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08/01/2013

Morceaux choisis - Paul Léautaud

Paul Léautaud

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pour Catherine P

Stendhal! l'enchantement de ma jeunesse, l'enchantement de mon âge mûr. Stendhal! l'intelligence, la sensibilité, l'observation et l'analyse faites littérature au plus haut degré. Stendhal! l'écrivain inimitable, car on imite une rhétorique, un vocabulaire, on n'imite pas les facultés intellectuelles, la personnalité supérieure. Arrigo Beyle, Milanese... Qu'elle m'émeut, cette épitaphe, qu'elle me donne de pensées! Grand esprit, âme libre et voluptueuse. Pas d'autre patrie que la patrie du coeur et de l'esprit. Là où a été le bonheur, là où on a connu l'amour, l'amitié, là est la seule et vraie patrie.

Justement ces derniers soirs, dégoûté plus que jamais des livres d'aujourd'hui - la guerre favorise beaucoup la mauvaise littérature et les ouvrages niais sur des questions prétendues sérieuses - je relisais au hasard la Correspondance. Même dans les courts billets d'amour, quelle maîtrise de l'esprit sur le sentiment, et en même temps quelle profondeur du sentiment sous l'esprit qui persifle et se raille soi-même. Quel plaisir il devait avoir en les écrivant! Quelle merveilleuse lecture que toutes ces lettres! Partout, quelle brièveté, quelle rapidité, quel naturel, quel abandon - le ton de la causerie! - quelle correspondance parfaite entre l'expression et l'idée, le sentiment ou la sensation, que de mots touchants, que d'idées fortes, que d'observations profondes, que tout cela est plein avec peu de mots et qu'il est pénétrant et qu'il excite l'esprit, à quelque endroit de son oeuvre qu'on le lise! Comment ne pas l'adorer, l'homme qui a pensé, senti de tels livres, imaginé et réalisé de telles figures, car jamais cela n'a été plus vrai qu'avec lui qu'un véritable écrivain n'écrit qu'à sa ressemblance intime et secrète. 

Tous tant que nous sommes aujourd'hui, mes chers confrères, mais oui, tous, ceux qui sont de l'Académie et ceux qui n'en sont pas, nous ne sommes à côté de lui que des zéros, d'incontestables zéros. Qu'on mette au pilon tous les romantiques, qui ont corrompu notre langue, abîmé notre littérature, déformé, vicié, abêti notre esprit. Qu'on me donne Chamfort, La Rochefoucauld, Le neveu de Rameau (Diderot bien supérieur pour moi à ce phraseur et pleurard de Rousseau), quelques Stendhal, La Correspondance, Le Brulard, les Souvenirs et La chartreuse en tête, qu'on joigne à tout cela de quoi faire des cigarettes, ce qu'il faut pour écrivasser de temps en temps, une belle image libertine d'une jolie femme nue pour me consoler de la réalité que je n'ai pas, qu'on m'assure avec cela ma subsistance, et je consens à vivre enfermé entre quatre murs, sans plus voir personne et sans jamais m'ennuyer. Ce que je dis là est pur superflu. J'ai ce bonheur de pouvoir rester enfermé aussi longtemps qu'on voudra, sans livres ni papiers ni aucune société, sans m'ennuyer jamais, tant j'ai dans la tête de quoi m'occuper.

On ne peut penser à Stendhal sans penser à la question du style. Des gens qu'un style sans ornements, sans redondance, simplement précis et net, déconcerte, lui ont beaucoup reproché le sien. C'est qu'on est en général extrêmement sensible à la forme, dans le plus mauvais sens du mot. Des phrases chantantes, cadencées, nombreuses, comme on dit, font pâmer le lecteur. Qu'importe que dix mots aient pu suffire là où l'auteur a mis dix lignes et qu'avec des métaphores chaque chose à tout bout de champ soit dite deux fois, comme dans Flaubert. Si par surcroît, vous y ajoutez un peu de pathos romantique, d'enflure verbale, vous êtes sacré grand écrivain!

Paul Léautaud, 1er novembre 1918, dans: Maria Dormoy, Paul Léautaud (coll. La Bibliothèque idéale/Gallimard, 1958)

Stendhal, Correspondance - 3 vols (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard 1963-1969)

05/01/2013

Morceaux choisis - Friedrich Hölderlin

Friedrich Hölderlin

littérature; poésie; anthologie; livres

Il descend, le jour nouveau, de lointaines hauteurs,
Le matin qui s'est éveillé des crépuscules,
Il rit à l'humanité, paré et vif,
L'humanité est tendrement pénétrée de joie.

Une vie nouvelle veut à l'avenir se dévoiler,
On voit de bourgeons, signe de jours gais,
Se remplir la grande vallée, la terre,
Tandis que pour le printemps est chassée la plainte.
 

Friedrich Hölderlin, Derniers poèmes (William Blake and Co, 2011)

traduit de l'allemand par Jean-Pierre Burgart

00:10 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

01/01/2013

Morceaux choisis - Jean-Michel Maulpoix

Jean-Michel Maulpoix

littérature; récit; morceaux choisis; livres

Tu voudrais marcher sur la neige à pas de vair, entendre la blancheur crisser, palper la fourrure tiède des contes, t'abandonner à leur sommeil comme à un oreiller où blottir la tête quand quelqu'un raconte une histoire. Chaque fois que ton coeur craque. tu prends ton dé, ta trousse et tes aiguilles: des mots encore avec des mots, bouts de bois, cabanes d'enfants, excès, accès de ciel, fièvres d'encre, une convoitise de bleu, sa mélancolie de jupes claires; tu es l'ouvrier de l'amour.

Jean-Michel Maulpoix, Une histoire de bleu (Mercure de France, 1992)

image: vergson.canalblog.com

30/12/2012

Morceaux choisis - Jocelyne François

Jocelyne François

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Le vent est tombé. Il reste seulement derrière la vitre froide le mouvement retenu du ciel. La nuit approche la colline, désarme la maison.

Je sais que l'ombre du cyprès que j'ai touché tout à l'heure tournera lentement avec la lune, et que le sol autour d'elle, libre comme un désert, deviendra cadran lunaire et mesure du temps durant notre sommeil. Le vent est tombé. Les oiseaux ne chantent pas encore le soir. La terre navigue et je la regarde. Je me regarde embarquée dans ce voyage que je n'ai pas choisi et que je me suis prise à aimer au point de le confondre avec mon corps, au point de le désirer éternel. Ah! l'éternité ne serait pas ce trou si nous y pouvions emporter cette frange sur les collines que lève la lune ou le soleil. Cette frange, au moins comme repère dans ce temps qui en aura fini de s'écouler. Autour de cette lumière pourrait s'inventer une vie sans gestes.

Ainsi sommes-nous autour des feux allumés sur les plages, perdus entre les dunes, le ciel et la mer, sans pensée et presque sans désir, occupés par le silence, le poids d'un vêtement, une braise qui roule, le sens du vent, accordant nos places à la fumée, attendant.

Alors nos feux pourraient s'élargir en cette lumière qui cesserait d'être abrupte et fugitive, qui s'établirait entre nous.

Le vent est tombé. C'est l'heure où il faut sortir, faire crisser le gravier, descendre les calades et remonter sur le plateau calcaire. Marcher. C'est l'heure où tout est à voir autrement, où nos mesures sont à prendre. En ce moment vide de la nuit, je tiens ma vie, je tiens ma mort, je tiens mon amour. Chaque scorpion tassé sous la pierre en tient autant. La terre navigue, je crois que je marche.

 Jocelyne François,  Le vent est tombé, dans: Signes d'air (Mercure de France, 1982)

image: Les Baux-de-Provence (jaipurdivabijoux.eu)

29/12/2012

Morceaux choisis - Léopold Sédar Senghor

Léopold Sédar Senghor

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Femme nue, femme noire
Vétue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté
J'ai grandi à ton ombre; la douceur de tes mains bandait mes yeux
Et voilà qu'au coeur de l'Eté et de Midi,
Je te découvre, Terre promise, du haut d'un haut col calciné
Et ta beauté me foudroie en plein coeur, comme l'éclair d'un aigle
Femme nue, femme obscure
Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir,
Bouche qui fais lyrique ma bouche
Savane aux horizons purs,
Savane qui frémis aux caresses ferventes du Vent d'Est
Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde
Sous les doigts du vainqueur
Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l'Aimée
 
Femme noire, femme obscure
Huile que ne ride nul souffle,
Huile calme aux flancs de l'athlète, aux flancs des princes du Mali
Gazelle aux attaches célestes,
Les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau.
 
Délices des jeux de l'Esprit,
Les reflets de l'or ronge ta peau qui se moire
A l'ombre de ta chevelure, s'éclaire mon angoisse
Aux soleils prochains de tes yeux.
 
Femme nue, femme noire
Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l'Eternel
Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres
Pour nourrir les racines de la vie.

Léopold Sédar Senghor, Poésie complète (Planète Libre, 2007)

image: fr.123rf.com

09:42 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/12/2012

Morceaux choisis - Pierre-Albert Jourdan

Pierre-Albert Jourdan

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Amitié, bonne déesse au long de sa vie, a désigné au poète cette maison dont les fondations touchent aux sources mêmes de son chant.

Les ombres d'oiseaux du platane palpitent sur le gravier blanc et leurs oeufs de soleil éclaboussent les murs. Au bord du pré les peupliers ont grandi. Ils distillent la tendresse venue d'un plateau dur aux coups.

L'amitié avec la terre s'alimente en secret aux froissements d'espace que font les corneilles entre gouffre et crépuscule. Elles apportent de leur voyage journalier l'image de cimes hautaines dont le nom évoque la fascination de la femme, telle qu'elle surgit d'entre les pins avec sa robe d'aiguilles.

La ruse innocente de la terre ferme, ici, le sentier pour que parlent encore les voix impavides.

Un rouge-gorge familier passe en sautillant, délégué du salut, oiseau pour défier le sommeil de la distance.

Pierre-Albert Jourdan, Les Busclats / A René Char, dans: Le bonheur et l'adieu (Mercure de France, 1991)

image: René Char, Le trousseau de Moulin Premier, album souvenir de L'Isle-sur-Sorgues (La Table Ronde, 2009)

24/12/2012

Lire les classiques - Jehan Rictus

Jehan Rictus

lu par Monique Morelli



Seigneur Jésus, je pense à vous!
Ça m’prend comm’ça, gn’y a pas d’offense!
J’ suis mort’ de foid, j’ me quiens pus d’bout,
ce soir encor... j’ai pas eu d’chance.
 
Ce soir, pardi ! c’est Réveillon:
On n’ voit passer qu’des rigoleurs;
j’ gueul’rais « au feu » ou « au voleur »,
qu’personne il y f’rait attention.

Et vous aussi, Vierge Marie,
Sainte-Vierge, Mère de Dieu,
qui pourriez croir’que j’vous oublie,
ayez pitié du haut des cieux.

J’ suis là, Saint’-Vierge, à mon coin d’rue
où d’pis l’apéro, j’bats la semelle;
j’ suis qu’eune ordur’, qu’eun’ fill’perdue,
c’est la Charlotte qu’on m’appelle.

Sûr qu’avant d’vous causer preumière,
eun’femm’qu’est pus bas que l’ruisseau
devrait conobrer ses prières,
mais y m’en r’vient qu’ des p’tits morceaux.

Vierge Marie... pleine de grâce...
j’suis fauchée à mort, vous savez;
mes pognets, c’est pus qu’eun’ crevasse
et me v’là ce soir su’l’pavé.
 
Si j’entrais m’chauffer à l’église,
on m’ foutrait dehors, c’est couru;
ça s’voit trop que j’suis fill’soumise...
(oh ! mand’ pardon, j’ viens d’ dir’ « foutu. »)

T’nez, z’yeutez, c’est la Saint-Poivrot;
tout flamb’, tout chahut’, tout reluit...
les restaurants et les bistrots
y z’ont la permission d’la nuit.

Tout chacun n’pens’qu’à croustiller.
Y a plein d’ mond’dans les rôtiss’ries,
les épic’mards, les charcut’ries,
et ça sent bon l’boudin grillé.

Ça m’fait gazouiller les boïaux!
Brrr! à présent Jésus est né.
Dans les temps, quand c’est arrivé,
s’ y g’lait comme y gèle e’c’te nuit,
su’ la paill’ de vot’ écurie
v’s z’avez rien dû avoir frio,
Jésus et vous, Vierge Marie.

Bing !... on m’ bouscule avec des litres,
des pains d’quatr’livr’s, des assiett’s d’huîtres,
Non, r’gardez-moi tous ces salauds!

(Oh ! esscusez, Vierge Marie,
j’ crois qu’j’ai cor dit un vilain mot!)

N’est-c’ pas que vous êt’s pas fâchée
qu’eun’ fill’ d’amour plein’ de péchés
vous caus’ce soir à sa magnère
pour vous esspliquer ses misères?
Dit’s-moi que vous êt’s pas fâchée!

C’est vrai que j’ai quitté d’chez nous,
mais c’était qu’la dèche et les coups,
la doche à crans, l’dâb toujours saoul,
les frangin’s déjà affranchies....

(C’était h’un vrai enfer, Saint’-Vierge;
soit dit sans ête eune effrontée,
vous-même y seriez pas restée.)

C’est vrai que j’ai plaqué l’turbin.
Mais l’ouvrièr’gagn’pas son pain;
quoi qu’a fasse, elle est mal payée,
a n’ fait mêm’pas pour son loyer;

à la fin, quoi, ça décourage,
on n’a pus de cœur à l’ouvrage,
ni le caractère ouvrier.

J’ dois dire encor, Vierge Marie!
que j’ai aimé sans permission
mon p’tit... « mon béguin... » un voyou,
qu’ est en c’moment en Algérie,
rapport à ses condamnations.

(Mais quand on a trinqué tout gosse,
on a toujours besoin d’caresses,
on se meurt d’amour tout’sa vie:
on s’arr’fait pas que voulez-vous !)

Pourtant j’y suis encore fidèle,
malgré les aut’s qui m’ cour’nt après.
Y a l’ grand Jul’s qui veut pas m’laisser,
faudrait qu’avec lui j’me marie,
histoir’ comme on dit, d’l’engraisser.
Ben, jusqu’à présent, y a rien d’ fait;
j’ai pas voulu, Vierge Marie!
 
Enfin, je suis déringolée,
souvent on m’a mise à l’hosto,
et j’ m’ai tant battue et soûlée,
que j’en suis plein’de coups d’couteau.

Bref, je suis pus qu’eun’salop’rie,
un vrai fumier Vierge Marie!
(Seul’ment, quoi qu’on fasse ou qu’on dise
pour essayer d’se bien conduire,
y a quèqu’chos’qu’est pus fort que vous.)

Eh ! ben, c’est pas des boniments,
j’ vous l’jure, c’est vrai, Vierge Marie!
Malgré comm’ça qu’ j’aye fait la vie,
j’ai pensé à vous ben souvent.

Et ce soir encor ça m’rappelle
un temps, qui jamais n’arr’viendra,
ousque j’allais à vot’chapelle
les mois que c’était votre fête.

J’arr’vois vot’ bell’rob’bleue, vot’voile,
(mêm’ qu’il était piqué d’étoiles),
vot’ bell’ couronn’ d’or su’la tête
et votre trésor su’les bras.
 
Pour sûr que vous étiez jolie
comme eun’ reine, comme un miroir,
et c’est vrai que j’vous r’vois ce soir
avec mes z’yeux de gosseline;
c’est comm’ si que j’y étais... parole.
 
Seul’ment, c’est pus comme à l’école;
ces pauv’s callots, ce soir, Madame,
y sont rougis et pleins de larmes.

Aussi, si vous vouliez, Saint’-Vierge,
fair’ce soir quelque chos’pour moi,
en vous rapp’lant de ce temps-là,
ousque j’étais pas eune impie;
vous n’avez qu’à l’ver un p’tit doigt
et n’pas vous occuper du reste...

J’ vous d’mand’pas des chos’s... pas honnêtes!
Fait’s seul’ment que j’trouve et ramasse
un port’-monnaie avec galette
perdu par un d’ces muf’s qui passent
(à moi putôt qu’au balayeur!)

Un port’-lazagn’, Vierge Marie!
gn’y aurait-y d’dans qu’un larantqué,
ça m’aid’rait pour m’aller planquer
ça m’ permettrait d’attendre à d’main
et d’m’enfoncer dix ronds d’boudin!

Ou alorss, si vous pouez pas
ou voulez pas, Vierge Marie...
vous allez m’ trouver ben hardie,
mais... fait’s-moi de suit’ sauter l’pas!

Et pis... emm’nez-moi avec vous,
prenez-moi dans le Paradis
ousqu’y fait chaud, ousqu’y fait doux,
où pus jamais je f’rai la vie,

(sauf mon p’tit, dont j’suis pas guérie,
vous pensez qu’je n’arr’grett’rai rien
d’ Saint-Lago, d’la Tour, des méd’cins,
des barbots et des argousins!)

Ah ! emm’nez-moi, dit’s, emm’nez-moi
avant que la nuit soye passée
et que j’soye encor ramassée;
Saint’-Vierge, emm’nez-moi, j’vous en prie?

Je n’en peux pus de grelotter...
t’nez... allumez mes mains gercées
et mes p’tits souliers découverts;
j’n’ai toujours qu’mon costume d’été
qu’ j’ai fait teindre en noir pour l’hiver.

Voui, emm’nez-moi, dit’s, emm’nez-moi.
Et comme y doit gn’y avoir du ch’min
si des fois vous vous sentiez lasse
Vierge Marie, pleine de grâce,
de porter à bras not’ Seigneur,
(un enfant, c’est lourd à la fin),

Vous me l’repass’rez un moment,
et moi, je l’ port’rai à mon tour,
(sans le laisser tomber par terre),
comm’ je faisais chez mes parents
La p’tit’moman dans les faubourgs

quand j’trimballais mes petits frères.

Jehan Rictus, La Charlotte prie Notre-Dame durant la nuit du Réveillon, dans: Le coeur populaire (Le Geai Bleu, 2003)

Monique Morelli, Chansons poétiques et réalistes (EPM, 2011)

23/12/2012

Lire les classiques - Selma Lagerlöf

Selma Lagerlöf

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Il me faut expliquer comment les choses se passent à Marbacka le soir du réveillon. On a le droit de tirer une petite table au chevet de son lit et d'y poser une bougie, et puis l'on a le droit de lire aussi longtemps qu'on le désire. Et cela constitue le plus grand des plaisirs de Noël. Rien ne peut surpasser le bonheur de se trouver là, avec dans les mains un livre plaisant reçu en cadeau de Noël, un livre que l'on avait jamais vu auparavant et que personne d'autre dans cette maison ne connaît non plus, et de savoir que l'on pourra en lire les pages l'une après l'autre, pour autant que l'on sache rester éveillé. Mais que faire durant la nuit de Noël si l'on a pas reçu de livre?

Selma Lagerlöf, Le livre de Noël (coll. Babel/Actes Sud, 2007)

image: Darren Thompson (darrenthompsonfineart.blogspot.com)

14:15 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; nouvelles; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

22/12/2012

Morceaux choisis - Vénus Khoury-Ghata

Vénus Khoury-Ghata

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Ils flottent à la surface de la mémoire
s'infiltrent dans les murs avec les lunaisons
égorgent l'eau
démantèlent les pendules
Ils escaladent les racines
dévalent la pente des pluies
aspirent les vapeurs des puits
boivent d'un seul trait nos fleuves en crue
Ils enjambent les toits
plient les poutres
réveillent les enfants lovés dans leurs cils
pour leur faire écouter le bruit de leurs phalanges
Ils mangent la chair du jujubier
ligotent les bras du cyprès
et le convertissent en cierge.
 
Ils volent dans l'air des cimetières
renversent les sépultures
vident leur contenu dans les caniveaux
Ils neigent en flocons immobiles
soufflent en rafales inertes
nous les cueillons sur le rebord des hanches
nous les faisons macérer dans nos sueurs
essorons leurs larmes
les séchons sur des cordes tendues sous terre
Ils harnachent nos nuits
scellent nos rêves
nous enfourchent du côté oublieux du cœur
Ils vont entre écorce et noyer
forcent les portes de novembre
percent l’œil de la lucarne
signent nos miroirs de leurs buées
Ils s'éloignent dans leur corps
se terrent dans leurs chevilles
crient jusqu'à l'aine
besogneux ces morts lorsqu'ils rampent sous les prairies
pour ramasser les noix rejetés par l'été
qu'ils secouent comme hochets d'enfants.
 

Vénus Khoury-Ghata, Monologue du mort, dans: Anthologie personnelle (Actes Sud, 1997)

08:43 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/12/2012

Morceaux choisis - Anne Hébert

Anne Hébert

littérature; poésie; anthologie; livres

Je suis la terre et l'eau, tu ne me passeras pas à gué,
mon ami, mon ami
 
Je suis le puits et la soif, tu ne me traverseras pas sans péril,
mon ami, mon ami
 
Midi est fait pour crever sur la mer, soleil étale, parole fondue,
tu étais si clair, mon ami, mon ami
 
Tu ne me quitteras pas essuyant l'ombre sur ta face
comme un vent fugace, mon ami, mon ami
 
Le malheur et l'espérance sous mon toit brûlent, durement noués,
apprends ces vieilles noces étranges, mon ami, mon ami
 
Tu fuis les présages et presses le chiffre pur à même tes mains ouvertes,
mon ami, mon ami
 
Tu parles à haute et intelligible voix, je ne sais quel écho sourd
traîne derrière toi, entends, entends mes veines noires
qui chantent dans la nuit, mon ami, mon ami
 
Je suis sans nom ni visage certain; lieu d'accueil et chambre d'ombre,
piste de songe et lieu d'origine, mon ami, mon ami
 
Ah quelle saison d'âcres feuilles rousses
m'a donnée Dieu pour t'y coucher, mon ami, mon ami
 
Un grand cheval noir court sur les grèves, j'entends son pas
sous la terre, son sabot frappe la source de mon sang
à la fine jointure de la mort
 
Ah quel automne!  Qui donc m'a prise parmi des cheminements
de fougères souterraines, confondue à l'odeur du bois mouillé,
mon ami, mon ami
 
Parmi les âges brouillés, naissances et morts, toutes mémoires,
couleurs rompues, reçois le coeur obscur de la terre,
toute la nuit entre tes mains livrée et donnée, mon ami, mon ami
 
Il a suffit d'un seul matin pour que mon visage fleurisse,
reconnais ta propre grande ténèbre visitée, tout le mystère lié
entre tes mains claires, mon amour.

Anne Hébert, Je suis la terre et l'eau, dans: Conversations amoureuses - Poèmes d'amour choisis par José Belin (Géraldine Martin, 1999)

22:55 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |