11/08/2011
André Pieyre de Mandiargues
André Pieyre de Mandiargues, Nouvelles complètes (Coll. Quarto/Gallimard, 2009)
Voici enfin exhumé de ses injustes cendres, l’un des auteurs les plus marquants du XXe siècle. Outre ses romans La motocyclette, Le lis de mer ou La Marge – chez le même éditeur – c’est bel et bien dans la nouvelle que ses talents d’orfèvre de la langue française s’expriment avec un talent incomparable. Lisez surtout, dans la présente édition, Le soleil des loups et Le Musée noir célébrant la fascination de l’interdit, le fantastique, les transgressions du désir. Un érotisme noir, lumineux ou terrifiant.
Tout écrivain, tout artiste, avouera, s'il ne cache pas son jeu, qu'il cherche à créer une certaine beauté, aussi originale qu'il se pourra. Moi, je suis particulièrement sensible à ce que William Butler Yeats appelle la beauté terrible. C'est cette beauté-là, quand l'occasion s'y prête, que je cherche à faire naître. André Pieyre de Mandiargues
07:43 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; nouvelles; livres | | Imprimer | Facebook |
10/08/2011
Le poème de la semaine
Gustave Roud
Tu ne sens pas ces taches de marbre glacélà-bas derrière ton épaule.Et pourtant le dernier sillontouchait le mur des tombes, tu le sais.Mais tu vis,et ce mur aux yeux aveugles des vivants,c'est un jardin comme les autres qu'il enclôt,les vieilles roses visitées des mêmes abeilles.Elles donnent comme les autresleur miel et leur odeur.La pluie aux pierres trop lisseslave et dédore les nomsplus vite que l'oubli.Pierres toujours froides,le sang des paumes vivantesles sépare de votre secret! Quelle main de petite fille dans le brasier d'aoûtsur vous naïvement posée(l'autre pleine de roses mortes)sentira jamais la terrible source profondequi glace votre coeur? Le tondeur des buis se retourne sous le porcheet prend joie aux primevères doréespar le soleil moribond,sans vous voir grelottantes, de roses rayons vainement, grossièrement fardées,toutes blêmes de votre gel intérieur. vous êtes lourdes comme le temps,plus légères que le givre,vous êtes de grands oiseaux fermésqui épient sans trêve au-delà des sièclesl'embrasement futur de l'autre aurore,la flèche aiguë des trompettesqui les transpercera d'un cri. Vivants aveugles!Ils s'adossent à ce frisson qui monte en vousnuit et jour de l'affreuse banquise souterraineet tandis que vous tremblez contre euxcomme le rôdeur d'hiver aux portes fermées,ils rêvent de repos.Aveugles et sourds dans ce lieuoù chaque chuchotement de feuille est une parole,où les lèvres de la plus pauvre fleurcrient un sombre secret d'abîme! Ils respirent comme une innocente fuméel'odeur des rosespar le vent d'un revers d'aile rabattue;en vain l'oiseau fait scintillersur la grappe des feuillages obscursson chant d'étoile! Ils s'en vont,ils traînent dans le gravier la porte rouillée,et derrière eux,sous le baîllon de glaise glaciale,fouillés de monstrueuses racines,ceux qui ne parlent plus,de toutes les fleurs, de tous les oiseaux,de toutes les feuilles jettent,jettent au vent leurs appelscomme des graines perdues... Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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09/08/2011
Michela Murgia 1b
Bloc-Notes, 9 août / Les Saules
Au festival d'Arezzo en 2010, Michela Murgia présente son roman Accabadora, malheureusement pour plusieurs d'entre vous, en italien sans sous-titres...
Michela Murgia, Accabadora (Seuil, 2011)
00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vidéo; littérature; document | | Imprimer | Facebook |
Michela Murgia 1a
Bloc-Notes, 9 août / Les Saules
La littérature italienne affiche, décidément, une santé insolente. Après quelques années d'errance, empêtrée dans ses années Aldo Moro et les brigades rouges, la voici revenue sur les devants de la scène, avec Fabio Geda, Silvia Avallone, Milena Magnani, Caterina Bonvicini et Michela Murgia, dignes successeurs de Michele Fois, Alessandro Piperno ou Tiziano Scarpa et, remontant un peu plus loin, d'un Erri de Luca ou d'un Guido Ceronetti.
Michela Murgia est née en 1972 à Cabras, en Sardaigne, auteur de quatre livres à ce jour: Il mondo deve sapere (2006), Viaggio in Sardegna - Undici percorsi nell'isola che non si vede (2008), Accabadora (2009) et Ave Mary - E la chiesa inventò la donna (2011). Compatriote de Michele Fois et de Milena Agus, Accabadora est son premier roman traduit en langue française.
Il nous conte l'histoire de Maria, enfant tardif d’un foyer modeste qui en compte déjà trois, cédée par sa mère Maria Teresa Listru à une vieille femme, Tzia Bonaria. A cette fill'e anima - fille d'âme - elle apprend le métier de couturière, l’élève comme sa propre fille, lui inculquant une éducation rigoureuse mêlée à une sincère tendresse, comme s'il s'agissait de son propre enfant. Maria, fière de son nouveau foyer, apprend vite. Malgré son caractère sauvage, indépendant, elle se conforme à l'enseignement et aux exhortations de sa mère adoptive. Un seul point la chagrine, une zone d'ombre qui la préoccupe chaque jour davantage: Souvent, tard dans la nuit, Tzia Bonaria s'absente, sans autres explications. Mais la curiosité de la jeune fille est trop forte. Un soir, elle verra de ses propres yeux et comprendra son surnom de Accabadora, c'est-à-dire la dernière mère... Sa douleur filiale s’en trouvera bouleversée à tout jamais, mêlant les sentiments confus de l'indignation, de la révolte, de la trahison, et les eaux du pardon prendront du temps à laver les plaies de Maria.
Un roman très attachant dont - intentionnellement - je ne vous donne toutes les clefs, qui nous immerge dans le monde des sortilèges et coutumes sardes, des non-dits, des secrets de famille, avec un rare talent.
Michela Murgia, Accabadora (Seuil, 2011)
sources: Wikipedia
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06/08/2011
Sacha Sperling
Bloc-Notes, 6 août / Les Saules
Peut-être vous souvenez-vous de ce jeune auteur, âgé de 21 ans à peine aujourd'hui, qui m'avait littéralement bluffé - si l'on peut dire - avec un premier roman étonnant: Mes illusions donnent sur la cour (Fayard, 2009).
J'attendais avec quelques craintes un second texte. Souvent en effet, je me suis retrouvé déçu devant une soudaine conscience d'écriture plutôt agaçante, sans cette originalité initiale dans le sujet ou la forme, sans cette magie des commencements. Avec Sacha Sperling et Les coeurs en skaï mauve, il en va par bonheur tout autrement. L'histoire pourtant, est banale à souhait: Deux jeunes un peu fous dans leur genre, Jim et Lou, qui se rencontrent, s'inventent une autre vie et qui, pour un temps, font semblant de croire aux mirages.
Auprès de Lou, Jim se sent comme un Buffalo Bill qui flotte au-dessus des périphériques, un mercenaire à travers les cités d’or; il veut être gavé de rayonnements cathodiques, rêve de bolides, de non-lieux quand les miroirs ne reflètent rien d'autre que du vide: Jim semble toujours au bord d'un gouffre immense. Se tenir près de lui, c'est accoster sur une île que l'on croit déserte. La plage est un bras mince entre l'écume argentée et la forêt qui exhale des odeurs de pamplemousse. La lumière s'insinue entre les palmes. Les ombres dessinent des formes sombres mais éclatantes comme l'ébène.
En Lou, il voit un sourire à dix millions de dollars, un regard parme, une dégaine de Cadillac, une battante qui voudrait plus de glaçons dans son verre; auprès d'elle, un peu par hasard, il lui semble être enfin passé de l'autre côté du monde: Tu m'as appris que c'est la poussière qui donne sa superbe au soleil quand il se couche. Un peu plus loin, il lâche: J'ai besoin de toi pour garder les yeux ouverts. (...) Elle est Baby Lou. Celle qui est trop jolie pour qu'on l'appelle seulement par son prénom. Celle qui reste dans son champ de vision. Le plus gros oeuf de Pâques caché dans le jardin.
Mais même les supernovas s’éteignent à un moment, et Lou s'aperçoit au fil des jours que son héros n'est qu'un rêveur immobile prisonnier de son présent imaginaire, qu'il joue toujours un rôle, incapable d'être lui-même face à celle qu'il croit aimer: Jim appartenait aux faces cachées des lunes, aux plaines arides, aux villes fantômes. Il sentait l'infini et le soleil qui tape trop fort. Sa peau était douce comme les vents nocturnes qui traversent les canyons.
Chronique d'une attraction irrésistible puis d'un désamour, ce roman est bien le négatif d'un Roméo et Juliette moderne. Le ton grinçant et lucide, servi par une écriture d’une incroyable maturité, renverse ou détourne en permanence les clichés qui foisonnent chez les auteurs classiques et les autres, se refermant sur une image inoubliable de Jim: Il ne savait pas qu'une poussière provoquerait une éclipse en passant devant le soleil.
Sacha Sperling, Les coeurs en skaï mauve (Fayard, 2011)
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03/08/2011
Le poème de la semaine
Henri Pichette
Soleil, ouvre grandes les Portes:Ce monde est parsemé d'oeuvres douces et fortes.Eclaire-moi, qui me veux illuminateurTel un fou, tel un sage, oui, tel un créateur.Que paroles du coeur voient le jour sur mes lèvres!Si j'ai, d'interminables nuits, trembléDe perdre la flamme tandis que je suais la fièvre,Jamais les champs ne m'ont apparu noirs de blé.J'ai vu la petite Aube sourire à l'Océan.Je ne suis plus l'animal seulA se lamenter entre deux néants,Ni l'insane qui songe à déserter le sol.Parmi les hommes à la peineJe m'instruirai.Touché, je haïrai la haine.Je participerai plein de coeur aux effortsDe la verte forêt toutes feuilles dehors.L'espoir, voici l'espoir, le grave espoir lucideQui veut qu'âme, ombre et chair on se décide.O prometteuses fleurs! possibles fruits heureux!Que le sang vénéré provigne, généreux.O le travail de la contemplative prière,Une rosée en larmes de lumière. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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31/07/2011
Georges Simenon 2/2
Georges Simenon, Pedigree (Coll. Livre de Poche, 2003)
Le 13 février 1903 naît à Liège Roger Mamelin, fils de Désiré, employé d'assurances, et d'Elise Peeters, sans profession. Autour de l'enfant, des oncles et des tantes, des cousins, puis plus tard les pensionnaires auxquels sa mère loue des chambres : tout un monde de personnages avec ses bonheurs et ses malheurs, ses petitesses, ses folies, comme celle de l'oncle Léopold, protecteur de l'anarchiste Marette, coupable d'un attentat. Puis viennent la guerre, les premiers émois sexuels, la révolte aussi, lorsque le jeune garçon prend conscience de sa pauvreté, en même temps que de la médiocrité du monde qui l'environne. Il s'arrêtera in extremis sur le chemin de la délinquance et du vice, résolu à se construire, ailleurs, une autre existence...
Le plus autobiographique de tous les Simenon, sans doute l’un des plus troublants et émouvants. Les descriptions de Liège et de ses petites gens y sont instinctivement poétiques. Tout Simenon ou presque est concentré dans ce roman.
06:59 Écrit par Claude Amstutz dans Georges Simenon, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: récit; livres | | Imprimer | Facebook |
30/07/2011
Georges Simenon 1/2
Michel Lemoine, Simenon - Ecrire l'homme (Coll. Découvertes/Gallimard, 2003)
Georges Simenon a réussi cette double gageure de devenir l'un des écrivains les plus populaires de son siècle et d'être considéré par ses contemporains à l'égal des meilleurs, à commencer par André Gide, qui voyait en lui le plus grand peut-être que nous ayons en littérature française aujourd'hui. Son nom est indissociable de celui de Maigret, ce policier des âmes, héros de plus de cent romans et nouvelles. Mais Simenon est aussi l'auteur d'une œuvre purement romanesque, au sein de laquelle il s'est livré à une quête de l'homme prisonnier de sa condition. Tout en suivant au jour le jour la formidable production de ce prodigieux raconteur d'histoires, Michel Lemoine analyse cet univers de la fuite et du drame, où les protagonistes vont au bout d'eux-mêmes. Une introduction idéale à la complexité de l’homme – écrivain, journaliste, reporter, marin, photographe - et de l’œuvre, riche en extraits, documents et illustrations, avec ses prolongements incontournables au cinéma, sous le regard des contemporains de Simenon. Un théâtre d’ombres et de lumières mis en scène avec beaucoup d’originalité.
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28/07/2011
La citation du jour
Pierre-Jean Jouve
Il se trouvait entre les bâtiments misérables une charmante arcade ancienne, reste déchu d'une belle villa, et à l'ombre de l'arcade une paysanne était assise, épluchant des pommes de terre. Cette femme se levait pour accueillir l'arrivant, et un doux étrange sourire donnait à son visage une signification imprévue, comme si dans la paysanne apparaissait un être qui n'avait rien de paysan. Elle portait un corsage noir de toile grossière, car l'été commençait, une jupe sale et un tablier fait avec un sac. Sur ses épaules, seulement, un morceau déchiré d'un châle à fleurs qui avait été beau. Elle était âgée, sans avoir la cinquantaine; elle était plutôt usée. L'âge de cette femme troublait quiconque la regardait. On remarquait que ses cheveux blancs, tirés en bandeaux, gardaient un beau mouvement naturel. La paysanne offrit sa main à l'étranger qui la serra avec effusion et s'assit. L'étranger gardait la main de la femme prisonnière dans ses deux mains. Après un instant la paysanne retira sa main abîmée par les grosses besognes, dont les ongles étaient chargés de terre, et la laissa tomber sur son tablier. L'étranger dit quelques paroles, elle répondit. Mais oui ils étaient aussi contents l'un que l'autre de se revoir. Elle continua de peler ses pommes de terre, en adressant parfois à son visiteur un sourire sans raison et sans but qui exprimait sûrement quelque chose de profond dans son coeur.
Pierre-Jean Jouve, Paulina 1880 (coll. Folio/Gallimard, 1974)
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27/07/2011
Le poème de la semaine
Guillevic
Je ne parle pas pour moi,Je ne parle pas en mon nom,Ce n'est pas de moi qu'il s'agit.Je ne suis rienQu'un peu de vie, beaucoup d'orgueil.
Je parle pour tout ce qui est,Au nom de tout ce qui a forme et pas de forme.Il s'agit de tout ce qui pèse,De tout ce qui n'a pas de poids.
Je sais que tout a volonté, autour de moi,D'aller plus loin, de vivre plus,De mieux mourir aussi longtempsQu'il faut mourir.
Ne croyez pas entendre en vousLes mots, la voix de Guillevic.
C'est la voix du présent allant vers l'avenirQui vient de lui sous votre peau.
Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
06:37 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (3) | | Imprimer | Facebook |