29/06/2010
Anna Cabana
Bloc-Notes, 25 juin / Grindelwald

Vous cherchez un roman intelligent, sensible, mouvementé, agréable à lire pendant vos vacances? Le voici tout trouvé: C'est Inapte à dormir seule, écrit par Anna Cabana. Le titre peut inspirer les pires craintes et le 4e de couverture - qui ne dit rien de l'histoire! - ne rassure pas vraiment. Pourtant, l'histoire d'Eva, la trentaine, sur le point de se marier, est touchante comme un bijou lumineux et fragile. Elle se remémore son passé: Une famille juive venue du Maroc; un père adoré mais divorcé, mal-aimant - et soumis à sa nouvelle épouse - qui la repousse pour son bien; sa dépendance affective jamais assouvie auprès de ses amoureux.
En désespoir de cause, elle s'invente de nouveaux parents: Marguerite Duras - la mère sécheresse comme elle l'appelle - que dans son imagination, elle rêve de marier à Albert Cohen, le père prodigue de Solal, son père de coeur. Un miroir qui la juge, la méprise ou l'apaise, et sous lequel elle tente maladroitement de grandir, désespérément seule, avec sa peur du noir, son besoin d'être veillée et qu'aucun de ses amants ne parvient à comprendre ni combler. Jusqu'à Laurent, un garçon seul comme elle - un goy - qui a su la désarmer et adoucir ses blessures d'enfance dont elle retient que la marelle est une imposture et la réalité d'aujourd'hui, une alchimie dont il est difficile de ne garder au coeur que l'essentiel, en habillant de légèreté tout ce qui gravite autour. Pour lui, elle est prête à s'assagir, mais non à renoncer à sa liberté. Le passage du livre où Eva fait la conquête du rabbin pour qu'il célèbre son mariage est très drôle, révélateur aussi de sa détermination à ne pas tricher avec ses sentiments ou ses convictions.
L'ironie est omniprésente, elle aussi, parfois mordante, dans ce récit. Par exemple, sur son désir fiévreux d'être belle, intelligente comme les autres - et non une métèque - elle jette un regard lucide: La France, c'est la normalité. Les français, ce sont les autres. Ceux qui appellent leurs enfants Edouard ou Eglantine. (...) Elle a beau faire, jamais elle ne sera tout à fait des leurs, une vraie française, acceptée et considérée comme telle. Sur ces déracinés qui lui ressemblent, elle note encore: Quoiqu'ils fassent, ils sentiront toujours le miel d'eucalyptus, l'huile d'argan, les bougainvilliers et les hibiscus. Connaître Rimbaud et Yourcenar sur le bout des doigts et du coeur n'y peut rien changer.
Chronique de la reconstruction d'une femme de caractère, dont les émotions à fleur de peau, volontiers excessives, cachent une tendresse qui peine à assourdir la rage, la provocation et la révolte, ce premier roman réconcilie avec la littérature actuelle, avec autant de bonheur qu'Eva le sera - réconciliée - au terme de l'histoire, avec son propre destin.
Anna Cabana, Inapte à dormir seule (Grasset, 2010)
00:10 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bloc-notes; littérature: roman; livres | |
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19/06/2010
Rentrée littéraire
Bloc-Notes, 18 juin / Les Saules

Avant même de boucler nos valises - départs en vacances oblige - fleurissent déjà, dans les colonnes des journaux et dans les catalogues des éditeurs, les noms des auteurs représentatifs de la rentrée littéraire, située entre le 15 août et le 15 septembre environ, comme chaque année.
