17/11/2011
Nelly Arcan
Nelly Arcan, Putain (Seuil, 2001 - coll. Points/Seuil, 2002))
Cachée derrière les rideaux de sa chambre, une prostituée patiente entre deux clients. L’attente se nourrit du souvenir : une famille dévote, une mère absente et un père distrait. Et parfois la jouissance éprouvée avec ces hommes auxquels elle fait l’amour, ces hommes qu’elle déteste peut-être autant qu’elle-même. Un récit obsessionnel qui ressemble à un exorcisme désespéré pour se maintenir en vie...
Les amateurs de pornographie ou de voyeurisme seront déçus par ce premier roman stupéfiant qui témoigne, malgré un langage cru ou impudique, d’une maîtrise émotionnelle et d’une qualité littéraire indiscutables. Au-delà de la haine et du dégoût de soi, cette mise à nu autobiographique est-elle capable de guérir des démons du passé ?
Nelly Arcan, l'auteur québécoise de ce texte ainsi que de Folle, A ciel ouvert, et Burqa de chair chez le même éditeur, a mis fin à ses jours en 2009, à l'âge de 34 ans.
06:40 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | | Imprimer | Facebook |
14/11/2011
La citation du jour
Jean-Louis Kuffer
Pluie au chalet, combien aimée, comme autrefois avec les miens, je ne sais où, probablement à Grindelwald, dont je me rappelle le souffle glacé des glaciers et l'herbe des prairies entourant le chalet, ou des années auparavant dans la ferme plus frustre de Montricher où nous vivions dans la hantise d'être attaqués par le vagabond Gavillet, ou plus tard dans la haute maison de pierre de Scajano, au Tessin, où j'aimais voir les eaux ruisseler le long des vignes, avant que le soleil ne sèche tout en un clin d'oeil.
Jean-Louis Kuffer, L'Ambassade du Papillon - Carnets 1993/1999 (Bernard Campiche, 2000)
image: Grindelwald (2010)
03:02 Écrit par Claude Amstutz dans Jean-Louis Kuffer, La citation du jour, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
12/11/2011
Actualité de la poésie 2/2
Bloc-Notes, 12 novembre / Les Saules
Après avoir évoqué Yves Bonnefoy et Jean-Pierre Lemaire, c'est le poète grec Georges Séféris qui fait l'actualité avec Journal de bord, dont le texte original a paru dans sa version définitive en 1965, à Athènes. Chacun des trois recueils qui le composent est le reflet d'une épreuve subie, nous dit son traducteur, Vincent Barras: les prémices de la guerre (I), la guerre (II) et la crise chypriote (III). On pourrait citer tous les textes de cet ouvrage, tant la beauté de la langue nous entraîne dans le vertige de ses profondeurs: Rossignol timide, dans la respiration des feuilles, / toi qui offres la fraîcheur musicale du bois / aux corps séparés et aux âmes / de ceux qui savent qu'ils ne reviendront pas. / Voix aveugle, qui tâtonnes dans la mémoire surprise par la nuit / pas et gestes; je n'oserais dire baisers; / et l'amère tourmente de la captive effarouchée. Une pure merveille!
Deux anthologies de la poésie méritent aussi d'être citées dans ces colonnes. La première, intitulée Mon beau navire ô ma mémoire - Un siècle de poésie française - préfacée par Antoine Gallimard - célébre les 100 ans de la prestigieuse maison d'édition. Si le choix des auteurs s'avère assez classique, celui des textes est plus original. On y retrouve aussi certains écrivains injustement oubliés tels Edmond Jabès, Georges Schehadé, Jean-Philippe Salabreuil ou Georges Perros dont ce court extrait vaut à lui seul ce plaisir de lecture: Ferme les yeux pour mieux la voir / Celle qui blesse ton regard / Celle que tu nommes ta vie / Et qui ne te rendra ses billes / Qu'au bout du grand aveuglement / Qu'au bout de ce monde en dérive / Là-bas, dans le soleil levant.
La seconde anthologie est très différente dans sa conception et son contenu. Avec des textes choisis par Albine Novarino-Pothier et que les photographies de Michel Maïofiss illustrent avec beaucoup de fraîcheur, Une année de poésie - 365 jours de bonheur permet de retrouver chaque jour de l'année un poème choisi au fil des siècles, en harmonie avec les saisons. Délibérément, me semble-t-il, certains auteurs ont été écartés - René Char par exemple ou Paul Eluard et Louis Aragon réduits à une discrète présence - alors que d'autres sont exhumés par de nombreux poèmes, tels Leconte de L'Isle, Théophile Gautier, Albert Samain, Emile Verhaeren, Maurice Fombeure, Francis Carco, Paul-Jean Toulet ou encore parmi tant d'autres, Anne de Noailles: Instant salubre et clair, ô fraîche renaissance, / Gai divertissement des guêpes sur le thym, / Tu écartes la mort, les ombres, le silence, / L'orage, la fatigue et la peur, cher matin... Une très belle anthologie - 52 euros, tout de même - et un objet séduisant à la hauteur de ces écrivains de tous les temps. Un livre de chevet à offrir - Noël est proche! - à tous les amoureux de poésie.
Enfin, pour en finir avec ce rapide survol de l'actualité poétique, voici un très court texte de Carl Jacob Burckhardt, Une matinée chez le libraire - Souvenirs de Rainer Maria Rilke. Cet auteur, qui naît à Bâle en 1891 et s'éteint à Genève en 1974, nous dévoile un fragment de la vie quotidienne du poète qu'il a rencontré à Paris en 1924, ainsi que des réflexions judicieuses de Rainer Maria Rilke sur la littérature, l'art poétique, la création: La limite est dans le fini, l'achevé, et tout ce qui vit vraiment a quelque chose d'exclusif. La nature a un terrible sens de la hiérarchie et l'hirondelle ne se commet pas avec le moineau. Seul l'homme abolit les frontières et estompe l'unicité des formes.
Comme vous pouvez le constater: la poésie est loin d'être moribonde. Et voilà bien la plus réjouissante - et peut-être la seule - des certitudes en cette fin d'année ordinaire...
Georges Séféris, Journal de bord (Héros-Limite, 2011)
Collectif, Mon beau navire ô ma mémoire - Un siècle de poésie française (coll. Poésie/Gallimard, 2011)
Albine Novarino-Pothier et Michel Maïofiss, Une année de poésie - 365 jours de bonheur (Omnibus, 2011)
Carl Jacob Burckhardt, Une matinée chez le libraire - Souvenirs de Rainer Maria Rilke (L'Anabase, 2011)
image: Rossignol philomèle (http://www.jbnature.com/oiseaux/rossignolphilomele)
00:06 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Georges Perros, Littérature étrangère, Littérature francophone, Louis Aragon, Paul Eluard, Rainer-Maria Rilke, René Char, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | | Imprimer | Facebook |
11/11/2011
Actualité de la poésie 1/2
Bloc-Notes, 11 novembre / Les Saules
Rares sont les magazines qui consacrent leurs colonnes à la promotion de la poésie, et c'est bien dommage car les efforts de qualité chez certains éditeurs - Gallimard, Mercure de France, Corti, Actes Sud, Cheyne, La Dogana, Héros-Limite, Conférence ou Empreintes pour n'en citer que quelques-uns - méritent un coup de pouce au regard de leur engagement financièrement plus délicat que la publication d'un roman, par exemple. Pourtant, comme dans une diététique du corps où rivalisent les sucres rapides - la majorité des oeuvres dites de (auto)fiction au succès souvent volatile - et les sucres lents - la poésie, les essais littéraires lus sans lien d'importance avec l'actualité - lesquels laisseront en nous l'empreinte la plus durable, la plus bénéfique, détachée des modes ou des convenances? A chacun d'y répondre: vraissemblablement un mélange des deux, sauf que, pour reprendre notre image, les sucres rapides sont accessibles en abondance dans les grandes chaînes de librairies, alors que pour les autres - à l'exception de la coll. Poésie/Gallimard - il faut se tourner vers les librairies indépendantes ou... les sites Internet - sans oublier Facebook - qui favorisent, exaltent ou éditent les ouvrages de ces domaines confidentiels désertant les rayonnages de nos professionnels du livre. Tout un débat dont les réponses sont multiples, contradictoires et mouvantes comme... les habitudes alimentaires!
Parmi les nouveautés en poésie, sachez que vient de paraître l'un des plus émouvants recueils de Yves Bonnefoy, intitulé L'heure présente qui, malgré son exigence poétique et son dépouillement, gagne en simplicité au fil des ans, avec ses battements de coeur déclinés au rythme de la nature et des hommes: On dit qu'on fait des feux sur des barques, dans ces pays de montagne. Que ces barques dérivent à travers le lac, tard la nuit. Allons voir, regardons loin devant nous puisque notre maison n'existe pas. D'admirables pages évoquent la haute mer, l'authenticité des choses vues, la sacralisation du livre, le mythe de Vénus et d'Adonis. On trouve également, dans ce volume, deux textes consacrés à la mise en scène de Hamlet - dont Yves Bonnefoy a, par le passé, assuré une traduction devenue célèbre - aux côtés de Raturer outre, L'heure présente - qui donne son titre au présent livre -, Frissons d'automne, et Aller, aller encore: à lire et relire avec reconnaissance envers ces pierres rares qui gonflent les poches de notre pardessus et ne vieillissent pas.
La même exigence hante Les marges du jour de Jean-Pierre Lemaire, poète peu connu né à Sallanches - en Haute Savoie - voici 63 ans. Cet éloge de la vraie vie ancrée dans un quotidien en constant mouvement, se rapproche de l'univers d'un Yves Bonnefoy ou d'un Philippe Jaccottet, qui tous deux ont salué la première édition de ce recueil paru en 1977 - très tôt épuisé - et que La Dogana ajoute aujourd'hui à son catalogue. La nuit laisse partout des indices / ces prunes bleues, secrètes sous les feuilles / et tu regardes monter le soleil / sur le balcon en marge du temps... Ces textes essentiels, dignes des plus grands poètes contemporains, sont, dans une préface inédite, présentés par Philippe Jaccottet.
Et le voyage en poésie se poursuit... demain!
Yves Bonnefoy, L'heure présente (Mercure de France, 2011)
Jean-Pierre Lemaire, Les marges du jour (La Dogana, 2011)
image: Antonio Canova, Vénus et Adonis (http://elbamboso.blogspot.com/2011/02/seduccion.html)
00:04 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Philippe Jaccottet, William Shakespeare, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | | Imprimer | Facebook |
09/11/2011
Le poème de la semaine
S. Corinna Bille
A travers mes larmesJ'ai revu les lieux de notre amour:La colline de pins noirsOù tremblait l'anémoneEt les étangs profonds. Derrière un rocher,Me guettant comme le chasseur,Tu t'étais caché.Et moi je t'attendais,Endormie dans l'herbe rousse ... J'avais traversé le fleuvepour venir au rendez-vous,Marché longtemps sur les routesEt mes souliers dans la main,Sur les pierres gluantes, je glissais. Ma jupe lourde d'eauJe la mis sécher au soleilDe ce premier printemps,Mais qui fut le jourLe plus long de ma vie. Pour mon malheur et pour ma joieJe t'ai suiviEt je devins l'EpousePorteuse d'enfants blonds et noirsEt de rêveries coupables. Mon corps est devenu le mondeMais mon âme est humbleEt je t'obéis. Sur la colline,La harpe des vignes est blanche encoreEt ne vibre pas.Les lacs sont aveuglesLa terre a une odeur de cimetière. Mon pauvre aimé des âcres jours,Mon Epoux,Je sais qu'il t'a fallu errer longtempsSur des chemins accoresPour rester auprès de moi. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
05:34 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, S. Corinna Bille | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
05/11/2011
Le Passe Muraille
Le Passe Muraille, no 87, octobre 2011
Incontournable figure de la littérature, de la pensée, de l'édition et de la librairie, Vladimir Dimitrijevic laisse un vide incommensurable, pas uniquement aux éditions de l'Age d'Homme. Pour l'avoir brièvement côtoyé de près - six mois à peine - dans sa librairie de Lausanne, j'ai éprouvé pour lui ce qu'à distance, bien plus tôt, je pressentais: une affection presque filiale pour cet homme de passion, de culture, de conviction que, jusqu'à ses contradictions ou ses extrémismes, j'ai toujours admiré, plus qu'aucune autre personne dans le métier. Même si nos rapports ne furent pas les plus faciles - une pudeur réciproque empêchait cette fameuse vibration commune - je conserve de mon passage à l'Age d'Homme dans les années 2000, le souvenir d'avoir retrouvé auprès de lui cette fièvre sans compromissions pour le livre: sa découverte et sa transmission dans un lieu - tous s'accorderont sans doute pour abonder dans mon sens - qui ressemblait à une caverne d'Ali Baba et dégageait une atmosphère unique au monde. Je lui dois, pour une part cruciale, d'être devenu ce que je suis. Aujourd'hui, je n'abrite dans ma mémoire que le meilleur de Dimitri, aussi lumineux et indispensable que les vitraux d'une cathédrale dont les ombres sont absentes, car - autre fait divers - on lui pardonnait tout, à Dimitri, mais cela aussi d'autres vous le confirmeront...
Vladimir Dimitrijevic s'est éteint le 28 juin 2011. Le Passe Muraille, dans la présente livraison, sous la direction de Jean-Louis Kuffer, lui rend hommage, à travers les personnes qui l'ont rencontré, ont partagé son amitié ou oeuvré auprès de lui. Un ensemble de témoignages qui expose en plein jour les facettes multiples et parfois dissonantes de la personnalité de ce passeur inoubliable. Comme le dit avec beaucoup d'émotion Claude Frochaux: Merci Dimitri!
Sommaire du Passe-Muraille no 87, Octobre 2011 - "Dimitri le passeur":
p.1
"Une vie et un destin", par Jean-Louis Kuffer
"Le sérieux de la littérature", par Vladimir Dimitrijevic
p.3
"Au découvreur assoiffé", par Georges Nivat
p.4
"Merci Dimitri", par Claude Frochaux
p.5
"Celui qui donne à lire", par Lydwine Helly
p.6
"Les derniers jours", par Richard Aeschlimann
"Russie intérieure", par Patrick Vallon
p.7
"De fulgurantes intuitions", par François Debluë
"On continue", par Claire Hillebrand
p.8
"Dimitri, je me souviens", par Valérie Humbert
p.9
"Le roman du barbare", par Jean-Michel Olivier
p.10
"Sur la route", par Slobodan Despot
p.11
"Vladimir", par Freddy Buache
"Le passeur en son arche", par Laurence Chauvy
p.12
"Ceux qui se souviennent", par Jean-Louis Kuffer
Pour s'abonner et communiquer: http://www.revuelepassemuraille.ch/
00:24 Écrit par Claude Amstutz dans Jean-Louis Kuffer, Le monde comme il va, Le Passe Muraille, Littérature francophone, Littérature suisse, Vladimir Dimitrijevic | Lien permanent | Commentaires (1) | | Imprimer | Facebook |
01/11/2011
Daniel Maggetti
Daniel Maggetti, Les créatures du bon Dieu (Editions de l'Aire, 2007)
A l’ombre des montagnes, un village niché au cœur d’une vallée tessinoise est le théâtre de la rencontre d’un homme d’Eglise et d’une aristocrate alémanique, puis de leur vie en commun, mouvementée et insolite. Témoin complice de leur relation, le narrateur est amené à considérer d’un autre œil l’amour, le savoir, la foi ; don Rodrigo et Marie-Louise l’initient à la tolérance, et peut-être, malgré eux, à la compassion. Empreint de dérision et d’empathie, Les Créatures du Bon Dieu brosse le portrait de deux personnages attachants et hauts en couleur ; mais c’est aussi un roman de formation et la chronique, haletante et pathétique, d’un monde en train de disparaître.
Attachants, drôles et d’une subversion communicative, les deux personnages principaux de ce récit, nous entraînent dans leur dépoussiérage des coutumes ou traditions avec jubilation et mélancolie. L’évocation de leur tardif amour des bêtes à lui seul vaut le détour... Sans oublier les descriptions du Tessin, magnifiques!
également disponible en coll. de poche (coll. L'Aire Bleue/L'Aire, 2011)
09:04 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |
30/10/2011
Gilberte Favre 1b
Bloc-Notes, 30 octobre / Les Saules
Voici quelques citations qui illustrent Des Etoiles sur mes chemins de Gilberte Favre. Il en est bien d'autres que je vous laisse découvrir dans son émouvant récit:
Je ne crois plus aux naufragesIl y a un masque bleu au fond de tous les puits.Andrée Chedid * Je ne crains rien, je n'espère rien.Je suis libre.Nikos Kazantzaki *L'important reste à jamais informulabletelle la noisette de poix au fond du gosier.Alexandre Voisard *
Imaginez lorsque la mort se fait enfantqu'il neige sur les derniers bruits.Nadia Tuéni
*
Tout est à la fois trop tard et prématuré pour moi;mais poussé par un désir sans mesure,je cherche obstinément au-dessus des vaguesun lieu de paix et d'amour.Maurice Chappaz *
Le vent ne vieillit pas, la mer n'a pas d'âge.Le soleil, le ciel sont éternels.J.M.G. Le Clézio *
Laisse monter mon chanttout au sommet de la montagne.Marina Tsvetaïeva
* Je me tiens sur le seuil de la vie et de la mort,les yeux baissés les mains videset la mer dont j'entends le bruitest une mer qui ne rend jamais ses noyés.Louis Aragon *
Celui qui rêvese mélange à l'air.Georges Schehadé
Gilberte Favre, Des Etoiles sur mes chemins (Editions de L'Aire, 2011)
image: Maurice Chappaz (JLK, 24 Heures)
20:04 Écrit par Claude Amstutz dans Andrée Chedid, Bloc-Notes, Littérature francophone, Littérature suisse, Louis Aragon, Maurice Chappaz, Nadia Tuéni | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; citations; livres | | Imprimer | Facebook |
Gilberte Favre 1a
Bloc-Notes, 30 octobre / Nyon
Certains livres portent bien leur titre. Ainsi en est-il du récit de Gilberte Favre, Des étoiles sur mes chemins, car davantage que le film d'une vie, c'est d'un chant de reconnaissance qu'il s'agit: hommage à son père de sang trop tôt disparu, un orphelin inconsolable, préférant les grands espaces aux murs de l'école qui, malgré ses lacunes intellectuelles, avait un regard lucide sur la vie, le monde et la nature: ruisseaux, rivières de montagnes, arbres, oiseaux en liberté, couchers de soleil... Surtout, mon père aimait le Silence, et j'ai hérité de ce besoin. Depuis qu'il a disparu, des chants d'oiseaux m'accompagnent. J'essaie de les identifier, hésitant entre le rouge-gorge et la mésange charbonnière, ou serait-ce la fauvette? Mon père qui les aurait tous reconnus avec précision, aurait ri de mes doutes, de mon ignorance. Au fil de ces pages, j'ai pris congé de lui - le vrai, le taiseux, celui que j'ai cherché à découvrir rétrospectivement - tout en pensant à l'Autre, le Père-Poète.
Le Père-Poète, cette rencontre déterminante dans sa vie - il en est d'autres telles Andrée Chedid, Eleni Kazantzaki, J.M.G. Le Clézio ou Ghassan Tueni - a pour nom l'écrivain Maurice Chappaz. Il l'appelle l'hirondelle de vie et irradie tout le chemin de Gilberte Favre de sa présence douce, de ses réflexions marquées par la poésie naturelle et le bons sens, tout particulièrement quand son époux N. - Noureddine Zaza, écrivain et homme politique kurde - se trouve frappé par un cancer: Soyez sûre que ce que vous ferez, direz, il le comprend, mais le côté désespoir crée ce sentiment terrible d'échec, de culpabilité, de rétorsion. En même temps que l'homme est infiniment touché par la bonté de l'autre et emportera pour vous votre bonté dans l'autre monde et vous protégera dans celui-ci. A vous, à tout ce que vous guidez avec le plus grand et le plus constant amour.
Si ce livre peut ressembler parfois à un office des morts - titre d'un ouvrage de Maurice Chappaz - en l'honneur de ceux qui, pour la plupart, ont aujourd'hui quitté ce monde - N., Maurice Chappaz ou Andrée Chedid - il est aussi pétri de cette gratitude qui ne console pas de l'absence, et de la reconnaissance vouée au pouvoir des livres qui ont inspiré son chant du monde, au-delà des épreuves que l'existence a pu lui réserver: J'aime les mots pour leur présence, leur musique, leur signification, leur mémoire. Tout ce qu'ils évoquent et qu'ils cachent, parce qu'ils chantent. Je les aime parce qu'ils sont fidèles, parce qu'ils sont toujours près de nous, en nous. Ils sont la vie et s'ils savent dire la mort, ils sont - de par nature - la négation de la mort.
De la Suisse ou Kurdistan, de la Grèce au Liban, de Chypre au Hoggar, la plume de cette grande voyageuse observe, décrit et intègre à son appréhension du temps de la fracture et du souvenir tout ce qu'elle y découvre d'oppression, de peine ou d'injustice dont elle a déjà rendu compte dans ses écrits antérieurs: J'étais lasse de notre monde civilisé que je voyais peuplé de prétentieux avides et cyniques, de blasés ignorant la caresse fraternelle du soleil comme le frémissement des feuilles sous la chaussure. Et c'est sans doute dans les livres - lus ou écrits - qu'elle a puisé l'énergie et la conviction nécessaires pour réduire les angles discordants.
De nombreux auteurs ont habité Gilberte Favre au fil de son récit Des Etoiles sur mes chemins et, plutôt que de les énumérer tous, vous trouverez en annexe quelques-unes de ces citations qui forgent ses traits ou son vécu et constituent une terre ferme dont elle n'est pas prête à se détourner...
Une note d'Oiseau vaut mieux qu'un million de mots. (Emily Dickinson)
Journaliste, critique littéraire et écrivain, on doit à Gilberte Favre un livre consacré à la première épouse de Maurice Chappaz, Corinna Bille, le vrai conte de sa vie aux éditions 24 Heures. Elle signe également L'hirondelle de vie - Chronique des enfants du Liban, aux éditions de L'Aire. Suivent deux romans chez le même éditeur: Comme un acte de mémoire et Survivre.
Son blog, consacré pour l'essentiel aux rumeurs du monde et à la poésie, mérite davantage qu'une simple visite de courtoisie: http://itineraires.blog.24heures.ch/
Gilberte Favre, Des Etoiles sur mes chemins (Editions de L'Aire, 2011)
19:59 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Littérature suisse, Maurice Chappaz, Nadia Tuéni, S. Corinna Bille | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; récit; livres | | Imprimer | Facebook |
27/10/2011
Alexandre Vialatte 1b
Bloc-Notes, 27 octobre / Les Saules
Pour le plaisir, voici un dernier extrait de Vialatte à La Montagne, avec une des plus belles chroniques, consacrée ici à Huit et demi, le film de Federico Fellini, l'un de mes dix films préférés: L'art se satisfait du spectacle. Au lieu de résoudre ses contraires, de les harmoniser, d'en biffer, de mutiler un peu les branches basses pour faire pousser l'arbre plus haut, il s'accepte en bloc, décousu, et il fait danser tout ensemble, le blanc et le noir, le bien et le mal, l'atroce et le comique, le tragique, le fantastique, le fascinant. C'est le portrait de la sarabande que danse le monde dans le grenier de l'homme, dans le cerveau du créateur. Il n'a pas peur d'en montrer les ficelles, car elles font partie du tableau. C'est le portrait de ses marionnettes. Et de quelles tailles! De ses problèmes, de sa vie, de l'angoisse, du gâchis, de ses plaisirs, de son foie malade, il a fait un ballet. Il est porté par l'enthousiasme de la chose. C'est l'artiste.
Et c'est ainsi que Vialatte est grand!
Alexandre Vialatte, Vialatte à La Montagne (Julliard, 2011)
Alexandre Vialatte, Chroniques de La Montagne, 1952-1971, 2 vols. (coll. Bouquins/Laffont, 2000)
02:16 Écrit par Claude Amstutz dans Alexandre Vialatte, Bloc-Notes, Films inoubliables, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; chroniques; cinéma; livres | | Imprimer | Facebook |