19/07/2013
Morceaux choisis - André Velter
André Velter
La nuit ne cache rienElle ouvre son baiser sombreSon brasier d'étoiles filantesQui tombent du côté des cendresEt la Grande Migration a déjà commencé De très haut le regard se surprendA plus haut que luiUne idée fixe et mouvantePour débusquer la voie délivrée des ombresSorte de secret révéléQui met des bleus aux épaules et aux cuisses On monte à coups de reinsDans un écho venu de loinQui depuis longtemps ne s'entend plusQue les yeux à la renverse Notre histoire en appelle au sens ascendantCelui du réel inouïCelui des légendes vraies Le vertige se cantonne au dedansNuage en chute libreDe la bouche jusqu'au ventreAvec son charroi de ressouvenirs En rappel sur la paroi c'est autre choseUne éclaircie des muscles des osUn sursaut hors de toutA une corde près qui vibre contre les pierres Etre là dans ce gouffre aboliSi fier de répondre à son propre défiRessuscité d'entre les cicatricesEt délesté enfin Et invincible encoreAndré Velter, Hors de tout, dans: Avec un peu plus de ciel (Gallimard, 2012)
18:45 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
18/07/2013
Morceaux choisis - Nazim Hikmet
Nazim Hikmet
merci à Monique D
Si j'étais platane si je me reposais à son ombre si j'étais livre que je lirais sans ennui dans mes nuits d'insomnie crayon, je ne voudrais pas l'être même pas entre mes propres doigts si j'étais porte je m'ouvrirais aux bons je me fermerais aux méchants si j'étais fenêtre une fenêtre sans rideaux grande ouverte si j'étais verbe si je vous appelais au beau au juste au vrai si j'étais parole je dirais mon amour doucement, tout doucementNazim Hikmet, cité par John Berger (bleublancturc.com)
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16/07/2013
Morceaux choisis - Carlo Carretto
Carlo Carretto
O Eglise, combien tu m'apparais contestable, et cependant combien je t'aime! Combien tu m'as fait souffrir et cependant combien je te dois! Je voudrais te voir détruite, et cependant j'ai besoin de ta présence. Par toi, me sont venus tant de scandales, et cependant tu m'as fait comprendre la sainteté. Je n'ai rien vu au monde de plus obscurantiste, de plus compromis, de plus faux, et je n'ai rien touché de plus pur, de plus généreux, de plus beau. Que de fois j'ai eu le désir de te fermer au nez la porte de mon âme, et que de fois j'ai prié pour mourir entre tes bras qui offrent toute sécurité.
Carlo Carretto, le Dieu qui vient (Apostolat des Editions, 1972)
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12/07/2013
Bel Paese 1b
Morceaux choisis - Giancarlo De Cataldo
Lettre de Giuseppe Mazzini à Elena Sacchi, le jour de son vingtième anniversaire.
29 septembre 1854.
La vague de la mer est salée et amère: la lèvre refuse de s'y désaltérer. Mais quand le vent souffle sur elle et la soulève très haut dans l'atmosphère, elle retombe douce et fécondante. Et la vie est comme la vague: elle se dépouille de l'amertume qui l'envahit, en s'élevant. Ne demande pas le bonheur à la vie: tu pécherais, et inutilement, par égoïsme. Ne désespère pas de la vie: le désespoir es l'athéisme de l'âme. La vie est un devoir. Souvent, pour qui le remplit avec une sérénité résignée, Dieu envoie, dans les affections, un rayon de bonheur, il envoie son rayon à travers les nuages ou diffracte sa lumière, après la tempête, en arc-en-ciel. Et là où même le rayon ne descendrait pas pour rendre joyeuse ta vie, conserve, oh jeune fille, ta foi: l'espérance est sa compagne insurpassable, et l'espérance est le fruit en graine. Comme la fleur a ses racines souterraines et se fait beauté et parfum en passant dans un autre élément, les aspirations, les saints concepts de ta vie, sont des promesses de bonheur et se développeront en fleurs de vérité à d'autres stades de ton être, dont celui-ci est une étape et une préparation.
Giancarlo De Cataldo, L'anti-Italien / extrait, dans Bel Paese - Introduction, sélection et traduction de Serge Quadruppani (Métailié, 2013)
à propos de Elena Sacchi-Casati: http://www.veronainblog.it/wp/2011/03/21/verso-la-primavera-profili-le-donne-del-risorgimento-elena-casati
image: Giuseppe Mazzini (totalita.it)
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10/07/2013
Morceaux choisis - Kim Thuy
Kim Thuy
Maman et moi, nous ne nous ressemblons pas. Elle est petite, et moi je suis grande. Elle a le teint foncé, et moi j'ai la peau des poupées françaises. Elle a un trou dans le mollet, et moi j'ai un trou dans le coeur.
Ma première mère, celle qui m'a conçue et mise au monde, avait un trou dans la tête. Elle était une jeune adulte, ou peut-être encore une fillette, car aucune femme vietnamienne n'aurait osé porter un enfant sans porter un jonc au doigt.
Ma deuxième mère, celle qui m'a cueillie dans un potager au milieu des plants d'okra, avait un trou dans la foi. Elle ne croyait plus aux gens, surtout quand ils parlaient. Alors elle s'est retirée dans une paillote, loin des bras puissants du Mékong, pour réciter des prières en sanscrit.
Ma troisième mère, celle qui m'a vue tenter mes premiers pas, est devenue Maman, ma Maman. Ce matin-là, elle a voulu ouvrir ses bras à nouveau. Alors, elle a ouvert les volets de sa chambre, qui jusqu'à ce jour étaient restés fermés. Au loin, dans la lumière chaude, elle m'a vue et je suis devenue sa fille. Elle m'a donné une seconde naissance en m'élevant dans une grande ville, un ailleurs anonyme, au fond d'une cour d'école, etourée d'enfants qui m'enviaient d'avoir une mère enseignante et marchande de bananes glacées.
Chaque matin, très tôt, avant le début des classes, nous faisions les courses. Nous commencions par la marchande de noix de coco matures, celles qui sont riches en chair et pauvres en jus. La dame nous râpait la première moitié de la noix à l'aide d'une capsalu récupérée sur une bouteille de boisson gazeuse et fixée au bout d'un bâton plat. De grandes lamelles tombaient en frise décorative comme des rubans sur la feuille de bananier étalée sur le kiosque. Cette marchande parlait sans cesse et posait toujours la même question à Maman: Qu'est-ce que vous lui donnez à manger pour qu'elle ait des lèvres si rouges? Pour éviter sa remarque, j'avais pris l'habitude de retourner mes lèvres vers l'intérieur, mais la vitesse à laquelle elle râpait la seconde moitié de la nix me fascinait tant que je l'observais toujours avec la bouche entrouverte. Elle mettait son pied sur une longue spatule en métal noir dont une partie du manche était posée sur un petit banc en bois. Sans regarder les dents pointues du bout arrondi de la spatule, elle émiettait la chair en grattant la noix avec la rapidité d'une machine.
La chute des miettes par le centre troué de la spatule ressemble peut-être au vol des flocons de neige au pays du Père Noël, disait toujours Maman, qui en fait citait sa mère. Elle faisait parler sa mère pour l'entendre de nouveau.
Kim Thuy, Man (Liana Levi, 2013)
image: Sylvie Biscioni, Kim Thuy (franceinter.fr)
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08/07/2013
Morceaux choisis - Christian Bobin
Christian Bobin
merci à Christiane H
La légèreté, elle est partout, dans l’insolente fraîcheur des pluies d’été, sur les ailes d’un livre abandonné au bas d’un lit, dans la rumeur des cloches d’un monastère à l’heure des offices, une rumeur enfantine et vibrante, dans un prénom mille et mille fois murmuré comme on mâche un brin d'herbe, dans la fée d’une lumière au détour d’un virage sur les routes serpentines du Jura, dans la pauvreté tâtonnante des sonates de Schubert, dans la cérémonie de fermer lentement les volets le soir, dans une fine touche de bleu, bleu pâle, bleu violet, sur les paupières d’un nouveau-né, dans la douceur d’ouvrir une lettre attendue, en différant une seconde l’instant de la lire, dans le bruit des châtaignes explosant au sol et dans la maladresse d’un chien glissant sur un étang gelé, j’arrête là, la légèreté , vous voyez bien, elle est partout donnée. Et si en même temps, elle est rare, d’une rareté incroyable, c’est qu’il nous manque l’art de recevoir, simplement recevoir ce qui nous est partout donné.
Christian Bobin, La folle allure (coll. Folio/Gallimard, 1997)
image: http://cdn1.albayan.ae
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30/06/2013
Morceaux choisis - Paul Fort
Paul Fort
- Ecureuil du printemps, écureuil de l'été,qui domines la terre avec vivacité,que penses-tu là-haut de notre humanité? - Les hommes sont des fousqui manquent de gaîté. - Ecureuil, queue touffue, doré trésor des bois, ornement de la vie et fleur de la nature,juché sur ton pin vert,dis-nous ce que tu vois? - La terre qui poudroie sous des pasqui murmurent. - Ecureuil voltigeant, frère du pic bavard,cousin du rossignol, ami de la corneille,dis-nous ce que tu voispar delà nos brouillards? - Des lances, des fusilsmenacer le soleil. - Ecureuil, cul à l'air, cursif et curieux,ébouriffant ton col et gloussant un fin rire,dis-nous ce que tu voissous la rougeur des cieux? - Des soldats, des drapeauxqui traversent l'empire. - Ecureuil aux yeux vifs, pétillants,noirs et beaux, humant la sève d'or,la pomme entre tes pattes,que vois-tu sur la plaine autour de nos hameaux? - Monter le lac de sangdes hommes qui se battent. - Ecureuil de l'automne, écureuil de l'hiver,qui lances vers l'azur, avec tant de gaîté,ces pommes...que vois-tu? Demain tout comme Hier. Les hommes sont des fouset pour l'éternité.
Paul Fort, L'écureuil, dans: Ballades du beau hasard - Poèmes inédits et autres poèmes (coll. GF/Flammarion, 2009)
image: Les Saules / Cologny (2013)
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27/06/2013
Morceaux choisis - Jean-Pierre Lemaire
Jean-Pierre Lemaire
Le soleil de Paudécoupe dans les murs successifs des annéesdes trous circulairesà travers lesquels tu vois se parlerla mère et la fille en robes de mariée,Eurydice âgée et la jeune ménadequi lui rapporte enfin la tête d'Orphée;il chante à nouveau sur le mode majeuren respirant l'odeur résineuse des Landes.Il entend de loin le choeur de l'océanavec toutes ses voix étagées dans le temps,formidables déjàcomme les trompettes qui proclamerontà la fin sur les toitsce qu'au fil des jours, dans l'ombre des maisons,aura murmuré la fidélité.
Jean-Pierre Lemaire, Choral, dans: Faire place (Gallimard, 2013)
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25/06/2013
Morceaux choisis - Ramon Gomez de la Serna
Ramon Gomez de la Serna
Cher Ramon,
La moitié du monde veut attaquer l'autre moitié et la guerre qui prend aujourd'hui le nom de guerre froide est la sempiternelle guerre de toujours. L'ennui ce serait qu'on nous agresse et qu'on démantibule la table sur laquelle, noblement accoudés, nous écrivons, lisons et pensons. Dans cette agression des uns contre les autres même notre maison est sans dessus dessous et on la retrouve un jour à des milliers de kilomètres de là où elle était.
Les forces du monde ont augmenté et la loi veut que les unes soient toujours négatives et les autres positives, en une perpétuelle alternance, sans accord possible, sans qu'elles se confondent désastreusement. Stabiliser ces forces a été l'un des prodiges du passé, peut-être parce qu'elles n'avaient pas atteint le voltage d'aujourd'hui. Nous qui sommes nés avec assez d'humour, nous savons nous maintenir au milieu des deux courants, sans que l'inquiétude et la crainte soient trop pénibles. Nous gagnons des jours, des nuits, parfois des matins et grâce à nos blagues nous pouvons entretenir des correspondances superflues et constantes comme celle-ci.
Parce que nous pouvons dire ce que nous voulons nous damons le pion aux bornés et aux fanatiques. Au coeur de la violence il est beau de prononcer la phrase inouïe. Aujourd'hui, et sous l'enveloppe de cette lettre, nous passons au travers du feu criminel et je peux te dire qu'il y a des larmes qui sont des vers blancs et que le mouchoir est le linceul du nez.
Voler au faire le non-faire est l'un des charmes de la vie et les tasses qui ne servent pas sont plus heureuses que nous précisément parce qu'elles sont et ne servent pas. Tout est dans l'erreur et Dieu sourit à celui qui a l'habileté de ne pas se laisser prendre aux bobards et aux soucis, en profitant de ces moments neutres où il contemple les heures libres de devoir, sans ployer sous le fardeau d'aucune pensée solennelle. On veut nous enlever cette faculté d'enfants de Dieu d'affronter la tristesse et ce qui semble n'avoir aucun sens, comme les fleuves des draps qui vont se jeter dans la mer ou la tortue qui ne joue pas au violon. Pas de plus grand bonheur que de penser ce qu'on veut au lieu de penser ce que les autres veulent.
Nous profitons de l'absence de censure sur la correspondance pour dire l'indicible qui n'est pas ce qu'il est interdit de dire mais ce qui se satisfait de son inconscience, comme, par exemple, dire que les gilets avalent leurs boutons - ils ne les perdent pas - et que dans les couloirs on entend le bruit de l'obscurité qui fait craquer ses doigts.
Une lettre, tu le comprends très bien, ne rivalise avec rien et c'est pourquoi elle peut donner forme au rien, parler du rien, diriger l'escarmouche de la chiquenaude, embrouiller les ongles, mélanger les veinules du cerveau et les coiffer la raie au milieu, calomnier le couteau, soutenir que le compteur électrique est fou.
Ni fièvre, ni nominations, ni histoires d'enfants, mais tout simplement te dire que le papier hygiénique qui a ses propres télégrammes, même de l'étranger, annonce que la bourse invisible ruine le monde.
Je t'embrasse,
Ramon.
Ramon Gomez de la Serna, Lettres à moi-même / extrait, dans: Lettres aux hirondelles et à moi-même (André Dimanche, 2006)
image: Hamlet (loisirs.lemessager.fr)
17:32 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature espagnole, Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; correspondance; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |
19/06/2013
Morceaux choisis - Charles-Ferdinand Ramuz
Charles-Ferdinand Ramuz
Maintenant la nuit était venue tout à fait. Pierre Chemin avait remis sa pipe dans sa poche; Adèle Genoud avait été coucher son enfant; les chauves-souris avaient été se coucher aussi, qui sont des bêtes vite fatiguées. Et ceux qui étaient encore là se souhaitèrent le bonsoir. On entendit les portes se fermer l'une après l'autre, mais on n'avait plus besoin de tourner la clé dans la serrure. Il n'y avait plus non plus une seule de ces lumières, comme autrefois. Dans le temps d'autrefois, toujours une fenêtre ou deux restaient éclairées toute la nuit.
Est-ce qu'on se souvient? Quand on entrait dans les villages il y avait toujours ces deux ou trois points de feu à des maisons qu'on ne distinguait pas, et ils faisaient penser à des étoiles tombées. On se disait: C'est pour un malade. On regardait ces lampes, on se disait: C'est quelqu'un qui se meurt; on se disait: C'est un accident; on se disait: C'est la vache qui fait le veau. Et quelquefois, les nuits d'orage, voilà qu'elles s'allumaient toutes à l'imitation des éclairs, et tout le monde s'habillait, parce qu'il n'y avait de sécurité pour personne, et la vie de chacun de nous pouvait lui être reprise à chaque heure, comme ses biens.
Le veilleur de nuit faisait sa tournée avec sa lanterne; c'était une lumière de plus et celle-ci se promenait. L'homme chargé de distribuer l'eau cheminait le long des rigoles, déplaçant les planchettes qui servent d'écluses; encore une lumière qui allait et venait. Par les nuits les plus tranquilles, il fallait qu'on fût sur ses gardes. Par les plus belles nuits d'étoiles. Sous les étoiles, sous point d'étoiles. En tout temps, en toute saison, parce qu'on ne savait jamais.
Charles-Ferdinand Ramuz, Joie dans le ciel (coll. Cahiers Rouges/Grasset, 1997)
image: Charles-Ferdinand Ramuz (notrehistoire.ch)
10:56 Écrit par Claude Amstutz dans Charles Ferdinand Ramuz, Littérature francophone, Littérature suisse, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |