10/08/2011
Le poème de la semaine
Gustave Roud
Tu ne sens pas ces taches de marbre glacélà-bas derrière ton épaule.Et pourtant le dernier sillontouchait le mur des tombes, tu le sais.Mais tu vis,et ce mur aux yeux aveugles des vivants,c'est un jardin comme les autres qu'il enclôt,les vieilles roses visitées des mêmes abeilles.Elles donnent comme les autresleur miel et leur odeur.La pluie aux pierres trop lisseslave et dédore les nomsplus vite que l'oubli.Pierres toujours froides,le sang des paumes vivantesles sépare de votre secret! Quelle main de petite fille dans le brasier d'aoûtsur vous naïvement posée(l'autre pleine de roses mortes)sentira jamais la terrible source profondequi glace votre coeur? Le tondeur des buis se retourne sous le porcheet prend joie aux primevères doréespar le soleil moribond,sans vous voir grelottantes, de roses rayons vainement, grossièrement fardées,toutes blêmes de votre gel intérieur. vous êtes lourdes comme le temps,plus légères que le givre,vous êtes de grands oiseaux fermésqui épient sans trêve au-delà des sièclesl'embrasement futur de l'autre aurore,la flèche aiguë des trompettesqui les transpercera d'un cri. Vivants aveugles!Ils s'adossent à ce frisson qui monte en vousnuit et jour de l'affreuse banquise souterraineet tandis que vous tremblez contre euxcomme le rôdeur d'hiver aux portes fermées,ils rêvent de repos.Aveugles et sourds dans ce lieuoù chaque chuchotement de feuille est une parole,où les lèvres de la plus pauvre fleurcrient un sombre secret d'abîme! Ils respirent comme une innocente fuméel'odeur des rosespar le vent d'un revers d'aile rabattue;en vain l'oiseau fait scintillersur la grappe des feuillages obscursson chant d'étoile! Ils s'en vont,ils traînent dans le gravier la porte rouillée,et derrière eux,sous le baîllon de glaise glaciale,fouillés de monstrueuses racines,ceux qui ne parlent plus,de toutes les fleurs, de tous les oiseaux,de toutes les feuilles jettent,jettent au vent leurs appelscomme des graines perdues... Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:10 Écrit par Claude Amstutz dans Gustave Roud, Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
Les commentaires sont fermés.