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26/07/2011

La rentrée littéraire 3/3

Bloc-Notes, 26 juillet / Les Saules

littérature; livres

Contrairement aux années précédentes, les titres littéraires traduits cet automne sont en augmentation de 7.3 %. Une bonne nouvelle. Sachez cependant qu'à l'heure actuelle, un roman sur trois à peine est d'origine étrangère! Très attendus, je vous signale brièvement les nouvelles parutions de Paul Auster, Sunset Park (Actes Sud), Mario Vargas Llhosa, Le rêve du Celte (Gallimard) et Arturo Pérez-Reverte, Cadix ou la diagonale du fou (Seuil). Deux autres écrivains révélés tout récemment feront sans doute le bonheur de leurs fans: Sofi Oksanen - l'auteur de Purge, Prix Femina Etranger 2010 - avec Les vaches de Staline (Stock) et David Vann - l'auteur de Sukkwan Island, Prix Médicis Etranger 2010 - avec Désolations (Gallmeister). 

Pour ma part, de même que pour la littérature d'expression française, quelques curiosités ont retenu mon attention et je vous les partage avec plaisir ci-dessous, avant d'en parler plus longuement sur La scie rêveuse lors de leurs parutions, entre août et octobre 2011.

Traduite pour la première fois dans notre langue, Michela Murgia, avec Accabadora (Seuil) nous entraîne en Sardaigne, dans les années 50. Une vieille couturière, Tzia Bonaria y accueille Maria, d'origine modeste et lui apprend le métier. Cette dernière est intriguée par les absences de Tzia, sa mère adoptive dont le surnom d'Accabadora - la dernière mère - cache un lourd secret bouleversant le coeur de Maria... Un face-à-face fascinant entre ces deux femmes, ainsi qu'une plongée intime dans les coutumes berçant cette histoire avec beaucoup de sobriété et de poésie.

Toujours en Italie, voici un nouveau roman de Alessandro Piperno, Persécution (Liana Levi). L'auteur de Avec les pires intentions raconte le destin de Leo Pontecorvo, un professeur de médecine et père de famille respecté issu de la bourgeoisie juive romaine et qui voit un jour le sol se dérober sous ses pieds en apprenant par le journal télévisé que l'un de ses fils est accusé d'avoir tenté de séduire une gamine de 12 ans. Sérieux et disctret, rien ne l'a préparé à cet événement qui dresse, en filigrane, les frontières ambiguës de la justice. Un texte envoûtant.

Deux autres romans italiens méritent un coup de chapeau: Le lent sourire de Caterina Bonvicini (Gallimard). Il dit la maladie, l'amitié, le parcours nécessaire du deuil unissant Clara la narratrice et Lisa au-delà de la mort, qui survient au sein d'un groupe d'amis trentenaires. Malgré la gravité du sujet, ce livre célèbre la vie, débarassée de ses artifices encombrants ou inutiles. Une heureuse surprise.

Avec Francesco de Filipppo, enfin, L'offense (Métailié/Noir) se situe à Naples, avec en toile de fond un petit jeune de 21 ans, Gennaro, issu des quartiers pauvres de la ville qui découvre, sous ses yeux, les trafics honteux de la drogue, des armes et des êtres humains, dans les entrailles de la camorra qui, un jour, croise sa route... Comment peut-il s'en sortir, tout seul? Un roman noir plein de tendresse et de fureur.

Non sans mentionner Scintillation, le nouveau roman de John Burnside (Métailié) - l'auteur de La maison muette et Les empreintes du diable - je termine ce rapide tour d'horizon avec Dire son nom de Francisco Goldman (Bourgois), écrit en l'honneur de son épouse Aura Estrada, morte en 2007, se brisant la nuque en faisant du bodysurf sur la côte mexicaine. Tenu pour responsable de l'accident, rongé par la culpabilité et le chagrin, Francisco se décide à raconter leur histoire, celle d'une perte insurmontable bien sûr, mais aussi le récit d'un couple plein de charme, drôle et singulier, qui émeut à chaque ligne: un hymne à l'amour et à la vie. L'un des plus beaux textes de cette rentrée littéraire! 

Une rentrée à laquelle je reproche seulement - du bout des lèvres - de n'être pas follement gaie...

image: Caterina Bonvicini

25/07/2011

La rentrée littéraire 2/3

Bloc-Notes, 25 juillet / Les Saules

littérature; livres

Poursuivons un bout de chemin en compagnie des auteurs de langue française, plutôt inspirés en cette rentrée littéraire automnale, contrairement aux années précédentes.

Ainsi, mérite d'être signalé le troisième roman d'une lyonnaise, Virginie Ollagnier, Rouge argile (Liana Levi). Intimiste et grave, mais sans lourdeur, il évoque à la mort du père adoptif de la narratrice, un retour aux sources dans le Maroc des années 50, peuplé de fantômes et de souvenirs, mais aussi porteur d'un temps qui lave les deuils et les blessures. Un ton sobre, chaleureux pour un livre que les extraits de correspondance intégrés au récit, nous font respirer tous les parfums et la proximité.

Après la Tunisie de Colette Fellous, de même que chez Virginie Ollagnier, Fouad Laroui nous emmène avec La vieille dame du riad (Julliard) au Maroc où un couple de français qui vient d'acquérir une maison à Marrakech, découvre une femme mystérieuse ne parlant pas un traître mot de français, qui semble habiter les lieux depuis toujours et se montre peu encline à partir ... Un timbre enjoué, comme dans ses précédents romans - Une année chez les français ou Les dents du topographe - pour nous partager avec une tendre ironie des réalités pas toujours drôles.

Lionel Trouillot, quant à lui, dans La belle amour humaine (Actes Sud), célèbre la fraternité des Caraïbes nécessaire à la survie face aux puissants qui tiennent pour acquis leurs droits, leurs possessions. A travers une femme sur les traces de son père, à la manière d'un Dany Laferrière, il réhabilite - si besoin est - les qualités de coeur de son peuple, avec une générosité contagieuse.

Surprise de l'an dernier dans ce paysage littéraire pour Mon couronnement - chouchouté par les libraires - Véronique Bizot nous revient aujourd'hui avec Un avenir (Actes Sud) et sonde une famille qui revit sous nos yeux au rythme du quotidien, ponctué par les événements ordinaires des heures et des saisons, l'imprégnant d'une saveur particulière. Un écriture séduisante, proche de la poésie.

Avant de passer aux lettres étrangères, je conclus ce tour d'horizon sommaire - non sans mentionner L'équation africaine de Yasmina Khadra (Julliard) et Le cas Sneidjer de Jean-Paul Dubois (L'Olivier) - avec Nos souvenirs de David Foenkinos (Gallimard), déjà pressenti selon quelques experts, pour un Prix Goncourt 2011, ce qui, je l'avoue, me ravirait bien davantage que la cuvée 2010 consacrée à La carte et le territoire de Michel Houellebecq! Dans ce livre, l'auteur de La délicatesse, au décès du grand-père de notre narrateur, interroge sa mémoire, médite sur le temps et les liens entre les générations. Un auteur qui, décidément, sait exprimer avec talent et sensibilité la gravité des choses de la vie avec une légéreté très émouvante!

A suivre ... 

image: Virginie Ollagnier

00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Colette Fellous, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

24/07/2011

La rentrée littéraire 1/3

Bloc-Notes, 24 juillet / Les Saules

arton2226.jpg

L'édition française deviendrait-elle enfin raisonnable? Il semble bien que oui, car la production de la rentrée littéraire de cet automne est annoncée avec - enfin! - une baisse globale de 6.7 %, et 12.5 % en ce qui concerne les titres francophones uniquement. Pas de quoi pavoiser pour autant, puisque ces chiffres reflètent tout simplement la situation éditoriale de 2005, et mériteraient encore davantage d'être revus à la baisse afin de ne pas noyer sous un flot ininterrompu de romans peu attrayants, ceux qui se distinguent par une qualité de style, l'originalité d'un sujet, l'audace narrative.

Si les médias ne manqueront pas, sous peu, de nous décrire le dernier Amélie Nothomb, Tuer le père (Albin Michel), celui d'Eric-Emmanuel Schmitt, La femme au miroir (Albin Michel) ou d'Emmanuel Carrère, Limonov (P.O.L.), je préfère vous présenter en avant-première quelques titres choisis au gré de mes humeurs littéraires - parmi la production française - et qui seront évoqués au moment de leur parution, sur La scie rêveuse.

Les coeurs en skaï mauve de Sacha Sperling (Fayard), par exemple - auteur de Mes illusions donnent sur la cour - le négatif d'un Roméo et Juliette moderne, avec ses rêves d'un ailleurs possible, le temps d'un été. Une écriture d'une rare maturité pour cet auteur âgé d'à peine 21 ans, qui détourne les clichés habituels avec un humour parfois féroce mêlé à une lucidité impressionnante!

Sur un tout autre registre, il vaut la peine de découvrir La lanterne d'Aristote de Thierry Laget (Gallimard) - un admirateur fervent de Stendhal et de Proust - dont le héros est chargé par une comtesse de recenser la bibliothèque de son château et qui, à la manière de ses maîtres, saisit avec bonheur chaque émotion émanant de ce château, de ses dédales, de ses personnages, confrontant le narrateur à ses ombres propres ou ses lumières. Une langue magnifique pour explorer, entre autres choses, la résonance affective des livres. 

Stéphane Audéguy, dans Rom@ (Gallimard) - comme son titre l'indique - exalte Rome. La ville au féminin et au masculin, parle. Vous êtes invités au bord du Tibre, dans les jardins de Lucullus, vous croisez Mussolini ou Audrey Hepburn pour une célébration poétique, lyrique, imaginative où le présent et le passé se confondent, se découvrent, se juxtaposent. Une fête de l'amour, toujours!

Avec Un amour de frère (Gallimard) Colette Fellous - après Avenue de France, Aujourd'hui et Plein été - poursuit l'exploration fragile et sensuelle de sa mémoire, avec cette fois-ci les souvenirs autour de son frère Georgy, disparu à l'âge de 27 ans. Illustré de quelques images, photographies et dessins, ce poignant récit né sous l'une des plus belles plumes de France, séduit par la qualité de son écriture et sa délicatesse.

On peut en rapprocher Delphine de Vigan qui, avec Rien ne s'oppose à la nuit (Lattès) nous parle de sa mère avec beaucoup de pudeur et de sensibilité, de même que Laurence Tardieu qui, dans La confusion des peines (Stock) aborde la question du père absent, condamné pour escroquerie. Une quête douloureuse survenue au moment du décès de sa mère. Attachant ...

La plupart de ces titres seront disponibles en librairie, entre fin août et octobre 2011.

A suivre ... 

image: Stéphane Audéguy

12:51 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Colette Fellous, Littérature francophone, Marcel Proust | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

22/07/2011

Loriano Macchiavelli

9782864246671.gifLoriano Macchiavelli, Derrière le paravent (Métailié, 2008)

L'été 1978 est torride à Bologne. Sarti Antonio est chargé de surveiller une exposition de numismatique dans un musée de la ville, il a fait garder les issues en oubliant qu'un vieil aqueduc arrive dans la cour du bâtiment : les trois plus belles pièces sont volées. Sanctionné, le policier est affecté aux rondes de nuit dans le quartier du Pilastro, celui des immigrés récents, tous venus du Sud du pays, de la petite délinquance et de l'impuissance de la loi. Pour lui, l'enfer. Là, il croise le chemin du petit Claudio, futé, vif, élevé par une mère qui plaît beaucoup à notre enquêteur. Peu après, le cadavre de Claudio est découvert une balle dans la tête, sous le seul lampadaire de la rue qui fonctionne. Révolté, Sarti Antonio va s'obstiner à trouver la vérité sous toutes les apparences et, avec son ami le philosophe Rosas, fouiller derrière le paravent des bonnes consciences. Dans un style inimitable, Loriano Macchiavelli suit son personnage, le tarabuste, le malmène, le plaint, l'aime parce qu'il est imparfait et boit autant de café que lui. Et nous, nous l'accompagnons...

Vous n'avez jamais lu Loriano Macchiavelli ? Encore méconnu en traduction française, découvrez-le sans tarder : l’auteur de Bologne ville à vendre et de Les souterrains de Bologne est sans doute le meilleur auteur de romans policiers italiens avec Andrea Camilleri, ce qui n’est pas un compliment exagéré ! Entre les coups bas des pouvoirs en place, une intrigue tortueuse à souhait et un humour désabusé, l’inspecteur Sarti Antonio deviendra vite, pour votre plaisir, un ami privilégié.

21/07/2011

Thomas Eloy Martinez

9782070773091.gifThomas Eloy Martinez, Le chanteur de Tango (Gallimard, 2006)

On dit qu'il ne chante plus que dans quelques cabarets malfamés du port. On dit aussi qu'il est très malade mais qu'il chante parfois dans un vieux bar du centre-ville. Certains affirment qu'ils l'ont entendu chanter dans un square de Palerme, l'ancien quartier italien, et d'autres vont jusqu'à dire qu'il se produit inopinément sur les marchés populaires des faubourgs. Bruno Cadogan regarde perplexe la carte de Buenos Aires et essaie de déceler la logique qui commande les dernières apparitions de Julio Martel. Car ce légendaire chanteur de tango à la voix obscure et envoûtante, l'homme qui n'a jamais voulu enregistrer de disques, est bien plus qu'un mythe urbain. Martel est un artiste accompli qui ne laisse rien au hasard et qui dessine par sa présence - et son absence - une autre carte de la ville, les traits d'une énigme. Volontaire, résolu, le jeune Américain est prêt à tout pour le rencontrer et pour l'entendre chanter ces étranges morceaux dont il est le seul à connaître les paroles et le sens. Mais sa quête va le conduire là où il ne l'attend pas : au cœur même de l'insurrection populaire de 2001 qui fait chuter les présidents les uns après les autres. Bruno Cadogan se trouve ainsi emporté par le tourbillon de l'histoire dans un Buenos Aires rebelle et assoiffé de justice où la voix de Julio Martel est devenue l'un des symboles de l'espoir.

Parti à la recherche de ce mythique chanteur de tango, notre jeune américain découvre Buenos Aires, sa magie, sa littérature, mais aussi sa part d'ombre - le temps des colonels, l’immigration clandestine - avec ses destins rattrapés par l’histoire contemporaine. Une heureuse découverte.

Egalement disponible en coll. Folio (Gallimard, 2007)

02:54 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature sud-américaine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/07/2011

Le poème de la semaine

Jules Supervielle

Voilà que je me surprends à t'adresser la parole,
Mon Dieu, moi qui ne sais encore si tu existes
Et ne comprends pas la langue de tes églises chuchotantes.
Je regarde les autels, la voûte de ta maison,
Comme qui dit simplement:
Voilà du bois, de la pierre,
Voilà des colonnes romanes.
Il manque le nez à ce saint.
 
Et au-dedans comme au-dehors, il y a la détresse humaine.
Je baisse les yeux sans pouvoir m'agenouiller pendant la messe,
Comme si je laissais passer l'orage au-dessus de ma tête.
Et je ne puis m'empêcher de penser à autre chose.
Hélas ! j'aurai passé ma vie à penser à autre chose.
Cette autre chose, c'est encore moi.
C'est peut-être mon vrai moi-même.
C'est là que je me réfugie.
C'est peut-être là que tu es.
 
Je n'aurai jamais vécu que dans ces lointains attirants.
Le moment présent est un cadeau dont je n'ai pas su profiter.
Je n'en connais pas bien l'usage.
Je le tourne dans tous les sens,
Sans savoir faire marcher sa mécanique difficile.
Mon Dieu, je ne crois pas en toi, je voudrais te parler tout de même.
J'ai bien parlé aux étoiles, bien que je les sache sans vie,
Aux plus humbles des animaux, quand je les savais sans réponse,
Aux arbres qui, sans le vent, seraient muets comme la tombe.
Je me suis parlé à moi-même, quand je ne sais pas bien si j'existe.
Je ne sais si tu entends nos prières, à nous les hommes,
Je ne sais si tu as envie de les écouter.
Si tu as, comme nous, un coeur qui est toujours sur le qui-vive
Et des oreilles ouvertes aux nouvelles les plus différentes.
Je ne sais pas si tu aimes à regarder par ici.
Pourtant je voudrais te remettre en mémoire la planète terre
Avec ses fleurs, ses cailloux, ses jardins et ses maisons,
Avec tous les autres et nous qui savons bien que nous souffrons.
Je veux t'adresser sans tarder ces humbles paroles humaines
Parce qu'il faut que chacun tente à présent tout l'impossible.
Même si tu n'es qu'un souffle d'il y a des milliers d'années,
Une grande vitesse acquise,
Une durable mélancolie
Qui ferait tourner encore les sphères dans leur mélodie.
Je voudrais, mon Dieu sans visage et peut-être sans espérance
Attirer ton attention parmi tant de ciels vagabonde
Sur les hommes qui n'ont pas de repos sur la planète.
 
Ecoute-moi ! Cela presse.
Ils vont tous se décourager
Et l'on ne va plus reconnaître les jeunes parmi les âgés.
Chaque matin, ils se demandent si la tuerie va commencer.
De tous côtés,
L'on prépare de bizarres distributeurs de sang, de plaintes et de larmes,
L'on se demande si les blés ne cachent pas déjà des fusils.
Le temps serait-il passé où tu t'occupais des hommes ?
T'appelle-t-on dans d'autres mondes, médecin en consultation,
Ne sachant où donner de la tête
Laissant mourir sa clientèle ?
 
Ecoute-moi ! Je ne suis qu'un homme parmi tant d'autres.
L'âme se plait dans notre corps,
Ne demande pas à s'enfuir dans un éclatement de bombe.
Elle est pour nous une caresse, une secrète flatterie.
Laisse-nous respirer encore sans songer aux nouveaux poisons,
Laisse-nous regarder nos enfants sans penser tout le temps à la mort.
Nous n'avons pas du tout le coeur aux batailles, aux généraux.
Laisse-nous notre va-et-vient, comme un troupeau dans ses sonnailles,
Une odeur de lait frais se mélant à l'odeur de l'herbe grasse.
 
Ah ! si tu existes, mon Dieu, regarde de notre côté.
Viens te délasser parmi nous.
La terre est belle, avec ses arbres, ses fleuves et ses étangs,
Si belle, que l'on dirait que tu la regrettes un peu.
Mon Dieu, ne va pas faire la sourde oreille
Et ne va pas m'en vouloir si nous sommes à tu et à toi,
Si je te parle avec tant d'abrupte simplicité.
Je croirais moins qu'en tout autre en un Dieu qui terrorise.
Plus que par la foudre, tu sais t'exprimer par les brins d'herbe
Et par les jeux des enfants et par les yeux des ruisseaux.
Ce qui n'empêche pas les mers et les chaînes de montagnes.
Tu ne peux pas m'en vouloir de dire ce que je pense,
De réfléchir comme je peux sur l'homme et sur son existence
Avec la franchise de la terre et des diverses saisons,
Et peut-être de toi-même dont j'ignorerais les leçons
Je ne suis pas sans excuses.
Veuille accepter mes pauvres ruses.
Tant de choses se préparent sournoisement contre nous.
Quoi que nous fassions, nous craignons d'être pris au dépourvu
Et d'être comme le taureau
Qui ne comprend pas ce qui se passe.
Le mène-t-on à l'abattoir,
Il ne sait où il va comme ça
Et juste avant de recevoir le coup de mort sur le front
Il se répète qu'il a faim et brouterait résolument,
Mais qu'est-ce qu'ils ont ce matin avec leurs tabliers pleins de sang
A vouloir tous s'occuper de lui ?
 
 Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

18/07/2011

J.M.C. Le Clézio

9782070754885.gifJ.M.C. Le Clézio, L'inconnu sur la terre (Coll. Imaginaire/Gallimard, 1999)

Ceci n'est pas tout à fait un essai, pas tout à fait une tentative pour comprendre quelques mystères, ou pour forger quelques mythes. Ceci est une histoire, écrite sur plusieurs cahiers d'écolier italiens, en même temps que, selon un autre mode, et sur des feuilles de papier machine 21 x 27, s'écrivaient les phrases de Mondo et autres histoires. C'est une longue histoire, qui pourrait être celle d'un oiseau, celle d'un poisson et celle d'un arbre, car elle parle beaucoup du ciel, de la mer et de la terre où avancent les racines. A la fin de cette histoire, rien n'a changé, ou presque. Mais c'est comme une très longue journée qui serait passée, depuis la première heure de l'aube jusqu'à la nuit. Ceci est peut-être aussi, tout simplement, l'histoire d'un petit garçon inconnu qui se promène au hasard sur la terre, pas loin de la mer, un peu perdu dans les nuages - et qui aime la lumière extrême du jour... Eloge du regard, de la simplicité, de la magie, du vertige devant les beautés du monde, ce texte célèbre avec les yeux de l’enfance la puissance du rêve, le désir de liberté, l’ancrage dans le réel. Une lecture fluide, poétique, étourdissante – jamais savante ou artificielle -  qui illumine le cœur et dont la joie éprouvée ne peut qu’être contagieuse.

06:47 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature: récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/07/2011

Marcello Fois

Bloc-Notes, 17 juillet / Nyon

littérature; roman; livres

Ce n'était pas que ce récit fut vrai ou faux, l'important c'était de raconter. Cette phrase, quelque part au milieu du livre, pourrait résumer la démarche de Marcello Fois, déjà adoptée dans son précédent et formidable roman, La mémoire du vide, paru en traduction française chez le même éditeur. A la manière de l'une des figures emblématiques de la nouvelle littérature espagnole, Rosa Montero, il sait raconter des histoires et le confirme aujourd'hui avec La lignée du forgeron.

Entre 1899 et 1943, il nous fait revivre, à travers le destin de Michele Angelo - l'âme vaguement blonde, le fruit d'un germe de miel contre l'insistance du noir corbeau qui l'entoure - quelques pages terribles de son pays, la Sardaigne. Orphelin recueilli par un honnête homme, Giuseppe Mundula, qui l'introduit à la forge et lui apprend le métier, Michele épouse une autre paria, Mercede. De leur union naissent les jumeaux Pietro et Paolo, plus tard - après deux enfants morts-nés - Gavino, Luigi Ippolito et Marianna.

Cet amour a fait beaucoup de chemin. Ils sont allés comme deux pèlerins vers un sanctuaire très lointain dont on attend à chaque pas de voir au moins le sommet du clocher, et puis, rien. Aussi est-il nécessaire de s'aimer et de s'aimer encore en dépit de tout; de la poussière qui empâte les cheveux; de la tentation d'accepter de faire un bout de chemin sur une charrette ou de s'abandonner, trempés de pluie, au désespoir, les chaussures enfoncées dans la boue, les pas incertains, le palais asséché par la canicule, les doigts livides à cause du gel, le regard fixé sur une fin qui toujours, toujours, se transforme en un début.

En trois parties distinctes - le paradis, l'enfer, le purgatoire - le lecteur voit le village de Nuoro s'ouvrir à l'espoir, à l'argent, à la modernité, mais le bonheur ne dure pas. Vient le temps de la Grande Guerre, puis la montée du fascisme et la Seconde Guerre mondiale qui fracassent et divisent, avec en arrière-plan ces lumières cruelles qui éclairent un fils parti en volontaire et un autre qu'on serait prêt à mutiler pour le garder chez soi, bien vivant, à l'abri des horreurs du monde, loin de cette Italie qui ressemble à une terre étrangère. Certains passages rappellent dans leur intensité le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline: Lorsque la terre explose autour de moi je ne sens même pas de douleur, je vois ma jambe qui me précède et je pense: Malgré tout, nous sommes fragiles. Je sens comme un crochet qui m'arrache la moitié du visage et je pense encore: Nous sommes fragiles. Et pourtant je ne meurs pas. Je suis fort ! crié-je. Je suis vivant ! Les brancardiers courent vers moi. Je n'ai pas mal, je le jure. Après, oui, après, mais là, brisé en morceaux, avec le sang qui se colle à la terre, aucune douleur. Rien. A chaud, jeté au sol après l'explosion, j'ai le temps de penser à ma permission, puis plus rien.

Sur cette terre ingrate, rude et austère, aucune douleur ne sera épargnée à Michele Angelo dont la famille, victime de l'injustice, de la cruauté et de l'épuisement, subit les affres de ces temps maudits. Pourtant, un vent apaisé souffle un beau jour sur sa maison et prend l'apparence inattendue d'un jeune homme qui lui rend sa force initiale et scelle le destin de la forge qu'il avait abandonnée...

Dans la précarité de l'équilibre frontal il y a une histoire qui n'a pas été racontée. Oui. Dans la spécificité d'un sens accompli demeure l'irréalité. Une portion de vérité qui n'a pas de mots pour s'exprimer. A la manière d'une grande nature morte qui est temps fixé, collé à la toile, soustrait au devenir. Dans l'attente seulement, dans l'attente seulement on peut s'accorder avec cette fixité d'icône. Dans l'attente que le calice tombe, que ce cristal, enfin, se brise... Et la fin n'est pas une fin.

Marcello Fois, né en 1960 en Sardaigne, vit aujourd'hui à Bologne. Une quinzaine de ses livres sont traduits à ce jour, parmi lesquels Sheol (coll. Points/Seuil, 1999) - un roman policier qui évoque les persécutions juives en Italie -, Les hordes du vent (Seuil, 2005) et Mémoire du vide (Seuil, 2008). La ligne du forgeron (Seuil, 2011) est à ce jour peut-être, son roman le plus accompli.

Un des chefs-d'oeuvre de l'année !   

Marcello Fois, La lignée du forgeron (Seuil, 2011)

Rosa Montero, Belle et sombre (Métailié, 2011)

01:01 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Louis-Ferdinand Céline, Rosa Montero | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

15/07/2011

Christohe Ono-dit-Biot

9782259203449.gifChristophe Ono-dit-Biot, Birmane (Plon, 2007)

 

Décidé à changer le cours de sa vie, un jeune homme s'envole pour le pays de tous ses fantasmes avec un projet fou: décrocher l'interview du plus grand trafiquant d'opium de tous les temps. Un scoop sans prix. Double problème : César est un amateur, et la Birmanie une dictature. A Rangoon, où la paranoïa le dispute à la moiteur tropicale, il rencontre une jeune femme au charme trouble. Médecin humanitaire passionnée et déterminée, elle se montre parfois mélancolique, lointaine. Fasciné, il en tombe amoureux...

 

A la fois roman d’aventures, plongée dans l’enfer de la dictature et initiation aux mythologies du Triangle d’Or, ce texte ouvre une brèche salutaire dans les lettres françaises ! Pour votre bonheur et comme son héros, vous perdrez bien vite vos repères ou vos certitudes sous les Tropiques, entraînés par ce voyage enivrant et ses personnages troubles, passionnés ou secrets. Tout cela dans un climat à la fois inquiétant, sensuel, moite et envoûtant. Alors, laissez-vous faire : Larguez les amarres …

 

également disponible en coll. de poche (Pocket, 2008)

22:25 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; voyages | |  Imprimer |  Facebook | | |

14/07/2011

Le chant des larmes

Bloc-Notes, 14 juillet/ Nyon

littérature; poésie; livres

Le cercle des Amoureux de la poésie, autour d'Abbassia Naïmi, concrétise avec Le chant des larmes un rêve magnifique: promouvoir la poésie francophone contemporaine et mettre en relation les auteurs et les lecteurs de tous bords en insistant plus particulièrement sur la lecture à haute voix nécessaire en poésie.

Vingt poètes de tous horizons - Maroc, Algérie, Tunisie, Cameroun, Etats-Unis, Canada et France - ont ainsi participé à ce projet qui respire d'un besoin de transmission orale, enraciné chez les uns et les autres. On y chante la beauté apaisée, le sang de la terre, l'ombre qui se balance sur un mur, les traces éphémères de la vie, les chemins de l'enfance, le monde qui tour à tour pleure et saigne, les bruits du jour devenus silence, et ces mots comme fleurs au vent, écrits comme on respire ont en commun de libérer l'âme et de partager, chacun à sa manière, un fragment d'espoir, de solidarité et de combat. Une poésie de la proximité dans laquelle les lecteurs attentifs peuvent reconnaître leurs propres résonances.

Une notice biographique - avec référence aux sites Internet - précède les textes de chaque auteur, dont bon nombre sont connus des usagers de Facebook. Au chant des larmes ont contribué Marie Hurtrel, Hamid Medah, An Ishtar, Xavier Lainé, Eve Oramie, Jean-Luc Moulin, Assia Benotmane, Amel Belkacemi, Makhlouf Boughareb, Emmanuel Parmentier, Nadir Kateb, Amel Tafsout, Robert Notenboom, Réjean Blais, Hanène Chelbi, Rodrigue Ndzana, Michèle Minary, Pierre la Paix, Cécyl et Abbassia Naïmi.

Une bien belle aventure qui prouve que la poésie - comme le disait Charlie Chaplin - demeure une indispensable lettre d'amour adressée au monde.

Le chant des larmes - Le cercle des Amoureux de la Poésie (Editions Lire et Méditer, 2010)

image: Abbassia Naïmi, Librairie Quesseveur, Agen (France)

Le cercle des Amoureux de la Poésie: www.lecap-edition.fr/

10:14 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |