16/03/2013
Morceaux choisis - Gustave Roud
Gustave Roud
Je pose un pas toujours plus lent dans le sentier des signes qu'un seul froissement de feuilles effarouche. J'apprivoise les plus furtives présences. Je ne parle plus, je n'interroge plus, j'écoute. Qui connaît sa vraie voix? Si pure jaillisse-t-elle, un arrière-écho de sang sourdement la charge de menace. C'est l'homme de silence que les bêtes séparent seul de la peur. Hier une douce biche blessée a pris refuge tout près de moi, si calme que les chiens des bourreaux hurlaient en vain loin de ses traces perdues. Les oiseaux du matin tissent et trouent à coups de bec une mince toile de musique. Un roitelet me suit de branche en branche à hauteur d'épaule. J'avance dans la paix.
Qu'importe si la prison du temps sur moi s'est refermée? Je sais que tu ne m'appelleras plus. Mais tu as choisi tes messagers. L'oiseau perdu, la plus tremblante étoile, le papillon des âmes, neige et nuit, qui essaime aux vieux saules, tout m'est présence, appel; tout signifie. Ces heures qui se fanent une à une derrière moi comme les bouquets jetés par les enfants dans la poussière, je sais qu'elles fleurissent ensemble au jardin sans limites où tu te penches pour toujours. La houle des saisons confondues y verse à tes pieds comme une vague le froment, la rose, la neige pure. Un Jour fait de mille jours se colore et chatoie au seul battement de ta mémoire. Tu sais enfin.
L'ineffable. Et pourtant, l'âme sans défense ouverte au plus faible cri, j'attends encore.
Gustave Roud, Requiem / extrait, dans: Ecrits, 3 volumes (Bibliothèque des Arts, 1978)
image: Blonay / Vaud, Suisse (2013)
22:35 Écrit par Claude Amstutz dans Gustave Roud, Littérature francophone, Littérature suisse, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | |
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13/03/2013
Paul Nizon
Paul Nizon, La fourrure de la truite (Actes Sud, 2006)
Stolp est un marginal, un sympathique bon à rien qui aime sa liberté avant tout. Ayant hérité d'un minus-cule appartement à Paris, il y pose ses bagages un peu malgré lui et, plutôt que de prendre possession des lieux, laisse Paris l'apprivoiser. A travers rues et cafés, il faut fuir l'atmosphère pesante de ce nouvel habitat, mais aussi les désespoirs latents d'un amour perdu.
Ce texte court, léger, non dénué d’humour, est un petit bijou ! Un homme déambule dans les rues de Paris. Hanté par un amour perdu, il nourrit l’espoir d’une nouvelle vie et partage, dans les bras d’une femme seule rencontrée dans un bar, une relation éphémère, libératrice, esquisse de sa guérison. A rapprocher d’un autre très beau récit de cet auteur, Maria Maria , situé à Rome, écrit avec Colette Fellous, en 2004.
également disponible en coll. de poche (Babel, 2008)
12:03 Écrit par Claude Amstutz dans Colette Fellous, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |
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Le poème de la semaine
Paul Eluard
Il y a sur la plage quelques flaques d’eauIl y a dans les bois des arbres fous d’oiseauxLa neige fond dans la montagneLes branches des pommiers brillent de tant de fleursQue le pâle soleil recule C’est par un soir d’hiver dans un monde très durQue je vis ce printemps près de toi l’innocenteIl n’y a pas de nuit pour nousRien de ce qui périt n’a de prise sur toiEt tu ne veux pas avoir froid Notre printemps est un printemps qui a raison. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
07:40 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Paul Eluard, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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11/03/2013
Philippe Besson
Philippe Besson, Se résoudre aux adieux (Coll. 10/18, 2008)
Clément l'a quittée. C'était il y a quelques semaines. Après avoir cherché refuge dans l'isolement et le silence, elle a choisi de partir. Et de lui écrire. De Cuba, de New York, de Venise, de longues lettres auxquelles il ne répond jamais. Seule en ces terres étrangères, elle tente par les mots d'échapper au chagrin, aux questions, aux souvenirs. De l'espoir, encore, au renoncement, déjà, elle vacille entre un passé qui s'évanouit et un avenir qui se dérobe...
L’auteur de L’arrière-saison nous revient avec ce texte intimiste, récit sous forme épistolaire d’une femme abandonnée par son amant, sauvée par l’écriture. Plus solaire que dans ses romans précédents, Philippe Besson nous expose le deuil amoureux avec une sensibilité généreuse, discrète, et le vécu quotidien de son personnage sonne juste, avec ses hauts et ses bas qui nous invitent à découvrir et intégrer cette histoire avec infiniment de plaisir.
07:29 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |
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09/03/2013
Lire les classiques - Marguerite de Valois
Marguerite de Valois
Marguerite de Valois et Benjamin Jamyn, Stances amoureuses, dans: Conversations amoureuses - Poèmes d'amour choisis par José Belin (Géraldine Martin, 1999)
image: Lucas Cranach l'Ancien, Sybille princesse de Clèves (en.wikipedia.org)
08:49 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |
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08/03/2013
Morceaux choisis - Maurice Chappaz
Maurice Chappaz
merci à Gilberte F
Ai-je laissé passer la terre promise?Les voyageurs sont nus et ivreset laset ils ont le mal du pays. Les champs ressemblent à des visages soucieux.L’aube écrit viteavec un bâtonnet d’ombre. Un verdier s’enfuit.Derrière les barreaux de ma vigne j’écoute le printemps.La pioche retient son souffle: les bourgeonssont fragiles comme du verre. Je desserre les lèvres de la montagne.Je suis aux prises avec la première coupe de parfumsceux qui ont rongé la neige,les parfums porcs. Ce goût de pomme sûre,cette odeur de bois pourri, d’humus et de vent,l’odeur du ventre d’une mèreet d’une feuille d’arbre en voyage. Les collines sont giclées dans les trayons,les mousses se délivrent. Par millions les fleurs, les graines,les bestioles infimes,la cohue des larves d’insectestraversent leurs pertuis obscurscomme s’ils pérégrinaient touspar les vaisseaux de mon corps.Tendres campagnes, dans: Cent poèmes pour ailleurs - Anthologie établie par Claude-Michel Cluny (coll. Orphée/La Différence, 1991)
présenté par Gilberte Favre (itineraires.blog.24heures.ch)
07:27 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Maurice Chappaz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |
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06/03/2013
Le poème de la semaine
François Cheng
Argile pétrie de rêves durablesDe corps que l'eau départageRêves de jade et de roséeCorps de souffles et de sangQuelle main hors de la mémoirePétrissant l'un et puis l'autrePétrissant le vide médianOù tout désir sera échange Qui est brisé sera combléQui est comblé sera tout autreArgile pétrie de corps durablesDe rêves dont les corps sont nésRêves de souffles et de sangCorps de jade et de roséeQuelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
08:07 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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05/03/2013
Vendanges tardives - Du charme
Un abécédaire - C comme Charme
Non, Fred, tu n'es pas moche, et malgré tes jambes arquées et ta petite taille, malgré un âge qui avoisine celui de mon improbable fils, tu as encore toutes tes chances... Bien sûr, tu n'es pas à l'école du piercing et ne votes pas à la gauche de la gauche! Un handicap? Balivernes, car vois-tu, ce qui compte, c'est ta manière de glisser ton regard sur la peau des autres avec une sourde indifférence, à la manière d'un Robert Mitchum, ou t'exprimer avec une légendaire économie de mots comme ton idole Marlon Brando. C'est là ton charme, auquel il convient d'ajouter un humour décapant, quelque part entre Groucho Marx et Raymond Chandler. Pas convaincu? Et pourtant, cela ne vaut-il pas mieux que le profil de bellâtre d'un Ridge Forrester dans Top Models, qu'on immortalise dans un cadre photographique ou qu'on exhibe à la piscine municipale?
Tiens, par exemple, en ce qui me concerne, j'ai souvent fondu devant des beautés inoubliables - au cinéma une Louise Brooks, une Greta Garbo ou une Grace Kelly - mais même dans la vie réelle, celles qui m'ont laissé un souvenir marqué d'une pierre blanche, ne leur ressemblaient absolument pas. Elles avaient un charme particulier, imparfait, sensuel, pour tout dire unique, traduisant une grâce, une légèreté, une intelligence ou une fantaisie impertinente, inconnues chez les plus convoitées ou enviées. Je me rappelle alors les vers de Charles Baudelaire: Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres? Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien; tu sèmes au hasard la joie et les désastres, et tu gouvernes tout et ne réponds de rien... Camille Laurens use elle aussi d'une image pertinente: Le charme, parce qu'il est magique, est indéfinissable: en concurrence avec la beauté, il la surpasse souvent par cette énigme qui le nimbe, "un je ne sais quel charme encor vers vous m'emporte (Pierre Corneille)".
Une objection? Ta voisine? Quoi, ta voisine? Tu veux parler de la blonde platinée avec de longues jambes à la Julia Roberts? Alors là, mon vieux, oublie! Tu n'as ni le profil, ni les mètres carrés de pelouse ou piscine nécessaires, ni la sociabilité conquérante ou le look adéquat! Mais dis-moi, Fred, en toute franchise: pourquoi tu te scotches toujours aux empêcheuses de danser en rond?
Camille Laurens, Le grain des mots (Gallimard, 2012)
Charles Baudelaire, Hymne à la beauté, dans: Les fleurs du mal (coll. GF/Flammarion, 2012)
images: Marlon Brando et Robert Mitchum
21:45 Écrit par Claude Amstutz dans Charles Baudelaire, Littérature francophone, Vendanges tardives - Un abécédaire 2013 | Lien permanent | Commentaires (0) | |
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Morceaux choisis - Marie Noël
Marie Noël
Marie Noël, Attente / extrait, dans: Les Chansons et les Heures, - Le Rosaire des joies (coll. Poésie/Gallimard, 1983)
00:23 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |
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04/03/2013
La citation du jour
Sylvie Germain
Ecrire est le plus sérieux des jeux. Dans le territoire du roman, on écrit un peu à la façon dont on joue à la marelle, on pousse les mots de ligne en ligne, de page en page, on avance à cloche-main, et les espaces traversés ne sont pas sans danger. Mais on ne vise aucun paradis, aucun ciel; c’est vers le silence que l’on tend, que l’on conspire, en écrivant. Vers ce silence que l’on devine ouvert en amont du langage, que l’on pressent béant en son aval, et que l’on sent bruire autour, et tout au fond de chaque mot.
Sylvie Germain, Rendez-vous nomades (Albin Michel, 2012)
08:19 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |
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