03/03/2013
Morceaux choisis - Jean-Louis Kuffer
Jean-Louis Kuffer
Tout sera peut-être oublié? Tout n’aura peut-être été qu’illusion? Tout n’aura jamais été peut-être qu’un rêve ?Je ne me pose, pour ma part, aucune de ces questions. Je ne fais que m’imprégner. Ou plutôt je ne fais qu’être imprégné. Plus exactement je ne fais qu’être, et encore: je ne suis qu’à vos yeux. Faites de moi ce que vous voulez: courez après mon reflet, emparez-vous de mon ombre, clouez et exposez ma dépouille, mais qui dira ce que je suis en vérité? Quels mots diront mon vol? Quels mes voiles et le vent qui me porte? Quels toutes mes pages écrites à coups d’ailes? Quels les milliards de vie que je continue en planant au-dessus des jardins suspendus jusqu’où remonte l’air poissonneux du Haut Lac aux airs ce soir de fleuve immobile? Quels mes effrois et mes ivresses? Quels mes désirs séculaires, moi qui ai l’âge de mes pères fossilisés dans la roche claire d’avant les glaciers? Quels de vos mots diront mon inscrutable origine? Quels de vos mots diront mes fins dernières?
Vous avez tant écrit pour dire ce que je suis, quand je ne faisais qu’être. Tant d’idées se sont empilées dans vos pyramides de papier pour affirmer qui j’étais, quand je tombais en poussière. Tant de combats entre vous pour décider quel nom je porterais, quand je renaissais. Tant d’armes levées, tant de fracas, tant de têtes coupées, tant de décrets, tant de conciles et de congrès, quand je vous survolais. Tant de peine, tant d’amour, tant de savoir, tant de haine, quand je me posais sur la joue de votre enfant dans la lumière du soir. Tant de contes dans la clairière en forêt. Tant d’images premières. Tant d’essais, tant d’explications, tant de lois, tant de traités, tant de généalogies et tant de prophéties. Vous vous êtes élus et maudits. Vous vous êtes couronnées et répudiés. Vous vous êtes traités de purs et d’impurs. Vous avez écrit sur moi des encyclopédies, mais d’un vol je traverse à l’instant votre crâne poncé par les âges. Or, moi qui n’ai pas de mémoire à vos yeux, je me rappelle vos jeux d’enfants. Vous scribes de la nuit des temps et vous paumés des quartiers déglingués, vous guerriers des légions et vous désertant les armées, vous laudateurs et vous contempteurs, vous sages et vous insensés, vous femmes qui enfantez et vous chefs de guerre qui massacrez – vous tous je vous revois lever vos yeux vers mes couleurs, en toutes vos mémoires j’ai déposé ce reflet, cette ombre diaprée, cette insaisissable douceur.
Quelle main ne se rappelle ma légèreté? Sur quel doigt de quel ange ai-je jamais pesé? Qui ne se souvient de la prairie de son enfance où voltigeaient mes drapeaux? Qui ne se revoit, sous le tourbillon de mes ailes en foule, dans la rivière ou la rizière, les hautes vallées ou la féerie des contrées lointaines? Qui ne revit tel après-midi de sa vie dans l’ondulé de ma chenille sur les sentiers poudreux? Qui ne se rappelle le jeune garçon de la légende me voyant, de la bouche du vieil Homère mourant, m’envoler et rendre son chant à l’Univers? Qui ne revoit, à son plafond de malade que la douleur tient en éveil, la tache ou l’écaille dont on croirait qu’elle cherche l’échappée d’un autre ciel? Si je ne suis qu’à vos yeux, c’est par vos mots que je vous parle de vous. Je ne faisais comme vous que passer. Je ne sais trop ce que vous entendez par le mot beauté, mais un poète l’a écrit sur la nappe de papier d’un café : que je suis en visite chez vous.
Jean-Louis Kuffer, L'Ambassade du Papillon (Campiche, 2000)
image: Jean-Louis Kuffer, Autoportrait jeté / Huile sur panneau (2008)
15:16 Écrit par Claude Amstutz dans Jean-Louis Kuffer, Littérature francophone, Littérature suisse, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; essai; morceaux choisis; livres | |
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02/03/2013
Lire les classiques - Jean Racine
Jean Racine
Jean Racine, Louange de Port-Royal, dans: Cantiques spirituels et autres poèmes (coll. Poésie/Gallimard, 1999)
image: Cloître de Port-Royal / Hôpital Cochin, Paris (en.wikipedia.org)
08:30 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |
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01/03/2013
Vendanges tardives - De l'amour 1b
Un abécédaire - A comme Amour
Lorsque je les prends à mon pauvre piègeDe paume et de peur de hâte et d’émoiLorsque je les prends comme une eau de neigeQui fond de partout dans mes mains à moi
Sauras-tu jamais ce qui me traverseCe qui me bouleverse et qui m’envahitSauras-tu jamais ce qui me transperceCe que j’ai trahi quand j’ai tressailli
Ce que dit ainsi le profond langageCe parler muet de sens animauxSans bouche et sans yeux miroir sans imageCe frémir d’aimer qui n’a pas de mots
Sauras-tu jamais ce que les doigts pensentD’une proie entre eux un instant tenueSauras-tu jamais ce que leur silenceUn éclair aura connu d’inconnu
Donne-moi tes mains que mon cœur s’y formeS’y taise le monde au moins un momentDonne-moi tes mains que mon âme y dormeQue mon âme y dorme éternellement.
Louis Aragon, Le fou d'Elsa (coll. Poésie/Gallimard, 2002)
11:57 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Louis Aragon, Vendanges tardives - Un abécédaire 2013 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |
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Morceaux choisis - Andrée Chedid
Andrée Chedid
Andrée Chedid, L'amour I, dans: Zéno Bianu, Eros émerveillé - Anthologie de la poésie érotique française (coll. Poésie/Gallimard, 2012)
image: Willy Ronis, Mouche (espritsnomades.com)
00:17 Écrit par Claude Amstutz dans Andrée Chedid, Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |
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28/02/2013
La citation du jour
Denis Diderot
La sotte occupation que celle de nous empêcher sans cesse de prendre du plaisir ou de nous faire rougir de celui que nous avons pris! C'est celle du critique.
Denis Diderot, De la critique, dans: Oeuvres (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1946)
20:05 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Le monde comme il va, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |
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27/02/2013
Le poème de la semaine
Jean-Claude Pirotte
Non je n'ai pas trouvé la porteni la fenêtre ni le soupirailni la lucarne ou la chatièreje ne veux rien de tel pas même le foutu filet de lumièrequi se coule sous le voletje tiens à rester dans mon cadreau moins jusqu'à la fin de l'hiver avec ma tête et mon béretmon col marin mon air niaiset puis mon coq en carton-pâteet surtout! l'âge que j'avais. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
01:39 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |
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26/02/2013
Stéphanie Janicot
Stéphanie Janicot, Dans la tête de Shéhérazade (Albin Michel, 2008)
L’histoire de Shéhérazade, jeune marocaine née en France, aujourd’hui animatrice d’une émission populaire à la télévision, est attachante, bouillonnante de vie et convaincante. Entre son père Youssouf qui tient un café, ses cousins – Karim, futur petit caïd de banlieue et Adil, rayon de soleil du clan Halshani -, il lui est difficile de se frayer un chemin sans surmonter sa honte de la différence, sa solidarité dans l’épreuve, son refus de laisser le temps se figer. Auprès de Sophie, Aubin et Ariane, elle apprend que si l’amitié obéit à des motivations parfois obscures, elle contribue aussi à assouvir son besoin de liberté et d’appartenance. Une destinée lumineuse aussi tonique qu'un coup de sirocco en plein midi...
08:25 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature: roman; livres | |
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25/02/2013
Lire les classiques - H.B. dit Stendhal
H.B. dit Stendhal
A son inexprimable joie, après une si longue attente et tant de regards, vers midi Clélia vint soigner ses oiseaux. Fabrice resta immobile et sans respiration, il était debout contre les énormes barreaux de sa fenêtre et fort près. Il remarqua qu'elle ne levait pas les yeux sur lui, mais ses mouvements avaient l'air gêné, comme ceux de quelqu'un qui se sent regardé. Quand elle l'aurait voulu, la pauvre fille n'aurait pas pu oublier le sourire si fin qu'elle avait vu errer sur les lèvres du prisonnier, la veille, au moment où les gendarmes l'emmenaient du corps de garde.
Quoique, suivant toute apparence, elle veillât sur ses actions avec le plus grand soin, au moment où elle s'approcha de la fenêtre de la volière, elle rougit fort sensiblement. La première pensée de Fabrice, collé contre les barreaux de fer de sa fenêtre, fut de se livrer à l'enfantillage de frapper un peu avec la main sur ces barreaux, ce qui produirait un petit bruit ; puis la seule idée de ce manque de délicatesse lui fit horreur. Je mériterais que pendant huit jours elle envoyât soigner ses oiseaux par sa femme de chambre. Cette idée délicate ne lui fût point venue à Naples ou à Novare.
Il la suivait ardemment des yeux: certainement, se disait-il, elle va s'en aller sans daigner jeter un regard sur cette pauvre fenêtre, et, pourtant elle est bien en face. Mais, en revenant du fond de la chambre que Fabrice grâce à sa position plus élevée apercevait fort bien, Clélia ne put s'empêcher de le regarder du haut de l'oeil, tout en marchant, et c'en fut assez pour que Fabrice se crût autorisé à la saluer. Ne sommes-nous pas seuls au monde ici? se dit-il pour s'en donner le courage. Sur ce salut, la jeune fille resta immobile et baissa les yeux; puis Fabrice les lui vit relever fort lentement; et évidemment, en faisant effort sur elle-même, elle salua le prisonnier avec le mouvement le plus grave et le plus distant mais elle ne put imposer silence à ses yeux; sans qu'elle le sût probablement, ils exprimèrent un instant la pitié la plus vive. Fabrice remarqua qu'elle rougissait tellement que la teinte rose s'étendait rapidement jusque sur le haut des épaules, dont la chaleur venait d'éloigner, en arrivant à la volière, un châle de dentelle noire. Le regard involontaire par lequel Fabrice répondit à son salut redoubla le trouble de la jeune fille. Que cette pauvre femme serait heureuse, se disait-elle en pensant à la duchesse, si un instant seulement elle pouvait le voir comme je le vois!
Fabrice avait eu quelque léger espoir de la saluer de nouveau à son départ; mais, pour éviter cette nouvelle politesse, Clélia fit une savante retraite par échelons, de cage en cage, comme si, en finissant, elle eût dû soigner les oiseaux placés le plus près de la porte. Elle sortit enfin; Fabrice restait immobile à regarder la porte par laquelle elle venait de disparaître; il était un autre homme.
H.B. dit Stendhal, La chartreuse de Parme (coll. Livre de poche/LGF, 2000)
image 1: Rodrigo Guirao Diaz et Alessandra Mastronardi, dans: La chartreuse de Parme, téléfilm de Cinzia TH Torrini (2012)
image 2: Gérard Philipe et Renée Faure, dans: La chartreuse de Parme, film de Christian-Jaque (1948)
23:18 Écrit par Claude Amstutz dans H.B. dit Stendhal, Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; morceaux choisis; livres | |
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Colombe Schneck
Colombe Schneck, Sa petite chérie (Stock, 2007)
Jean m'appelait sa petite chérie. Nous étions des amis et nous avions tant de choses à nous dire. Nous avions quinze ans tous les deux. L'âge d'un premier amour. Pourtant, encore aujourd'hui, si je raconte ce qui nous lie, lui et moi, je ne sais pas si j'ai le droit d'utiliser ces mots, premier amour.
Tendre, ingénue et lucide à la fois, elle évoque le premier amour comme une délicate promenade dans le passé, dont un petite lumière – retrouvée, inventée – évoque un bonheur pas nécessairement improbable … Frais, drôle, spontané, ce court roman est une fête!
également disponible en coll. de poche (Points/Seuil, 2008)
07:55 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |
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24/02/2013
Morceaux choisis - Agnès Schnell
Agnès Schnell
Agnès Schnell, Démesure, dans: Pas d'ici, pas d'ailleurs - Anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines / présentation et choix: Sabine Huynh, Andrée Lacelle, Angèle Paoli, Aurélie Tourniaire / préface: Déborah Heissler (Voix d'Encre, 2012)
image: Peter Grevstad, Contemplating Mark Rothko (tumblr.com)
20:47 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |
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