14/04/2015
Morceaux choisis - Antoine Pol
Antoine Pol
Je veux dédier ce poème A toutes les femmes qu'on aime Pendant quelques instants secrets A celles qu'on connaît à peine Qu'un destin différent entraîne Et qu'on ne retrouve jamaisA celle qu'on voit apparaître Une seconde à sa fenêtre Et qui, preste, s'évanouit Mais dont la svelte silhouette Est si gracieuse et fluette Qu'on en demeure épanoui A la compagne de voyage Dont les yeux, charmant paysage Font paraître court le chemin Qu'on est seul, peut-être, à comprendre Et qu'on laisse pourtant descendre Sans avoir effleuré sa main A la fine et souple valseuse Qui vous sembla triste et nerveuse Par une nuit de carnaval Qui voulut rester inconnue Et qui n'est jamais revenue Tournoyer dans un autre bal A celles qui sont déjà prises Et qui, vivant des heures grises Près d'un être trop différent Vous ont, inutile folie, Laissé voir la mélancolie D'un avenir désespérant A ces timides amoureusesQui restèrent silencieusesEt portent encor votre deuilA celles qui s'en sont alléesLoin de vous, tristes esseuléesVictimes d'un stupide orgueil Chères images aperçues Espérances d'un jour déçues Vous serez dans l'oubli demain Pour peu que le bonheur survienne Il est rare qu'on se souvienne Des épisodes du chemin Mais si l'on a manqué sa vie On songe avec un peu d'envie A tous ces bonheurs entrevus Aux baisers qu'on n'osa pas prendre Aux coeurs qui doivent vous attendre Aux yeux qu'on n'a jamais revus Alors, aux soirs de lassitude Tout en peuplant sa solitude Des fantômes du souvenir On pleure les lèvres absentes De toutes ces belles passantes Que l'on n'a pas su retenir.
Antoine Pol, Les passantes, dans: Emotions poétiques (www.paperblog.fr)
image: Barbara (yuu827.s342.xrea.com)
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10/04/2015
Morceaux choisis - Valeria Nkomeshya
Valeria Nkomeshya
Mes mains, ô mes mainsAutrefois toutes petites, inutilesMaintenant je vous appelle compagnesJe suis une grande fille maintenantJ'ai léché vos doigtsVous m'avez nourrie. O mes mainsVous avez appris tous les artsGrâce à vous je communiqueGrâce à vous je coupe le boisMains chériesO fidèles compagnes. Si je pleureVous séchez mes larmesSi je ris, vous applaudissezSi je vois une amie, vous faites signe Mains mains, ô mes mainsVos grattez mes démangeaisonsVous jardinez pour me nourrir Mes mains, sans vous je ne suis rienMes mains, je promets de vous faire connaîtreJe vais vous présenter au reste de mon corpsCar sans vousIl est tout misérable Avec vos dix fidèles serviteursMes mains, vous êtes mon étoileMes mains, vous êtes la têteDe tout mon êtreJe vous voudrais que le Mondesoit comme vous.
Voix de femmes - Anthologie / Poèmes et photographies du monde entier (Editions Turquoise, 2012)
image: burunditransparence.org
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06/04/2015
Morceaux choisis - Jean Mambrino
Jean Mambrino
S'entendre soi-même dans la musique, se reconnaître dans la couleur du soleil, la couleur du soi dans le soleil, ou la couleur de la nuit qui nous ressemble. Le tremblement de terre mime aussi le sommeil. Et le volcan éteint du coeur se mire dans les lacs. Si chacun est son miroir, les murs seront miroirs, les mains se rejoindront à travers les murs. L'eau des miroirs se tient debout. Les temps sont venus. L'incertain est sûr.
Jean Mambrino, Entrez dans la danse, dans: La saison du monde (José Corti, 1986)
image: John William Waterhouse, Mariana in the South (microargumentos.blogspot.com)
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02/04/2015
Morceaux choisis - Charles-Albert Cingria
Charles-Albert Cingria
C'est exquis un réveil et surtout de ne pas se lever parce qu'on a toujours froid, c'est-à-dire chaud dans une menace de froid si on exécute une révolution de se lever, laquelle a tout à gagner - en effet rien ne vous y oblige - à rester à l'état de résolution. Donc on ne se lève pas. Plutôt on compte, on s'accorde des délais. On compte jusqu'à cent, très lentement, bien entendu, et puis, quand on est arrivé à cent, on s'arrête simplement de compter, mais on ne se lève pas davantage.
Vient le moment pourtant où l'on se dresse automatiquement. C'est un subconscient qui fait ça, un trop-plein qui vous propulse. A peine debout, on se précipite sur le petit bois. Une flambée, quelques instants, vous fait retrouver par les jambes et les genoux et les pieds et la prunelle du regard, cette pointe à jour de l'âme, la chaleur que vous venez de quitter. Mais c'est aussi pour faire bouillir de l'eau pour le thé que vous faites ce petit embrasement.
Un peu de bois sec, un peu de bois vert, un peu de charbon de bois à 50 francs les dix litres, inséré avec escient à des places favorables - des places qui, dans l'incandescence, font s'établir une structure - amuse et stimule l'ingéniosité et, à ce feu, lui accorde une durée.
Surtout, le charbon se brise avec un infinitésimal bruit précis de harpe qui est délicieux à entendre.
Charles-Albert Cingria, D'un jeudi à l'autre, Oeuvres complètes vol. 1 - Récits (L'Age d'Homme, 2012)
image: lameduseetlerenard.blogspot.com
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29/03/2015
Morceaux choisis - Anonyme du XVe siècle
Anonyme du XVe siècle
Si je possédais deux cheveux de toi, Que l'on croirait d'or, telle est leur blondeur,J'aimerais narguer la Cour en douceur. Je voudrais bien me broder un bonnetPlein de coraux tout petits et de perles,Avec les fils d'or de tes cheveux mêmes. L'ami Tristan, appâté par le gain,Les prenant pour de l'or, non sans raison,M'attraperait pour me mettre en prison. Et j'y dirais dans un éclat de rire:Ce sont les cheveux de celle que j'adore;Salut mon gars, si tu y vois de l'or.
Anthologie bilingue de la poésie italienne (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1994)
image: Mariano Salvador Maella, Vénus remettant sa ceinture à Junon (vers 1786)
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28/03/2015
Morceaux choisis - Fernando Pessoa
Fernando Pessoa
Je rentre à la maison, je ferme la fenêtre.On apporte la lampe, on me souhaite bonne nuit,Et d'une voix contente je réponds bonne nuit.Plût au Ciel que ma vie fût toujours cette chose:Le jour ensoleillé, ou suave de pluie,Ou bien tempétueux comme si le Monde allait finir,La soirée douce et les groupes qui passent,Observés avec intérêt de la fenêtre,Le dernier coup d'oeil amical jeté sur les arbres en paix,Et puis, fermée la fenêtre et la lampe allumée,Sans rien lire, sans penser à rien, sans dormir,Sentir la vie couler en moi comme un fleuve en son lit,Et au-dehors un grand silence ainsi qu'un dieu qui dort.
Philippe Jaccottet, D'autres astres plus loin épars - Poètes européens du XXe siécle (La Dogana, 2005)
traduit du portugais par Armand Guibert
image: Fernando Pessoa (romeojuliette.blog.lemonde.fr)
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27/03/2015
Morceaux choisis - Mikhaïl Chichkine
Mikhaïl Chichkine
Les Suisses, selon eux, ne font pas partie du monde. L'alliance (en italien fascio) sur le Grütli est dans notre patrie le modèle d'une saine gouvernance. Si le monde s'écroule, cela ne veut pas dire que cela concerne aussi la Suisse. La Suisse du Suisse meurt d'une mort sociale. Aujourd'hui déjà, un Suisse sur quatre est un étranger. Si les Suisses n'ont plus les moyens d'avoir des enfants, si la génération actuelle s'éteint au siècle prochain, alors il n'y aura plus de vrais Suisses. La Suisse devient un pays sans peuple qui lui soit propre. ils n'existent plus, les intellectuels suisses qui voudraient conserver la Suisse. Oui à la fin de la Suisse. Nous sommes partout des étrangers, sauf dans notre propre pays. C'est pour beaucoup de Suisses une expérience quotidienne que les étrangers se montrent arrogants et se rendent impopulaires de bien des manières. Autrefois, c'étaient les Italiens que l'on n'aimait pas. Aujourd'hui, ils sont considérés presque comme des alliés contre les Yougoslaves, qu'on ressent comme agressifs à l'égard de la population suisse, et qui par là font peur. Les Albanais seront-ils demain comme des alliés contre le nombre croissant des Africains et des Russes?
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Le Suisse est convaincu que quelqu'un du dehors ne peut pas bien comprendre notre pays et notre peuple. Il se sent donc obligé de corriger les propos d'un étranger - qu'ils soient positifs ou négatifs -, de redresser ses erreurs. Peut-être ce qui ressemble le plus à ce rapport contradictoire du Suisse à son pays est-il celui d'un époux avec sa femme: il veut seul avoir le droit de trouver à redire, de critiquer. Les gens de l'extérieur n'ont pas à s'en mêler. D'un ami, le Suisse ne supporte même pas l'éloge sans avoir envie de contredire, mais la critique l'indigne.
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Chaque peuple prétend être l'élu de Dieu, d'une façon ou d'une autre, mais les Suisses modestes, taciturnes, savent très bien au fond d'eux-mêmes sur qui le choix de Dieu est réellement tombé. Ne croyez pas que l'arche se soit échouée sur le dos du Mont Ararat. En ce monde nous ne pouvons survivre que si nous comprenons que tous, un couple de chaque espèce, nous sommes dans le même bateau et qu'à chacun est donné le droit de vivre, que tous, même les plus faibles et les plus insignifiants, nous sommes les créatures de Dieu. Et si la Suisse a un sens et une prédestination, alors c'est de donner au monde un exemple d'organisation sociale dans laquelle la chaîne sans fin de la violence et de la contre-violence est interrompue. S'il y a un commandement suisse, c'est celui qui nous demande de respecter l'homme dans la réalité vivante. La Suisse est un modèle qui fonctionne, un modèle réel de l'arche de Noé, où nous tous, si différents que nous soyons, vivons côte à côte et unissons nos efforts pour préserver notre bateau de la tempête et du déluge. Et quand il n'y aura plus de violence en ce monde, plus de gens persécutés à cause de leurs convictions, alors seulement il n'y aura plus de guerre, plus de pourchassés, de réfugiés et de demandeurs d'asile, alors la mission de la Suisse sera accomplie et la Suisse se volatilisera. Et ce sera une digne fin.
Mikhaïl Chichkine, Dans les pas de Byron et Tolstoï - Du Lac Léman à l'Oberland bernois (Noir sur Blanc, 2002)
image: Villa Poncini / Curio, Tessin
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24/03/2015
Morceaux choisis - Paul Celan
Paul Celan
Personne ne nous pétrit de nouveaudans la terre et l'argile,personne ne souffle la parole sur notre poussière.Personne. Loué sois-tu, Personne.C'est pour te plaireque nous voulons fleurir.Pour t'aller à l'encontre. Néant nous étions,nous sommes,nous resterons, fleurissant;la rose de néant,la rose de personne.Avec le styleclarté d'âme,le filet d'étamine ravage de ciel,la couronne rougedu mot pourpre que nous chantionsau-dessus,oh! au-dessus de l'épine.Paul Celan, Psaume dans: Anthologie bilingue de la poésie allemande (Bibliothèque de la Pléiade, 1995)
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21/03/2015
Morceaux choisis - Kanstantsyïa Bouïlo
Kanstantsyïa Bouïlo
J'aime notre pays,ce petit coin où je suis née, où j'ai grandi,où j'ai versé mes premières larmes d'infortune. J'aime notre peuple biélorusse,nos petites fermes dans la verdure des vergers,les plaines dorées de champs de blé,le bruissement de nos bosquets et de nos forêts;et la rivière qui entraîne impétueusementses eaux vers des lointains inconnus,et le jaune des plages de sable,et l'éclat de leurs vagues limpides. J'aime le printemps qui verdoie, fleurit,parant gaiement la terre.J'aime le craquettement des cigognes dans leurs nids,et le chant de l'alouette,la chaleur torride de l'été,les pluies estivales et l'orage,le grondement du tonnerreet, à travers les nuages noirs,les éclairs de feu. L'automne incertain, je l'aime aussi,et le premier sifflement des serpes et des faux,lorsque les moissonneusess'apprètent à couper le blé,et les faucheurs - le foin. J'aime l'hiver et ses geléesqui décorent les fenêtres d'arabesques,et la neige blanchequi, recouvrant les champs,brille avec incandescencesous les étoiles claires. J'aime, quand la nuit est belle, tard dans la cour rester,suivre des yeux le scintillement des étoiles,ou les rayons dorés de la lune. Et j'aime la chanson de mon paysque les filles fredonnent dans les champs,les modulations de leurs voixs'élevant de la plaineoù elles flottent et chatoient. Tout dans ce pays est cher à mon coeur,tant j'aime mon pays natal,où j'ai rencontré mon premier bonheur,et versé de chagrin mes premières larmes.
Voix de femmes - Anthologie / Poèmes et photographies du monde entier (Editions Turquoise, 2012)
image: Biélorussie (voyages.ideoz.fr)
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13/03/2015
Morceaux choisis - Pierre Clavilier
Pierre Clavilier
J'habite un pays de glaise où les maisons en toutes saisons longent la falaise. Les étoiles se lèvent au son des chants des cormoransvenus des océans jusqu'aux terres essoufflées. Quelques mouettes échouées sur des rochers hurlent au-dessus les transparences blessées de cette houle souvent hostile d'une mer qui s'agite nuit et jour dans un mouvement répété depuis les débuts de l'éternité. Il y a là,sous ces cieux,où le soleil glisse,plus de sauvage que de civiliséet les hommes qui y viventportent inscrites sur eux leurs faces burinéesles failles dessinées par les escarpementsdélimitant leurs rivages où l'eau qui éclate contre la pierreforme une brume continuelle. J'ai donc grandi aux côtés des blocs de granitvagues monolithes oubliés par des géantsdébarquant làil y a longtemps.Ici, si l'on en croit la légende anonyme. Chacun la porte en son sein.Chacun la charrie dans es veinesjusqu'à colorier son sangd'un pigment différent des autres gens... Le cri de la mer a bercé mon oreille.Elle couvrit les pleurs du nourrisson.D'attendre les mugissements marinsj'ai fini par oublierles mugissements marinset les matins d'hiver étaient en cela semblables aux matins d'été. L'herbe ondulante y verdoie les prairies bousculées!A chaque échoun écueiloù l'écume blancherecouvre les profondeurs des bleus étendus.Une chapelle à demi écrouléese dresse à la pointe occidentale.Derrière un pharesillonnent les cieux orphelins.Une écoleoù résonnent encore quelques éclats de rire,les maisons,plus loinun cimetière enclos d'une muraille rocailleuseet plus rien.Pierre Clavilier, Pays d'écueil, dans: Valère Staraselski, L'heure injuste - Anthologie poétique (La Passe du Vent, 2005)
image: Gregory Lepoutre (ornithopix.over-blog.com)
00:04 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |