Cette frange, au moins comme repère dans ce temps qui en aura fini de s'écouler. Autour de cette lumière pourrait s'inventer une vie sans gestes.

Ainsi sommes-nous autour des feux allumés sur les plages, perdus entre les dunes, le ciel et la mer, sans pensée et presque sans désir, occupés par le silence, le poids d'un vêtement, une braise qui roule, le sens du vent, accordant nos places à la fumée, attendant.

Alors nos feux pourraient s'élargir en cette lumière qui cesserait d'être abrupte et fugitive, qui s'établirait entre nous.

Le vent est tombé. C'est l'heure où il faut sortir, faire crisser le gravier, descendre les calades et remonter sur le plateau calcaire. Marcher. C'est l'heure où tout est à voir autrement, où nos mesures sont à prendre. En ce moment vide de la nuit, je tiens ma vie, je tiens ma mort, je tiens mon amour. Chaque scorpion tassé sous la pierre en tient autant. La terre navigue, je crois que je marche.

 Jocelyne François,  Le vent est tombé, dans: Signes d'air (Mercure de France, 1982)

image: Les Baux-de-Provence (jaipurdivabijoux.eu)

29/12/2012

Morceaux choisis - Léopold Sédar Senghor

Léopold Sédar Senghor

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Femme nue, femme noire
Vétue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté
J'ai grandi à ton ombre; la douceur de tes mains bandait mes yeux
Et voilà qu'au coeur de l'Eté et de Midi,
Je te découvre, Terre promise, du haut d'un haut col calciné
Et ta beauté me foudroie en plein coeur, comme l'éclair d'un aigle
Femme nue, femme obscure
Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir,
Bouche qui fais lyrique ma bouche
Savane aux horizons purs,
Savane qui frémis aux caresses ferventes du Vent d'Est
Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde
Sous les doigts du vainqueur
Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l'Aimée
 
Femme noire, femme obscure
Huile que ne ride nul souffle,
Huile calme aux flancs de l'athlète, aux flancs des princes du Mali
Gazelle aux attaches célestes,
Les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau.
 
Délices des jeux de l'Esprit,
Les reflets de l'or ronge ta peau qui se moire
A l'ombre de ta chevelure, s'éclaire mon angoisse
Aux soleils prochains de tes yeux.
 
Femme nue, femme noire
Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l'Eternel
Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres
Pour nourrir les racines de la vie.

Léopold Sédar Senghor, Poésie complète (Planète Libre, 2007)

image: fr.123rf.com

09:42 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |