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30/04/2010

Les écureuils de Central Park - 2

9782226208316.gifKatherine Pancol, Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi (Albin Michel, 2010)

On ne présente plus l'auteur de Les yeux jaunes des crocodiles et de La valse lente des tortues qui connaît avec ces deux titres un succès inespéré. Il est vrai que si, au contraire des auteurs traduits, les francophones confondent trop souvent les caractéristiques du roman avec le récit, l'autofiction ou le vécu et négligent la principale vertu du roman qui consiste à savoir raconter une histoire - "une œuvre d’imagination en prose, assez longue qui présente et fait vivre dans un milieu des personnages donnés comme réels et nous fait connaître leur psychologie, leur destin et leurs aventures" (Le Petit Robert) - , on ne peut en faire le reproche à Katherine Pancol.

Jugée avec une relative condescendance par les professionnels du livre qui lui reconnaissent un public - traduisez: un peu nunuche - mais adulée par ses fans de plus en plus nombreux, elle nous embarque pour la troisième et dernière fois semble-t-il dans l'ébouriffant tourbillon de la famille Cortes: Joséphine, Hortense, Shirley, sans oublier Josiane, Marcel ou Philippe, avec de nouveaux personnages - Becca et le jeune homme, par exemple - qui ont leur mot à dire pour infléchir le destin des uns et des autres.

Bien sûr que les esprits chagrins reprocheront à Katherine Pancol ces 852 pages - 200 de plus que ses deux précédents opus - ou une trame un peu prévisible - inévitable à force de côtoyer et de s'attacher aux personnages - mais qu'importe: La magie opère toujours, bienfaisante comme un vent léger qui nous fait respirer à pleins poumons, heureux tout simplement de savourer ces moments de la vie et de partager ce soleil indomptable qui voudrait briller pour tout le monde.

00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Katherine Pancol, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/04/2010

De l'autre côté du miroir

Bloc-Notes, 12 avril / Les Saules

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Samedi dernier - un peu las du bruit, de l'absence de lumière intérieure, de la vacuité ambiante - j'ai entrepris un voyage avec ces écrivains imprégnés par la nature qui les entoure. Une première lecture à laquelle j'ai pris beaucoup de plaisir avec Jean-Louis Hue, auteur de L'apprentissage de la marche (Grasset, 2010). Aujourd'hui, ce sont trois autres auteurs que j'évoque, témoins de ces mouvement de la terre capables de mieux nous régénérer qu'un long discours philosophique.

Prenez au hasard, le premier de ces livres: un auteur autrichien étonnant, Paulus Hochgatterer. Dans Brève histoire de pêche à la mouche, trois psychiatres, partent de bon matin ensemble pour une partie de pêche. Une journée d'évasion ou au contraire, un jeu de rôles, une mise à nu de leurs névroses en terre étrangère? Rêves et réalité s'entremêlent dans cette escapade où, quand on ne parle pas de poissons, on parle de femmes et entre hommes, bien sûr: convoitées, imaginées, rencontrées sur le mince fil de conscience qui démêle tant bien que mal l'écheveau obscur de l'équilibre et de la folie... Une comédie farcie de dialogues désopilants - la pêche à la mouche n'est rien d'autre que de la masturbation masculine en bande - au milieu de nulle part.

Une toute autre atmosphère avec Hubert Mingarelli. Son dernier roman, L'année du soulèvement, est la chronique de trois hommes piégés sur une colline, en marge d'une insurrection qui vient de renverser le pouvoir. Chacun à sa manière - deux, Cletus et Daniel, sont des insurgés accompagnant San-Vitto, un officier fait prisonnier - auprès des autres ou dans le bruissement du vent, cherche en son for intérieur,la paix. La fin du livre - le point culminant de l'émotion romanesque - est un hommage à Jack London: Il n'y avait plus de sentier et il s'enfonçait dans la neige. Il arriva au bord du creux et il vit l'église en bois noir, entre les sapins, pas plus grande qu'une maison. Il y descendit par une congère. Il en fit le tour lentement. Le temps de la pluie et le soleil l'avaient noircie. Les planches étaient disjointes. Le bois tendre entre les nervures avait disparu. (...) Le vent avait fait entrer la neige et l'avait poussée contre les murs. Cletus posa son fusil et ressortit. Il coupa des branches de sapin et revint, construisit un feu et l'alluma...

Retour à la pêche enfin, avec la réédition d'un texte jouissif et impertinent signé René Fallet, Les pieds dans l'eau. Adressé à ses compagnons de pêche, cet opuscule parle de rituels - le pain, le café, la ligne, l'aurore du peuple des roseaux - de la magie, de la liberté, de l'impatience: Venu de loin, très loin, le soleil passe. A la guillotine. Une écume de sang bave des vieux nuages, gicle au ciel. Oui, je me fous du monde, et il me le rend bien. A votre bon coeur, le mien bat la breloque, ou la bernique, ou la berlue. Demain il fera nuit. La fin dans le monde, la fin du monde, c'est au bout du couloir à droite, pas moyen de se tromper. J'ai posé ma canne dans l'herbe. Mon bouchon flotte dans un remous vert-de-gris. Pas une touche. Je baîlle. Je m'endors. Il fait très beau...

Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche (Quidam, 2010)

Hubert Mingarelli, L'année du soulèvement (Seuil, 2010)

René Fallet, Les pieds dans l'eau (Le Cherche Midi, 2010)

photo: le lac du Bourget (sur www.lemonde.fr)

01:08 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : bloc-notes; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

11/04/2010

Le Passe Muraille

Le Passe-Muraille, No 81, avril 2010 - par Jean-Louis Kuffer

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Du papier à la Toile : la Qualité seule prime. La défense de la littérature se déplace aujourd’hui du papier à la Toile, au point de faire conclure certains au déclin de la critique littéraire, d’une part, et de la lecture en général. Cela n’empêche pas l’écrivain et critique Michel Crépu, directeur de la vénérable Revue des Deux-Mondes, d’amorcer son remarquable Journal de lecture 2002-2009 (Gallimard, 2010) avec enjouement : « La régie me signale qu’il y a un problème avec la lecture. Il paraît que plus personne ne lit, tous les experts le disent. C’est curieux, je ne l’avais pas remarqué. Les livres, je vis avec eux depuis toujours, ils sont mon paradis, ils ne m’ont jamais rien fait de mal, je crois ne les avoirs jamais trahis. Cela m’étonne toujours qu’on puisse avoir un problème avec eux. »

Or, le problème est ailleurs, sans doute. Le problème est qu’une société littéraire, jalouse de ses prérogatives, est en train de disparaître, au profit d’une nouvelle nébuleuse de lecteurs-passeurs se déployant sur des sites et des blogs. La critique littéraire est-elle condamnée pour autant ? Là encore Michel Crépu calme le jeu, affirmant qu’
« il n’y a pas de critique littéraire, il n’y a que des lecteurs plus ou moins attentifs » et « qu’une lecture, plus ou moins suivie, profonde, disponible, libre». Dès lors, qu’importe que la lecture soit défendue sur le papier ou la Toile, si la Qualité résiste au déferlement de la Quantité ? 

C’est le défi qu’a relevé Le Passe-Muraille dès sa création, en 1992, et c’est dans la même optique, peut-être plus ouverte encore, que son équipe rajeunie poursuit aujourd’hui son effort, sur le papier autant que sur la Toile -
http://www.revuelepassemuraille.ch -, en préparant notamment une livraison, à paraître en mai 2010, consacrée tout entière à la défense et l’illustration de la lecture…


Sommaire du Passe-Muraille No 81. Avril 2010, «Magies de Rose-Marie Pagnard ».

p.1

Editorial, « Du papier à la Toile: la Qualité seule prime », par Jean-Louis Kuffer

Inédit, « Un très léger vertige » par Rose-Marie Pagnard 

p.2

Expositions – « Deux magiciens en symbiose », René Myrha, Musée d'art et d'histoire, Neuchâtel., par Jean-Louis Kuffer

« Les leçons de mystère » à propos de Rose-Marie Pagnard, « Le Motif du Rameau », Zoé, 2010, 220p., par Bruno Pellegrino 

p.3

« Portrait d'un homme mort » à propos de Sarah Hall, « Comment peindre un homme mort », Christian Bourgois, 348p., par Claude Amstutz

« La geste des enfants perdus » à propos de Sacha Sperling, « Mes Illusions donnent sur la cour », Fayard, 2009, 272p., par Matthieu Ruf 

p.4

« Le chant d'amour pour Haïti » à propos de Dany Laferrière, « L'Enigme du retour », Grasset, 2009, 301p., par Luisa Campanile

« Un geste solidaire » à propos de Collectif, « Histoires cueillies pour Haïti », TheBookEdition.com, 2010, 146p., par Jean-Louis Kuffer 

p.5

« Le héraut du neuf » à propos de J.G. Ballard, « La Vie et rien d'autre », Denoël, 2009, 291 p., par Jean-François Thomas

« A l'intérieur du gueuloir » à propos de Pierre-Marc de Biasi, « Gustave Flaubert, une manière spéciale de vivre », Grasset, 2009, 496p., par Matthieu Ruf 

p.6 

« Des éléphants et des lunes » à propos de Raphaël Aubert, « La Terrasse des Elephants », L'aire, 2009, 169p., par Jean Perrenoud 

« Dans l'ample foulée de la vie » à propos de Pascal Rebetez, Je t'écris pour voir, Editions de l'Hèbe, 2009, 153p., par Jean-Louis Kuffer 

« Autoportrait d'un « inutile » » à propos de Jean-François Sonnay, Hobby, Bernard Campiche Ed., 2009, 110p., par Janine Massard 

p.7

« Le vertige de notre époque » à propos de Catherine Lovey, Un Roman russe et drôle, Zoé, 2010, 289p., par Bruno Pellegrino 

« Une soif de lire très mobile » à propos de Gérard Delaloye, Le Voyageur (presque) immobile, L'Aire, 2008, 191p., par Jean Perrenoud 

p.8

« Un humour pince-sans-rire » à propos de Jean Vuilleumier, Les Fins du voyage, L'Age d'Homme, 2009, 134p., par Patrick Vallon 

« Une ville la nuit » à propos de Rosa Montero, Instructions pour sauver le monde, Métailié, 2009, 269p., par Claude Amstutz 

p.9

« Lettres de l'intempestif » à propos de Louis-Ferdinand Céline, Choix de Lettres, Gallimard, La Pléiade, 2009, 2029p., par Antonin Moeri 

p.10

Littérature Jeunesse 

« Aventure entre deux mondes » à propos de François Place, La Douane volante, Gallimard-Jeunesse, 2010, 334p., par Sophie Kuffer 

« Aimer lire en Corée » à propos de Eun-sil Yoo, Si j'étais Fifi Brindacier, Picquier Jeunesse, 2010, 198p., par
Nasma Al'Amir 

« A la poursuite de l'amour » à propos de Eglal Errera, Le Rire de Milo, Actes Sud Junior, 2009, 90p., par Nasma Al'Amir 

P.11

« Romancier de l'empathie profonde » à propos de Louis Guilloux, d'une Guerre l'autre, Gallimard Quattro, 2009, 1117p., par René Zahnd 

p.12

« Premier homme, dernière phrase » à propos de Albert Camus, Le premier Homme, Gallimard, 1994, 331p., par René Zahnd 

« L'Epistole », Lettre de l'île de Chatham, par Damien Personnaz



Pour s'abonner et communiquer:
http://www.revuelepassemuraille.ch/

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26/03/2010

Les derniers jours de Stefan Zweig

Bloc-Notes, 26 mars / Les Saules

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La mode est - je le sais - à l'auto-fiction ou au récit biographique pour auteurs en mal de création, et si cette réflexion semble un peu caustique ou injuste, il existe fort heureusement quelques exceptions à la règle, tels Nuit ouverte de Clémence Boulouque, paru chez Flammarion - sur Regina Jonas, première femme rabbin ordonnée en 1935 - ou plus récemment, chez le même éditeur, Les derniers jours de Stefan Zweig, écrit par Laurent Seksik, dont le titre se passe de commentaire.

Si vous n'avez rien lu de Stefan Zweig - parmi ses chefs d'oeuvres: Lettre d'une inconnue, Le joueur d'échecs, Ivresse de la métamorphose, La confusion des sentiments, Vingt-quatre heures de la vie d'une femme, Le monde d'hier ou Voyage dans le passé - prenez vite ce livre qui se lit comme un roman, dresse un portrait saisissant des années 30 et de la guerre, et pénètre dans l'âme de cet incontournable écrivain en proie au pressentiment des barbaries à venir, à la désillusion sur ses semblables, à la nostalgie d'un passé révolu, à tout jamais. Bien que sérieusement documenté, ce livre est une oeuvre littéraire - une vraie - avec ses atmosphères vibrant au rythme du parcours de l'écrivain, de Vienne à New York et à Pétropolis enfin, où Stefan Zweig et son épouse Lotte se donneront la mort, le 22 février 1942.

Toute la tragédie humaine de cette époque est condensée dans ce récit. On y côtoie ses amis Joseph Roth - un autre auteur crépusculaire -, Ernst Feder - un journaliste berlinois - ou encore Georges Bernanos le conjurant de poursuivre sa littérature de résistance. Pourtant, parmi ces aspects sombres que l'Histoire a provoqués, Les derniers jours de Stefan Zweig est aussi une histoire d'amour, dramatique certes, à laquelle répondent comme un écho lointain ou un signe du destin ces vers de Heinrich von Kleist, cités par l'auteur: Seul peut goûter la joie de contempler le monde, celui qui plus rien ne désire... Jamais la vue n'est plus étincelante et libre qu'à la lumière du couchant.

Une magnifique évocation, qui ne peut qu'inciter à (re-)découvrir un des plus grands écrivains de sa génération.

Laurent Seksik est écrivain et médecin. Il a déjà publié La consultation (Coll. Pocket,2009), La folle histoire (Lattès, 2004) et Einstein (Coll. Folio Biographies, 2009).

Laurent Seksik, Les derniers jours de Stefan Zweig (Flammarion, 2010)

photographie: Stefan et Lotte Zweig (sur senat.fr)

 

 

00:20 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Stefan Zweig | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

15/03/2010

In memoriam

 

Bloc-Notes, 15 mars / Les Saules

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Au cours de l’été 1981, j’ai eu le plaisir de vivre un des moments inoubliables de mon métier de libraire, en accueillant pour une rencontre avec ses lecteurs, dans une librairie des rues basses à Genève - aujourd’hui remplacée par une pharmacie – Yves Navarre, à la parution de son texte Biographie, chez Flammarion.

J’avais été conquis par son extrême sensibilité, sa discrétion, son charme un peu suranné – il dédicaçait ses ouvrages avec une plume Mont-Blanc - et une disponibilité rare. Venu tout exprès du Midi, il avait pris soin de prendre son temps avec tous ses fans ayant fait le déplacement pour cette visite exceptionnelle, dense, émouvante au-delà des mots.

Cela explique la douleur éprouvée à sa mort – il a mis fin à ses jours – un certain 24 janvier 1994, à l’âge de 54 ans.

Mais qui donc – parmi les jeunes – sait encore qui est cet écrivain exhumé dont la plupart des livres sont épuisés ? Je vais donc vous en dire un peu plus. Yves Navarre compte une quarantaine de publications à son catalogue – romans, pièces de théâtre, récits autobiographiques – parmi lesquels je mettrai en exergue quelques titres, recensés sur ce blog, méritent de survivre au pouvoir implacable des ans et… des éditeurs: Evolène écrit en 1972 (de magnifiques pages sur l’enfance, les paysages suisses et Ramuz), Les loukoums en 1973 (une préfiguration des années sida) et surtout Le cœur qui cogne en 1974 dont émane, aux côtés de Je vis où je m’attache en 1978 et Le jardin d’acclimatation en 1980 (prix Goncourt) une atmosphère très mauriacienne. Son roman le plus personnel – dans l’équilibre trouvé entre le style et la force des sentiments – est, en ce qui me concerne, Le temps voulu écrit en 1979 (la passion confrontée à la solitude, à l’attente, à l’absence) auquel fera écho Ce sont amis que vent emporte (le stade terminal du sida dans un couple) en 1991.

Si l’œuvre d’Yves Navarre est inexistante sur les rayonnages des librairies, à qui donc la faute ? Aux grandes maisons d’édition surtout – Flammarion et Robert Laffont en tête, Albin Michel et le Livre de poche ensuite – qui ont passé à autre chose... Au diktat de la nouveauté ensuite, qui privilégie bien souvent le traitement des standards, de l'actualité ou des célébrités du jour, tant chez les libraires que dans les sphères médiatiques.

Fort heureusement, les éditions H&O ont réédité certains de ses récits – pas forcément les meilleurs à ce jour – parmi lesquels Le jardin d’acclimatation en 2009, introuvable depuis de nombreuses années.

Autre bonne nouvelle, celle du site officiel de ce grand amoureux des chats  - http://www.yvesnavarre.ch - très complet, régulièrement mis à jour, comportant de nombreux textes téléchargeables au format PDF.

Il vaut vraiment la peine de (re-)découvrir cet auteur injustement réduit à son homosexualité, relégué aux oubliettes, dont les propos dépassent – et de loin – sa quête personnelle et dont les interrogations n'ont rien perdu de leur modernité.

Un roman ne se raconte pas, il se vit. A chacun son émotion, des bruits de pas dans les aiguilles de pin. (Le temps voulu)

copiez le lien ci-dessous, et retrouvez un document rare de l'INA consacré à Yves Navarre:

http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/I00001223/interview-d-yves-navarre-prix-goncourt-1980.fr.html

00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Charles Ferdinand Ramuz, In memoriam, Littérature francophone, Yves Navarre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; auteur | |  Imprimer |  Facebook | | |

07/03/2010

Emmanuelle Pagano

Bloc-Notes, 7 mars / Les Saules

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Ce roman était à l'origine un échange de lettres avec un autre écrivain. Nous nous l'étions représenté comme une oeuvre de fiction que nous construisions chaque jour, à deux, et dans laquelle nous inventions que nous nous aimions. Nous ne savions pas jusqu'où le pouvoir du roman nous amènerait. Nous ne connaissions pas la fin de l'histoire. Il est sorti de ma vie brutalement, abandonnant ce texte en cours d'écriture, annonce l'auteur en préambule à son dernier livre.

Chronique amoureuse épistolaire, à une seule voix, où le jeu en écriture vire à l'attirance, au besoin de fusion avec l'autre, à la sublimation, au choc du réel puis à la rupture, ce récit raconte une passion fulgurante qui s'empare d'une femme rangée en apparence, mariée, mère de quatre enfants, prête à tout quitter pour la vivre. Amoureuse des mots, elle décrit avec un rare bonheur les arcanes du désir, la crucifixion de l'absence, les risques que sous-entend cette relation charnelle absolue, sans illusions, ni fards, ni concessions. D'un lyrisme et d'une impudeur qui ne prêtent jamais à la vulgarité ou au voyeurisme, Emmanuelle Pagano use au contraire d'un langage poétique ensorcelant pour dire la brûlure qui l'étreint: La rivière est si profonde quand tu me pénètres que je la confonds avec toi. Je voudrais que tu redeviennes ma rivière chaque jour. Je voudrais que tu glisses, que tu coules, je voudrais te boire, me baigner en toi, encore, elle est si profonde, l'eau, que tu me portes, c'est toi qui es en moi mais tu me portes, je flotte, puis je replonge, et tant pis si le courant t'éloigne, après.

Si le lit de l'amour - ou son point de convergence - est un livre, si le point culminant de cette histoire s'exprime dans un érotisme torride, sans tabou, l'homme pourtant partira, laissant derrière lui une femme meurtrie que hante le souvenir, qu'immortalise le texte. Roman autobiographie, oeuvre de fiction, ou un peu des deux? L'auteur lève un coin du voile à la fin de son récit: Je crois avoir écrit un livre avec un homme qui n'existe pas, je crois avoir rêvé ses réponses pour continuer mes lettres, je crois avoir rêvé ses gestes, son ventre, ses bras. Est-ce que cet homme était toi?

Peu importe la conclusion. La voix d'Emmanuelle Pagano glisse sur le papier pour y éclairer un paysage qui ne ressemble à rien et dans le tremblement des corps laisse une empreinte incandescente. Qui s'en plaindrait?

Emmanuelle Pagano, L'absence d'oiseaux d'eau (Editions P.O.L., 2010)

11:32 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/03/2010

Marie Billetdoux

Bloc-Notes, 4 mars / Les Saules

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A 23 ans à peine, libraire débutant et incorrigible romantique, j’ai découvert, le cœur battant, une jeune femme à qui je dois beaucoup : Raphaëlle Billetdoux. Un regard léger, malicieux, espiègle à la surface des choses, heureux contrepoint à mes humeurs mélancoliques et un territoire du coeur en ce temps-là désespérément vide, contrarié, dépourvu de sens. Bien avant d’autres personnages féminins qui m’ont séduit – Les hommes cruels ne courent pas les rues et Vu de l’extérieur écrits par Katherine Pancol – ceux de Jeune fille en silence et de L’ouverture des bras de l’homme ont hanté mes nuits, comme ces fruits préférés qu’on rêve de dévorer sans retenue, alors qu’on retarde au contraire le passage à l’acte pour préserver son trésor, en murmurant tout bas : Et si ces personnages existaient dans la vraie vie…

39 ans plus tard – faites le compte ! – je conserve un souvenir ému de ces moments de lecture, de ces histoires écrites avec un style d’une rare maturité, conquis par ce souffle unique d’indépendance, de liberté, de sensibilité, d’insolence, qui n’a jamais quitté son auteur.

Auréolée de prix littéraires – prix Interallié pour Prends garde à la douceur des choses et prix Renaudot pour Mes nuits sont plus belles que vos jours – elle a choisi plus tard de reprendre son deuxième prénom et publie ainsi, sous le nom de Marie Billetdoux, C’est encore moi qui vous écris.

Je n’ai aucune peine à croire que ce livre soit le plus important de sa vie. L’émotion y est palpable à chaque ligne. Celle des liens du sang, celle des liens du cœur. Elle n’y cache rien de son travail, de ses amours, de sa famille, de ses désillusions. Toute sa vie de 1968 à 2008 y danse dans la crudité de la lumière, instants saisis à vif, parfois bouleversants (la mort de son père le dramaturge François Billetdoux, celle de son mari le journaliste politique Paul Guilbert, l’attachement à son fils Augustin), souvent agaçants (les démêlés avec ses éditeurs, ses difficultés économiques d’écrivain) voire insupportables (ses diverses assignations en justice, ses respirations dans la jet-set) mais cet écrit intime soulève surtout une question essentielle : Au nom d’un souci de vérité, même animé des intentions les plus sincères, peut-on ou doit-on tout dire, tout exposer, tout divulguer ? Au risque de blesser, de trahir, de juger.

Je veux bien sûr parler des autres dont il est question sans fard au fil des années qui défilent sous nos yeux. Je crois pour ma part que l’intime – particulièrement à découvert dans les correspondances - doit rester à sa place, au secret, sur ce vitrail de l'âme et du coeur que seules les personnes concernées sont capables de déchiffrer. N’est pas Madame de Sévigné qui veut, dont les lettres, au passage, n’ont pas vu le jour de son vivant…

Enfin, à la place du lecteur – oublions les professionnels du livre, les chroniqueurs littéraires, les admirateurs inconditionnels ou les amis – j’aurais préféré un nouveau roman surprenant, magnifique, audacieux comme elle seule sait le faire, plutôt que ces 1482 pages composées de lettres, d’articles de presse, d’extraits de son journal intime qui souvent, malgré sa sensibilité à fleur de peau et ses talents d’écrivain, laissent de marbre, parce que leur histoire au contraire de ses personnages de fiction, rarement croise la nôtre.

Son directeur littéraire, Jean-Marc Roberts, nous dit que ce journal épistolaire est un livre extrême, une entreprise folle. Fallait-il pour autant le publier ? Par respect pour Raphaëlle/Marie Billetdoux, je me garderai bien de répondre, préférant me tourner vers ses romans inoubliables remis à l’honneur en ces circonstances, pour le bonheur de tous.

Marie Billetdoux, C'est encore moi qui vous écris: 1968-2008 (Stock, 2010)

illustration: portrait de Madame de Sévigné, par Claude Lefèbvre

07:12 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

28/02/2010

Maurice Chappaz

Bloc-Notes, 28 février / Les Saules

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Le 15 janvier 2009, Maurice Chappaz rejoignait le paradis des poètes, non sans nous laisser - outre Le chant de la Grande Dixence, Les maquereaux des cimes blanches, Le portrait des valaisans, La pipe qui prie et qui fume - un écrit qu'on peut qualifier de testamentaire, Le roman de la Petite Fille. Hommage à sa seconde épouse Michène dont il souhaitait retracer l'enfance et l'histoire de sa famille, ce texte inachevé devait comporter deux parties constituées de cinq chapitres, mais le manuscrit s'achève à la mort de l'auteur, au troisième chapitre de la seconde partie.

Illustré par les coquillages de Gérard de Palézieux, ce récit est bien plus que l'évocation de Michène - dont il nous dit qu'elle a épousé l'écriture sans être écrivain - car son regard vif et malicieux embrase un passé porteur de reconnaissance, un présent réconcilié avec la terre qui lui donne un sens, un avenir sur lequel il s'interroge avec douceur, avec confiance.

Bien sûr, au moment d'entrer dans l'autre monde, les affres de la vieillesse ou de la maladie le préoccupent. La mort est omniprésente à cet écrit, mais imbriquée dans la vie, l'une étant la face cachée de l'autre, une fulgurence, un reflet, une résurrection. Je dis ma disparition (...) Voici une heure que je rédige des lettres à des camarades dans l'existence. Sur une enveloppe j'écris le nom d'un ami qui dort au cimetière. Pour un peu je mettrais l'adresse du cimetière. Ce qu'on fait avec plus d'intelligence quand on prie.

Ailleurs, il note: Parce qu'il sait qu'il va mourir bientôt, sans mettre de temps sur ce "bientôt", le vieil homme se sent le coeur serré et ouvert, avec une sorte de joyeux espoir. Pour rien au monde on ne voudrait ne pas mourir. On entre enfin dans la vie contemplative qui est l'aventure des aventures: choisir ce qui se cache dans la mort elle-même. Et qui nous fait deviner l'incessante beauté du monde et nous associe à la nature, laquelle attend son heure.

Si ce que nous partage Maurice Chappaz nous parle - la présence des morts, leur griffe sur les événements de notre vie - alors, pour sûr, il demeure parmi nous, en sourire et en écriture. Il est là, tout près et nous accompagne, si nous avons la patience de l'entendre comme les feuilles des arbres qui s'envolent, comme un ange qui passe ...

Maurice Chappaz, Le roman de la Petite Fille (Fata Morgana, 2009)

13:16 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Littérature suisse, Maurice Chappaz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: récit; livresé | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/02/2010

Noëlle Revaz - Efina 2

Noëlle Revaz, Efina (Gallimard, 2009)

07:07 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Noëlle Revaz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Noëlle Revaz - Efina 1

Femina_36_Efina_200.gifNoëlle Revaz, Efina (Gallimard, 2009)

Ce qui m‘épate, chez Noëlle Revaz, c’est son aisance – et probablement son plaisir – à prendre des risques ou changer de registre, d’un texte à l’autre, sans s’embourber dans une sempiternelle répétition d’un premier succès, au risque de désarçonner son public, ce qui pour l’heure n’est pas vraiment le cas. Il y a donc parfois une justice en littérature...

Son style demeure aussi magnifique et personnel que dans Rapport aux bêtes ou Quand Mamie, adoptant dans ce récit un angle de vue très original pour nous partager la liaison qui survit au pouvoir destructeur du temps par une correspondance s’étendant sur une vingtaine d’années, entre un acteur de théâtre T. et Efina, une de ses nombreuses admiratrices. Même s’ils partagent une brève aventure pas vraiment inoubliable, leurs chemins les conduisent au détachement, à l’éloignement l’un de l’autre. Pourtant ils ne parviennent pas à renoncer au besoin de s’écrire, scellant par cette fidélité, un sentiment peut-être plus fort que tout ce que la vie leur a donné, chacun de leur côté. Le théâtre s’imbrique dans leur relation tel un clair-obscur déroutant, souvent drôle ou dérisoire, mais au-delà des apparences, terriblement attachant.

00:22 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Noëlle Revaz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |