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20/04/2013

Lire les classiques - Théophile de Viau

Théophile de Viau

littérature; poésie; anthologie; livres

Heureux, tandis qu’il est vivant,
Celui qui va toujours suivant
Le grand maître de la nature
Dont il se croit la créature.
Il n’envia jamais autrui,
Quand tous les plus heureux que lui
Se moqueraient de sa misère,
Le rire est toute sa colère.
Celui-là ne s’éveille point
Aussitôt que l’Aurore point
Pour venir, des soucis du monde,
Importuner la terre et l’onde.
Il est toujours plein de loisir,
La justice est tout son plaisir,
Et, permettant en son envie
Les douceurs d’une sainte vie,
Il borne son contentement
Par la raison tant seulement.
L’espoir du gain ne l’importune,
En son esprit est sa fortune ;
L’éclat des cabinets dorés,
Où les princes sont adorés,
Lui plaît moins que la face nue
De la campagne ou de la nue.
La sottise d’un courtisan,
La fatigue d’un artisan,
La peine qu’un amant soupire,
Lui donne également à rire.
Il n’a jamais trop affecté
Ni les biens ni la pauvreté;
Il n’est ni serviteur ni maître,
Il n’est rien que ce qu’il veut être.
Jésus-Christ est sa seule foi.
Tels seront mes amis et moi.
 

Théophile de Viau, Ode, dans: Petite bibliothèque de poésie, coffret hors série de 12 volumes - Choix de André Velter (coll. Poésie/Gallimard et Télérama, 2013)

image: Tiziano Vecelli, Sagesse (http://fr.wahooart.com)

00:01 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/04/2013

Vendanges tardives - Du jardinier

Un abécédaire: J comme Jardinier

80.jpg

Tu te souviens de Dialogue avec mon jardinier, le livre ou le film? J'y avais retenu cette phrase merveilleuse: Ton jardin, eh bien il est beau quand il me remercie d'avoir bien fait mon travail. Et le jardin, c'est un peu un lieu sacré pour moi où, comme en amour, je refais indéfiniment les mêmes gestes, avec prévenance, avec obstination et douceur. Tout à coup, j'interromps le mouvement, lève les yeux au ciel pour deviner ce que te disent les nuages d'un rose tendre en hiver, d'un bleu profond au printemps et, dès les premiers jours de beau temps, je m'immobilise pour écouter le chant des oiseaux: corbeaux, merles, moineaux, geais, mésanges, pics, rouges-gorges... Le bonheur?

Je ne saurais le dire, Fred, mais à coup sûr, avec ma pioche de jardinier du dimanche, mon balai de sorcière, mon sécateur usé par d'autres que moi et ce pas lent qui est devenu le mien, il me semble laisser une empreinte d'éternité, imprécise peut-être, fugace mais si belle, dans cette terre courtisée qui ne sera jamais tout à fait mienne. Et là, au moment où je te parle, refermant le portail sur la nuit qui s'achève, un peu à l'écart des rumeurs du monde, je les sens étonnement présents au coeur, ces hôtes de passage, amis ou artisans de ma banale histoire, qui semblent respirer entre les graviers, le lierre et les fleurs sauvages, qui font de ces quatre saisons une fête qui sans eux, ne sauraient ordonner les choses, leur donner sens et vie.

Un sentiment de bien-être qui, comme au théâtre, n'est jamais immobile, n'a pas vocation de durer, change et se renouvelle chaque jour, enfin puise sa beauté dans un silence pour s'achever en lui...

Le bonheur?     

Henri Cueco, Dialogue avec mon jardinier (coll. Points/Seuil, 2004)

image: Les Saules / Cologny (2013)

01:06 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Vendanges tardives - Un abécédaire 2013 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/04/2013

Le poème de la semaine

Jean Genêt

Le vent qui roule un coeur sur le pavé des cours,
Un ange qui sanglote accroché dans un arbre,
La colonne d’azur qu’entortille le marbre
Font ouvrir dans ma nuit des portes de secours.

Un pauvre oiseau qui meurt et le goût de la cendre,
Le souvenir d’un oeil endormi sur le mur,
Et ce poing douloureux qui menace l’azur
Font au creux de ma main ton visage descendre.

Ce visage plus dur et plus léger qu’un masque,
Et plus lourd à ma main qu’aux doigts du receleur
Le joyau qu’il empoche; il est noyé de pleurs.
Il est sombre et féroce, un bouquet vert le casque.

Ton visage est sévère: il est d’un pâtre grec.
Il reste frémissant aux creux de mes mains closes.
Ta bouche est d’une morte et tes yeux sont des roses,
Et ton nez d’un archange est peut-être le bec.

Le gel étincelant d’une pudeur méchante
Qui poudrait tes cheveux de clairs astres d’acier,
Qui couronnait ton front d’épines du rosier
Quel haut-mal l’a fondu si ton visage chante?

Dis-moi quel malheur fou fait éclater ton oeil
D’un désespoir si haut que la douleur farouche,
Affolée, en personne, orne ta ronde bouche
Malgré tes pleurs glacés, d’un sourire de deuil?

Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

16:46 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Imprimer |  Facebook | | |

Le poème de la semaine

Blaise Cendrars

Je suis couché dans un plaid
Bariolé
Comme ma vie
Et ma vie ne me tient pas plus chaud
que ce châle écossais
Et l’Europe toute entière aperçue au coupe-vent
d’un express à toute vapeur
N’est pas plus riche que ma vie
Ma pauvre vie
Ce châle
Effiloché sur des coffres remplis d’or
Avec lesquels je roule
Que je rêve
Que je fume
Et la seule flamme de l’univers
Est une pauvre pensée...

Du fond de mon cœur des larmes me viennent
Si je pense, Amour, à ma maîtresse;
Elle n’est qu’une enfant, que je trouvai ainsi
Pâle, immaculée, au fond d’un bordel.

Ce n’est qu’une enfant, blonde, rieuse et triste,
Elle ne sourit pas et ne pleure jamais;
Mais au fond de ses yeux, quand elle vous y laisse boire,
Tremble un doux lys d’argent, la fleur du poète.

Elle est douce et muette, sans aucun reproche,
Avec un long tressaillement à votre approche;
Mais quand moi je lui viens, de ci, de là, de fête,
Elle fait un pas, puis ferme les yeux — et fait un pas.

Car elle est mon amour, et les autres femmes
N’ont que des robes d’or sur de grands corps de flammes,
Ma pauvre amie est si esseulée,
Elle est toute nue, n’a pas de corps — elle est trop pauvre.

Elle n’est qu’une fleur candide, fluette,
La fleur du poète, un pauvre lys d’argent,
Tout froid, tout seul, et déjà si fané
Que les larmes me viennent si je pense à son cœur.


Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

16/04/2013

Lire les classiques - Arthur Rimbaud

Arthur Rimbaud

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Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah! Que le temps vienne
Où les coeurs s'éprennent.
 
Je me suis dit: laisse,
Et qu'on ne te voie:
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t'arrête,
Auguste retraite.
 
J'ai tant fait patience
Qu'à jamais j'oublie;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
 
Ainsi la prairie
A l'oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D'encens et d'ivraies
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.
 
Ah! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n'a que l'image
De la Notre-Dame!
Est-ce que l'on prie
La Vierge Marie?
 
Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah! Que le temps vienne
Où les coeurs s'éprennent!

Arthur Rimbaud, Oeuvres complètes (coll. GF/Flammarion, 2010)

image: Caspar David Friedrich, Chalk Cliffs on Rügen / 1830 (bartongalleries.com)

23:17 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

15/04/2013

Jean-Noël Blanc

littérature; récit; livresJean-Noël Blanc, Le nez à la fenêtre (Joëlle Losfeld, 2009)

 

Mettre le nez à la fenêtre, en termes cyclistes, c'est se porter en tête du peloton en vue de s'échapper. Voilà précisément ce que fait Maurice, dit Momo, dans une grande étape de montagne du Tour de France. Trop présomptueux? La gloire n'a jamais été à son programme. Et s'il gagnait... Si cette course était pour lui une manière de régler ses comptes avec une enfance âpre et solitaire, qui l'a convaincu que la lutte est la seule porte de sortie? Faut-il toujours s'échapper pour exister? Les quelques heures de cette étape, où tout un destin se joue, le lecteur les vit dans la peau de ce coureur avec ses espoirs, ses efforts, sa détresse, son courage. On sue, on vibre, on souffre, on exulte avec lui, dans ce roman qui alterne le présent de la course, avec son rythme vif et haché, et le passé de l'enfance, avec ses lenteurs, ses doutes et sa solitude.


Récit à deux voix – les fêlures de l’enfance et une étape du Tour de France – Le nez à la fenêtre nous partage les émotions, les frustrations et les rêves d’un gamin solitaire qui va peut-être, vingt ans plus tard, à force de ténacité, vivre le plus beau moment de sa vie. L’histoire de ce héros d’un jour, Momo, est attachante, racontée avec beaucoup de simplicité, de poésie, de sincérité.

06:12 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

13/04/2013

Adam Biro

9782714442826.gifAdam Biro, Deux juifs voyagent dans un train (Belfond, 2007)

 

Suffit-il de manger des têtes de poisson pour devenir intelligent? Comment faire fortune quand on est idiot? Dieu est-il mauvais physionomiste? Peut-on donner sa fille à marier à quelqu'un qui n'a pas de montre? Deux Juifs voyagent dans un train... Beaucoup de vieilles histoires juives d'Europe de l'Est commencent ainsi. Si chacune est singulière, toutes ont pourtant des points communs: celui de refléter une époque révolue dans laquelle tout le monde peut se reconnaître, encore et toujours, et celui de mettre l'homme à nu face à ses défauts, à ses vices, à ses qualités, à son destin... à sa condition de... mortel.


D’accord, les histoires juives, tout le monde en connaît! Pas celles-ci, sans doute! Et racontées avec tant d’humour et de poésie à la fois, elles entraînent forcément des moments de fous rires successifs, agréables à toute heure pour le moral! Un plaisir de lecture communicatif, jubilatoire!

10:03 Écrit par Claude Amstutz dans Contes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: récits; contes; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/04/2013

Morceaux choisis - Louis Aragon

Louis Aragon

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Il y a des choses que je ne dis à Personne Alors
Elles ne font de mal à personne Mais
Le malheur c’est
Que moi
Le malheur le malheur c’est
Que moi ces choses je les sais
 
Il y a des choses qui me rongent La nuit
Par exemple des choses comme
Comment dire comment des choses comme des songes
Et le malheur c’est que ce ne sont pas du tout des songes
 
Il y a des choses qui me sont tout à fait
Mais tout à fait insupportables même si
Je n’en dis rien même si je n’en
Dis rien comprenez comprenez-moi bien
 
Alors ça vous parfois ça vous étouffe
Regardez regardez-moi bien
Regardez ma bouche
Qui s’ouvre et ferme et ne dit rien
 
Penser seulement d’autre chose
Songer à voix haute et de moi
Mots sortent de quoi je m’étonne
Qui ne font de mal à personne
 
Au lieu de quoi j’ai peur de moi
De cette chose en moi qui parle
 
Je sais bien qu’il ne le faut pas
Mais que voulez-vous que j’y fasse
Ma bouche s’ouvre et l’âme est là
Qui palpite oiseau sur ma lèvre
 
O tout ce que je ne dis pas
Ce que je ne dis à personne
Le malheur c’est que cela sonne
Et cogne obstinément en moi
Le malheur c’est que c’est en moi
Même si n’en sait rien personne
Non laissez-moi non laissez-moi
Parfois je me le dis parfois
Il vaut mieux parler que se taire
 
Et puis je sens se dessécher
Ces mots de moi dans ma salive
C’est là le malheur pas le mien
Le malheur qui nous est commun
Épouvantes des autres hommes
Et qui donc t’eut donné la main
Étant donné ce que nous sommes
 
Pour peu pour peu que tu l’aies dit
Cela qui ne peut prendre forme
Cela qui t’habite et prend forme
Tout au moins qui est sur le point
Qu’écrase ton poing
Et les gens Que voulez-vous dire
Tu te sens comme tu te sens
Bête en face des gens Qu’étais-je
Qu’étais-je à dire Ah oui peut-être
Qu’il fait beau qu’il va pleuvoir qu’il faut qu’on aille
Où donc Même cela c’est trop
Et je les garde dans les dents
Ces mots de peur qu’ils signifient
 
Ne me regardez pas dedans
Qu’il fait beau cela vous suffit
Je peux bien dire qu’il fait beau
Même s’il pleut sur mon visage
Croire au soleil quand tombe l’eau
Les mots dans moi meurent si fort
Qui si fortement me meurtrissent
Les mots que je ne forme pas
Est-ce leur mort en moi qui mord
 
Le malheur c’est savoir de quoi
Je ne parle pas à la fois
Et de quoi cependant je parle
 
C’est en nous qu’il nous faut nous taire
 

Louis Aragon, Le fou d'Elsa (coll. Poésie/Gallimard, 2002)

image: www.lexpress.fr

22:27 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Louis Aragon, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

11/04/2013

Assia Djebar

littérature; roman; livresAssia Djebar, Ombre sultane (Albin Michel, 2006)

 

Hajila et Isma se sont retrouvées épouses du même homme. Tout les oppose : La première, instinctive, venue d’un bidonville d’Alger et mariée sans son accord, voit son plaisir dans la transgression, quand elle retire son voile dans un jardin public ; la seconde, intellectuelle, refuse de perpétuer des traditions conservatrices et revient au pays pour obtenir la garde de sa fille. Pourtant aucune des deux ne parvient à déchirer le voile qui les étouffe. Une évocation de deux univers, avec sensibilité et sans jugement.


également disponible en livre de poche (LGF, 2008)

08:06 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Morceaux choisis - Renée Vivien

Renée Vivien

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Dans mon âme a fleuri le miracle des roses.
Pour le mettre à l’abri, tenons les portes closes.
 
Je défends mon bonheur, comme on fait des trésors,
Contre les regards durs et les bruits du dehors.
 
Les rideaux sont tirés sur l’odorant silence,
Où l’heure au cours égal coule avec nonchalance.
 
Aucun souffle ne fait trembler le mimosa
Sur lequel, en chantant, un vol d’oiseaux pesa.
 
Notre chambre paraît un jardin immobile
Où des parfums errants viennent trouver asile.
 
Mon existence est comme un voyage accompli.
C’est le calme, c’est le refuge, c’est l’oubli.
 
Pour garder cette paix faite de lueurs roses,
O ma Sérénité! tenons les portes closes.
 
La lampe veille sur les livres endormis,
Et le feu danse, et les meubles sont nos amis.
 
Je ne sais plus l’aspect glacial de la rue
Où chacun passe, avec une hâte recrue.
 
Je ne sais plus si l’on médit de nous, ni si
L’on parle encor… Les mots ne font plus mal ici.
 
Tes cheveux sont plus beaux qu’une forêt d’automne,
Et ton art soucieux les tresse et les ordonne.
 
Oui, les chuchotements ont perdu leur venin,
Et la haine d’autrui n’est plus qu’un mal bénin.
 
Ta robe verte a des frissons d’herbes sauvages,
Mon amie, et tes yeux sont pleins de paysages.
 
Qui viendrait nous troubler, nous qui sommes si loin
Des hommes? Deux enfants oubliés dans un coin?
 
Loin des pavés houleux où se fanent les roses,
Où s’éraillent les chants, tenons les portes closes…

 

Renée Vivien, Intérieur / A l'heure des mains jointes, dans: Poèmes 1901-1910 (ErosOnyx, 2009)

01:07 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |