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13/06/2013

Morceaux choisis - Asli Erdogan

Asli Erdogan

Asli Erdogan.jpg

Toute seule, à grand-peine, tu te redresses, par-delà l'espoir et le désespoir, par-delà le bien et le mal, tes bras sans force pendent comme deux ailes brisées. Ton dernier pays libre vient frapper ton visage comme un courant d'air frais, un vent chargé d'éternité disperse tes cheveux, mais on dirait qu'il rassemble tes morceaux et te rend ton visage. Les doigts du clair de lune courent doucement sur tes yeux avides de sommeil, te font voir la vie comme un miracle et se posent sur tes paupières sans te faire mal. Ton corps est désormais invulnérable, il frémit comme un arc tendu, il attend son dernier exil aux portes de la terre. Mais ton voyage se limite à deux battements de coeur d'un horizon à l'autre, l'étoile du matin, ton étoile, te tend une corde pour que tu grimpes vers elle et pour la première fois, consciente de ton innocence, tu poses ta tête sur la nuit épineuse.

Seule, vaincue et altière, tu t'appropries tous les destins qui se croisent ici, en te balançant sans bruit dans le vent, debout, bien droite, dans l'abolition de toi-même, tu t'élèves au-dessus de tous les mensonges de la vie et de la mort. Une fois encore, la dernière, on entend chanter le choeur immense; il commence tout bas, puis il s'amplifie peu à peu, dominant tous les bruits et les silences des cieux et des nuits du monde. Ce qui t'appelle, toi et ta solitude, avec ta voix la plus réelle, c'est le choeur lointain, incroyable, magnifique, les tambours de la victoire ou de la défaite, et le vent... le vent...

Asli Erdogan, Le bâtiment de pierre (Actes Sud, 2013)

traduit du turc par Jean Descat

08:16 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

06/06/2013

Morceaux choisis - Ramon Gomez de la Serna

Ramon Gomez de la Serna

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Chères hirondelles, 

Je vous écris avant la date prévue parce que votre présence se fait urgente, afin de rasséréner les cieux et de voir arriver le nouvel envoi de papier bleu ciel qui soulage les âmes. Nous avons eu le cadeau de journées printanières, mais vous seules rendez légale la continuité printanière et officialisez l'entrée dans une nouvelle période d'espoir. C'est comme si, grâce à un signal habituel et authentique comme le vôtre, les cieux inquiets retrouvaient leur quiétude et que le temps oublié revenait de l'oubli. Seule votre présence, de ses griffonnages nerveux, sans qu'ait à être lisible ce que vous écrivez, apaiserait la crainte de l'avenir.

Ces derniers jours, vos signes ont peu à peu pris le dessus, sans qu'il soit besoin de les interpréter comme optimistes ou pessimistes ou comme funestes. Endeuillées et joyeuses, vous êtes la définition naturelle du devenir. On vous demande d'être les témoins anticipés de ce qui arrive et de marquer le verso de la page, que de vos seules notes anguleuses vous parvenez à imprimer. L'hiver n'a pas de cachet aussi adéquat que celui de vos courses et de vos sifflements, car soit le vent est surhumain soit il est trop banal quand il prend la forme de cette petite boîte qui toute la nuit joue à aller et venir sur la terrasse.

Vous tramez quelque chose en dessinant des labyrinthes dans le ciel et vous apportez la santé de la continuité, le signe apaisé, le remède de la vieille bonne femme. Il s'agit que vous veniez un peu avant pour numéroter les pages du ciel, car depuis que le monde est monde vous servez, dans l'imprimerie du temps, à marquer la séparation des chapitres. Et comme nous avons besoin de passer à un autre chapitre! Vous tirez le temps vers l'avant, vous faufilez ses pièces bleues, vous nous aidez à sauter plus loin et nous agrée comme le passé ce qui nous mène au paroxysme comme présent. 

Vous croyez en la promenade dans le ciel et votre plaisir est de nager dans l'immensité. Nul autre spectacle ne vous donne ce plaisir et à vous voir aussi heureuses comment l'homme ne comprend-il pas ce que vaut une promenade entre ciel et terre et cherche-t-il sans cesse d'autres divertissements qui sont ceux qui le détruisent? N'est-elle pas suffisante cette leçon de la promenade délirante et joyeuse?

Vous apportez la mémoire et l'oubli des siècles et l'espoir de nous rencontrer dans le même miroir quand nous vivrons l'éternité où il faudra bien qu'il y ait des hirondelles parce que, alors, non, l'éternité ne serait pas naturelle. Pourrions-nous aller jusqu'à dire que, sans vous, nous ne voudrions pas l'immortalité puisque nous manqueraient les variations du temps et le premier jour d'enfance où nous avons conçu le bonheur dans la vie?

Chères hirondelles, vous êtes les ancres de l'âme qui dans son angoisse se sent emportée loin par des prémonitions de cyclone, et le puits monte grâce à vous et nous pouvons rester chez nous ce long après-midi à chercher des idées, des sujets. 

Venez, avancez la date, couvrez les ardoises du ciel de joyeuses allusions. Onde et spirale, spirale et onde: sortez des petites places cachées où vous jouez et venez à nous par les escaliers en colimaçon où vous descendez en piqué.

Vous savez que je suis un gros hirondeleau parmi les hirondelles et que je vis de stratagèmes transparents et avouables, sans nulle intrigue, comme vous, grâce à la tolérance de la Providence qui permet que tous les jours je descende à ma table, accroché à mon cerf-volant de couleurs, ma pitance de chaque jour.

Vous savez bien que tant que je vivrai, je poursuivrai cette correspondance, mais aujourd'hui je ferme cette lettre avec un souvenir, comme toujours, aux hirondelles de Bécquer (qu'elles reposent en paix) et, avec maints souvenirs à toutes celles qui volent dans les cieux du présent et à celles qui viendront, je reste comme toujours votre fervent admirateur,

Ramon.

Ramon Gomez de la Serna, Lettre de la troisième année / extrait, dans: Lettres aux hirondelles et à moi-même (André Dimanche, 2006)

traduit de l'espagnol par Jacques Ancet

image: Duo d'hirondelles (fond-ecran-image.com)

00:08 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature espagnole, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; correspondance; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

01/06/2013

Morceaux choisis - Marcel Proust

Marcel Proust

littérature; nouvelles; morceaux choisis; livres

merci à Christiane H

La mer fascinera toujours ceux chez qui le dégoût de la vie et l'attrait du mystère ont devancé les premiers chagrins, comme un pressentiment de l'insuffisance de la réalité à les satisfaire. Ceux-là qui ont besoin de repos avant d'avoir éprouvé encore aucune fatigue, la mer les consolera, les exaltera vaguement. Elle ne porte pas comme la terre les traces des travaux des hommes et de la vie humaine. Rien n'y demeure, rien n'y passe qu'en fuyant, et des barques qui la traversent, combien le sillage est vite évanoui! De là cette grande pureté de la mer que n'ont pas les choses terrestres. Et cette eau vierge est bien plus délicate que la terre endurcie qu'il faut une pioche pour entamer. Le pas d'un enfant sur l'eau y creuse un sillon profond avec un bruit clair, et les nuances unies de l'eau en sont un moment brisées; puis tout vestige s'efface, et la mer est redevenue calme comme aux premiers jours du monde. Celui qui est las des chemins de la terre ou qui devine, avant de les avoir tentés, combien ils sont âpres et vulgaires, sera séduit par les pâles routes de la mer, plus dangereuses et plus douces, incertaines et désertes. Tout y est plus mystérieux, jusqu'à ces grandes ombres qui flottent parfois paisiblement sur les champs nus de la mer, sans maisons et sans ombrages, et qu'y étendent les nuages, ces hameaux célestes, ces vagues ramures.

La mer a le charme des choses qui ne se taisent pas la nuit, qui sont pour notre vie inquiète une permission de dormir, une promesse que tout ne va pas s'anéantir, comme la veilleuse des petits enfants qui se sentent moins seuls quand elle brille. Elle n'est pas séparée du ciel comme la terre, est toujours en harmonie avec ses couleurs, s'émeut de ses nuances les plus délicates. Elle rayonne sous le soleil et chaque soir semble mourir avec lui. Et quand il a disparu, elle continue à le regretter, à conserver un peu de son lumineux souvenir, en face de la terre uniformément sombre. C'est le moment de ses reflets mélancoliques et si doux qu'on sent son coeur se fondre en les regardant. Quand la nuit est presque venue et que le ciel est sombre sur la terre noircie, elle luit encore faiblement, on ne sait par quel mystère, par quelle brillante relique du jour enfouie sous les flots.

Elle rafraîchit notre imagination parce qu'elle ne fait pas penser à la vie des hommes, mais elle réjouit notre âme, parce qu'elle est, comme elle, aspiration infinie et impuissante, élan sans cesse brisé de chutes, plainte éternelle et douce. Elle nous enchante ainsi comme la musique, qui ne porte pas comme le langage la trace des choses, qui ne nous dit rien des hommes, mais qui imite les mouvements de notre âme. Notre coeur en s'élançant avec leurs vagues, en retombant avec elles, oublie ainsi ses propres défaillances, et se console dans une harmonie intime entre sa tristesse et celle de la mer, qui confond sa destinée et celle des choses.

Marcel Proust, Les plaisirs et les jours (coll. Folio/Gallimard, 2007)

image: lapetitesourie.canalblog.com 

31/05/2013

Carjo Mouanda 1b

Morceaux choisis - Carjo Mouanda

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Congo, mon Congo
La terre de mes aïeux
Dans ton sein mes ancêtres ont vu le jour
Autrefois terre sereine avec eux
 
Mais? Pourquoi?
O! Congo
Mieux vaut pour moi la vie avec rien
Que ma mort dans un cercueil en or
Pourquoi! Pourquoi! Congo
Pourquoi me fais-tu gémir?
 
Je pourrais faire de toi une école
Pour mieux apprendre la liberté
Celle que nous chantons tous les jours haut et fort
Si j'étais au théâtre
Un grand rire jaillirait de ma bouche
Un rire, hélas, saturé d'émoi
 
Congo, mon Congo
Laisse-moi grandir. 
 

Carjo Mouanda, Congo la terre des aïeux, dans: Cri de douleurs (Lire et Méditer, 2013)

17:04 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/05/2013

Morceaux choisis - Albert Camus

Albert Camus

littérature; essai; morceaux choisis; livres

merci à Christiane H

J’ai grandi dans la mer et la pauvreté m’a été fastueuse, puis j’ai perdu la mer, tous les luxes alors m’ont paru gris, la misère intolérable. Depuis, j’attends. J’attends les navires du retour, la maison des eaux, le jour limpide. Je patiente, je suis poli de toutes mes forces. On me voit passer dans de belles rues savantes, j’admire les paysages, j’applaudis comme tout le monde, je donne la main, ce n’est pas moi qui parle. On me loue, je rêve un peu, on m’offense, je m’étonne à peine. Puis j’oublie et souris à qui m’outrage, ou je salue trop courtoisement celui que j’aime. Que faire si je n’ai de mémoire que pour une seule image? On me somme enfin de dire qui je suis: Rien encore, rien encore...

C’est aux enterrements que je me surpasse. J’excelle vraiment. Je marche d’un pas lent dans des banlieues fleuries de ferrailles, j’emprunte de larges allées, plantées d’arbres de ciment, et qui conduisent à des trous de terre froide. Là, sous le pansement à peine rougi du ciel, je regarde de hardis compagnons inhumer mes amis par trois mètres de fond. La fleur qu’une main glaiseuse me tend alors, si je la jette, elle ne manque jamais la fosse. J’ai la piété précise, l’émotion exacte, la nuque convenablement inclinée. On admire que mes paroles soient justes. Mais je n’ai pas de mérite: j’attends.

J’attends longtemps. Parfois, je trébuche, je perds la main, la réussite me fuit. Qu’importe, je suis seul alors. Je me réveille ainsi, dans la nuit, et, à demi endormi, je crois entendre un bruit de vagues, la respiration des eaux. Réveillé tout à fait, je reconnais le vent dans les feuillages et la rumeur malheureuse de la ville déserte. Ensuite, je n’ai pas trop de tout mon art pour cacher ma détresse ou l’habiller à la mode.

D’autres fois, au contraire, je suis aidé. À New York, certains jours, perdu au fond de ces puits de pierre et d’acier où errent des millions d’hommes, je courais de l’un à l’autre, sans en voir la fin, épuisé, jusqu’à ce que je ne fusse plus soutenu que par la masse humaine qui cherchait son issue. J’étouffais alors, ma panique allait crier. Mais, chaque fois, un appel lointain de remorqueur venait me rappeler que cette ville, citerne sèche, était une île, et qu’à la pointe de la Battery l’eau de mon baptême m’attendait, noire et pourrie, couverte de lièges creux.

Ainsi, moi qui ne possède rien, qui ai donné ma fortune, qui campe auprès de toutes mes maisons, je suis pourtant comblé quand je le veux, j’appareille à toute heure, le désespoir m’ignore. Point de patrie pour le désespéré et moi, je sais que la mer me précède et me suit, j’ai une folie toute prête. Ceux qui s’aiment et qui sont séparés peuvent vivre dans la douleur, mais ce n’est pas le désespoir: ils savent que l’amour existe. Voilà pourquoi je souffre, les yeux secs, de l’exil. J’attends encore. Un jour vient, enfin...

Albert Camus, L'été, précédé de: Noces (coll. Folio Essais/Gallimard, 2007)

image: Alger (www.voyagesphotosmanu.com)

02:40 Écrit par Claude Amstutz dans Albert Camus, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; essai; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

10/05/2013

Morceaux choisis - Sylvie Fabre G.

Sylvie Fabre G.

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Dans la bibliothèque de ma mère
les livres étaient comme des draps
linge frais ou linceuil
ils moulaient formes et rêves, vivants et morts
m'enveloppant de silence
pour mieux parler les choses innommées
l'azur et l'ombre
et les visages, beaux oiseaux
qui n'en finissent pas de passer
sur leurs pages veinées d'encre de sang et d'eau
 
dans la bibliothèque de ma mère
la solitude dessinait un paysage sans horizonun présent
où le coeur avançait
les livres souffleurs d'amour et de douleur
couturaient l'invisible
je m'égarais dans leur végétation
au-dedans et au-dehors, mots ouverts
histoire oubliée sous les lilas
l'odeur de la vie m'emportait
 
dans la bibliothèque de ma mère
les livres étaient comme des mains
que je promenais sur le monde
que je levais vers le ciel, feu ou vide
ils rendaient toute figure visible
traversant le temps, l'ici et l'ailleurs
pour retourner à la source dont ils venaient
dans la bibliothèque de ma mère
j'étais sans âge et sans demeure
la lectrice éternelle, l'étrangère.

Sylvie Fabre G., Dans la bibliothèque de ma mère, dans: Pas d'ici, pas d'ailleurs - Anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines / présentation et choix: Sabine Huynh, Andrée Lacelle, Angèle Paoli, Aurélie Tourniaire / préface: Déborah Heissler (Voix d'Encre, 2012)

image: livresanciens-tarascon.blogspot.com

12:55 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

06/05/2013

Morceaux choisis - Robert Ganzo

Robert Ganzo

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Invente! Il n'est fête perdue
au fond de ta mémoire.
Invente les noirs béants de ce portail,
l'ombre chaude à l'Equateur bue,
et la foudre en tes mains reçue,
ouverte comme un éventail.
 
Ce cri, qu'il délivre ma vie!
Mais avant d'être ainsi ravie
à son silence d'autrefois,
déjà ma chair pouvait t'entendre,
printemps tout en fleurs de chair tendre
dont quels reflets portaient la voix?
 
Déjà, saisons des mots apprises
dans les chemins de vos rousseurs,
dans les glacis de tant d'émaux,
et dans les pleurs de vos nuits grises,
vous promulgiez - azur et brise -
la loi tremblante des ormeaux.
 
Bourgeons enceints de confidences;
asiles récents des rameaux...
Plus loin que ce temps d'évidences
une autre extase est prisonnière
en un langage de poussière
où sont allés mourir des mots.
 
Tout crisse en moi.
Je me suis pris aux pièges
de lueurs mouvantes;
et je m'émerveillais des gerbes
éclatant partout en semis,
quand l'avril qui m'était promis
s'en vint avec des douceurs d'herbes.
 
La figue où brûle un feu de lune;
l'amande au fond de sa rancune;
- il m'a fallu nommer le fruit -
la femme enclose dans la mangue...
S'il tient des clartés en sa langue,
un nom, 
l'univers est construit.
 
Il m'a fallu nommer le geste
offert jusqu'à la révérence,
ce murmure comme un duvet.
Baisers épars d'une Science!
Qu'il connaisse une impatience,
un mot,
et l'amour est défait.
 
Pèse en ton sang le poids d'un rêve;
le suc en fête de la sève;
ce qui s'ordonne en les débris;
les fils cassés des avalanches,
ou l'envol de bouquets aux branches,
puisque les oiseaux ont fleuri.
 
Parle: et l'air tourne sur lui-même
hors du jour vide et du chaos;
l'air tourne et parle 
et c'est l'écho qui fait
un sanglot du blasphème, 
une voix de songe expirant
au secret d'un cristal suprême.
 
Vos liens sont dénoué, paroles,
mes étoiles aux ciels des yeux.
L'instant m'interroge et je peux,
titubant de pleurer à rire,
tenter enfin de dire au mieux
ce qui reste à jamais à dire.
 

Robert Ganzo, Langage, dans: L'oeuvre poétique (Gallimard, 1997)

image: Robert Ganzo (manuelvichganzo.centerblog.net)

18:17 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/05/2013

Morceaux choisis - Patrice de la Tour du Pin

Patrice de la Tour du Pin

littérature; poésie; anthologie; livres

Cette odeur sur les pieds de narcisse et de menthe,
Parce qu’ils ont foulé dans leur course légère
Fraîches écloses, les fleurs des nuits printanières,
Remplira tout mon cœur de ses vagues dormantes;
 
Et peut-être très loin sur ses jambes polies,
Tremblant de la caresse encor de l’herbe haute,
Ce parfum végétal qui monte, lorsque j’ôte
Tes bas éclaboussés de rosée et de pluie;
 
Jusqu’à cette rancœur du ventre pâle et lisse
Où l’ambre et la sueur divinement se mêlent
Aux pétales séchées au milieu des dentelles
Quand sur les pentes d’ombre inerte mes mains glissent,
 
Laurence… Jusqu’aux flux brûlants de ta poitrine,
Gonflée et toute crépitante de lumière
Hors de la fauve floraison des primevères
Où s’épuisent en vain ma bouche et mes narines,
 
Jusqu’à la senteur lourde de ta chevelure,
Éparse sur le sol comme une étoile blonde,
Où tu as répandu tous les parfums du monde
Pour assouvir enfin la soif qui me torture!
 

Patrice de la Tour du Pin, Laurence endormie, dans:Zéno Bianu, Eros émerveillé - Anthologie de la poésie érotique française (coll. Poésie/Gallimard, 2012)

image: stephaniecphoto.ca

10:43 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

02/05/2013

Morceaux choisis - Paul Claudel

Paul Claudel

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C'est vrai que Vos saints ont tout pris, mais il me reste mes péchés! Quand je serai sur mon lit de mort, Seigneur, fort jaune et bien mal rasé, quand je repasserai ma vie et ferai mon examen général, je suis riche! et si le bien est rare, il me reste tout le mal. Je n'ai pas mis un jour à Vous préparer, Seigneur, de quoi me pardonner. Ce n'est dans aucun mérite que je m'assure mais dans mes péchés. Chaque jour a le sien, les voici, et j'en sais le compte comme un avare. 

S'il Vous faut des vierges, Seigneur, s'il Vous faut des braves sous Vos étendards, s'il y a des gens à qui, pour être chrétien, les paroles n'aient pas suffi, et qui aient su que s'il est beau de Vous suivre, c'est qu'il y va de la vie, voici Dominique et François, Seigneur, voici Saint Laurent et Sainte Cécile!

Mais si Vous aviez besoin par hasard d'un paresseux et d'un imbécile, s'il Vous fallait un orgueilleux et un lâche, s'il Vous fallait un ingrat et un impur, un homme dont le coeur fut fermé et dont le visage fut dur, et tout de même ce n'est pas les justes que Vous êtes venu sauver mais ceux-là, quand Vous en manquiez partout, il Vous restera toujours moi! Et puis il n'est d'homme si vulgaire qui ne Vous ait gardé quelque chose de nouveau, et qui n'ait fabriqué pour Vous, en dehors de ses heures de bureau, espérant que l'idée un jour Vous viendra de le lui demander, et que peut-être ça Vous plaira, quelque chose d'affreux et de compliqué, où il a mis tout son coeur et qui ne sert à quoique ce soit.

Ainsi, ma petite fille, le jour de ma fête qui s'avance avec embarras, et qui m'offre, le coeur gonflé d'orgueil et de timidité, un magnifique petit canard, oeuvre de ses mains, pour y mettre des épingles, en laine rouge et en fil doré.

Paul Claudel, Le jour des cadeaux, dans: Ecoute ma fille (Egloff, 1934)

image: www.lacolline-auxdoudous.com

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28/04/2013

Morceaux choisis - Michel Houellebecq

Michel Houellebecq

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Ma vie, ma vie, ma très ancienne,
Mon premier voeu mal refermé
Mon premier amour infirmé
Il a fallu que tu reviennes
 
Il a fallu que je connaisse
Ce que la vie a de meilleur,
Quand deux corps jouent de leur bonheur
Et sans fin s'unissent et renaissent.
 
Entré en dépendance entière
Je sais le tremblement de l'être
L'hésitation à disparaître
Le soleil qui frappe en lisière
 
Et l'amour, où tout est facile,
Où tout est donné dans l'instant.
Il existe, au milieu du temps,
La possibilité d'une île.
 

Michel Houellebecq, Configuration du dernier rivage (Flammarion, 2013)

image: www.lesinrocks.com

09:13 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |