25/08/2011
La citation du jour 1a
François Mauriac
Tu t'éveilles, et d'abord tu cherches la place de ta douleur pour t'assurer que tu existes. Elle est là, fidèle comme la vie; elle va règner sur toi jusqu'à la nuit, pareille au soleil sur cette journée déjà torride. Tout sera anéanti dans ce terrible rayonnement; les êtres et les choses s'y confondront; tu accompliras tes besognes, isolé de tous, au centre d'une atmosphère de feu. Tu t'éloignes, tu t'assieds à l'écart, tu ouvres un livre. Mais les lettres dansent dans cette lumière aveuglante. Tu recommences de lire la page, tu poursuis en vain une pensée insaisissable. La pensée des autres ne peut plus se frayer de route jusqu'à la tienne. Aucune issue. Etouffant amour, après-midi étouffante. Pas d'orage à l'horizon. Aucun bruit ne monte de la plaine que, tout près de toi, cette poule dans les feuilles sèches. Aucune espérance de pluie. Mais s'il ne t'appartient pas de susciter les nuées dans l'azur de feu, du moins te reste-t-il quelque pouvoir pour troubler cette canicule de ta passion. Regarde au fond de toi ce regard, ce sourire mystérieux; alors comme le temps se troublerait, comme s'écraseraient de grosses gouttes chaudes sur les feuilles, voici enfin l'attendrissement, les larmes.
François Mauriac, Souffrances et bonheur du chrétien (Grasset, 1931)
05:49 Écrit par Claude Amstutz dans François Mauriac, La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; spiritualité; anthologie; citation; livres | | Imprimer | Facebook |
24/08/2011
Le poème de la semaine
Jean-Michel Maulpoix
La paix entre dans ma douleur.Des voiles devant mes yeux se tissent,puis se déchirent.La pensée de l'amour me rend à la douceurd'une forme inconnue de croyance.Ma vie n'est plus coupée en deuxpar les oiseaux de la chimère.Naguère orientée par le désirde tout ce qui n'existe pas,elle cherche à prendre maintenantla mesure juste de ce qui est. L'impossible n'est plus son chagrin.Le possible devient sa joie.Dans l'arc tendu de tes brastout le ciel bleu à même la peauavec ses oiseaux, ses nuageset l'orage clair et rouge du désir,et la nuit plus profonde. Le monde, avant de te toucher,je ne le savais pas si proche. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
04:21 Écrit par Claude Amstutz dans Jean-Michel Maulpoix, Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | | Imprimer | Facebook |
22/08/2011
Stéphane Audeguy
Bloc-Notes, 23 août / Curio
Comme les autres jeux vidéo consacrés avant lui à l'Antiquité Romaine, Rom@ propose de fonder une ville, de bâtir des temples, de créer des commerces, de les défendre contre des incendies, des tremblements de terre, des hordes des Barbares. Chaque équipe compose dans la ville une faction qui lutte pour s'imposer à la tête de l'Empire. Rom@ est un jeu complexe, subtil, où toutes les classes de la société sont représentées. Chaque joueur peut choisir d'être prêtre, soldat, patricien, plébéien, gladiateur, étranger; les esclaves, pour éviter toute polémique, sont de petites boucles de programme sans importance...
Il n'en fallait pas davantage à Stéphane Audeguy pour donner la parole à la Roma Aeterna, personnage central aux traits ambigus de ce formidable roman: Parfois j'aurais voulu être un homme, mon amour. Ou alors une femme. Je ne suis pas sectaire. Non que les différences m'échappent, mais que rêver de faire sinon de les mêler? Encens sucrés des vulves marines, papillons de nuit des caresses secrètes, coquillages de nacre, verges de sang lourd, flancs doux des collines du Lazio où danse la poussière des insectes bleutés, corps fourbus écrasés au printemps de leurs draps, fesses musculeuses qui balancent en cadence, je vous chéris. Mes obélisques et mes colonnes bandent au ciel tout aussi bien que les seins roses de mes dômes. Mes fenêtres s'ouvrent aux désirs du vent qui tord les rideaux. Quatre lettres tirées aux loteries de l'histoire: Roma.
Et Roma fait trembler l’horizon sur le Pincio, se glisse dans le Tibre parmi les morts, épouse la silhouette des anges de l’église Sant’Andrea delle Fratte ou chausse les bottes des filles que l’on vend pour les touristes à Tivoli. L’anecdote rejoint l’histoire à travers la fenêtre qui s’ouvre sur les grandeurs futiles de Néron ou de Mussollini, le col blanc du chemisier d’Audrey Hepburn, les yeux inoubliables d’Anna Magnani, enfin au-delà des murmures de la ville à l’agonie, sur la vision fugitive de ce miracle éternel de l’amour qui fleurit dans la pénombre de la Villa Borghese avant de laisser sa mémoire en partage, à la porte béante des Enfers.
Il ne manque rien à Rom@, sinon ma vie, sinon mes corps, mes humeurs, mon sang, mon coeur: façades brunes des immeubles de rapport, charmeurs de serpents et montreurs d'ours, cahutes branlantes des miséreux, crasse des ruelles sans nom, changeurs et barbiers, odeurs ignobles ou subtiles des marchés de mes places, prêtres, potiers, brouhaha des rues, vendeurs de charmes et de potions d'amour, porteurs d'eau, sueur du travail, humeurs des plaisirs. J'ai été tout cela. J'ai aimé tout cela. Je ne suis pas la tête du monde, comme on disait jadis; comme telle, je n'aurais pas survécu longtemps: je suis plutôt son corps et ses lourdes entrailles qui grondent et palpitent.
Si l'amour, à défaut d'influencer le cours de l'histoire, entretient les pouvoirs du rêve, de l'art, de l'esprit de conquête, la Roma Aeterna pourtant, s'épuise et respire les prémices de la fin possible, la sienne: La vie n'est autre chose que le temps qu'il nous faut pour mourir.
Avec une construction romanesque originale et une langue de toute beauté, Stéphane Audéguy célèbre les charmes et la noblesse de cette Rome lézardée par l'outrage des temps nouveaux, qu’un Guido Ceronetti – l’auteur de Voyage en Italie et de Albergo Italia - n’aurait pas reniées: J'aurais préféré que, comme tous les Barbares, ils me fassent violence, m'imposent une nouvelle civilisation, des architectures aussi arrogantes que celles de leurs prédécesseurs chrétiens et romains. Ils se sont contentés de nicher, comme des coucous: galeries marchandes qui ne mènent nulle part, sinon à d'autres galeries, organisation de la misère par l'abondance, destructions intégrales sous couvert de rénovations, immeubles vidés comme des poissons, dont on garde les façades, soutenues par des planches, pour construire des bureaux, verrues blanches des stades toujours plus vastes.
Mais, loin des touristes trop gras qui piétinent son ventre, laissons-nous étourdir encore un peu. Stephane Audeguy ne nous en voudra pas: L'amour change la pierre en chair, la chair en arbre, l'arbre qui se fait pierre, et la pierre, amour...
Stéphane Audeguy, Rom@ (Gallimard, 2011)
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
21/08/2011
Thierry Laget
Thierry Laget, La lanterne d'Aristote (Gallimard, 2011)
Invité au château dune comtesse - Azélie, descendante de la princesse de Clèves - afin de recenser les ouvrages de sa bibliothèque, un homme entre ainsi dans le monde fascinant des livres, dont certains sont déplacés ou disparaissent au fil des nuits. Un fantôme ou un locataire soigneusement dissimulé aux yeux de tous? Que cache cette fenêtre éclairée du château où pourtant nul n'est sensé habiter? Les relations entre la cuisinière, le factoton - l'homme à tout faire - et Azélie, ne sont-elles scellées par un lourd secret?
Si le style rappelle immanquablement Marcel Proust - dont Thierry Laget est un fervent admirateur - c'est du côté de Henry James qu'on retrouve cette ambiance singulière, à la fois étrange, un peu irréelle, où s'insinuent les passions les plus meurtrières. Malgré quelques longueurs, ce roman érudit exalte la beauté de la langue française, le pouvoir incandescent des livres, les remous du bonheur et de l'oubli.
Je vois que tous, tant que nous vivons, nous ne sommes que des simulacres ou une ombre légère...
10:26 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Marcel Proust | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
19/08/2011
Caterina Bonvicini 1b
Bloc-Notes, 19 août / Curio
En annexe au roman Le lent sourire de Caterina Bonvicini, voici la très belle chanson de Leonard Cohen, Tower of Song, citée à la page 148... Sur Youtube, vous pouvez en découvrir le texte intégral en version originale.
Caterina Bonvicini, Le lent sourire (Gallimard, 2011)
08:00 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Caterina Bonvicini, Chansons inoubliables, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; chanson; livres | | Imprimer | Facebook |
Caterina Bonvicini 1a
Bloc-Notes, 19 août / Curio
Elles sont des amies trentenaires qui ne se sont jamais perdues de vue depuis le lycée. Et voilà que dans ce groupe, après Diana opérée avec succès, c’est chez Lisa deux ans plus tard, que le même mal - une tumeur au cerveau - est diagnostiqué par les médecins. Elle, par contre, en meurt: Lisa, l'amie inséparable de Clara et son lent sourire qui offre un si beau titre au roman de Caterina Bonvicini: Le sourire lent, c'est le sourire de la fin. La vie qui ralentit, qui décélère jusqu'a l'immobilité.
C'était une histoire simple: Nous nous sommes rencontrées, nous nous sommes choisies, nous nous sommes écoutées, nous nous sommes comprises. Il n'y avait pas de noeuds à défaire, pas de fragments à rassembler, pas de mystères. Nous étions là. A cette touchante évocation répond une autre, après la mort de Lisa: C'était une amitié passionnelle, certes, reposant sur une attraction réciproque, mais une amitié profonde, durable. Un peu comme sa foulée, son pas qui résonne encore dans ma tête quand je retourne dans cette maison, un pas élancé. Il m'arrive de l'entendre dans le hall: c'est elle qui entre. Alors je vais dans la cuisine, je m'assieds et fixe la place vide. Je tends le bras, tourne ma main, et attends. Les yeux fermés, j'essaie de sentir ses doigts, longs comme ses pas, qui touchent les miens.
Remontant le temps, égrenant les souvenirs partagés - les moments d'extase, de turpitudes ou d'insouciance de leur jeunesse - le tour de force de ce roman est de nous montrer, par la voix de Lisa, que la mort peut prendre le visage de la vie dans un mouvement opposé à la sépulture, et qu’il n’est pas nécessaire d’oublier pour affronter l’avenir: Derrière nos dialogues il y avait des pages et des pages de vie commune. L'enfance, l'adolescence, les années de fac, tous les boulots et les amours venus après, les anniversaires, les réveillons, les vacances, les mariages, les enterrements, les cuites, les bêtises monstres, les soucis d'argent, les problèmes familiaux, tout un entrelacs d'événements partagés qui émergeait comme un fleuve souterrain, en se mélangeant au flux du présent.
Un éloge de l’amitié - thème somme toute peu abordé en littérature - qui obéit à d’autres règles que celles de l’amour, unissant malgré la douleur présente Sandra l'ex première de classe avec sa petite frange brune aujourd'hui épouse de Daniele, Veronica la rebelle qui organisait les fugues du lycée et toujours à la recherche du prince charmant, Diana la véritable soeur avec laquelle Lisa a partagé 4'745 jours sur les bancs d'école et qui est mariée avec Marco, Clara la librairie qui s'est enfin découvert un mec libre prénommé Tommaso, enfin Lisa et ses yeux en amande qui évoquent Giotto, bleus comme le fond de la chapelle Scrovegni et son mari Alberto.
Caterina Bonvicini, par de délicates anecdotes, souvent drôles, décrit admirablement les états d'âme qui s'emparent de ce groupe d'amis - un pluriel fissuré - submergés tour à tour par la soudaine précarité de la vie, la fatigue, la colère, les reproches, la difficulté à supporter les autres ou d'être ensemble, se sentant coupables d'être en bonne santé, coupables d'être heureux, coupables d'être vivants avec leurs limites, leurs défauts, leur générosité, chacun devenu la mémoire de l'autre, tantôt prison, tantôt rempart devant ce paysage dévasté.
Une histoire bien différente de celle qui secoue Ben, le narrateur de la partie centrale du livre: un chef d'orchestre célèbre, homme jaloux, possessif, égoïste qui fait la connaissance de Clara dans les couloirs de la clinique de Bentivoglio, où il rend visite à son épouse Anna - une cantatrice adulée par son public - elle aussi arborant ce lent sourire, mais dans un contexte bien différent: Les mille amis qu'Anna croyait avoir. Avec leurs histoires incroyables. Personne ne s'est donné la peine de venir. En même temps, je lançais des coups d'oeil méprisants vers les tournesols et les orchidées, les roses et les lis, qu'on apercevait par la porte entrouverte. Pour envoyer des fleurs, il y a du monde. Seulement ce n'est pas une loge ici, messieurs.
Si les vivants sont faits pour se remémorer, Caterina Bonvicini restitue toute l'émotion palpable de ce roman bouleversant par la bouche de la mère de Clara: Trésor, les morts ne doivent pas sentir notre douleur. Ils ne doivent sentir que notre amour...
A lire et relire, le coeur gagné par le léger tremblement de ces saisons volées en éclats, empreintes de tant de douceur et d'apaisement: Le lent sourire est un pur chef d'oeuvre!
Caterina Bonvicini, Le lent sourire (Gallimard, 2011)
07:55 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Caterina Bonvicini, Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
15/08/2011
Paul Claudel
Paul Claudel
Il est midi.Je vois l'église ouverte.Il faut entrer.Mère de Jésus-Christ, je ne viens pas prier.Je n'ai rien à offrir et rien à demander.Je viens seulement, Mère, pour vous regarder.Vous regarder, pleurer de bonheur,savoir celaQue je suis votre fils et que vous êtes là.Rien que pour un moment pendant que tout s'arrête.Midi ! Être avec vous, Marie, en ce lieu où vous êtes.Ne rien dire, regarder votre visage,Laisser le cœur chanter dans son propre langage.Ne rien dire,mais seulement chanter parce qu'on a le cœur trop plein,Comme le merle qui suit son idéeen ces espèces de couplets soudains.Parce que vous êtes belle,parce que vous êtes immaculée. La femme dans la Grâce enfin restituée,La créature dans son honneur premieret dans son épanouissement final,Telle qu'elle est sortie de Dieuau matin de sa splendeur originale.Intacte ineffablementparce que vous êtes la Mère de Jésus-Christ,Qui est la vérité entre vos bras,et la seule espérance et le seul fruit.Parce que vous êtes la femme,l'Eden de l'ancienne tendresse oubliée,Dont le regard trouve le cœur tout à coupet fait jaillir les larmes accumulées,Parce que vous m'avez sauvé,parce que vous avez sauvé la France,Parce qu'elle aussi, comme moi,pour vous fut cette chose à laquelle on pense,Parce qu'à l'heure où tout craquait,c'est alors que vous êtes intervenue,Parce que vous avez sauvé la France une fois de plus,Parce qu'il est midi,parce que nous sommes en ce jour d'aujourd'hui,parce que vous êtes là pour toujours,simplement parce que vous êtes Marie,simplement parce que vous existez,Mère de Jésus-Christ, soyez remerciée ! Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
05:24 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
14/08/2011
Philippe Claudel
Philippe Claudel, Le rapport de Brodeck (Stock, 2007)
Brodeck revient de l’enfer des camps d’extermination. De retour dans son village, sa première vision est celle d’un monument aux morts où son nom est gravé dans la pierre. On le croyait disparu, mort. On se réjouit de sa survie. On est emprunté, aussi...
Homme silencieux, discret, pacifique, le voici chargé par l’administration de sa commune de dresser des notes sur la faune, la flore et la nature en général, jusqu’au jour du drame lié au sort d’un pensionnaire mystérieux de l’auberge, surnommé der Andere – l’autre – assassiné dans des circonstances mystérieuses. Les autorités, parce qu’il est jugé honnête, précis et inoffensif, vont alors demander à Brodeck de rédiger, pour la forme, un rapport sur ce qui s’est passé. Mais il va, au fil de son enquête, réveiller un passé douloureux dont le sien n’est pas épargné.
Sans lever le voile sur la conclusion de l’histoire – ce serait vraiment dommage – disons que la thématique de ce roman admirable est universelle : La culpabilité historique des individus, la férocité ou la lâcheté des communautés, la nécessité de la mémoire pour les uns et de l’oubli pour les autres.
Si le lieu du récit demeure indéterminé, probablement situé dans un pays de l’Est, il pourrait tout aussi bien se dérouler en Alsace, mais peu importe. Le personnage de Brodeck, de sa famille scellée par un lourd secret au temps de la guerre, est bouleversant d’humanité.
Le style de Philippe Claudel est exceptionnel, épuré, imprégné pourtant d’une douceur à la mesure des blessures évoquées, en contrepoint au climat oppressant qui transpire tout au long des événements qui ponctuent la dure réalité de son (anti) héros.
Après Les âmes grises évoquant la guerre de 14, Philippe Claudel revisite celle de 39-45 dans ce roman magnifique qui mériterait d’être étudié dans les écoles, car la force de ce livre tient dans son absence de jugement, de son intrigue limitée aux faits justifiés par les différents protagonistes auxquels on tente de s’identifier pour comprendre. Un sujet de réflexion inépuisable et intemporel.
L’un des romans francophones les plus marquants de la décennie, Prix Goncourt des Lycéens 2007, amplement mérité!
également disponible en coll. de poche (Livre de poche/LGF, 2009)
00:16 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Philippe Claudel | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
13/08/2011
La citation du jour
Colette Fellous
Bien après les jours et les saisons, et les êtres et les pays, je reviens encore et encore, juste pour voir. Pour essayer de reconnaître, de comparer mais aussi de retoucher, de comprendre, d'éclairer, de recomposer. Je rends visite aux disparus, aux balbutiements, aux fissures, aux tremblements, aux éblouissements, je m'arrête pile là où un jour j'ai perdu la voix. Je reviens pour la retrouver cette voix, phrase à phrase, seconde à seconde, pour essayer de bâtir un édifice fluide: regarde comme cette étoffe vient soudain se poser sur tes épaules, n'aie plus peur. Je reviens aussi pour faire face, pour vivre avec la stupéfaction, pour la mettre en scène, la draper, la nourrir, la décorer d'objets, de masques, de gestes, de couleurs, de rues, de visages fugitifs. Je n'ai plus peur des répétitions, elles forment un labyrinthe. Revenir, c'est construire son propre labyrinthe, c'est le porter sur soi comme un vêtement et l'offrir ensuite en partage, c'est garder sous ses doigts le goût du vertige, c'est surtout sauter dans le vide sans mourir. Dire non, désobéir à la chronologie, écouter le silence des ancêtres, de tous ces corps disparus qui sont encore si vivants dans le mien. Temples grecs, colonnes d'albâtre brisées, tombeaux d'enfants près de la plage, herbes fraîches, allées de mimosas tracées au milieu des ruines. Trouver enfin une terre pour chacun, pour être ensemble.
Colette Fellous, Un amour de frère (Gallimard, 2011)
00:37 Écrit par Claude Amstutz dans Colette Fellous, La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
12/08/2011
Francesco De Filippo
Francesco De Filippo, L'offense (Métailié, 2011)
Comment donc peut-il s’en sortir à Naples, Gennarino Sorrentino? A 21 ans à peine, le voilà paralysé par la peur, entraîné dans une guerre de clans qui n'est pas la sienne, ne sachant comment faire pour qu’une étincelle puisse le purifier du dedans et libérer une énergie autre que celle de la culpabilité, de l’horreur ou de la mort. Issu d'un milieu modeste, il se trouvait plutôt du bon côté de la barrière et, un peu trop naïf ou enthousiaste, n'a pas très bien compris les choses, quand Don Rafaele a honoré la promesse faite à son père - au cas où les siens reposeraient sous quatre planches - de veiller sur lui et de lui offrir une brave petite, Pamela, pour fonder une famille, et vivre mieux... Mais un petit service en entraîna un autre, puis encore un autre, et maintenant, ce gamin des rues se trimballe sous l'ombre menaçante de Don Rafaele aux côtés de Paolini, un fou dangereux aux pulsions perverses et meurtrières. Aujourd'hui, il est à bout de forces, il pleure comme jamais depuis son enfance, les pieds dans une mare de sang... A quoi donc peut-elle désormais servir, sa vie tenue en laisse derrière des murailles invisibles, loin de sa femme Pamela et de ses deux minots prêts à embarquer pour l’Argentine?
Ils ont tout démoli, Gennari. Ils ont mis du poison partout, de tous les côtés, comme si ceux qui habitent là étaient des rats, et pourtant ils ont survécu, tout empoisonnés qu'ils étaient.
Davantage qu’un polar, ce roman est une radiographie effrayante d’une certaine réalité napolitaine, déconseillée aux âmes sensibles...
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature italienne, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; policier; livres | | Imprimer | Facebook |