03/02/2015
Morceaux choisis - Sylvia Plath
Sylvia Plath
Combien de temps pourrai-je être un mur, protégeant du vent?Combien de temps pourrai-jeAtténuer le soleil de l'ombre de ma main,Intercepter les foudres bleues d'une lune froide?Les voix de la solitude, les voix de la douleurCognent à mon dos inlassablement,Cette petite berceuse, pourra-t-elle les adoucir?
Sylvia Plath, Trois femmes (Editions des Femmes, 1975)
00:06 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | | Imprimer | Facebook |
30/01/2015
Morceaux choisis - Alain Jouffroy
Alain Jouffroy
A toi la stupeur immobile de ma joieMon sourire de marbre blancMon regard lavé dans la source du sous-boisA toi mes mains de ville ouverteA toi mes genoux d'écureuilA toi ma voix la plus lointaineA toi tout ce qui tisse nuit et jour à travers moiA toi la lagune où nous nous sommes connusA toi les revenants du soleilA toi ces palais de lilas dans nos yeuxA toi tout ce qui est toutCe qui changeA toiL'explosion de la perle au coeur de l'oiseau noir
Alain Jouffroy, A toi, dans: C'est aujourd'hui toujours - 1947/1998 (coll. Poésie/Gallimard, 2005)
image: Alexandra Grecco (www.dejeunesgensmodernes.com)
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27/01/2015
Morceaux choisis - Pierre Reverdy
Pierre Reverdy
Il marchait au milieu du ciel les yeux baissés et les autres passants le regardèrent. Un peu plus bas, aux fenêtres, les têtes pendaient. Et les formes blanches qu'avaient laissées la lune, la nuit passée, se ranimèrent. La foule criait; au moins tous ceux qui s'étaient reconnus. On emportait le jour par morceaux dans toutes les rues de la ville. Et les cheveux du vent, mêlés au flot des gens et des voitures, s'engouffraient entre les murs et se nouaient. Tout le monde courait sans savoir où. Les pavés attachaient les regards. La terre. Le jour entrait parfois sans ressortir. Le mouvement s'étendait jusqu'aux fossés, qui bordaient les dernières maisons et, au-delà, on retrouvait le terrain plat. Le calme. Des ombres immobiles. Et le soleil reprenait partout sa place, sans qu'on puisse le toucher ni le prendre, au gré de son désir.
Pierre Reverdy, Main d'oeuvre / Poèmes 1913 - 1949 (Mercure de France, 1949)
image: Herculaneum, Campanie - Italie (katbrakatjamb.blogspot.com)
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25/01/2015
Morceaux choisis - Annie François
Annie François
Par rapport au fracas du journal (dont chaque page tournée perce le silence comme un coup de tonnerre), le livre est discret. Et pourtant, il se fait entendre: que d'un majeur impatient on cherche sa page, que d'un coup de pouce on le ventile, le livre tempête, fredonne ou gazouille. Chacun est un instrument singulier qui résonne différemment sous les doigts de l'interprète. De la flûte de la Pléiade au basson du Petit Robert, son timbre est plus ou moins mélodique selon l'inspiration de l'instrumentaliste. L'analogie a ses limites: Bouquin, quand on l'effeuille lourdement, émet un brave bruit de boue bovine qui, bien que pastoral, n'a rien de symphonique. J'aime sa ruralité.
Il est doux de faire chanter les livres, à condition de jouer en solo, car l'imperceptible mais très régulier chuintement de la page tournée par un autre peut relever du supplice de la goutte d'eau, surtout quand les doigts s'attardent entre deux feuillets, les phalangent glissant sur la tranche, interminable prélude au petit fluip du basculement sur la page paire. Plus le papier est fin, plus le supplice est cruel puisque le lecteur, soucieux de ne tourner qu'un feuillet, revérifie: crissement de soie. On tuerait à moins.
Tout fait musique dans le livre, pour peu qu'on ait l'oreille: le dos d'un volume cousu émet, quand on l'ouvre, d'imperceptibles pétillances, celui d'un vieux livre de poche un sinistre craquement qui amorçe l'effeuillage; le grain du papier feule et la couverture vibre sous les doigts de l'impatient. Mais le plus beau des bruits est celui des pages non massicotées que l'on coupe. Un jour, une adolescente me voyant oeuvrer dans le métro, chuchota, indignée, à son petit ami: Au prix qu'c'est, c't'incroyable qu'zaient encore des défauts. Ignorant que l'exception d'aujourd'hui était hier presque la règle, elle mésestimait le plaisir et les querelles et les différentes écoles et les instruments de cette activité somptueuse: couper avec ou sans peluche - dite barbe - au fil de la lecture ou par avance. D'aucuns recyclent un vieux couteau très affûté.
Pour ma part, impétinente adepte de la peluche, j'utilise soit un ticket de métro (papier contre papier), soit un bambou poncé et patiné (bois contre papier), soit le côté non tranchant d'un petit couteau archaïque et ébréché, mais j'aime moins l'alliance métal-papier. En fait, qu'importe l'instrument si la peluche est légèrement bouclée, duveteuse, futur piège à poussière ...
*
Je ne veux plus lire. Tous ces personnages, ces bêtes, ces nuages, ces drames, ces paysages, ces aventures sordides ou magnifiques me suffoquent. Pourquoi ces histoires de substitution, ces voyages de papier, ces ersatz de passion, de crime? Je veux vivre. Echapper à la tyrannie de leur fiction.
(Allons, du calme. Tu n'as qu'à lire tous les Que sais-je, par exemple.)
Qu'est-ce que je fuis si frénétiquement en lisant? Qu'est-ce que je me dissimule? Quel vide je comble? Quelle incroyable vacuité m'habite où tourbillonnent des nuées de titres approximatifs, de noms d'auteur écorchés, de lambeaux de citations fautives, où se catapultent des météores de références d'ouvrages à acheter? Assez.
(Oui, assez. Assez d'enflure et d'emphase. Il y a des gens très normaux qui lisent vingt bouquins par semaine - et s'en souviennent - sans en faire tout un plat. Qu'est-ce que ce foin pour une petite overdose? Une semaine de sevrage dans le Massif central suffira: marcher tout le jour sur les traces de Stevenson (Voyage avec mon âne à travers les Cévennes, 193 pages) et danser la bourrée de nuit jusqu'à l'évanouissement pour résister à l'envie de lire avant de s'endormir. D'ailleurs, pourquoi employer les grands moyens? Tout concourt à ta guérison: le Divan s'est déjà exilé au profit de Dior; Compagnie est devenue une librairie non-fumeurs. La rente foncière et l'hygiénisme finiront par avoir raison de ta nausée, faute de nourriture.)
Bien, récapitulons: qu'on me laisse mes yeux pour lire, mes mains pour tourner les pages et mes jambes pour courir les libraires. Et, par la même occasion, qu'on me laisse toute ma tête pour mesurer l'étendue de mon gâtisme.
Annie François, Bouquiner - Autobiobibliographie (Coll. Points/Seuil, 2012)
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22/01/2015
Morceaux choisis - Messaour Boulanouar
Messaour Boulanouar
J'écris pour que la vie soit respectée par tous Je donne ma lumière à ceux que l'ombre étouffeceux qui vaincront la haine et la vermine J'écris pour l'homme en peinel'homme aveuglel'homme fermé par la tristessel'homme fermé à la splendeur du jour J'écris pour vous ouvrir à la douceur de vivre J'écris pour tous ceux qui ont pu sauverde l'ombre et du commun naufrageun coin secret pour leur étoileun clair hublot dans leurs nuages J'écris pour la lumière qui s'imposepour le bonheur qui se révèlej'écris pour m'accomplir au coeur de mes semblablespour que fleurisse en nousle désert froid du mal J'écris pour que la terre m'appartiennechaude tendre joyeuse J'écris pour apaiser mon sangmon sang violent et dur et lourd de siècles tristes J'écris pour partager ma joieavec ceux qui m'écoutentj'écris pour être heureux pour être librepour tous les hommes vraisqui comprennent mes cris ma peine et mon espoir J'écris pour éveiller l'azurau fond des yeux maladesau fond des vieux étangs de honte J'écris pour qu'on défendepour qu'on respecte l'arbre qui montele blé qui poussel'herbe au désertl'espoir des hommes
Quand la nuit se brise - Poésie algérienne, Anthologie sous la direction de Abdelmadjid Kaouah (coll. Points/Seuil, 2012)
image: stoirmdubh.unblog.fr
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20/01/2015
Morceau choisis - Pablo Neruda
Pablo Neruda
Tu peux m'ôter le pain,m'ôter l'air, si tu veux:ne m'ôte pas ton rire. Ne m'ôte pas la rose,le fer que tu égrènesni l'eau qui brusquementéclate dans ta joieni la vague d'argentqui déferle de toi. De ma lutte si dureje rentre les yeux lasquelquefois d'avoir vula terre qui ne changemais, dès le seuil, ton riremonte au ciel, me cherchantet ouvrant pour moi toutesles portes de la vie. A l'heure la plus sombreégrène, mon amour,ton rire, et si tu voismon sang tacher soudainles pierres de la rue,ris: aussitôt ton rirese fera pou mes mainsfraîche lame d'épée. Dans l'automne marinfais que ton rire dressesa cascade d'écume,et au printemps, amour,que ton rire soit commela fleur que j'attendais,la fleur guède, la rosede mon pays sonore. Moque-toi de la nuit,du jour et de la lune,moque-toi de ces ruesdivagantes de l'île,moque-toi de cet hommeamoureux maladroit,mais lorsque j'ouvre, moi,les yeux ou les referme,lorsque mes pas s'en vont,lorsque mes pas s'en viennent,refuse-moi le pain,l'air, l'aube, le printemps,mais ton rire jamaiscar alors j'en mourrais.
Pablo Neruda, Les vers du capitaine - dans: Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée (coll. Poésie/Gallimard, 1998)
traduit par Claude Couffon et Christian Rinderknecht
image: Edouard Boubat, Enfants de dos face vitrine, Paris 1948
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16/01/2015
Morceaux choisis - Pietro Metastasio
Pietro Metastasio
Pourquoi, si tu es mienne,Pourquoi, si je suis rien,Pourquoi craindre, ô mon bien,Qu'un jour je ne revienne? Pour qui changer mes chaînes,Pour qui changer mes liens, Mon coeur, si tu possèdesCe coeur, qui n'est plus mien?
Pietro Metastasio, Anthologie bilingue de la poésie italienne, Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard, 1994)
image: J.M.W. Turner - Nocturne (jamesattlee.com)
09:39 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature italienne, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | | Imprimer | Facebook |
13/01/2015
Morceaux choisis - Borisav Stankovic
Borisav Stankovic
C'était au crépuscule. J'avais ouvert les deux fenêtres de la chambre d'amis; assis, je lisais un roman. La lumière passait par les fenêtres et éclairait tout distinctement. Tu es entrée subitement. Tu t'es approchée de moi et de ton coude gauche tu as pris appui sur mon épaule, tandis que de la main droite tu feuilletais le livre que je lisais.
" Tu lis? " m'as-tu demandé en te penchant pour voir ce que je lisais.
Mon regard est tombé par hasard sur ta main et j'ai tressailli à sa vue, car elle était devenue arrondie et encore plus belle. J'ai regardé plus loin et j'ai vu la rondeur de tes bras qui était bien mise en évidence par ton gilet. Puis mes yeux se sont posés sur ton visage, et c'est sulement là que je me suis rendu compte qu'il était plein, clair et transparent; que ton cou n'avait plus de duvet; que ton menton s'était arrondi, rempli, tandis que tes pommettes avaient pris de tendres couleurs. Tes épaules aussi s'étaient arrondies; ta petite poitrine était plus marquée, elle s'était développée; ta taille était devenue fine et bien dessinée. Tu dégageais de la chaleur, de la douceur, et un étrange parfum que jamais plus je n'ai senti durant ma vie.
" Pourquoi me regardes-tu comme cela? " m'as-tu demandé, étonnée.
" Comme ça! " Mes joues pâles et sèches s'étaient empourprées. J'ai tendu mon bras et je t'ai prise par la taille tandis que tu essayais de te dégager en riant de bon coeur.
" Arrête, tu me chatouilles! "
Mes jambes commençaient à trembler. Je t'ai attirée plus fort contre moi alors que tu essayais de reculer; tout en te laissant faire, tu t'es penchée vers moi en chuchotant:
" Mais qu'est-ce que tu veux? "
" Rien! " Puis je t'ai attirée fortement de sorte que ta tête s'est trouvée collée contre la mienne. Ton corps pesait de tout son poids contre le mien. Je t'ai serrée encore plus fort. J'ai voulu tourner ma tête et nos joues se sont frôlées. Sentant mon souffle chaud, tu tremblais en te laissant aller mais soudain tu t'es ressaisie et tu as sauté sur tes jambes.
" Ouf? "
" Attends! " Et je me suis approché vers toi. Les bras levés, tu me regardais stupéfaite, les yeux grands ouverts. Ton visage était étrangement enflammé et illuminé alors que tes yeux s'étaient assombris et s'étaient couverts d'un voile humide. Je me suis dirigé vers toi, mais tu m'as froidement repoussé en t'écriant: " Non! " et tu t'es enfuie.
Depuis ce jour-là, tu avais changé du tout au tout. Rien que ta démarche était plus prudente et plus molle. Les contours de tes formes arrondies devenaient plus doux et plus sensuels, ton visage devenait plus expressif, tes lèvres plus rouges et leurs contours plus foncés et plus marqués.
Nous nous voyions quand même, et tous les jours, mais tu ne m'approchais plus aussi librement qu'avant! Tu évitais de te retrouver seule avec moi. Comme si je te faisais peur. Nos caresses et nos mots doux avaient cessé. Ton visage devenait souvent mélancolique. Je te surprenais souvent, alors que tu balayais notre cour, debout, appuyée contre un poteau, le balai par terre et la tête baissée pendant que tu essuyais ton front et que tu arrangeais tes cheveux, doucement, péniblement. Tes lèvres étaient crispées et on devinait une envie de pleurer plutôt que de rire.
Borisav Stankovic, La rose fanée (L'Age d'Homme, 2001)
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11/01/2015
Morceaux choisis - Andrée Chedid
Andrée Chedid
Au bout de ce voyage, nos chemins se rejoignent, et j'évoque, une fois encore, ces deux fleuves que nous avons tant aimés. Je repense à ces eaux, tellement pétries de sens, qui charrient aussi l'image de nos vies divergentes et complices, de nos vies dissemblables et accordées.
Avec toi, je me glisse en cette terre d'Egypte, si stable et si continue, mais non dénuée de déchirures, d'où nous venons tous les deux. Avec toi, je pénètre en cette ville de Paris, si fascinante et si rebelle, vers où nous portaient nos désirs.
En leurs réalités, comme en leur mystère, l'une et l'autre, me semble-t-il, se sont gravées dans nos tempéraments faits à la fois de dissidences et de fortes retrouvailles, de différences et d'inusable harmonie.
Ainsi va le corps à la poursuite de l'existence, de l'ailleurs et de l'autre, puis vers sa progressive dissolution. Ainsi demeure le coeur, fidèle à ses visages et à ses lieux privilégiés. Ainsi coulent le Nil et la Seine, lointains et proches.
Ainsi s'écoulent nos vies, si diverses et si durablement reliées.
Andrée et Louis Antoine Chedid, Le coeur demeure (Stock, 1999)
image: Nicolas de Staël, Sicile (himalayalpes.wordpress.com)
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08/01/2015
Morceaux choisis - Blaise Cendrars
Blaise Cendrars
Je voulais indiquer aux jeunes gens d’aujourd’hui qu’on les trompe, que la vie n’est pas un dilemme et qu’entre les deux idéologies contraires entre lesquels on les somme d’opter, il y a la vie, la vie, avec ses contradictions bouleversantes et miraculeuses, la vie et ses possibilités illimitées, ses absurdités beaucoup plus réjouissantes que les idioties et les platitudes de la politique, et que c’est pour la vie qu’ils doivent opter, malgré l’attirance du suicide, individuel ou collectif, et de sa foudroyante logique scientifique. Il n’y a pas d’autres choix possibles. Vivre!
Blaise Cendrars, Le lotissement du ciel (coll. Folio/Gallimard, 2010)
00:35 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |