27/09/2014
Morceaux choisis - Yehuda Amichaï
Yehuda Amichaï
Et après tout ça - la pluie.Alors que nous savions déjà lire le livre du séjour et le livre des adieux,alors que nos cheveuxconnaissaient déjà tous les ventset que nos heures douces, libres,couraient, domptées,autour de l'arène du temps. Après tout ça - la pluie.Une grande mer saléeest venue à nous, balbutianten gouttes douces et lourdes. Et après tout ça - la pluie.Regarde: comme ellenous sommes déversés ensemblesur celle qui nous accueilleet ne se souvient pas,la terre printanière.
Yehuda Amichaï, Perdu dans la grâce - Poèmes choisis (Gallimard, 2006)
traduit de l'hébreu par Emmanuel Moses
image: http://travel.pboog.com
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25/09/2014
Morceaux choisis - Nathan Katz
Nathan Katz
Et quand nous serons mortsnous revivrons peut-êtredans tout ce qui est beau. Nous serons peut-êtrela vie qui monte dans le jeune blédans cette immense multitudede petites poussesqui germent au loin par les champs. Nous serons peut-êtrela force du vent qui va par les boisen courbant les chênesou les simples et saines fleursde quelque jardin paysan. Nous revivrons peut-êtredans tout ce qui est beaudans tout ce qui vit.
Nathan Katz, Nous revivrons peut-être, dans: Sundgäu (Arfuyen, 1987)
traduit par Jean-Paul de Dadelsen, Guillevic et Nathan Katz
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18/09/2014
Morceaux choisis - Jean-Baptiste Pedini
Jean-Baptiste Pedini
Ce soir les rires roulent sur la plage. On les entend tomber des gorges avant de s'évanouir. Ils ne ressortent pas mais leur écho traîne encore quelques secondes. Quelques secondes bien mûres pendant lesquelles la légèreté se répand sur les doigts. Quelques secondes trop juteuses. Quelques secondes que l'on dévore comme de petits matins sucrés. Et frais. Délicieusement fragiles.
La nuit est claire. Le feu crépite. La fumée nous pique les yeux. On est repu.
*
Enlever les chaussures et goûter à la fraîcheur du sable. A l'apaisement. A la rudesse. Escalader les dunes pour voir ce qui se prépare derrière. Le sel dans la bouche. L'écume invisible. Le ciel qui s'écroule dans une eau bleue et noire. Grimper pour en finir avec l'envie et le regret. Avec cette nostalgie qui se mêle à la corne. Laisse des traces infimes. Les morts et les vivants. La callosité de l'enfance. Les petits corps qui coulent dans un même regard.
Sacrifier la tempête. Poser une joue sur le sable. Sourire. Et dévaler la pente, lentement, jusqu'à demain.
*
Le soleil brille. Les rayons traversent la ville comme des rouleaux compresseurs. Ils sont lourds et opaques et quand ils happent les passants on ne voit plus rien après. Certains s'empressent de disparaître au hasard d'une rue. D'autres dégainent une ombrelle. Peut-être pensent-ils sincèrement repousser la chaleur. Lui barrer le chemin avec quelques grammes de toile. Pourtant même les nuages semblent avoir disparu. Le ciel est vide et la touffeur enserre l'été. On souhaite que cet instant ne finisse pas.
Jean-Baptiste Pedini, Passant l'été (Cheyne, 2012)
image: Edward Hopper, Sun on Prospect Street (wikiart.org)
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13/09/2014
Morceaux choisis - Yasmina Khadra
Yasmina Khadra
La vie est faite de hauts et de bas, et personne ne saurait en situer le juste milieu. Le malheur qui nous frappe ne prémédite pas son coup. Comme la foudre il nous tombe dessus, comme la foudre il se retire, sans s'attarder sur les drames qu'il nous inflige et sans les soupçonner. Si tu veux pleurer, pleure; si tu veux espérer, prie; mais de grâce, ne cherche pas de coupable là où tu ne trouves pas de sens à ta douleur.
Yasmina Khadra, Ce que le jour doit à la nuit (Pocket, 2009)
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07/09/2014
Morceaux choisis - Frédéric Lenoir
Frédéric Lenoir
Il existe des antidotes au poison du découragement et de la passivité qu'il entraîne. Il convient d'abord d'avoir à l'esprit que le monde que nous voyons à travers les médias n'est pas le monde réel, mais un spectacle du monde, quotidiennement mis en scène par les médias selon une partition limitée à la litanie des mauvaises nouvelles. A moins de vivre dans les pires des ghettos de misère et de non-droit, on peut voir autour de soi que la violence n'est pas omniprésente, qu'il existe plein de gens heureux, positifs, que l'amour, la famille, l'amitié sont des valeurs encore puissantes, que la solidarité s'exprime de mille et une manières.
A force de ne regarder que des informations déprimantes à la télévision ou sur le Net, on finit en effet par être déprimé. Sans ignorer les mauvaises nouvelles, regardons aussi et plus encore des programmes positifs, constatons autour de nous que nombre de gens, même placés dans des situations parfois difficiles, manifestent de grandes qualités de coeur et restent attachés à des valeurs fondamentales comme le respect, la justice, le partage. Cette attitude positive ne conduit nullement à nier les problèmes, mais permet de les relativiser et de sortir du découragement et de l'attitude passive qu'ils provoquent. Elle nous redonne confiance pour nous battre, nous impliquer, nous engager. Pour être des acteurs de la guérison du monde.
Il ne s'agit pas de remettre en cause les acquis sociaux de la modernité, mais d'apprendre à les gérer avec une maturité nouvelle. En d'autres termes, il va nous falloir désormais apprendre à conjuguer responsabilité individuelle (je suis capable de me prendre en main) et responsabilité collective (je peux aussi compter sur les autres et je les aide à mon tour). Cette équation n'est pas impossible, et nombreux sont ceux qui la mettent déjà en oeuvre au quotidien. C'est le cas lorsque nous militons dans une association humanitaire, achetons des produits issus de l'agriculture biologique ou du commerce équitable, aidons une personne âgée à traverser la rue ou laissons notre place à une femme enceinte dans un bus, éteignons les lumières inutiles, veillons à fermer les robinets d'eau, utilisons moins nos voitures, ramassons les restes après un pique-nique en pleine nature, non par obligation, mais par solidarité, pour le bien commun. Une telle logique n'implique pas un désengagement de l'Etat, au contraire: plus responsables, nous pouvons d'autant mieux demander des comptes à nos dirigeants, leur réclamer d'infléchir leur politique dans un sens plus écologique, plus éthique, plus solidaire, moins soumis aux lois aveugles du marché.
Frédéric Lenoir, L'aube d'une renaissance, dans: La guérison du monde (coll. Livre de Poche/LGF, 2014)
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02/09/2014
Morceaux choisis - Colette
Colette
Je te désirerai tour à tour comme le fruit suspendu, comme l'eau lointaine, et comme la petite maison bienheureuse que je frôle... Je laisse, à chaque lieu de mes désirs errants, mille et mille ombres à ma ressemblance, effeuillées de moi, celle-ci sur la pierre chaude et bleue des combes de mon pays, celle-là au creux moite d'un vallon sans soleil, et cette autre qui suit l'oiseau, la voile, le vent et la vague. Tu gardes la plus tenace: une ombre nue, onduleuse, que le plaisir agite comme une herbe dans le ruisseau... Mais le temps la dissoudra comme les autres, et tu ne sauras plus rien de moi, jusqu'au jour où mes pas s'arrêteront et où s'envolera de moi une dernière petite ombre... qui sait où?
Colette, La vagabonde (coll. Livre de poche/LGF, 1994)
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31/08/2014
Morceaux choisis - Dino Buzzati
Dino Buzzati
Dès que j'arrivai à Paris - c'était pour moi la première fois - je filai directement au théâtre La Bruyère, ou l'on s'apprêtait à mettre en scène une de mes pièces. Au théâtre, désert à cette heure-là, assis dans le fond du parterre, m'attendaient Camus, qui avait écrit l'adaptation, le metteur en scène Georges Vitaly et un journaliste de la radio. Le visage de Camus n'était pas, Dieu soit loué, celui d'un intellectuel puant, c'était plutôt celui d'un sportif: le visage d'un homme du peuple, franc, solide, affichant une ironie débonnaire, une tête de garagiste, ai-je entendu quelqu'un dire, et c'était bien trouvé. Lorsqu'il se mit à parler, je pus constater, avec un extrême soulagement, que l'intérieur était identique à l'extérieur. Quel enfer pour moi, s'il n'en avait pas été ainsi!
Après s'être débarrassé du journaliste infernal envoyé par la radio, Camus nous amena, Vitaly et moi, manger dans un petit restaurant tout proche; tout se passa comme s'il me connaissait depuis des années, comme s'il trouvait ma maladresse tout à fait naturelle. Plus encore: quoiqu'il fût plus jeune que moi, il se comportait avec moi comme un grand frère, attentif à ce que tout me paraisse simple et familier. A vrai dire, nous mangeâmes très mal, mais à la fin du repas, grâce à l'intelligence de Camus, je me sentais un peu moins lamentable.
Il ne s'étonnait même pas que je vienne à Paris pour la première fois. Demain, je passerai vous prendre, et je vous ferai faire un tour de la ville, me dit-il. Dans quel hôtel êtes-vous? Deux heures et demie, cela vous va? Il vint me chercher à l'hôtel. Ce jour-là, il faisait un froid de canard et il soufflait un vent glacial. Mais lui, il se promenait sans chapeau et il n'avait même pas boutonné son manteau.
Il se montra d'une bonté, d'une compréhension, d'une délicatesse qui valaient bien un de ses livres. C'était simplement un jeune, et non pas l'un des plus brillants cerveaux de l'intelligentsia mondiale. Il eut pour moi la compassion d'un grand seigneur. Lorsque je tentai, je ne me souviens plus à quel propos, une allusion à son roman, L'étranger, il coupa court avec une extrême élégance en me montrant une maison où avait vécu un homme célèbre, je ne me rappelle plus lequel.
Le soir de la première, il fut aussi émouvant tant il fut humain et courtois. Il me traitait comme un collègue, et nullement comme un débile mental; et je lui en serai éternellement reconnaissant. A une certaine heure, quand les gens importants et les critiques eurent pris congé, seuls restèrent les acteurs, quelques jeunes gens et quelques gracieuses jeunes filles. On mit de la musique pour danser. Camus ne resta pas une seconde en place. Il enchaîna les danses les unes après les autres, avec l'enthousiasme d'un gamin de vingt ans. La philosophie? Le drame des communautés modernes? Notre éternelle condamnation à la solitude? Ce soir-là, au moins, Camus fut heureux d'être au monde. Il portait un costume bleu.
Dino Buzzati, Camus - Un homme très simple / extrait, dans: Chroniques terrestres (Laffont, 2014)
image 1: Albert Camus (voiceseducation.org)
image 2: Dino Buzzati (lefigaro.fr)
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24/08/2014
Morceaux choisis- Ivan Tourgueniev
Ivan Tourgueniev
Sa beauté et sa vivacité constituaient un curieux mélange de malice et d’insouciance, d’artifice et d’ingénuité, de calme et d’agitation. Le moindre de ses gestes, ses paroles les plus insignifiantes dispensaient une grâce charmante et douce, alliée à une force originale et enjouée. Son visage changeant trahissait presque en même temps l’ironie, la gravité et la passion. Les sentiments les plus divers, aussi rapides et légers que l’ombre des nuages par un jour de soleil et de vent, passaient sans cesse dans ses yeux et sur ses lèvres.
Ivan Tourgueniev, Premier amour (coll. GF/Flammarion, 1993)
image: Albert Lynch, Portrait of an elegant Lady (commons.wikimedia.org)
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22/08/2014
Morceaux choisis - Issa Makhlouf
Issa Makhlouf
Nous partons pour nous éloigner du lieu que nous avons vu naître et voir l'autre versant du matin. Nous partons à la recherche de nos naissances improbables. Pour compléter nos alphabets. Pour charger l'adieu de promesses. Pour aller plus loin que l'horizon, déchirant nos destins, éparpillant leurs pages avant de tomber, quelquefois, sur notre propre histoire dans d'autres livres.
Nous partons vers des destinées inconnues. Pour dire à ceux que nous avons croisés que nous reviendrons et que nous referons connaissance. Nous partons pour apprendre la langue des arbres qui, eux, ne partent guère. Pour lustrer le tintement des cloches dans les vallées saintes. A la recherche de dieux plus miséricordieux. Pour retirer aux étrangers le masque de l'exil. Pour confier aux passants que nous sommes, nous aussi, des passants, et que notre séjour est éphémère dans la mémoire et dans l'oubli. Loin des mères qui allument les cierges et réduisent la couche du temps à chaque fois qu'elles lèvent les mains vers le ciel.
Nous partons pour ne pas voir vieillir nos parents et ne pas lire leurs jours sur leur visage. Nous partons dans la distraction de vies gaspillées d'avance. Nous partons pour annoncer à ceux que nous aimons que nous aimons toujous, que notre émerveillement est plus fort que la distance et que les exils sont aussi doux et frais que les patries. Nous partons pour que, de retour chez nous un jour, nous nous rendions compte que nous sommes des exilés de nature, partout où nous sommes.
Nous partons pour abolir la nuance entre air et air, eau et eau, ciel et enfer. Riant du temps, nous contemplons désormais l'immensité. Devant nous, comme des enfants dissipés, les vagues sautillent pendant que la mer file entre deux bateaux. L'un en partance, l'autre en papier dans la main d'un petit.
Nous partons comme les clowns qui s'en vont de village en village, emmenant les animaux qui donnent aux enfants leur première leçon d'ennui. Nous partons pour tromper la mort, la laissant nous poursuivre de lieu en lieu. Et nous continuerons ainsi jusqu'à nous perdre, jusqu'à ne plus nous retrouver nous-mêmes là où nous allons, afin que jamais personne ne nous retrouve.
Issa Makhlouf, dans: "Les poètes de la Méditerranée - Anthologie" (coll. Poésie/Gallimard, 2010)
image: projets.la-guilde.org
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18/08/2014
Morceaux choisis - René Depestre
René Depestre
Lente, gloire lente, femme lente,Lente, tu es lente,À l’heure somptueuse du corps.Tu es le temps qui consoleTu es le sablier de la douceurTon corps mesure en moi la force des maréesTon corps indique le temps infiniEncore un instant de bonheur!Encore l’oubli, encore une victoire glorieuse sur la mort!Encore toi, encore ta haute vague!Encore ta jeunesse qui brûle!Encore ta gloire, encore ton délire!Lente, gloire lente, femme lente,Tes cheveux, tes cuisses, tes os,Ton enfance, tes poupées, ta joiePénètrent jusque dans mes os.Lente, gloire lente, femme lenteTes caresses me suivront jusque dans la poussière!René Depestre, Le temps de Nelly Compano, dans: Rage de vivre - Oeuvres poétiques complètes (Seghers, 2007)
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