Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/10/2011

Le poème de la semaine

Saint-John Perse

Car tu nous reviendras, présence! au premier vent du soir,
 
Dans ta substance et dans ta chair
et dans ton poids de mer, ô glaise!
dans ta couleur de pierre d'étable et de dolmen, ô Mer!
parmi les hommes engendrés et leurs contrées de chênes rouvres,
toi Mer de force et de labeur.
Mer au parfum d'entrailles femelles et de phosphore,
dans les grands fouets claquants du rapt!
Mer saisissable au feu des plus beaux actes de l'esprit! ...
(Quand les barbares sont à la Cour pour un très bref séjour,
l'union avec les filles de serfs rehausse-t-elle d'un si haut ton
le tumulte du sang? ...)
 
"Guide-moi, plaisir, sur les chemins de haute mer;
au frémissement de toute brise où s'alerte l'instant,
comme l'oiseau vêtu de son vêtement d'ailes ...
Je vais, je suis un chemin d'ailes,
où la tristesse elle-même n'est plus qu'aile ...
Le beau pays natal est à reconquérir, le beau pays du Roi,
qu'il n'a revu depuis l'enfance,
et sa défense est dans mon chant.
Commande, ô fifre, l'action, et cette grâce encore d'un amour
qui ne nous mette en mains que les glaives de joie! ... "
 
Et vous, qu'êtes-vous donc, ô Sages! pour nous réprimander,
ô Sages?
Si la fortune de mer nourrit encore, en sa saison,
au grand poème hors de raison, m'en refuserez-vous l'accès?
Terre de ma seigneurie, et que j'y entre, moi!
n'ayant nulle honte à mon plaisir ...
"Ah! qu'un scribe s'approche et je lui dicterai ..."
Et qui donc, né de l'homme,
se tiendrait sans offense aux côtés de ma joie?
 
- Ceux-là qui, de naissance,
tiennent leur connaissance au-dessus du savoir.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

01:44 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (3) | |  Imprimer |  Facebook | | |

09/10/2011

La citation du jour

Paul Valéry 

arton9.jpg

Souffrance. Je n'ai pas un coin pour être seul, pas une chambre personnelle, ni une heure pure de bruit, légère de soucis, sans limite pensée, sans l'idée qui déjà présentement la termine. J'envie le prisonnier d'une cellule qui le préserve et qui dans elle est propriétaire du temps, de la solitude et de la continuité. Pas de silence, de suite, de profondeur sans argent. Pas de noblesse, sans paix et séparation.

Paul Valéry, Les Cahiers (coll. Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2010)

23:58 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, Paul Valéry | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

07/10/2011

Mes prix littéraires

Bloc-Notes, 7 octobre / Thonon-les-Bains

001005706.jpg

Les prix littéraires font décidément partie d'un cérémonial annuel et incontournable du monde des livres tel qu'en aucun autre pays du monde. Songez qu'avant même l'attribution des traditionnels Goncourt, Renaudot, Femina ou Médicis, 510 prix - je les ai comptés, sur www.prix-littéraires.net - ont déjà décernés en 2011! Pour la plupart d'entre eux, le public se moque éperdument de ces distinctions: sa seule revendication reste un bon livre. Les éditeurs quant à eux, comptent les couronnes de lauriers. Certains auteurs aussi. Pour la majorité d'entre eux pourtant, l'aspect financier de la récompense compte autant que leur notoriété. Elle leur permet de vivre un peu mieux de leur plume, car si tout travail mérite salaire, ce dernier est l'un des plus mal rétribués qui soit - si l'écriture d'un roman par exemple requiert une ou deux années d'écriture - dans une profession où si peu d'auteurs peuvent vivre de leur métier: le seul mérite de cette multiplicité des prix, mais en rien leur justificaion. 

Au milieu de ce spectacle de cirque automnal où l'attention de la plupart des journalistes se focalise au même instant précis sur les mêmes titres, remarquables ou non mais au détriment de tous les autres, comme dans une Coupe de France de football avec ses favoris, ses outsiders, ses perdants magnifiques, il est délicieusement agréable de plier son journal, d'éteindre la télévision et de se plonger dans le livre du regretté Thomas Bernhard, Mes prix littéraires, paru en 2009 aux éditions Suhrkamp.

Cet enfant terrible des lettres autrichiennes nous partage les circonstances qui ont entouré plusieurs distinctions reçues dans sa jeunesse. Chacun de ces événements ressemble à une mise en scène théâtrale, souvent féroce, parfois drôle, rarement affable envers ce milieu littéraire ou politique qu'il a côtoyé en diverses rencontres protocolaires. Lors de la remise du prix Grillparzer, il écrit avec amusement qu'après quelques phrases élogieuses consacrées à son travail, furent citées des pièces dont il était censé être l'auteur, mais qu'il n'avait jamais écrites! A l'occasion du prix Anton-Wilgans, il note que chez le poète et dramaturge Wilgans, ce qu'il a le plus admiré, c'est son fils tromboniste, un musicien absolument génial qui faisait partie des compositeurs les plus prometteurs de son époque. Une autre perle enfin, à propos du prix d'Etat autrichien de littérature: Au Sénat des Arts ne siègent que des trous du cul, à savoir des trous du cul catholiques et nationaux-socialistes, flanqués de quelques juifs-alibis. Et ces trous du cul font tous les ans élire de nouveaux trous du cul au sein de leur assemblée en leur conférant le Grand Prix d'Etat

Et Thomas Bernhard, dans ce microcosme qu'il déteste, quelle est sa place? Il s'en explique assez bien, tordant le cou aux ambiguïtés qu'on lui prête: Les prix ne sont jamais un honneur. L'honneur lui-même est une perversion, dans le monde entier il n'existe pas d'honneur. (...) J'accepte l'argent car il faut accepter tout argent provenant de l'Etat, qui chaque année jette, de façon tout à fait absurde, des millions et même des milliards par la fenêtre. Je ne pense pas que cela témoigne d'un manque de caractère, que d'accepter de l'argent des mains de ceux que j'exècre et méprise du fond de mon être, bien au contraire. Si je n'accepte pas l'argent pour moi et pour le consacrer à un voyage, on le balancera à un nullard dont les productions calamiteuses ne font qu'empuantir l'atmosphère... 

Ces petits tableaux de la société littéraire sont aussi prétextes pour Thomas Bernhard à parler d'autre chose: de sa tante - avec ses quatre-vingt-un ans, resplandissante, élégante, intelligente - et de son grand-père, avec une évocation très émouvante des retrouvailles avec son professeur de l'Ecole de Commerce, ou avec Monsieur Haidenthaler, un proche de sa famille qui peu après leur rencontre décéda d'un cancer. Enfin, dans son discours à Brême, on retrouve toute la verve qui émane de ses grands textes: Tout est clair, d'une clarté de plus en plus haute et de plus en plus profonde, et tout sera froid, d'un froid de plus en plus effroyable. Nous aurons à l'avenir la sensation d'un jour toujours plus clair et toujours plus froid.

Pour en finir avec les prix littéraires, signalons tout de même - pour l'ensemble de son oeuvre - Le Grand Prix de la Francophonie de l'Académie Française, decerné à l'écrivain, poète et traducteur marocain Abdellatif Laâbi! Cette parenthèse fermée, lisez vite Thomas Bernhard: une bouffée d'air pur qui fait le plus grand bien...

Thomas Bernhard, Mes prix littéraires (coll. Folio/Gallimard, 2011)

00:31 Écrit par Claude Amstutz dans Abdellatif Laâbi, Bloc-Notes, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

05/10/2011

Le poème de la semaine

Thierry Renard

La vie n'est pas la même pour tous
La vie n'est pas un long fleuve tranquille
La vie n'est pas toujours une partie
de jambes en l'air ou de plaisir
La vie est malheureuse parfois
ou simplement
pas très heureuse
La vie fatigue les vivants
La vie est un chemin parsemé d'embûches
La vie pourtant nous tient très à coeur
et on n'apprécie pas qu'on nous l'enlève
La vie est aussi une voie rapide
un train à grande vitesse
un disque dur
le centre du monde existant
La vie est un noyau de pêche ou de cerise
elle nous réserve de bonnes surprises
lorsqu'elle se laisse aller
et qu'on la retrouve quelque part
abandonnée
La vie est une petite joie une petite mort
elle est puissante elle est massive
ou bien un peu légère un peu fragile
et sans véritable but
La vie c'est un aller simple
un détour une pause
une rivière sans retour
mais c'est un miracle la vie
quand elle se perd à nos côtés
quand elle transfigure la réalité
quand elle bouge les lignes
quand elle franchit le mur du son
et quand elle reste étendue
la nuit venue
sous la voie lactée
 
C'est un miracle la vie quand elle chante
ou qu'elle nous parle tout bas
quand elle sautille d'un pas content
quand elle transpire en plein été
quand elle saisit la balle au bond
C'est un miracle la vie quand
elle nous embrasse nous étreint
quand elle nous retient dans ses bras
La vie dans sa grande nudité
et l'on voudrait ne jamais mourir
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:11 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/10/2011

Michael Connelly

9782020860918.gifMichael Connelly, Echo park (Seuil, 2007)

 

C'est devenu une obsession : tous les six mois, Bosch ressort le dossier Gesto. En treize ans d'enquête, il n'a rien pu trouver : ni indice, ni suspect, pas même le corps de la jeune victime. Un jour enfin le coupable passe aux aveux, mais Bosch se méfie : pour lui, l'homme n'est rien d'autre qu'un imposteur talentueux doublé d'un bouc émissaire idéal. Une dernière fois, Bosch reprend l'enquête...

 

Bosch est de retour, face à un serial killer qui est prêt à avouer les meurtres de personnes disparues – dont un, treize ans auparavant, non résolu par H.B. – à la seule condition que sa condamnation à mort soit convertie en peine de prison à vie. Mais qui est-il ? Un manipulateur ? Un mythomane ? Une plongée vertigineuse dans l’enfer de l’âme humaine pour un Connelly particulièrement réussi.

 

également en format de poche (coll. Points/Seuil, 2008)

06:35 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

02/10/2011

Marco Lodoli

Bloc-Notes, 2 octobre / Les Saules

littérature; roman; conte; livres

Il est bien triste que Marco Lodoli, l'une des plumes les plus atypiques et originales d'Italie, demeure si peu connu dans les pays francophones. Pourtant cet écrivain, avant la parution de Les prétendants, a déjà été traduit à sept reprises: Chronique d'un siècle qui s'enfuit (P.O.L., 1987), Le clocher brun (P.O.L., 1991), Les fainéants (P.O.L., 1992), Courir mourir (P.O.L., 1994), Boccacce (L'Arbre vengeur, 2007), Snack-Bar Budapest (Les Allusifs, 2010), sans oublier le merveilleux Iles - Guide vagabond de Rome (La Fosse aux Ours, 2009) déjà évoqué dans ces colonnes. 

Les prétendants rassemble trois courts romans dont les histoires, fort différentes les unes des autres, ressemblent néanmoins à un tableau de famille: La ville de Rome tout d'abord, fascinante et onirique dans La nuit, déjantée et inquiétante dans Le vent, étouffante et mortifère dans Les Fleurs. Ensuite, ces héros des temps modernes - Constantino, Luca et Tito - sont en quête d'un destin capable de les soustraire à une réalité injuste ou brutale, voire d'un lieu où être bien, heureux, en paix avec soi-même et les autres leur semble impossible. Avec une énergie sauvage et désespérée, ils veulent conjurer la mort - omniprésente dans chacun des récits - avec les pouvoirs redoutables mais fragiles qui leur sont propres: l'imagination, les songes, la compassion: Je ne sais pourquoi j'ai songé aux poissons du fleuve, combien ils doivent lutter face au courant pour ne pas être précipités dans l'eau salée de la mer. Le fleuve les entraîne sans relâche vers l'embouchure, et eux, si petits soient-ils, doivent pousser dans l'autre sens. S'ils s'assoupissent, s'ils rêvent à la paix dormante des lacs entre les montagnes, le fleuve les emporte avec lui, pont après pont, vers la mort salée. L'eau n'offre aucune prise et les poissons n'ont pas de mains pour s'agripper aux rochers, ils n'ont pas de pieds pour se camper solidement dans le sol, ni de maison avec une porte où se barricader, ils doivent nager jour et nuit à contre-courant, et pendant ce temps manger, déposer leurs oeufs et les protéger, essayer de déjouer le fleuve, les bateaux, les pêcheurs, et puis tâcher d'être heureux

Dans La nuit, Constantino est le dépositaire de messages reçus d'un homme mystérieux - puissant, riche, inquiétant - appelé le Fou, qui veut lui offrir rien de moins que le bonheur, au travers de rites de passages, tels la livraison d'étranges colis, les soins à prodiguer à un vieux cheval, l'entretien d'un jardin au coeur d'un territoire inhabité où une sirène le séduit et l'entraîne au pire: Nous pouvons comprendre les paroles des arbres en fleurs et des animaux blessés, le silence des pierres et la profondeur des sources, aimer sans avoir peur de l'ombre qui soutient la vie puis l'enveloppe, mais c'est déjà la fin. Sur le thème du paradis perdu, une fable cruelle au lyrisme profond, qui parle de la beauté, du plaisir et de la grâce, comme la traversée d'un songe qui se dissout dans l'eau qui lave la nuit sur le visage (...) comme si rien n'avait jamais été

Changement de cap avec Le vent: Luca conduit un taxi et assiste, au cours d'une nuit, à une rixe entre trois malfrats et un personnage - homme, femme, travesti? - surnommé le martien, qu'il embarque dans sa voiture tel une pantin désarticulé qui perd son sang et dont la vie semble se retirer. Il sait qu'il doit, avec l'aide de ses proches, agir vite pour le sauver. Une course à la montre pour cette histoire aux situations parfois fantasques - dignes d'une cour des miracles - s'emparant de ces protagonistes qui malgré le sentiment d'injustice ou de tristesse qui les taraude découvrent qu'ils ne sont finalement rien de plus, rien de moins que du vent sur une page.

Tito enfin, dans Les Fleurs, quitte son village pour devenir poète. Arrivé à Rome, il attend d'être reçu par le directeur d'une revue littéraire, La Tanière. Il attend avec les poésies dans sa besace, au pied de la bâtisse, longtemps, pendant plusieurs années, accompagné par deux marginaux, Aurelio et Morella: Nous étions tous les trois, nous jetions dans l'abîme d'infinies espérances, pareils aux gamins qui dans une pièce gelée inventent un feu, et qui brûlent des montagnes de désirs pour le maintenir vivant. Devenu directeur à son tour, il observe de sa fenêtre le jeune homme qui a pris sa place sur le banc et attend son tour d'être reçu.

Ces trois récits ressemblent à un théâtre de marionnettes dont d'obscurs sages tirent les ficelles: Le Fou dans La nuit, Le Directeur dans Les Fleurs, L'Ecrivain - Marco Lodoli lui-même - dans Le vent, ce dernier pratiquant une autodérision réjouissante: Au bar, j'ai lu quelques-unes de ses histoires à dormir debout, qui vont de l'avant en clopinant.

De très belles pages sur le temps qui passe, le pouvoir créateur, les fables ou l'importance de la poésie jalonnent ces textes qui s'apparentent aux contes, dont on n'a jamais dit qu'ils étaient réservés aux enfants sages: A quoi ça sert, les poésies? A maintenir en vie ce que la vie nous promet en vain. 

Davantage qu'une consolation: une promesse...

Marco Lodoli, Les prétendants: La Nuit - Le Vent - Les Fleurs (P.O.L., 2011)

29/09/2011

La citation du jour

Iouri Dombrovski

dombrovski.gif

Une porte de fer, basse et étroite, le mit à la rue. Une rue parfaitement déserte. Mais tout un côté en était occupé par la Grande Maison; des centaines de fenêtres, des rideaux aux fenêtres, et beaucoup de gens derrière les rideaux. Il s'engagea dans une allée de silence et de fraîcheur; parfumée aux aiguilles de pin et au sable surchauffé. Sur les terrains de jeux, le vent balançait des chevaux de bois, dragons aux formes tortillées, pommelés de rouge et de noir. Quelqu'un ronflait sous la tonnelle. O monde de douceur et de paix... Il trouva un banc à l'écart, s'assit, s'appuya au dossier et sentit comme des myriades de moustiques vrombir dans sa tête. Il ne me manquerait plus que de tomber malade! pensa-t-il, et il se perçut soudain mortellement las, pour la vie, peut-être.

Iouri Dombrovski, La faculté de l'inutile (Albin Michel, 1979)

00:32 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

28/09/2011

Le poème de la semaine

Claude Faux

Je marche au pas qui me convient
J'ai tout mon temps On ne m'attend
Plus et plus rien ne me retient
J'ai tout le temps d'user mon temps
 
Je marche au pas qui me convient
Je m'arrête où j'en ai envie
Je dis c'est mal je dis c'est bien
J'ai tout le temps d'user la vie
 
Ne prenez pas vos airs de juges
Ne me faites pas la leçon
Nous avons chacun nos refuges
Chacun pour soi dit la chanson
 
Chacun pour soi Pas de quoi rire
Pas de quoi non plus pleurnicher
Parlez Mais qu'avez-vous à dire
Qui n'ait été cent fois prêché
 
Dans vos bouches les mots ont l'air
De terriblement s'ennuyer
Ils fuient comme pour oublier
Qu'ils ont eu de si mauvais pères
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:15 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Imprimer |  Facebook | | |

25/09/2011

La musique sur FB

Bloc-Notes, 25 septembre / Les Saules

musique classique

Chers amis,

L'aventure continue sur La scie rêveuse avec la rubrique La musique sur Facebook, inaugurée en février 2011, fruit d'amitiés, de découvertes, d'échanges, de partages empreints de vibrations communes. Pour y accéder, rendez-vous sur la colonne de droite en page d'accueil sous catégories puis sous La musique sur Facebook, enfin en bas de page cliquez sur toutes les notes pour retrouver les 162 extraits choisis consacrés à la musique classique, dont 22 nouveaux titres ajoutés aujourd'hui. J'y mentionne l'origine, c'est-à-dire l'auteur de la publication, mais sans le nom complet ou le pseudonyme en entier, par souci de confidentialité. L'autre moyen consiste à copier le lien suivant: 

http://lasciereveuse.hautetfort.com/la-musique-sur-facebook/

De ce fait, le sous-titre de La scie rêveusebloc-notes littéraire, est devenu bloc-notes culturel, terme mieux approprié. L'horizon s'est ainsi ouvert à d'autres émotions, pourtant bien complémentaires au langage. Pour des raisons pratiques, ce domaine qui m'est aussi cher que celui de la littérature, n'apparaît pas dans les publications récentes. Si le coeur vous en dit, visitez ainsi de temps à autres La musique sur Facebook, afin d''y consulter de nouveaux extraits, probablement tous les quinze jours...

J'aimerais posséder la même capacité pour accorder les mots et mes pensées, ce qui me passe par la tête et ce que j'écris. J'aimerais réussir à écrire avec la même correspondance parfaite qui s'établit entre une note écrite et une note jouée. Tiziano Scarpa

Belle promenade musicale! 

Avec toutes mes amitiés, 

Claude

citation: Tiziano Scarpa, Stabat mater (Bourgois, 2011)

Photographie: www.ladepeche.fr

23:18 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : musique classique; facebook | |  Imprimer |  Facebook | | |

23/09/2011

In memoriam

Bloc-Notes, 23 septembre / Les Saules

littérature: essais; conférences; livres

La jeunesse de ma grand-mère paternelle semble tout juste tirée d'un roman d'Emile Zola. Issue d'un milieu modeste, elle quitta l'école à l'âge de quatorze ans, pour apporter sa contribution financière à la famille. A son père, plutôt, un pilier de bistrots qui l'attendait en fin de semaine à la sortie de sa blanchisserie, pour lui piquer ses sous. Pas d'études donc, ni d'instruction particulière sinon pratique, comme pour bon nombre de femmes de son époque. Je l'ai toujours connue penchée sur France Dimanche, Ici Paris, Le Détective ou La Feuille d'Avis de Lausanne - devenu par la suite 24 Heures - qui occupaient ses après-midis quand elle nous rejoignait cinq ou six fois par an, pour une quinzaine de jours. Ou plongée dans les romans à l'eau de rose, signés Delly ou Max Du Veuzit que je lui offrais à son anniversaire et à Noël. Une manière comme une autre de réhabiliter cette notion de bonheur qui lui avait été refusée. Un événement pourtant allait chambouler ses habitudes: Une émission TV - en noir et blanc, dans les années 60/70 - intitulée Préfaces, magazine culturel d'une quarantaine de minutes produit par la Télévision Suisse Romande, en collaboration avec l'ORTF, présentée par Albert Zbinden et Guy Dumur, réalisée par Maurice Huelin.

Préfaces consacra en première partie de l'émission des dossiers passionnants à Jean Cocteau, Marcel Jouhandeau, Michel Simon, Joseph Kessel, Henry de Montherlant, Françoise Sagan ou Ivo Andric - pour n'en citer que quelques-uns - avant de cèder la place, dans un salon où l'on n'entendait pas même bourdonner une mouche, à Henri Guillemin et ses rendez-vous littéraires. Ce catholique engagé, professeur au Caire puis à Bordeaux avant la guerre de 39-45, fuyant la France en 1942 pour s'établir en Suisse - à Neuchâtel - devint pour la petite histoire attaché culturel à l'ambassade de France jusqu'à sa retraite, en 1962. Boudé par les intellectuels français pour sa vision anticonformiste et passionnée, il n'accèda jamais à ce vieux rêve: devenir professeur à La Sorbonne.

Ma grand-mère donc - pour laquelle j'ai toujours éprouvé une immense tendresse - malgré ses études embryonnaires, était vive, intelligente, curieuse. Elle n'a raté aucune des émissons de Henri Guillemin et était capable de résumer chacune de ses interventions - une quinzaine de minutes - avec un lumineux sourire. Je me souviens particulièrement de son évocation de Pascal - pourtant pas facile à décrypter - qui l'avait captivée. Il avait réussi là où tous - notre entourage et les autres - avaient échoué: susciter la soif d'apprendre, aiguiser la curiosité, traquer la vérité...

Une même ferveur chez ma mère, par contre impregnée de littérature et qui m'a transmis entre autres sa passion pour les auteurs russes du XIXe siècle. Préfaces fut pour elle un moment exceptionnel de télévision: elle applaudissait quand Henri Guillemin parlait d'Emile Zola, d'Alphonse de Lamartine, de François Mauriac ou de Charles Péguy avec son drapeau tricolore à la main... Elle lui a écrit plusieurs fois, fière de brandir les réponses du maître à ses interprétations ou critiques. Quant à moi, je me rappelle qu'il avait ressuscité Jules Vallès, tombé à cette époque en désuétude: au lendemain de sa présentation - j'étais alors apprenti libraire - tout le monde voulait découvrir cet illustre inconnu de la Commune, comme s'il s'agissait du dernier lauréat d'un prix littéraire! Plus tard, il m'avait entraîné sur les traces d'un auteur étonnant aujourd'hui - hélas! - oublié: Jean Sulivan, prêtre-écrivain de l'après-guerre, auteur de Car je t'aime ô Eternité et Devance tout adieu.

Avec Henri Guillemin, cela nous amusait de compter les coups. Un peu injustement - parfois, souvent - contre André Gide, par exemple ou pire encore, contre Jean-Jacques Rousseau. Cela dit, son plus grand mérite fut de populariser la littérature - au sens noble du terme - sur les ondes ou à la télévision, de l'avoir rendue accessible hors de la sphère privilégiée des universitaires, avec une élocution et une force de conviction qui n'ont jamais été égalées depuis, pas même par Alain Decaux ou plus tard Bernard Pivot.

Bien sûr qu'il peut lui être reproché d'avoir pris des libertés avec l'histoire, d'avoir été fasciné ou au contraire indigné par certains écrivains et hommes politiques, mais en revanche, sceptique devant les modèles préfabriqués, il aimait chercher ce qui se cache derrière les choses et cela incitait son auditoire à dépasser avec lui les apparences, les lieux-dits, fut-ce dans une autre direction que la sienne, au coeur de l'homme, loin des abstractions.

Parmi une riche bibliographie, il vaut la peine de lire A vrai dire (1956), L'énigme Esterhazy (1962), L'homme des Mémoires d'Outre-tombe (1965), Sulivan ou la parole libératrice (1977) et Charles Péguy (1981).  

Henri Guillemin nous a quittés en 1992, à l'âge de 89 ans et je suis ému qu'en 2011, un auteur lui consacre un vibrant hommage. Il s'agit de Michel Crépu. Dans son dernier ouvrage, Le souvenir du monde - Essai sur Chateaubriand, il note: Henri Guillemin, un inquisiteur en quelque sorte amoureux de son prévenu, sa manière à lui de l'aimer, multipliant les pièces à charge dans l'espoir d'un rachat de dernière minute, fourni par l'accusé lui-même, si possible malgré lui, bien entendu. Au fond, Guillemin, si acharné en procureur des grandes gloires, ne voulait pas un casier sans tache, ce qu'il voulait c'était pouvoir pardonner. Si la littérature est la littérature, alors qu'elle le prouve. (...) Chez Guillemin, la beauté se gagne au terme d'une entreprise de démolition implacable: à la fin, on veut bien baisser la garde, à condition que la beauté, une fois n'est pas coutume, joue cartes sur table.

Merci pour lui, Michel Crépu: il le vaut bien...

Henri Guillemin, L'énigme Esterhazy (Gallimard, 1962)

Jean Sulivan, Car je t'aime ô Eternité (Gallimard, 1966)

Michel Crépu, Le souvenir du monde - Essai sur Chateaubriand (Grasset, 2011)

 Archives de la TSR: http://archives.tsr.ch/dossier-18esiecle