Parmi ces nouveautés, je m'attarderai, de préférence, sur quelques curiosités dont les médias ne se feront pas nécessairement l'écho: Black Rock d'Amanda Smyth (Phébus), l'histoire d'une adolescente violée par un père alcoolique qui se réfugie chez une tante à la Trinité pour y réapprendre la tendresse; Le troisième jour de Chouchana Boukhhobza (Denoël) situé à Jérusalem et qui nous raconte l'histoire d'une musicienne et de son élève, à la recherche d'un bourreau nazi dont a été victime l'une des deux protagonistes; Toute une histoire de Hanan el-Cheikh (Actes Sud) dont le portait de la mère dans les années 30 au sud du Liban, laisse apparaître une femme pleine de courage et de dignité; Le sourire du marin inconnu de Vincenzo Consolo (Grasset) qui nous parle du soulèvement des paysans et de la trahison garibaldienne dans la Sicile de 1860; Ma vie de Sophie Tolstoï (Les Syrtes) une autobiographie capitale pour mieux comprendre son père écrivain; Le village d'Ivan Alexeevitch Bounine (Bartillat) premier roman et prix Nobel en 1933; Atteinte à la liberté de Juli Zeh et Ilija Trojanow (Actes Sud) un essai consacré à l'obsession sécuritaire; Débutants de Raymond Carver (L'Olivier) un recueil de nouvelles inédites exhumées par la veuve de l'auteur.
J'y ajoute avec joie Une femme célèbre de Colombe Schneck (Stock) qui sous une forme romanesque dessine le portrait de Denise Glaser, incomparable femme de télévision, célèbre puis oubliée; ainsi que Celles qui attendent de Fatou Diome (Flammarion) où l'émigration est décrite du point de vue des femmes qui restent au pays et attendent leurs époux; enfin Bifteck de Martin Provost (Phébus) qui nous narre les exploits d'André, un boucher de la première guerre mondiale assumant le devoir conjugal des hommes partis au front et ne prévoyant pas qu'à l'armistice, il se retrouverait père de sept enfants...
Bien sûr, il est aussi question, dans cette rentrée littéraire, d'oeuvres attendues: Une forme de vie d'Amélie Nothomb (Albin Michel), Le coeur régulier d'Olivier Adam (L'Olivier), C'est une chose étrange à la fin que le monde de Jean d'Ormesson (Laffont), Un Véronèse d'Etienne Barilier (Zoé), Soufi mon amour d'Elif Shafak (Phébus), Un océan de pavots d'Amitav Ghosh (Laffont), Point Omega de Don DeLillo (Actes Sud), Les jeux de la nuit de Jim Harrison (Flammarion), Suites impériales de Bret Easton Ellis (Laffont), sans oublier le nouveau Michel Houellebecq (Flammarion) dont on ne sait rien, pas même le titre, selon les recettes d'un ridicule markéting à la française!
Je garde pour la fin L'amour est une île de Claudie Gallay (Actes Sud) qui a connu, enfin, une consécration méritée avec Les déferlantes. Son récit parle d'une actrice célèbre qui retrouve sa ville natale - Avignon - après dix ans d'absence. Elle y a vécu jadis un amour passionnel avec le directeur d'un théâtre du festival, qu'elle a quitté pour faire carrière...
Plusieurs de ces textes brièvement évoqués ici, feront ultérieurement l'objet de commentaires, chroniques ou notices dans ces colonnes.
photographie: Claudie Gallay (PIerre Abensure)
00:41 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | |
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06/06/2010
Sylviane Chatelain
Sylviane Chatelain, Dans un instant (Campiche, 2010)
Il y a dans l'écriture et l'observation du réel, quelque chose de très suisse chez Sylviane Chatelain: Des décors nets dans lesquels se fondent des personnages apparemment sans histoire, soucieux de ne pas déranger ni d'attirer l'attention. Mais tout le talent de l'auteur, rehaussé par des phrases courtes, tient dans l'art d'introduire dans ses récits un grain de sable, anodin au premier abord, mais qui peu à peu déséquilibre des vies trop prévisibles ou sans surprises. Il en est ainsi dans Les géraniums roses, où la disparition d'un pot de géraniums dans le jardin tourne à la crainte et à l'obsession. Dans Le livre aussi, le regard insolite sur un livre balayé par le vent derrière un grillage, ramène à la surface les blessures d'un homme et de son fils. Dans La mariée, une robe jonchant le sol ravive l'échec amoureux du narrateur au fil d'une vie qui s'étire, s'effiloche, respire l'ennui. Dans cet exercice délicat de la nouvelle - Exils ou Dans un instant qui donne le titre à ce recueil - l'auteur nous imprègne de ses thèmes favoris, la filiation, la vieillesse, la fragilité intérieure, d'une plume légère jamais caricaturale ou pesante.
Sylviane Chatelain est née à Saint Imier en 1950. Chez le même éditeur, elle a publié - entre autres - La part d'ombre (1988), De l'autre côté t MS'; font-size: small;">(Prix Schiller 1991), L'étrangère (1999) et Une main sur votre épaule (2006).
18:01 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; nouvelles; livres | |
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28/05/2010
George Steiner
Bloc-Notes, 28 mai / Les Saules

Avec un certain retard sur le calendrier - la première parution, chez Albin Michel, remonte à 2003 - je découvre avec émerveillement et reconnaissance ces entretiens entre Cécile Ladjali et George Steiner. Un bon nombre des thèmes abordés ici, sont évoqués dans d'autres ouvrages de cet amoureux de la vie, de la littérature, de la philosophie, de la musique. Peu importe, car l'éclairage n'y est jamais tout à fait le même.
Tout ce qui est souligné dans ce livre bien modeste - 130 pages à peine - est essentiel à mes yeux: La tradition orale dans le drame et la poésie, la connaissance des langues étrangères, la vertu des classiques, l'importance du silence et plus que tout, la passion d'apprendre, de transmettre, de partager le savoir, avec honnêteté et clairvoyance.
Ces quelques passages peuvent nourrir notre réflexion, nous convaincre que tout n'est pas perdu et que l'espoir demeure:
Ce que vous avez appris par coeur change en vous et vous changez avec, pendant toute votre vie. Personne ne peut vous l'arracher. Parmi les salauds qui gouvernent notre monde, la police secrète, la brutalité des moeurs, la censure, ce que l'on posède par coeur nous appartient. C'est une des grandes possibilités de la liberté, de la résistance.
*
Je crois passionnément que chaque langue est une ouverture sur un monde totalement nouveau.
*
Que veut dire classique? Cela signifie strictement un texte inépuisable. On le relit, on le redit, on le réinterprète, et, tout à coup, il est presque toujours nouveau. (...) On reprend un grand moment de Dante, d'Homère, de Shakespeare, de Racine, et on se dit: "Mais oui, je connais ça par coeur" et je ne connais pas du tout; je n'avais pas compris. Cette puissance de renouveau est une des définitions du classique.
*
C'est celui qui murmure, qui balbutie, qui parle mal, qui jouit de la réputation d'être un honnête homme. (...) Mal parler, ça veut dire: voilà quelqu'un qui dit la vérité. A l'inverse, trop bien parler,c'est le symptôme même de la malhonnêteté. C'est une chose importante, et qui pourrait avoir des conséquences allant loin au-delà du contexte actuel.
*
Personne ne peut prédire quelles vont être les crises de déplacements de populations et de cultures entières. De cela pourrait surgir un oecuménisme de l'enchantement, c'est-à-dire une sorte de chance.
Avec un tel professeur, vous l'aurez compris, je n'aurais été sur mes bancs d'école, ni cancre, ni paresseux! Hélas...
George Steiner et Cécile Ladjali, Eloge de la transmission - Le maître et l'élève (Coll. Pluriel/Hachette, 2007)
00:04 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, George Steiner, Littérature étrangère, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; entretiens; livres | |
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22/05/2010
Editions La Dogana, Chêne-Bourg (Suisse) - 1a
Bloc-Notes, 22 mai / Les Saules

Connaissez-vous les éditions de la Dogana? Florian Rodari - discret comme le sont souvent les amis des poètes - la présente comme suit:
Les Éditions La Dogana ont été créées à Genève en 1981 dans le but de mieux faire connaître toute espèce de textes entrant en relation avec la poésie : recueils en langue française ou étrangère, cycles de poèmes, essais, souvenirs, méditations et proses rythmées et même lieder chantés, qui répondent à la sensibilité des lecteurs et amis qui se sont regroupés pour rendre viable ce projet. Lieu de transit plus que de contrôle, favorable aux échanges et qui accorde littéralement un visa à la parole, La Dogana – la douane, en italien – souhaite particulièrement mieux faire connaître les poètes de Suisse romande en France et dans les autres pays francophones, comme elle s’efforce de diffuser l’œuvre de poètes français qui n’ont pas encore pu se faire entendre à l’intérieur de nos frontières. Cet élargissement de l’espace, les éditions souhaitent l’étendre également au temps, puisqu’elles s’efforcent de multiplier les traductions de textes anciens ou lointains qui résonnent à nos oreilles d’aujourd’hui comme singulièrement modernes et proches. Ce n’est pas par le nombre de publications que nous souhaitons nous distinguer, mais par leur qualité et la cohérence des choix. Et pour cette même raison que la poésie demeure à nos yeux – au sein des discours scientifiques, didactiques ou idéologiques dont nous sommes trop souvent devenus la proie – une des rares paroles à la fois légère, durable et nécessaire, nous avons accordé un soin particulier à l’aspect extérieur de nos livres : afin d’aboutir à une sorte de point d’équilibre entre la petite masse de papier, de colle et d’encre et l’énorme densité des œuvres qui s’y trouvent inscrites.
Parmi les très belles publications de cet éditeur, citons Simple promesse d'Ossip Mandelstam, Reliques de Pierre-Alain Tâche, Les élégies de Duino de Rainer-Maria Rilke, La parole est moitié à celuy qui parle de Jean Starobinski, Hyperion de John Keats, Libretto, Truinas, Le bol du pélerin, Une constellation tout près, D'autres astres plus loin de Philippe Jaccottet, Les solitudes de Gongora, Arbres, chemins, fleurs et fruits d'Anne-Marie Jaccottet, 47 poèmes d'Emily Dickinson, Les fleurs et les saisons de Gustave Roud. La plupart de ces ouvrages seront évoqués - s'ils ne le sont pas à ce jour - dans ces colonnes, au fil du temps qui passe.
Aujourd'hui, je voudrais tout particulièrement attirer votre attention sur trois livres-disques parus à ce jour. Le premier, en 2004, est consacré au Tombeau d'Anacréon de Hugo Wolf. Outre les poèmes de Goethe, Mörike, Eichendorff, Byron et Keller qui ont inspiré ces Lieder en version bilingue, vous y trouverez un essai de Florian Rodari et Frédéric Wandelière (le traducteur) et, cerise sur le gâteau, un CD avec pour interprètes Angelika Kirchschlager (mezzo-soprano) et Helmut Deutsch (piano).
Le second, plus connu, en 2006, s'intitule L'amour et la vie d'une femme de Robert Schumann. Les Lieder, d'après Chamisso, Goethe, Marie Stuart, Mosen, Heine, Rückert, Mörike, Kerner et Eichendorff, sont également proposés en version bilingue, signés par le même traducteur, accompagnés par un essai de Hédi et Feriel Kaddour, ainsi qu'un CD avec les mêmes interprètes que celui consacré à Hugo Wolf.
Le dernier à ce jour, en 2009, fait honneur à Gustav Mahler et s'appelle A jamais. Cette fois-ci, les Lieder s'articulent autour des poèmes de Rückert, Mong-Kao-Jen et Wang-Wei, toujours en version bilingue assurés par le même traducteur, un essai de Jean Starobinski et Pierre Michot. Le CD qui accompagne cet ouvrage a pour interprètes Bo Skovhus (baryton) et Stefan Vladar (piano).
Ces trois ouvrages sont magnifiquement réalisés, mis en page et illustrés, tout à l'honneur de la poésie allemande et de la musique classique. Comme l'a dit Hermann Hesse, l'art n'est rien d'autre que la contemplation du monde pénétré par la grâce...
http://www.ladogana.ch
00:11 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Gustave Roud, Littérature étrangère, Littérature francophone, Littérature suisse, Musique classique, Philippe Jaccottet, Rainer-Maria Rilke | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : auteurs; littérature; livres; éditions | |
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20/05/2010
Virginie Lou
Virginie Lou, Eloge de la lumière au temps des dinosaures (Actes Sud, 1997)
A couper le souffle, ce récit vécu aborde un sujet délicat : Le viol. Avec une économie de mots et une émotion contenue, l’auteur décrit le rapport de forces, la tentative de survie sans voyeurisme ni complaisance. Véritable œuvre littéraire, le livre de Virginie Lou nous montre aussi la vie d’après qui remet en question la vie d’avant. Rien ne sera plus pareil ... Bouleversant !
Egalement disponible en coll. Babel (Actes Sud, 2001)
10:03 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: récit; livres | |
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17/05/2010
Jules Renard
Bloc-Notes, 17 mai / Les Saules

Jules Renard est méconnu. Hormis Poil de Carotte et Histoires naturelles, qui donc a lu son théâtre - Le plaisir de rompre, Le pain de ménage - ou son Journal? D'une trentaine d'oeuvres littéraires sont tirées ces pensées, trompeuses comme son auteur réputé méchant, misogyne, mais capable derrière son humour ravageur de tendresse, de sensibilité poétique ou de lucidité, tout simplement. Préfacée par Jean-Louis Trintignant, cette anthologie est publiée aux éditions du Cherche Midi, en 2010.
Jules Renard
La sottise pousse sans qu'on l'arrose.
*
La vie n'est ni longue ni courte; elle a des longueurs.
*
La vieillesse, c'est quand on commence à dire: "Jamais je ne me suis senti si jeune."
*
Femme pareille à une cheminée. Il est temps de lever ta robe: le feu doit être pris.
*
Les bourgeois, ce sont les autres.
*
Un rire triste comme un clown en habit noir.
*
Le style, c'est l'oubli de tous les styles.
*
Quand il se regardait dans une glace, il était toujours tenté de l'essuyer.
*
Quand je pense que si j'étais veuf, je serais obligé d'aller dîner en ville!
*
La peur de l'ennui est la seule excuse du travail.
*
La nature m'émeut, parce que je n'ai pas peur d'avoir l'air bête quand je la regarde.
*
J'aime à sortir par ces temps froids où il n'y a de monde dans les rues, que le strict nécessaire.
*
Mon pays, c'est où passent les plus beaux nuages.
*
Pour vivre tous les jours avec les mêmes personnes, il faut garder avec elles l'attitude qu'on aurait si on ne les voyait que tous les trois mois.
*
L'homme vraiment libre est celui qui sait refuser une invitation à dîner sans donner de prétexte.
*
Pourquoi m'appelle-t-on mauvais coucheur? Je couche avec si peu de gens!
*
Le rêve, c'est le luxe de la pensée.
*
Il y a de la place au soleil pour tout le monde, surtout quand tout le monde veut rester à l'ombre.
*
Quand je regarde une poitrine de femme, je vois double.
*
L'espérance, c'est sortir par un beau soleil et rentrer sous la pluie.
*
Un jeune, c'est celui qui n'a pas encore menti.
*
Tout homme a dans le coeur un orgue de Barbarie qui ne veut pas se taire.
*
Au fond de tout patriotisme il y a la guerre: voilà pourquoi je ne suis point patriote.
*
C'est la plus fidèle de toutes les femmes: elle n'a trompé aucun de ses amants.
*
Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux.
*
L'artiste, c'est un homme de talent qui croit toujours qu'il débute.
*
Si tu crains la solitude, n'essaie pas d'être juste.
*
Il y a des moments où tout réussit. Il ne faut pas s'effrayer: ça passe.
Jules Renard, Pensées (Cherche Midi, 2010)
00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : citations; livres | |
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12/05/2010
Denis Arché
Denis Arché, Dans la fuite incessante (Seuil, 2010)
Johanna décide de partir, de quitter Frans, son mari, qu'elle n'aime plus. Elle se rend à Berck et y rencontre Eric, un voyageur de commerce auquel elle se présente sous le nom d'Isa, sa meilleure amie et probable maîtresse de Frans. Après plusieurs rencontres, elle lui fait une proposition pour le moins saugrenue: Elle vivra une semaine avec lui et en échange, il lui fera un enfant. Ensuite, ils redeviendront étrangers l'un à l'autre, pour toujours... Banal me direz-vous, mais dans le même temps, Hilda, une serveuse que nos deux protagonistes avaient rencontrée à Ostende, est assassinée... Johanna se persuade qu'elle est morte à sa place. Elle va se recueillir sur sa tombe avant de chercher, dans le passé d'Hilda, un sens à cette tragédie et, qui sait, à sa propre vie.
Ainsi commence cette histoire qui semble avoir été écrite dans la pierre brute, en bordure de mer sous un ciel changeant, indéfinissable, énigmatique. Elle nous entraîne dans un jeu de miroirs - Johanna et Hilda - où la réalité et l'imagination s'entremêlent dans une atmosphère sensible, lourde, aux confins de la folie, proche de l'univers d'un Olivier Adam ou d'un Pierre Péju, ce qui n'est pas un mince compliment pour ce premier roman déroutant qui nous attire dès les premières lignes, dans l'ivresse de ses profondeurs !
00:01 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |
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09/05/2010
Pierre-Alain Tâche - 1a
Bloc-Notes, 9 mai / Les Saules

Les lecteurs qui affectionnent une écriture ciselée où chaque mot prend un sens - comme chez Philippe Jaccottet, par exemple - seront enchantés par ces textes magnifiques évitant les pièges d'un langage poétique artificiel ou désincarné. Si de surcroît, vous aimez la musique classique, alors vous serez franchement comblés, car l'exercice auquel se livre Pierre-Alain Tâche consiste à nous raconter l'histoire de la folia - les folies d'Espagne - l'un des plus anciens thèmes musicaux remontant au XVe siècle environ, ayant inspiré plus d'une centaine de compositeurs à ce jour parmi lesquels Jean-Baptiste Lully, François Couperin, Marin Marais, Alessandro Scarlatti sans négliger les influences plus indirectes exercées sur Franz Liszt ou Serge Rachmaninov.
Chaque chapitre de ce livre compose une variation sur le thème - l'auteur en rédige 27 suivies d'une coda - éclairant avec une érudition simple et attachante, les résonances émotionnelles de ces folies sur toutes les périodes de sa vie.
La Folia entre en nous par la porte étroite de l'inconscient, se méfiant des coups d'éclat qui la dévoileraient, dès le premier abord, dans sn évidente pauvreté. Et puis, comment pourrait-on prétendre déterminer avec certitude l'origine d'une blessure aussi exquise? S'il s'agissait d'un air à la mode que l'on peut convoquer à loisir, il ne saurait fonder tout l'édifice du songe. Mais ce n'est pas cela: ce que je devine être la cause de ma passion est de l'ordre de l'élémentaire discret. C'est une folia qui rôdait et qui rôde encore là où on ne l'attend pas, qui s'insinue, qui glisse à l'intérieur et prend racine dans le coeur de qui l'entend sans l'entendre. Elle se fait si petite que l'on finit par l'oublier, par ne plus savoir qu'elle est là, prête non pas à bondir qu'à murmurer à même le terreau d'une rêverie dont elle rythme le cours.
On pourrait citer maints autres passages de cette folia tout aussi beaux, transparents, sensibles ou profonds que celui-ci. Alors, un mot encore, celui de la fin provisoire de cet ouvrage. Pierre-Alain Tâche y délivre une délicieuse conclusion: Je garderai de mon errance et des travaux qu'elle m'imposa, la vague, la grisante sensation d'une respiration plus ample et comme affranchie des contraintes du corps. Infinie, peut-être. Elle se confond, désormais, à celle d'un air que je voudrais exempt de toute mélancolie. (...) Je regarde par la fenêtre et je vois les fleurs d'avril, les arbres blancs dans l'air léger. Et je sens cette lassitude tranquille. Qu'elle submerge, s'il le faut, ou nourrisse, pour le temps qui lui reste à vivre, la folia du poète...
Auteur d'une vingtaine de recueil de poèmes - pour l'essentiel aux éditions Empreintes, à La Dogana et aux éditions de l'Aire - L'air des hautbois est son premier livre en prose, un incandescent et inoubliable ami...
Pierre-Alain Tâche, L'air des hautbois - Variations sur La Folia (Zoé, 2010)
12:30 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Littérature suisse, Musique classique, Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : bloc-notes; littérature; essai; musique; livres | |
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03/05/2010
Michel Crépu
Bloc-Notes, 2 mai / Les Saules

Le livre de Michel Crépu, Lecture - Journal littéraire 2002-2009, démarre très fort. Dans les premières pages de son dernier ouvrage, il nous place sous un angle de vision qui capte immédiatement notre intérêt, nous bouscule et nous interpelle:
Notre époque, par sa sauvagerie analphabète, excitante et raffinée jusqu'à la bêtise extrême, est une des plus surprenantes qui aient jamais paru à la surface de cette planète. Décadence? Mais non. La décadence, c'est bon pour les myopes. Nous autres avons de bons yeux, et nous savons nous en servir. Il y a du nouveau, quelque chose de beaucoup plus subtil que le vieux nouveau désormais en maison de retraite. Ce sont des choses qu'un lecteur perçoit à la longue, en cours de croisière, car c'est une chance (pas toujours) de pouvoir relire. Ces modifications de la lumière, ces retournements, ces apparitions brusques, ces disparitions étranges: entre-temps, tel auteur connu comme le loup blanc, une star des classiques, est devenu underground; tel autre, qui était porté disparu, est au contraire repassé du terrier à la scène, de la mort à la vie: on croyait le connaître par coeur et puis finalement non, un système solaire se cachait à l'intérieur, que nous n'avions pas remarqué. Les fonds marins de la bibliothèque changent sans cesse, il faut suivre, ça bouge très vite, très lentement, les deux à la fois. On se trompe tout le temps, on prend la vitesse pour de la lenteur et vice versa. De là l'insuffisance notoire de ce qu'on appelle la critique littéraire, je sais de quoi je parle. Or il n'y a pas de critique littéraire, il n'y a que des lecteurs plus ou moins attentifs, il n'y a qu'une lecture, plus ou moins suivie, profonde, disponible, libre. Que tout cela vienne parfois à la surface d'un journal ou d'une revue est la partie visible de l'iceberg. C'est à dire très peu.
Voilà qui introduit parfaitement aux lectures de cet auteur, rédacteur en chef - entre autres activités - de la Revue des Deux Mondes. Plotin y est maintes fois cité, mais aussi, parmi les plus savoureux, Chateaubriand, Nietzsche, Philippe Jaccottet ou tout près de nous Pierre Bourdieu et Michel Onfray auxquels il ne fait pas de cadeaux! Ce qui contribue à faire de ce livre une absence de ressemblance à bien d'autres usant d'une intention voisine, tient à ce subtil alliage entre la réflexion et la poésie, entre la lecture et le décor qui peut la susciter. La parfaite harmonie? Peut-être.
Une atmosphère attachante baigne nos pas entre ces lignes consacrées à l'art - et pas uniquement à la littérature - qu'on voudrait prolonger à l'infini. Le contenu est intelligent, mordant, lucide, attentif, sensible: Deux heures du matin, petit vent dans la cheminée, froid sibérien dans la cour. Décision solennelle de relire toute la Comédie humaine de Balzac...
Des tissus de mots, respirés avec bonheur, dont se forgent nos propres rêves - à nous aussi - pour peu que les circonstances, le parfum ou le silence alentour nous y prédisposent...
Michel Crépu, Lecture - Journal littéraire 2002-2009 (Gallimard, 2010)
publié dans Le Passe Muraille no 82 - juin 2010
00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Le Passe Muraille, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bloc-notes; littérature; essai; livres | |
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