05/01/2015
Morceaux choisis - Yannis Ritsos
Yannis Ritsos
Heures d'oubli involontaire ou délibéré.Lassitude.Fermer les yeux. Qu'avons-nous gagné tant de siècles durantà fouiller dans la nuit sombre,sans dormir,la moindre lueur, distinguant à peine une fenêtre en miniaturesur les verres de lunettesde l'enfant myope- une fenêtre soi-disant ouverte sur le miracle du monde. Qui cherchais-tu à tromper?Pas toi-même, en tous cas.Ferme les yeux.
Yannis Ritsos, Egarements, dans: Tard, bien tard dans la nuit / édition bilingue (Le Temps des Cerises, 2014)
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03/01/2015
Morceaux choisis - Georges Séféris
Georges Séféris
Elle tremblait tant que le vent la pritElle tremblait tant comment le vent ne l’aurait-il priseLà-bas au loinUne merLà-bas au loinUne île dans le soleilEt les mains serrant les ramesMourant à l’heure où apparut le portEt les yeux closDans les anémones marines. Elle tremblait tantJe l’ai tant cherchéeDans la citerne avec les eucalyptusAu printemps et à l’automneDans tous les bois dépouillésMon dieu je l’ai cherchée.Georges Séféris, Journal de bord Traduit par Vincent Barras Ed. Héros-Limite (septembre 2011)
image: Pierre Paul Feyte (www.linternaute.com)
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28/12/2014
Morceaux choisis - Philippe Besson
Philippe Besson
Chez Phillies, il ne viendra plus de client, pour sûr. Les dimanches se suivent et se resemblent, en somme. C'est à se demander pourquoi on persiste à rester ouvert. Le vieux Carter a une explication: il prétend que le café est un phare et les phares ne ferment jamais, ils éclairent les nuits. Ben a un peu l'impression d'être un gardien de phare. Louise et Stephen ne songent pas à partir. Le silence du café les protège et personne ne les attend.
C'est cela qui leur est arrivé: plus personne pour les attendre. Ils sont seuls, comme ne le sont que les vieillards. Ils ont le regard hagard de solitude. Ils ont le souffle court des épuisés. Ils ont les gestes ralentis des plus démunis. Ils s'abritent dans un café improbable, à l'extrémité d'un continent. Ils égrènent leur vie comme d'autres des prières, en roulant des chapelets entre leurs doigts osseux. Ils sont parvenus au terme de quelque chose, sans être en mesure de discerner encore ce qui pourrait commencer pour eux. Ils se sont égarés.
Dans cet égarement qui les réunit, ils seraient presque capables enfin de se parler calmement, et de laisser venir entre eux une manière de douceur. Il fallait sans doute que les abcès crèvent, que la mauvaise mémoire soit expiée, que les aveux soient consentis, que la place soit nette pour qu'ils soient finalement aptes à s'adresser l'un à l'autre sans arrière-pensée, sans invective, sans remords ni rancune, sans aigreur. Et s'il suffisait désormais de se laisser aller, de ne plus se poser de questions, d'accepter le moment comme il se présente?
Ce serait comme une décontraction, une tension qui se relâche, un bras qui se détend, une main qui s'ouvre, comme lorsque les efforts ou les étreintes s'achèvent.
Tu es au moins aussi mal à l'aise que moi, c'est rassurant, mais nous avons fait le plus délicat, n'est-ce pas?
Le plus délicat, je ne sais pas. Le plus dur, certainement.
Philippe Besson, L'arrière-saison (Julliard, 2002)
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26/12/2014
Morceaux choisis - Emily Dickinson
Emily Dickinson
Le son le plus triste, le son le plus doux,Le son le plus fou qui enfle,- C'est celui que font les oiseaux, au printemps,Quand la nuit délicieusement tombe,Sur le fil, entre mars et avril -Frontière magiqueAu-delà de laquelle l'été hésite,Presque divinement trop proche. Il nous fait penser à tous ces mortsQui ont traversé la vie en flânant avec nous,Et que la sorcellerie de la séparationNous rend cruellement plus chers encore. Il nous fait penser à ce que nous eûmes,Et dont nous déplorons la perte.Nous en souhaiterions presque que ces voix de sirènesS'en aillent et se taisent.L'oreille peut briser le coeur humainAu vif comme un javelot.On voudrait que le coeur ne soit pasSi dangereusement près de l'oreille.Emily Dickinson, Poèmes non datés in "Poésies complètes", édition bilingue (Flammarion, 2009)
Traduction: Françoise Delphy
Illustration: Nicolas de Staël / Fiesole
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20/12/2014
Morceaux choisis - René Char
René Char
Il y a la beauté qui est la vérité réussie des choses, leur dimension harmonieuse, et le bonheur qui tombe comme la foudre d'un ciel qu'on croyait sans surprise, cerné de toutes parts par des étoiles, les mêmes qui troublent peut-être l'esprit de ceux qui habitent de l'autre côté de la nuit. Comment agir pour être heureux, toujours davantage, sans trébucher, sans vieillir et sans perdre courage? Sans courir trop vite devant son amour avec la crainte de ne plus l'apercevoir en se retournant? Nous abordons cette envie comme un mur de flammes mais sommes cendres avant de l'avoir franchi.
René Char, Trois coups sous les arbres - Claire (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1983)
image: John William Waterhouse (spleen-et-ideal.over-blog.fr)
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14/12/2014
Morceaux choisis - Karel Schoeman
Karel Schoeman
Il y a quelque chose qui est au-delà de l'amour, au-delà des mots, au-delà même de la création; il m'a fallu attendre de vieillir pour apprendre cela. Quand on a parcouru un long chemin, qu'on est arrivé le plus loin possible, après avoir tout quitté, au moment où on pense qu'on ira pas plus loin - c'est là qu'on découvre que le voyage ne fait que débuter, et que la route ne va pas plus loin au sens où elle s'éloignerait de soi, mais qu'elle est en soi, à l'intérieur de soi. Alors on se laisse envelopper par le silence, on ne cherche plus rien, on existe simplement en soi-même et on éprouve une sorte de paix.
Karel Schoeman, La saison des adieux (coll. 10-18/UGE, 2006)
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01/12/2014
Morceaux choisis - Yves Bonnefoy
Yves Bonnefoy
Et si demeureAutre chose qu’un vent, un récif, une mer,Je sais que tu seras, même de nuit,L’ancre jetée, les pas titubants sur le sable,Et le bois qu’on rassemble, et l’étincelleSous les branches mouillées, et, dans l’inquièteAttente de la flamme qui hésite,La première parole après le long silence,Le premier feu à prendre au bas du monde mort.Yves Bonnefoy, Les planches courbes / extrait (coll. Poésie/Gallimard, 2003)
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30/11/2014
Morceaux choisis - Hugo von Hofmannsthal
Hugo von Hofmannsthal
Il est certain que nous ne sommes pas simplement poussés en avant des méandres de notre chemin par nos simples actions mais que nous sommes attirés par quelque chose qui semble toujours nous attendre quelque part et reste toujours caché. Il y a, dans notre marche en avant, quelque chose du désir amoureux, de la curiosité de l’amour, même quand nous recherchons la solitude de la forêt ou le calme des sommets ou une plage vide sur laquelle vient s’échouer la frange argentée d’une mer bruissante. Il y a quelque chose de très doux dans toute rencontre solitaire, même s'il ne s'agit que de la rencontre avec un grand arbre isolé ou un animal de la forêt, qui sans bruit s'arrête et nous fixe dans l'obscurité.
Je crois que la vraie pantomime érotique, dans ce qu'elle a de décisif, ce n'est pas l'étreinte mais la rencontre. A aucun autre moment le sensuel n'est aussi chargé d'âme et la part d'âme aussi sensuelle que dans la rencontre. Tout est alors possible, tout est en mouvement, tout est dissous. Il y a là une attirance réciproque, vierge encore de convoitise, mélange naïf de confiance et de crainte. Il y a là quelque chose de la biche, de l'oiseau, sombre animalité, pureté angélique, présence du divin.
Hugo von Hofmannsthal, Chemins et rencontres (coll. Poche/Rivages, 2002)
image: Gustave Courbet, les Amants dans la campagne (flickr.com)
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24/11/2014
Morceaux choisis - J.M.G. Le Clézio
J.M.G. Le Clézio
Quand on est devant la mer, tout peut apparaitre, disparaitre, comme sur une pierre qui n'a pas été sculptée. C'est peut-être pour cela, parce que tout est possible, comme sur une planète étrangère, que les hommes viennent vers elle. C'est peut-être parce qu'il n'y a pas de murs, pas de barrières. Parce que c'est le lieu du danger. Alors chaque jour, tandis qu'au dehors, dans les couloirs et les abris des villes, dans les cachettes des montagnes, à la source des fleuves, la vie amoncelle les années et trace ses dessins toujours semblables, ici apparait la nouveauté. Chaque jour nait ici, puis se détruit puis se refait, au rythme du ressac.
J.M.C. Le Clézio, L'inconnu sur la terre (Coll. Imaginaire/Gallimard, 1999)
image: Ondres, Landes / France (ondres-landes.net
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21/11/2014
Morceaux choisis - Louis Aragon
Louis Aragon
Sauras-tu jamais ce qui me traverseCe qui me bouleverse et qui m’envahitSauras-tu jamais ce qui me transperceCe que j’ai trahi quand j’ai tressailli Ce que dit ainsi le profond langageCe parler muet de sens animauxSans bouche et sans yeux miroir sans imageCe frémir d’aimer qui n’a pas de mots Sauras-tu jamais ce que les doigts pensentD’une proie entre eux un instant tenueSauras-tu jamais ce que leur silenceUn éclair aura connu d’inconnu Donne-moi tes mains que mon cœur s’y formeS’y taise le monde au moins un momentDonne-moi tes mains que mon âme y dormeQue mon âme y dorme éternellement.Louis Aragon, Le fou d'Elsa (coll. Poésie/Gallimard, 2002)
image: Guy Cambier (s019.radikal.ru)
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Louis Aragon, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |