12/07/2011
Philippe Fusaro
Philippe Fusaro, Palermo solo (La Fosse aux Ours, 2007)
L’Italie se retrouve enfin un grand écrivain … français, libraire et fils d’immigrés ! Il nous conte, dans ce court récit plein de nostalgie, de violence, de poésie aussi, l’histoire du Baron qui a dû quitter sa ville natale de Castelvetrano, parce que la mafia l’a condamné à payer sa dette de sang, au Grand Hôtel de Palerme, à deux pas du port et qu’il ne peut fuir depuis près d’un demi-siècle, sous peine de mort. A 92 ans, au cœur d’une terrible solitude consentie – il est un homme d’honneur – ses souvenirs de jeune homme remontent à la surface, fugaces, silencieux et apaisants. A découvrir.
06:46 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |
09/07/2011
Laurent Terzieff
Laurent Terzieff, Seul avec tous (coll. Livre de poche/LGF, 2011)
Exigeant, d'une insolente liberté face aux modes et aux courants de son époque, il a crée à la scène ou interprété Sophocle, Pierre Corbeille, Henrik Ibsen, Mikhaïl Boulgakov, Luigi Pirandello, Paul Claudel, Arthur Adamov, Slawomir Mrozek, Eugène O'Neill, John Arden, Edward Albee, James Saunders, Murray Schisgal parmi tant d'autres. Sur la mise en scène - à l'école de Roger Blin - il nous a laissé une très belle réflexion: Je voulais sentir le goût de l'époque et en exprimer la saveur. Participer à cette mutation constante de la vie. Me mettre à l'écoute du monde. En devenir la caisse à résonance.
Toutes ces approches sensibles au service du texte, vous pouvez les retrouver dans ce livre qui s'ouvre avec un émouvant témoignage de Fabrice Luchini et de Marie-Noëlle Tranchant, suivi d'un florilège consacré aux thèmes majeurs de sa quête existentielle. Il y évoque sa jeunesse, son parcours politique, les événements qui ont secoué sa vie - la tragédie algérienne qui l'a transpercé au plus intime, les pages bouleversantes consacrées à sa compagne Pascale de Boysson - assumant ses contradictions avec un rare souci d'honnêteté, sans renier quoi que ce soit de son parcours, comme si chacun de ces repères biographique avait laissé s'épanouir une ride supplémentaire intégrée à sa personnalité, exigeante et douce, dont nous conservons le souvenir.
A Marie-Noëlle Tranchant reviennent les derniers mots de ce discret hommage. Je reprends dans votre dernier récital poétique, Florilège, ces vers d'Aragon qui mènent si bien vers vous: Il est plus facile de mourir que d'aimer. C'est pourquoi je me donne le mal de vivre, mon amour.
Une première édition de ce livre est parue aux Presses de la Renaissance, en 2010.
00:52 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; essai; livres | | Imprimer | Facebook |
08/07/2011
Christian Bobin
Christian Bobin, Les ruines du ciel (Gallimard, 2009)
Tandis que le soleil automnal caresse ma fenêtre ouverte et dispense ses rayons bienfaisants, j’éprouve une joie infinie à lire cet artisan rigoureux, discret, d’une intégrité irréprochable, contrepoids heureux à tant de vacuité, de bruit ou de futilité, même – et surtout – en littérature ! Munissez-vous d’une feuille de papier, d’un crayon et consignez les phrases qui sauront illuminer vos prochaines journées. Je vous en partage deux pour le plaisir : Les livres sont la résidence secondaire de l’âme. Quand elle pousse les volets de papier contre le mur, une lumière entre partout dans la pièce. Quelle merveille !
également disponible en coll. de poche (Folio/Gallimard, 2011)
06:42 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; essai; livres | | Imprimer | Facebook |
07/07/2011
Pascal Quignard
Pascal Quignard, La barque silencieuse (Seuil, 2009)
Comme l’un de ses contemporains – Christian Bobin dans Les ruines du ciel, publié par Gallimard – mais avec un regard différent, l’auteur interroge les anciens, leurs traces dans l’esprit humain, leurs miroirs obscurs dans la civilisation actuelle. Même si sa réflexion trouve un sens dans une nuit parfois ténébreuse ou hostile, il s’en dégage tout de même un sentiment de liberté intérieure à laquelle répond un besoin de silence salvateur. Est libre celui qu’on ne peut contraindre. (…) Est libre l’homme qui n’est pas esclave (…). Est libre celui qui ne demande d’autorisation à personne. Est libre celui qui ne réfère à aucune instance. Tout homme est une citadelle de tyrans qu’il faut faire sauter » Chapeau, Monsieur Quignard !
également disponible en édition de poche (Folio/Gallimard, 2011)
08:01 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Pascal Quignard | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; essai; livres | | Imprimer | Facebook |
06/07/2011
Le poème de la semaine
Claudio Montale
pour Catherine P
quelques traces de craie dans le cielsont seuls signes que je laissepour tout direà qui veut jouer aux enfanteurs de lumière à toi qui n'en as cureil y a matière à rireet pour les autres à médire à huis closje les abandonne à leurs mauvais stratagèmesau creux de ta blanche haleinesoudée à la terre viergedont je viens et où je vais sans trop frémiret sans besoin de forgerd'improbables certitudes ma vigne quotidienne et nouvellemon aimantema fulgurantel'invention du présent jubile en nous Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
10:41 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
Le poème de la semaine
Gisèle Prassinos
Je veux rester dans ma nicheet ne voir personne.Je veux garder mon oset le ronger seul, à petits coups,jusqu'à en faire un chef d'oeuvre. Chaque nuit, j'y travaillerai.Je n'ai pas besoin de lumière,mes dents sont des outils complets.Si j'ai froid, je hurlerai peut-êtreet me lamenteraid'être délaissé. Au moindre bruit de pas,pour ne pas subir l'humiliationd'une main compatissantesur mon poil sensible,je ferai le mort,respirant à peine,à l'écoute du seul secoursque j'attends. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
05:41 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
05/07/2011
Ernesto Sabato
Ernesto Sabato, Héros et tombes (Coll. Points/Seuil 1996)
Alejandra embrase l'esprit, le coeur et le corps de Martin. Elle a pour ancêtres des héros de la révolution et des fous. Il est le fils d'une prostituée et d'un artiste raté. Leur amour sera fulgurant, leur destinée cruelle. A travers eux, c'est toute une vision de l'Argentine et de son histoire qui surgit: sa démesure, ses fantômes et son improbable salut... Paru autrefois sous le titre de Alejandra, ce roman est sans nul doute l’un des plus importants de la littérature argentine et mêle tous les genres : L’histoire d’un amour déchirant et éternel, la quête d’identité d’un pays, la révélation du Mal qui attire et détruit. Sa modernité n’a pas pris une seule ride et sa thématique demeure universelle. Un livre qu’on ne peut abandonner qu’à la dernière page, à regret ! Un de mes livres préférés...
06:14 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature sud-américaine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
03/07/2011
Coup de gueule
Bloc-Notes, 3 juillet / Les Saules
Emmanuel Delhomme est un libraire en colère. Patron de la librairie Livre Sterling, à deux pas lu rond-point des Champs-Elysées, il vide son sac, en proie aux difficultés financières qui s'emparent des commerçants indépendants en général - et pas seulement dans le domaine du livre -, face à une culture en pleine mutation qui le plonge, dirait-on, en plein désarroi.
Contemporain d'Emmanuel Delhomme, mais au parcours différent, dans un autre pays - la Suisse romande, au sein des librairies Payot - je peux mesurer ce qui nous sépare, mais aussi ce qui nous rapproche, à commencer par cet amour sans réserve de l'écrit, parfois d'un titre particulier - on s'attache à un livre, et il fait partie intégrante de votre vie -, instants inoubliables d'émerveillement et de reconnaissance partagés avec les clients et les proches qui font confiance à nos choix et à leur tour, en font l'éloge auprès d'autres personnes. Un vrai plaisir, pour l'auteur qui ne roule pas toujours sur l'or, lui non plus, avec ce sentiment réconfortant que notre métier n'est pas inutile. Les rencontres exceptionnelles font aussi partie de ce paysage inoubliable: Isabelle Adjani pour lui, Anouk Aimée ou Dirk Bogarde pour moi, autrefois, à Londres...
Cela n'occulte pas pour autant certaines interrogations. Il est vrai que le temps manque au livre - pour les hommes surtout: allez savoir pourquoi? - et que les femmes représentent le 80% des lecteurs actuels, une réalité incontournable qui se vérifie sur les réseaux sociaux tels Facebook où l'élan culturel, la passion de partager des choix de textes, de critiques ou de citations, connaît une fréquentation dans les mêmes proportions. Il est vrai aussi que si l'édition nous réserve autant d'heureuses surprises, les mauvaises sont en constante augmentation et tendent - si nous n'y prenons garde - à noyer les titres qui nous tiennent à coeur.
En revanche, je ne souscris pas du tout à cette mort annoncée du livre, qui depuis plus de vingt ans alimente les conversations de salons. Souvenez-vous de la période où explosa la bande dessinée, puis l'apparition des jeux vidéo qui n'inspiraient pas moins de craintes hier que les multiples chaînes de télévision ou les heures passées sur Internet aujourd'hui. Enfin, les jeunes lisent bien davantage que dans les années 70. Le livre a donc, quoiqu'on en dise, des lendemains riches de promesses...
David Servan-Schreiber, dans son émouvant On peut se dire au revoir plusieurs fois, parle des métiers ou services proposés qui contribuent au bien-être des gens, comme une pierre apportée au bonheur d'autrui. Le milieu un peu marginal de la librairie, correspond pour une bonne part à cette image, pour autant que l'on respecte son interlocuteur, qu'il désire s'instruire, se distraire, se faire peur, trouver remède à ses problèmes personnels ou se laisser surprendre. Or, dans Un libraire en colère, que de mépris et d'amertume, somme toute: Indécrottables, les hommes ne veulent plus de livres. Dans leur habitacle robotisé, ils vont décider de l'avenir du monde... Avec pour point d'orgue ce commentaire d'Emmanuel Delhomme sur le livre de Charles Dantzig Pourquoi Lire: Pour être moins con.
Et si le con, d'une certaine manière, c'était lui? Les grandes surfaces ont vu le jour, en partie grâce à cette école de librairie, imbue de son savoir et percluse de jugements sur la société. Emmanuel Delhomme avec ses airs d'outre-tombe semble convaincu que la désertification de sa librairie est due à la désaffection du livre. Il se trompe sans doute. Qu'est-ce qu'une librairie pour eux aujourd'hui? Un endroit austère, sinistre, il n'y a pas d'écran sur les murs, ça ne hurle pas dans les oreilles, et il faut pour comprendre l'objet l'ouvrir...
Les clients vont ailleurs, tout simplement, et pas seulement pour sacrifier aux modes ou tendances! Dans la jeune génération des libraires indépendants - et des autres - Dieu merci, l'approche du métier est devenue moins sacrée peut-être, mais plus humble, moins pleurnicharde, plus imaginative et conviviale. La librairie est devenue un espace où il fait bon vivre... Les temps restent durs, mais à des degrés divers, ne l'ont-ils pas toujours été?
Voilà bientôt trente ans que je suis sur la terre, et j'en ai passé dix à chercher un libraire. Pas un être vivant n'a lu mes manuscrits. (Alfred de Musset) Alfred de Musset
Emmanuel Delhomme, Un libraire en colère (L'Editeur, 2011)
19:28 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : document; témoignage; livres | | Imprimer | Facebook |
30/06/2011
Reconnaissance à Dimitri - par JLK
Vladimir Dimitrijevic, fondateur des éditions L’Age d’Homme, s’est tué sur une route de France
par Jean-Louis Kuffer
Une figure légendaire de l’édition littéraire européenne vient de disparaître en la personne de Vladimir Dimitrijevic, dont le van commercial est sorti de la route aux abords de Clamecy, dans la soirée du mardi 28 juin, percutant ensuite un autre véhicule et provoquant la mort immédiate du conducteur, seul à bord. Bien connu à Paris et dans les grandes foires du livre, de Francfort à Montréal, le directeur de L’Age d’Homme, âgé de 77 ans, avait fondé sa maison d’édition en 1966 et publié plus de 4000 titres.
Mondialement connu pour son catalogue slave, établi avec la collaboration des professeurs Georges Nivat et Jacques Catteau, L’Age d’Homme avait également redimensionné l’édition romande. À côté de l’intégrale mythique du Journal intime d’Amiel et des Œuvres complètes de Charles-Albert Cingria, réunies par Pierre-Olivier Walzer, de nombreux auteurs contemporains y ont publié leurs ouvrages aux bons soins particuliers de Claude Frochaux. En outre, les collections de cinéma, sous la direction de Freddy Buache, de théâtre, de sciences humaines ou de spiritualité, entre autres domaines, ont souvent fait référence au-delà de nos frontières.
Bien au-delà de l’aire romande, Vladimir Dimitrijevic n’eut de cesse de faire partager sa passion de jeunesse pour un titan de la littérature américaine, Thomas Wolfe. La révélation du bouleversant Vie et destin de Vassili Grossman, arrivée en Suisse sous la forme de microfilms miraculeusement sauvés, est également à son crédit. De la même façon, il alla jusqu’à hypothéquer sa maison de hauts de Lausanne afin de publier les pavés d’Alexandre Zinoviev, des Hauteurs béantes au mémorable Avenir radieux (prix Médicis 1976).
Au nombre des auteurs phares vivants défendus par Dimitri, comme tout le monde l’appelait, figurent en outre Georges Haldas au premier rang des écrivains romands, les Français Vladimir Volkoff ou Pierre Gripari, mais l’originalité de L’Age d’Homme a souvent consisté en découvertes dans les périphéries francophones de la Belgique ou du Québec.
Un personnage à la Simenon
La destinée de Vladimir Dimitrijevic, né en 1934 dans la Yougoslavie de Tito, est elle-même un fabuleux roman. Fils d’un artisan horloger-bijoutier jeté en prison en 1945, comme nombre de commerçants, le jeune Vladimir, fou de littérature et de football, fuira la conscription en 1954 pour débarquer en Suisse sous le faux nom d’un personnage de Simenon. Sous le titre d’Autobiographie d’un barbare, Dimitri a d’ailleurs raconté ses années d’enfance et de jeunesse hautes en couleurs en Macédoine puis à Belgrade, dans une série de propos recueillis par le soussigné : Personne déplacée. Arrivé en Suisse le 4 mars 1954 avec 12 dollars en poche, le jeune déserteur de l’armée du peuple devint libraire à Neuchâtel puis à Lausanne, chez Payot Bourg où son passage laisse un souvenir marquant.
Un homme de passions
Impatient de combler les vides d’un catalogue selon son cœur, Vladimir Dimitrijevic, avec quelques amis et son épouse Geneviève, fonda L’Age d’Homme en 1966 et ne tarda pas à tisser des liens avec Paris, où il se rendait régulièrement avec Algernon, sa camionnette d’éternel errant dans laquelle il serrait son sac de couchage, par mesure d’économie. Les rapports de Dimitri avec l’argent marquaient d’ailleurs une partie de sa légende, autant que ses positions idéologiques...
Orthodoxe croyant et conservateur, Vladimir Dimitrijevic passa ainsi d’un anticommunisme résolu à un nationalisme serbe qui le rapprocha, dès la fin des années 1980, de ceux-là même qui avaient persécuté son père. Devenu l’éditeur des grands romans serbes historico-politiques de Dobritsa Tchossitch, futur président de la Serbie, en relation directe avec Slobodan Milosevic et même Radovan Karadzic, dont il publia les écrits, Dimitrijevic, et son lieutenant Slobodan Despot, animèrent un Institut serbe à vocation de propagande (ou de contre-propagande, selon leur dire) qui entacha durablement la réputation de L’Age d’Homme. Cela étant, l’héritage de cet éditeur sans pareil ne saurait se réduire à de tels choix, si discutables qu’ils aient pu être.
Un être lumineux et complexe
La somme des instants où l’on sent les choses devenir sans poids et de la vie émaner un parfum constitue pour moi la preuve de la communion avec Dieu, nous disait Dimitri en 1986, lors de conversations dont il nous reste l’aura d’une présence sans pareille.
Dimitri était un homme inspiré, proprement génial par moments, qui pouvait se montrer d’une extrême délicatesse de sentiments. Ses intuitions de lecteur étaient incomparables et ses curiosités inépuisables. Mais c’était aussi un barbare, selon sa propre expression, qui ne savait pas faire le beau.
Malgré les services exceptionnels qu’il rendit à notre littérature et à notre vie culturelle, aucune reconnaissance publique ne lui a été manifestée. Or il ne s’en plaignait pas, n’ayant rien fait pour flatter. L’opprobre s’accentuant après ses prises de positions de patriote serbe, il sembla même s’en accommoder.
En son antre du Métropole, à Lausanne, nous l’avons connu irradiant et fraternel, puis il s’est assombri. Les lendemains de la guerre en ex-Yougoslavie, la difficulté de survivre dans cet empire du simulacre qu’il fut des premiers à stigmatiser, la perte de l’être lumineux qui avait partagé tant d’années, l’obligation récente de quitter sa tanière tapissée d’icônes, le poids du monde, enfin, ont accentué la part d’ombre de cette personnalité à la Dostoïevski. Une personnalité complexe et parfois insaisissable, croyant jusqu’au fanatisme, tantôt avenant et tantôt impossible, terroriste ou bouleversant de douceur retrouvée.
Un jour que Bernard Pivot, l’accueillant à Apostrophes, lui demandait ce qu’il espérait voir par-delà la mort, Dimitri le mystique lui répondit, devant le public médusé: la face de Dieu.
«Ses» milliers de livres, sur nos murs, en sont comme le reflet, par-delà les eaux sombres de sa mort tragique.
Claude FrochauxÉcrivain et éditeur à L’Age d’HommeJe connaissais Dimitri depuis cinquante ans. J’ai travaillé à ses côtés trente ans durant, de 1968 à 2001. Notre rencontre, fulgurante, fut celle de deux libraires. Mais immédiatement, nous avons pensé édition. Ensuite, avec son immense personnalité un brin écrasante, il a imposé une vision large qui manquait chez nous. Elle était fondée sur son amour de la littérature. Ce fut un passeur d’exception. Il m’a ouvert au monde. Son rayonnement dépasse de loin nos frontières.
Freddy BuacheFondateur de la cinémathèque suisse et directeur de collectionJe suis triste à en crever. C’est le seul type au monde pour lequel, sans partager toutes ses idées, j’aurais pu faire n’importe quoi! La mort de Dimitri me frappe au cœur. Pas à cause de ses qualités intellectuelles ou de son talent d’éditeur, insurpassable. Mais il avait des intuitions et des observations qui relevaient de l’ordre de la sensation et de la perception du monde. Tout cela faisait qu’il ne ressemblait à nul autre, ici et maintenant.
Patrick BessonÉcrivainSa mort me cause une grande peine. C’est un des très grands éditeurs européens. L’équivalent slave de Maurice Nadeau. Il a connu deux positions successives et opposées. Après avoir été le chouchou des anticommunistes lorsqu’il publiait des dissidents, il est devenu un paria pour ses positions proserbes pendant la guerre civile yougoslave. Ce dont je veux me souvenir, c’est d’abord qu’il fut un ami, un très grand lecteur et un extraordinaire éditeur.
Pascal BacquéPoète, auteur de L'Age d'HommeQu’on me pardonne d’avance : j’ai envie d’écrire ce petit mot comme pour conjurer, pour retenir les commentaires qui ne tarderont pas de tourner leur ronde de nuit autour de la dépouille de Vladimir Dimitrijevic. Dimitri, que je connais depuis quelques années, était mon éditeur ; ce mot, comme tous les mots, est saisi dans la signification qu’on lui donne dans la tribu, où elle n’est jamais très pure, vous savez bien. Editeur, aujourd’hui, cela veut dire : il faut un peu retravailler votre écriture; vous allez bien, en ce moment ? Quand on en est là, on est au sommet. Sinon, cela veut dire : Il faut penser à la demande du public, vous comprenez ?
Editeur, aujourd’hui, est un autre mot pour normalisateur, équarisseur, marchand de soupe et non-lecteur.
Tout le monde savait, chez les éditeurs, que Dimitri lisait mieux que l’immense majorité de ses confrères ; tout le monde savait que, dans son esprit, les livres signifiaient quelque chose qui n’était pas l’objet fétiche de quelques précieuses germanopratines, ni le tube de dentifrice de la civilisation en mal d’écroulement. Dimitri, hanté par l’écroulement, désespéré par le crime commis, toujours davantage, contre l’humain, regardait les livres avec un cœur et un esprit brûlant – peu d’écrivains méritent, il faut bien le dire, qu’on les prenne avec autant de sérieux que celui qu’il accordait à leur livre.
On ne manquera pas, aujourd’hui, dans les colonnes de Libération, du Monde et de toutes les grandes institutions majoritaires, c’est-à-dire, très exactement, du camp adverse de Dimitri qui était profondément minoritaire, de saluer le très grand éditeur, tout en soulignant l’engagement serbe, et, partant, le caractère sulfureux du grand homme. De cette histoire serbe, je vais parler après. Mais quant au concert de louanges, il ne faut jamais oublier que nous vivons en Egypte, je parle de l’Egypte ancienne. Nous vivons dans la civilisation de la mort. Un homme existe s’il est mort, dans la culture, dans celle qu’on conserve pieusement, puisque celle qui vit, on a déjà réussi à la dématérialiser, à la ramener à son concept; Dimitri, donc, a désormais de fortes chances d’exister dans la culture.
Cet homme, avec qui j’ai parlé en juif quand il parlait, absolument parlant, en chrétien - cet homme qui a eu le courage de publier mon poème furieusement antichrétien, cela tout de même en dit long sur la largeur de vue du bonhomme - ne regardait qu’une chose, nos conversations étaient faites de cela : faut-il encore espérer, quand on veut coûte que coûte assurer le triomphe de la foule, d’une foule qui préfère se noyer dans son angoisse d’être foule, de n’être rien, d’être morte, plutôt que d’affronter la terreur de vivre ?
Dimitri, je crois bien, répondait non. Je crois que Dimitri désespérait. Dimitri était vieux, Dimitri avait perdu son épouse ; Dimitri avait subi l’ostracisme de tous les médiocres, qui le jalousaient, en France et en Suisse, et qui trouvaient dans ses maladresses serbes l’occasion du coup de grâce. La maladresse serbe de Dimitri, c’était celle qu’on rêvait d’un criminel, d’un Milosevic, alors que c’était celle d’un homme, traumatisé par le Nazisme et par le Communisme, et qui voyait dans son pays, la Serbie, un rempart contre l’empire – dans l’histoire plus ancienne, Serbe signifiait non austro-hongrois ; plus tard, pendant la guerre, Serbe avait signifié non-croate, et non-bosniaque ; et il faut dire que croate et bosniaque avait signifié, infiniment plus que le signifiant serbe, barbare et criminel, massacreur de juifs, pour parler franc. Bref, Dimitri se disait que la Serbie était un rempart pour sa foi, pour son désir d’humain. Il se trompait, Dimitri ? Ptêt ben qu’oui ; et, s’il y a encore des happy few, eux sauront compléter : et alors ?
Il y avait aussi de vilains fachos, ou cyniques, qui avaient tourné autour de lui ? Vous savez quoi : je m’en contrefous. Les médiocres, même vilains fachos et cyniques, ont pour métier de tourner autour de ceux qui vivent ; c’est leur substance, c’est leur définition. Donc que Dimitri, qui fut serbe au nom de ce qu’il voyait de plus beau dans ce mot, de plus haut dans son propre Christianisme, qu’il fût pris au piège du nationalisme laid d’autres serbes, cela est bien possible. Si un grand comme Hölderlin a chanté la Germanie, et s’il a fini dans les paquetages des SS, faut-il en conclure, avec cette distance si confortable que vous offre la doxa, à sa très-grande faute ?
C’est beaucoup plus simple : Dimitri prenait la vie au sérieux, et c’est parce qu’il prenait la vie au sérieux, et qu’il n’y a de sérieux que dans l’esprit, qu’il prenait la littérature très au sérieux. Il n’était un de ces affreux prêtres de Pharaon, experts en sortilèges, experts en culture, qui a dégénéré, aujourd’hui, en tendance. Dimitri était sérieux devant son assiette, devant ses cartons de livres qu’il trimbalait de Lausanne à Clamecy et à Paris, et qui auront eu raison de lui. Dimitri était sérieux devant la beauté des mots et des phrases. Amis journalistes, vous qui avez vécu l’outrage, vous qu’on a formés pour ne jamais prendre au sérieux les mots et les phrases, si jamais vous écoutiez ces propos d’un anonyme prononcés dans le désert, cela ne mériterait-il pas que vous vous absteniez, un bref instant, de jacasser ?
Il n’est qu’une tâche, pour ceux qui ont aimé et compris un peu Dimitri, et pour ceux qui admirent son travail : de le contredire, dans son désespoir, et de le confirmer, dans son travail. Non, Dimitri, jamais il n’est lieu de désespérer, et vous, qui n’avez jamais cessé de travailler pour l’esprit, vous devez savoir que vous n’avez pas agi en vain, et que la vie de l’esprit, même offensée, même traînée dans la boue du lieu commun, de la culture et de la complaisance, se continue, obscure et petite, à l’âge des empires d’argent, et des foules assombries par leur propre défaite ; et parce qu’il n’y a que l’esprit qui soit immortel, c’est l’esprit qui triomphera ; non, Dimitri, vous n’avez pas travaillé en vain ; vous fîtes erreur, comme tout homme, mais comme les rares hommes vivants, vous avez donné à votre erreur la forme d’une demande, furieuse, brûlante, de vie, et qui demande la vie est toujours exaucé.
Vladimir Dimitrijevic. Personne déplacée (coll. Poche Suisse/L’Age d’Homme, 2010)
article paru dans les quotidiens suisses La Tribune de Genève et 24 Heures
retrouvez les chroniques de Jean-Louis Kuffer sur: http://carnetsdejlk.hautetfort.com/
20:03 Écrit par Claude Amstutz dans Charles-Albert Cingria, Documents et témoignages, Jean-Louis Kuffer, Le monde comme il va, Littérature étrangère, Littérature francophone, Littérature suisse, Vladimir Dimitrijevic | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : chronique; livres | | Imprimer | Facebook |
29/06/2011
Le poème de la semaine
Charles-Ferdinand Ramuz
Viens te mettre à côté de moi sur le banc devant la maison, femme, c'est bien ton droit;il va y avoir quarante ans qu'on est ensemble.Ce soir, et puisqu'il fait si beau,et c'est ausssi le soir de notre vie: tu as bien mérité, vois-tu, un petit moment de repos.
Voilà que les enfants à cette heure sont casés,ils s'en sont allés par le monde; et, de nouveau, on n'est rien que les deux, comme on a commencé.
Femme, tu te souviens ?On avait rien pour commencer, tout était à faire.Et on s'y est mis, mais c'est dur.Il faut du courage, et de la persévérance.
Il faut de l'amour,et l'amour n'est pas ce qu'on croitquand on commence.
Ce n'est pas seulement ces baisers qu'on échange,ces petits mots qu'on se glisse à l'oreille,ou bien de se tenir serrés l'un contre l'autre;le temps de la vie est long, le jour des noces n'est qu'un jour; c'est ensuite, tu te rappelles,c'est seulement ensuite qu'a commencé la vie.
Il faut faire, c'est défait;il faut refaire et c'est défait encore.
Les enfants viennent;il faut les nourrir, les habiller, les élever: ça n'en finit plus;il arrive aussi qu'ils soient malades;tu étais debout toute la nuit;moi, je travaillais du matin au soir.
Il y a des fois qu'on désespère; et les années se suivent et on n'avance paset il semble qu'on revient en arrière.Tu te souviens, femme, ou quoi ?
Tous ces soucis, tous ces tracas; seulement tu as été là.On est restés fidèles l'un à l'autre.Et ainsi j'ai pu m'appuyer sur toi, et toi tu t'appuyais sur moi.
On a eu la chance d'être ensemble,on s'est mis tous les deux à la tâche,on a duré, on a tenu le coup.
Le vrai amour n'est pas ce qu'on croit.Le vrai amour n'est pas d'un jour, mais de toujours.C'est de s'aider, de se comprendre.
Et, peu à peu, on voit que tout s'arrange.Les enfants sont devenus grands, ils ont bien tourné.On leur avait donné l'exemple.
On a consolidé les assises de la maison.Que toutes les maisons du pays soient solides,et le pays sera solide, lui aussi.
C'est pourquoi, mets-toi à côté de moi et puis regarde,car c'est le temps de la récolte et le temps des engrangements;quand il fait rose comme ce soir,et une poussière rose monte partout entre les arbres.
Mets-toi tout contre moi, on ne parlera pas:on n'a plus besoin de rien se dire;on n'a besoin que d'être ensemble encore une fois,et de laisser venir la nuitdans le contentement de la tâche accomplie. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
01:08 Écrit par Claude Amstutz dans Charles Ferdinand Ramuz, Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |