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30/08/2010

Poètes vos papiers

9782035856241.gifJean Orizet, Anthologie de la poésie française (Larousse, 2010)

Je vous invite à emboiter le pas de Jean Orizet, pour une formidable ballade poétique à travers les siècles. Poète lui-même, l'auteur déniche avec bonheur - parmi les auteurs cités - des textes souvent peu connus ou pas forcément parmi les plus célèbres. Un autre mérite est d'avoir consacré un chapitre aux auteurs provenant de la Suisse, de la Belgique, du Québec, du Maghreb, de l'Afrique Noire, des Antilles et du Proche Orient. Enfin, un riche répertoire biographique résume la personne et son oeuvre de manière succincte, mais personnelle. Cette anthologie complète à merveille les plus connues, d'André Gide à Georges Pompidou, de Philippe Jaccottet au Collectif des éditions de la Bibliothèque de la Pléiade. Bientôt une prescription scolaire? Il n'est pas interdit de rêver...   

06:15 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

29/08/2010

Douna Loup

Bloc-Notes, 29 août 2010 / Les Saules

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La forêt est grande, profonde, vibrante, vivante et vivifiante. Elle est quelque chose comme une femme qui voudrait l'homme sans lui dire. Quelque chose qui dit oui sous la robe mais qui s'est perdu dans la bouche, qui devient tendre dans l'humus et vous jette les ronces au visage. La forêt est comme ça, ici. Le sauvage sait y faire. L'attirance qu'elle éprouve à se faire explorer, elle la garde au-dedans, de la sève en puissance qui coule sous la terre, qui monte comme une odeur et vous emballe sur-le-champ. Même le ciel, au-dessus, ne reste pas indifférent. Qu'elle soit froissée après la pluie, comme les femmes qui préfèrent se doucher avant, qu'elle soit bouillante de soleil, comme celles qui brûlent après la porte d'entrée, la forêt, ici, elle ne laisse personne sortir indemne. elle retient un peu de notre substance dans sa rivière profonde. Elle se charge d'enseigner l'ardeur. 

Ainsi commence le roman de Douna Loup, L'embrasure, qui nous raconte l'histoire d'un jeune chasseur pour lequel la forêt est son monde, à lui, à la fois inépuisable - il en découvre les odeurs, les murmures, les couleurs au gré des saisons - et rassurant - il est le chasseur, le maître du jeu et des heures - au point que, hormis auprès de quelques amis qu'il fréquente au café du village ou des femmes de passage, rien d'autre ne l'intéresse, ni personne. Seulement voilà, deux événements vont bousculer le petit monde de cet être frustre, quoique plus complexe qu'il n'y paraît au premier regard. Il découvre un mort dans sa forêt. Un étranger. Que cherchait-il? Qui est-il? Près de son cadavre - son nom est Laurent Martin - il s'empare d'un carnet qui va l'interpeller et le conduire où il n'aurait voulu aller.

Mais notre jeune homme n'est pas au bout de ses surprises, car il va rencontrer une femme peu ordinaire, Eva - Zorah, dans une autre vie qu'elle ne veut raviver - qu'il accepte d'héberger pour la nuit, mais quand il veut s'approcher d'elle, il se voit maintenu de force à l'écart par... un flingue! Pourtant, peu après ce moment de leur rencontre, il sent que la situation lui échappe: Je m'approche, je vois qu'elle a les yeux fermés, j'aimerais la toucher mais je ne peux pas, sa respiration fait comme une brise profonde sous ses omoplates. Je n'ai même plus envie de la prendre ou de la serrer, juste la regarder me met dans une paix formidable et je m'aperçois que je n'ai jamais vu quelqu'un dormir. J'ai vu des femmes abandonnées un moment après l'étreinte. J'ai vu des morts, j'ai vu des bébés dans leurs poussettes, mais je n'ai jamais vu une femme dormir.

Auprès d'Eva qui l'ouvre à une humanité insoupçonnée, tout bascule et s'il se laisse apprivoiser, à son rythme, ce n'est pas sans connaître sur ce délicat parcours les affres de l'angoisse, de la résistance et du doute. La perte de son indépendance, de son territoire, de ses habitudes? Pour Eva, je sens les larmes toutes proches, comme des bombes prêtes à éclater, peut-être parce qu'elle dégage quelque chose comme du sel qui vous fouette le visage, ou parce qu'elle fait voyager de façon inconnue dans les lieux que je connais le mieux au monde.

La lente maturation des êtres touchés par la grâce - cette attirance, cette légèreté, cette élévation impossibles à décrire - nous réserve les plus beaux passages de ce livre qui ne verse à aucun moment dans l'invraisemblable ou l'artificiel: La musique, dans le salon de thé, force le silence à se ramasser en boule dans mon cerveau. Je me réjouis de boire et manger. La nuit passée est comme l'inverse d'une bombe, elle a fait de moi un homme rassemblé en entier. Un bloc. C'est pour cela que mes mots se forcent à être au plus proche d'eux-mêmes avant de sortir tout en vrac, pour ne pas briser l'unité qui résonne dedans. Eva n'a pas peur de mon silence. Elle voit bien mes yeux bafouiller de lumière.

Je suis ébloui par ce premier roman - la plus remarquable découverte de l'année! - dont la beauté du style n’est pas le moindre des mérites. D'une construction irréprochable, servi par une écriture sensuelle jouant habilement de la progression dramatique de ses personnages, il réjouira les amoureux de la langue, de l'intimité et de la nature. 

Le site Internet des éditions du Mercure de France nous apprend que Douna Loup est née en 1982 en Suisse, de parents marionnettistes. Elle passe son enfance et son adolescence dans la Drôme. À dix-huit ans, son Baccalauréat Littéraire en poche, elle part pour six mois à Madagascar en tant que bénévole dans un orphelinat. À son retour elle s'essaye à l'ethnologie, elle nettoie une banque suisse pendant trois mois, garde des enfants durant une année, écrit sa première nouvelle, puis devient mère, et étudie les plantes médicinales. Après avoir vendu des tisanes sur les marchés et obtenu un certificat en Ethno-médecine, elle se consacre pleinement à l'écriture, en même temps qu'à ses deux filles. Elle vit aujourd’hui en Suisse.

Sur Dailymotion - http://www.dailymotion.com/video/xdsjth_douna-loup-l-embrasure_creation - vous pouvez rencontrer l'auteur qui présente son roman et en lit quelques extraits.

Avec Gabriel Nganga Nseka, elle a publié Mopaya, récit d'une traversée du Congo à la Suisse, aux éditions de L'Harmattan, en avril 2010. 

 Douna Loup, L’embrasure (Mercure de France, 2010)

photographie: Stéphane Haskell 

publié dans Le Passe Muraille no 84 - novembre 2010

27/08/2010

Philippe Jaccottet

9782070428618.gifPhilippe Jaccottet, Cahier de verdure - Après beaucoup d'années (Coll. Poésie/Gallimard, 2003)

Les deux recueils rassemblés ici se tiennent sur un versant apaisé de l'œuvre de Philippe Jaccottet, et témoignent d'une prise de distance avec les peurs, les douleurs, les alarmes passées. Non que la destinée humaine ait changé de trajectoire et se soit magiquement affranchie de sa finitude, mais des passages, des éclaircies sont ici entrevus qui tentent de déjouer les pièges du temps. Un carnet poétique, subtil, léger, concret, rythmé par les saisons de la vie et de la nature, qui invite à l’unité de la création pour ouvrir les portes à l’invisible et au silence intérieur. Une oeuvre incontournable.

publié dans le supplément La bibliothèque idéale des vaudois / 24 Heures

15/08/2010

Relire Paul Valéry - 3/3

Bloc-Notes, 15 août / Les Saules

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Connaissez-vous la devise de l'ordre des Chartreux? Stat Crux dum volvitur orbis, c'est-à-dire La terre tourne, la Croix demeure immobile... Quel rapport avec Paul Vary me direz-vous? Une seule observation, mais d'importance: Si, depuis sa mort en 1945, les eaux tumultueuses de l'histoire ont bouleversé l'ordre des choses, l'organisation de la société ou l'appréhension de l'avenir, l'essentiel des valeurs auxquelles nous accordons quelque peu de crédit, n'ont guère déplacé notre centre, notre perception du sens, sinon dans les apparences, le discours et les moyens de communiquer, de partager notre pensée, nos contradictions ou notre sensibilité.

Nous ne savons que penser des changements prodigieux qui se déclarent autour de nous, et même en nous. Pouvoirs nouveaux, gênes nouvelles, le monde n'a jamais moins su où il allait, note Paul Valéry dans Regards sur le monde actuel.

Par les traversées actuelles de l'espace et du temps que nous offrent la science et la technologie, nous connaissons, il est vrai, une chance inouïe de nous informer, de nous cultiver, de nous enrichir, de remédier à notre solitude, subie au prix d'une séduction infinie et souvent désordonnée dans laquelle nous risquons de nous laisser engloutir si nous n'y prenons garde, par manque de discernement ou par frénésie, loin, si loin de ce qui est indispensable à notre raison d'être, confondant sur les plus hautes cimes de notre désert intérieur les objectifs et les moyens mis à disposition pour les atteindre.

L'homme moderne est l'esclave de la modernité, dit Paul Valéry. Il n'est point de progrès qui ne tourne à sa complète servitude. Le confort nous enchaîne. La liberté de la presse et et les moyens trop puissants dont elle dispose nous assassinent de clameurs imprimées, nous percent de nouvelles à sensations. La publicité, un des plus grands maux de ce temps, insulte nos regards, falsifie toutes les épithètes, gâte les paysages, corrompt toute qualité et toute critique, exploite l'arbre, le roc, le monument, et confond sur les pages que vomissent les machines, l'assassin, la victime, le héros, le centenaire du jour et l'enfant martyr.

Il ajoute: Il faudra bientôt construire des cloîtres rigoureusement isolés, où ni les ondes, ni les feuilles n'entreront; dans lesquels l'ignorance de toute politique sera préservée et cultivée. On y méprisera la vitesse, le nombre, les effets de masse, de surprise, de contraste, de répétition, de nouveauté et de crédulité. C'est là, qu'à certains jours on ira, à travers les grilles, considérer quelques spécimens d'hommes libres.

Mais tout Paul Valéry n'est pour nous parole d'évangile, heureusement! Avec un peu d'ordre dans nos idées, de clairvoyance dans l'appréhension de notre temps quotidien, de résistance aux sirènes hasardeuses de la pensée unique, tout reste possible à nos coeurs parfois lourds ou fatigués. Un jour peut-être, néanmoins - qui sait? - le must sera pour nous de faire halte dans une abbaye cistercienne du XIIe siècle, dont la musique silencieuse, au sein d'une solitude choisie, nous réconciliera avec l'univers, avant de nous permettre de reprendre la route d'un pas joyeux et assuré...

Paul Valéry, Regards sur le monde actuel et autres essais (coll. Folio/Gallimard, 1988)

18:16 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Paul Valéry | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Imprimer |  Facebook | | |

13/08/2010

Relire Paul Valéry - 2/3

Bloc-Notes, 13 août / Les Saules

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Quand nous parlons de littérature, entre amis, ne nous arrive-t-il pas de nous exclamer, à propos d'un roman lu: J'ai beaucoup aimé le sujet... Mauvais signe, dirait Paul Valéry, car les bons auteurs captent notre attention, quel que soit le sujet qu'ils abordent. Regardez François Mauriac, Albert Camus ou plus près de nous J.M.G. Le Clézio.

Autre lieu commun que nous distillons volontiers auprès de notre entourage: Ce roman est d'une lecture facile... Là encore, le grand homme nous interpellerait pour nous dire qu'une lecture qui ne demande pas le moindre effort - qu'il s'agisse d'érudition, de fantaisie ou de distraction - est sans intérêt, ennuyeuse pour le lecteur - qui en dix pages comprend déjà les deux cent suivantes -, vouée à une mort rapide, programmée...

A propos des livres - reconnaissons-le - nous aimons  asséner des vérités premières telles que: Cette oeuvre me séduit par son réalisme... Par rapport à qui? Par rapport à quoi? Selon quelles valeurs? A quel moment précis de notre histoire? Et si cette réalité n'est que la photographie de ce que nos yeux voient, ce n'est plus de la littérature, mais du reportage. N'est pas Louis-Ferdinand Céline, Vassili Grossmann ou Boris Pasternak qui veut... De plus, là encore, Paul Valéry nous rappellerait qu'il n'est pas rare que les oeuvres qui survivent au temps soient souvent... fantastiques!

A une semaine de la rentrée littéraire d'automne - 701 nouveautés dont 497 francophones, soit 6.32% de plus qu'en 2009! - la parole revient assurément aux auteurs, s'ils veulent échapper à ces commentaires superflus ou mondains dont fleurissent les salons de thé. Dans Tel Quel, Paul Valéry hasarde à leur intention, qu'il faut écrire et travailler pour ceux-là seuls sur qui l'injure ou la louange n'ont pas de prise; qui ne se laissent émouvoir ni imposer par le ton, l'autorité, la violence et tous les débordements. (...) Ecrire pour le lecteur qui va: ou vivre votre idée, ou la détruire, ou la rejeter - pour celui à qui vous donnez le pouvoir suprême sur elle; et qui possède le droit de sauter, de passer, de ne pas poursuivre; et celui de penser le contraire, et celui de ne pas croire, de ne pas épouser votre intention.

Rassurez-vous, car si les oeuvres romanesques insignifiantes ou fades sont en constante augmentation - parce que les éditeurs souvent manquent autant de métier, de rigueur ou de clarté que certains de leurs auteurs - bon nombre d'écrivains de cette rentrée littéraire sont proches des idées de Paul Valéry, capables de nous étonner, de nous surprendre et d'exprimer ce qui nous est impossible avec un style et une transcendance aptes à nous émerveiller, nous séduire et nous offrir quelques moments de bonheur.

Parmi ces rescapés de l'urgence - de publier, d'envahir, de monopoliser - plusieurs titres vous seront présentés dans ces colonnes, dès la semaine prochaine, signés Yves Bonnefoy (L'inachevable - Entretiens sur la poésie/Albin Michel), Andrée Chedid (Les quatre morts de Jean de Dieu/Flammarion), Douna Loup (L'embrasure/Mercure de France), Andrew O'Hagan (La vie et les opinions de Maf le chien et de son amie Marilyn Monroe/Bourgois) et Hernan Roncino (Dernier train pour Buenos Aires/Liana Levi), entre autres publications hors du commun.

Songez à ce qu'il faut pour plaire à trois millions de lecteurs, note encore Paul Valéry... Paradoxe: il en faut moins que pour ne plaire qu'à cent personnes exclusivement.

Mais de cela, nous nous en serions douté... Pas vrai?

Paul Valéry, Tel Quel - Oeuvres vol. 2 (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1960)


10/08/2010

Relire Paul Valéry - 1/3

Bloc-Notes, 10 août / Les Saules

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On devrait relire Paul Valéry. Surtout nos hommes politiques, pas forcément à droite, ni tout à fait de gauche... L'ironie à première vue n'est pas de mise car, pour rien au monde, nous autres - vous et moi par exemple - voudrions être à leur place, aujourd'hui. Ni hier d'ailleurs, pas plus que demain dont nous ne savons rien ou presque, nous qui ne sommes ni tout à fait de droite, pas forcément à gauche... Il nous arrive de les écouter, parfois de les plaindre, sans toujours comprendre ce qu'ils promettent ou ce qu'ils disent, ce qu'ils nous cachent ou ce qu'ils inventent, ce qu'ils nous enseignent ou ce qu'ils méprisent.

Paul Valéry n'est pas tendre avec eux: La politique fut d'abord l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde. A une époque suivante, on y adjoignit l'art de contraindre les gens à décider sur ce qu'ils n'entendent pas. (...) En politique, ce qui est vital est masqué par ce qui est de simple bien-être. Ce qui est d'avenir par l'immédiat. Ce qui est très nécessaire par ce qui est très sensible. Ce qui est profond et lent par ce qui est excitant.

Autour de trois notions capitales - la liberté, l'égalité et la souveraineté - l'auteur de Regards sur le monde actuel, avec une lucidité et un ton mordant devenus si rares aujourd'hui, se charge de régler leur compte à bien des illusions auxquelles, tant de fois nous avons souscrit avec assurance, nous qui espérions un monde meilleur pour tous, pas forcément à droite, ni tout à fait de gauche...

Tenez par exemple, ce qu'il dit de la liberté: C'est un de ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens; qui enchantent plus qu'ils ne parlent; qui demandent plus qu'ils ne répondent; de ces mots qui ont fait tous les métiers, et desquels la mémoire est barbouillée de théologie, de métaphysique, de morale et de politique; mots très bons pour la controverse, la dialectique, l'éloquence; aussi propres aux analyses illusoires et aux subtilités infinies qu'aux fins de phrase qui déchaînent le tonnerre. Il ajoute, un peu plus loin: L'intention sincère de laisser aux individus le plus de liberté possible, et de leur offrir à chacun quelque part du pouvoir, conduit à leur imposer, en quelque manière, ces avantages, dont il arrive, parfois, qu'ils ne veulent guère; et parfois qu'ils pâtissent indirectement. On a vu des peuples se plaindre d'avoir été libérés.

Voilà qui prête à réflexion - même pour nous autres peu éclairés en matière de politique - et assombrit quelque peu le paysage tutoyant l'horizon sur la courbe de cette étoile filante - le progrès - dont Paul Valéry écrit en 1937: L'esprit a transformé le monde et le monde le lui rend bien. Il a mené l'homme où il ne savait point aller. Il nous a donné le goût et les moyens de vivre, il nous a conféré un pouvoir d'action qui dépasse énormément les forces d'adaptation, et même la capacité de compréhension des individus; il nous a inspiré des désirs et obtenu des résultats qui excèdent de beaucoup ce qui est utile à la vie. Par là, nous nous sommes de plus en plus éloignés des conditions primitives de toute vie, entraînés que nous sommes, avec une rapidité qui s'accélère jusqu'à devenir inquiétante, dans un état de choses dont la complexité, l'instabilité, le désordre caractéristique nous égarent, nous interdisent la moindre prévision, nous ôtent toute possibilité de raisonner sur l'avenir, de préciser les enseignements qu'on avait jadis coutume de demander au passé, et absorbent dans leur emportement et leur fluctuation, tout effort de fixation et de construction, qu'elle soit intellectuelle ou sociale, comme un sable mouvant absorbe les forces de l'animal qui s'aventure sur lui.

Un texte prophétique à méditer par toutes celles et ceux qui ambitionnent de faire carrière en politique, ne serait-ce que pour réduire cette part prépondérante de mensonge qui agite les Etats et éblouit les Nations.

Permettez-moi de conclure d'un sourire, conscient de ma connaissance fragmentée du monde, de l'histoire, de l'économie, des cultures, des comportements: Je regarde le ciel, quand la nuit tombe. Elle est terriblement obscure, mais, Dieu merci, elle au moins, n'appartient à personne, ni à mes amis de gauche, ni à mes amis de droite...

Paul Valéry, Regards sur le monde actuel et autres essais (coll. Folio/Gallimard, 1988)

00:20 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Paul Valéry | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

08/08/2010

Le temps qui reste

pour Catherine P

Combien de temps...

Combien de temps encore
Des années, des jours, des heures, combien ?
Quand j'y pense, mon coeur bat si fort...
Mon pays c'est la vie.
Combien de temps...
Combien ?

Je l'aime tant, le temps qui reste...
Je veux rire, courir, pleurer, parler, 
Et voir, et croire
Et boire, danser, 
Crier, manger, nager, bondir, désobéir
J'ai pas fini, j'ai pas fini
Voler, chanter, partir, repartir
Souffrir, aimer
Je l'aime tant le temps qui reste

Je ne sais plus où je suis né, ni quand
Je sais qu'il n'y a pas longtemps...
Et que mon pays c'est la vie
Je sais aussi que mon père disait :
Le temps c'est comme ton pain...
Gardes-en pour demain...

J'ai encore du pain
Encore du temps, mais combien ?
Je veux jouer encore...
Je veux rire des montagnes de rires, 
Je veux pleurer des torrents de larmes, 
Je veux boire des bateaux entiers de vin
De Bordeaux et d'Italie
Et danser, crier, voler, nager dans tous les océans
J'ai pas fini, j'ai pas fini
Je veux chanter
Je veux parler jusqu'à la fin de ma voix...
Je l'aime tant le temps qui reste...

Combien de temps...
Combien de temps encore ?
Des années, des jours, des heures, combien ?
Je veux des histoires, des voyages...
J'ai tant de gens à voir, tant d'images..
Des enfants, des femmes, des grands hommes, 
Des petits hommes, des marrants, des tristes, 
Des très intelligents et des cons, 
C'est drôle, les cons ça repose, 
C'est comme le feuillage au milieu des roses...

Combien de temps...
Combien de temps encore ?
Des années, des jours, des heures, combien ?
Je m'en fous mon amour...
Quand l'orchestre s'arrêtera, je danserai encore...
Quand les avions ne voleront plus, je volerai tout seul...
Quand le temps s'arrêtera..
Je t'aimerai encore
Je ne sais pas où, je ne sais pas comment...
Mais je t'aimerai encore...
D'accord ?

paroles de Jean-Louis Dabadie

interprété par Serge Reggiani

création originale de Mimeva






00:30 Écrit par Claude Amstutz dans Chansons inoubliables, Littérature francophone, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poésie; musique; variété | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/07/2010

Georges Perros 1b

Georges Perros

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Recopiez le lien ci-dessous pour découvrir un extrait du très beau documentaire réalisé par Jérôme Garcin dans le cadre de l'émission Boîte aux Lettres.

http://www.dailymotion.com/video/xbj6ic_georges-perros_creation

00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Georges Perros, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; entretiens; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Georges Perros 1a

Bloc-Notes, 17 juillet / Les Saules

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Georges Perros est un immense écrivain, malgré lui, pourrait-on dire, car cet homme atypique qui se tourne plutôt vers le piano et l'art dramatique dans sa jeunesse, doit aujourd'hui sa célébrité aux trois volumes de Papiers collés, recueil de notes, réflexions ou commentaires rédigés sur des bouts de papier, des tickets de métro, des boîtes d'allumettes ou les pages d'un livre, comme une petite blessure qui n'attend pas d'être cicatrisée.

Loué pour son style épuré, sa sensibilité peu commune et son regard lucide, parfois grinçant sur le monde qui l'entoure ou le parcourt, la rigueur, la liberté de ton et l'honnêteté de sa démarche poétique sont reconnaissables entre mille dans les cinq entretiens radiophoniques réalisés avec la complicité de Jean Daive, Jean-Marie Gibbal et Michèle Cohen en 1975 parus sous le titre Graver sur le mur du vent, où son oeuvre poétique est aussi évoquée, La vie ordinaire par exemple ou les Poèmes bleus:

Peut-être que le poème est le fragment de langage le plus utile à l'homme qui veut changer le monde. Peut-être. Aujourd'hui, c'est peut-être ça. Je ne sais pas.

J'écris à ras de ligne, dit Georges Perros, ou encore: Ecrire c'est rayer la vitre. Sur son prolongement - la lecture - il ajoute enfin: La lecture, c'est l'écriture remise en mouvement, en fait. (...) C'est un des fragments de l'écriture de l'auteur. (...) C'est pour ça que c'est passionnel. On ne peut pas lire sans passion.

Dans ce même livre, vous pouvez découvrir deux dessins, un poème et trois lettres - inédits - de Georges Perros, un texte de Michel Butor et un cahier de photographies signées par Jacqueline Salmon, le tout formant un objet précieux, propre aux éditeurs de poésie, inspirant un sentiment de gaieté, si chère à cet auteur qui, dans ma bibliothèque, est le voisin de René Char...

Georges Perros, Graver sur le mur du vent (Marcel Le Poney, distr. Actes Sud, 2010)

Georges Perros, Papiers collés I, II, III (coll. Imaginaire/Gallimard, 1989-1999)

00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Georges Perros, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; entretiens; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

13/07/2010

In memoriam

Bloc-Notes, 13 juillet / Les Saules

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Peu de jeunes lecteurs savent qui était Henri-François Rey, disparu en 1987 à l'âge de 67 ans. Pourtant, de son oeuvre assez inégale, il faut bien le dire, il est triste que La fête espagnole - Prix des Deux Magots 1959 - Les pianos mécaniques - Prix Interralié 1962 - ou encore Les chevaux masqués ne soient plus disponibles, parmi une quinzaine d'autres titres ayant subi le même sort.

Par bonheur, il subsiste encore un roman dans les librairies - un seul! - à mon sens le chef d'oeuvre de son auteur, écrit en 1960 et intitulé La comédie. Il nous raconte l'histoire de Franck, un alcoolique qui, de bar en bar recherche dans l'ivresse l'oubli de ses angoisses, de sa désespérance, de son vide intérieur. Un jour, il rencontre Kim, dont le regard cristallise en lui un possible attachement, peut-être plus durable que les autres. Pourtant, même avec elle, c'est la dérive continuelle, l'abime tout proche qui le précipite en cure de désintoxication. Guéri en apparence, il entreprend un voyage en Espagne où la fête anéantira ses efforts, le replongera dans un univers où, malgré les efforts de Kim, ses humeurs noires et autodestructrices noyées dans l'alcool lui apporteront la paix, définitivement.

Ce récit nous réserve des pages magnifiques, terribles ou bouleversantes sur le mal de Franck: Enfin je sais de quoi je souffre et de quoi je crève. Enfin je suis sûr de moi.C'est encore sournois, mais je sais que quelque chose s'est installé en moi qui va me détruire. Un oiseau a fait son nid à l'intérieur de moi-même. (...) J'ai l'impression de descendre un immense escalier, toujours plus bas, toujours plus profond, encore des marches. En bas, j'entre dans une pièce, il fait bon, il y a une odeur de géranium. Les portes se ferment derrière moi. Je suis tranquille, je suis à l'abri. Je suis sauvé.

L'une de ses dernières crises est décrite avec une lucidité implacable: Ca tremblait devant ses yeux, c'était flou, la table et le bout du lit, et les vêtements sur la chaise de paille. Des petites lueurs comme des cristaux qui dansaient et le narguaient. Des mouches de glace qui se poursuivaient et, derrière, des visages qui se déformaient très vite et devenaient hideux, de la gélatine poisseuse qui coulait. Et les masques défilaient, le regardant, l'épiant. Mais les plus atroces étaient ceux qui détournaient les yeux et faisaient semblant de ne pas le voir.

De cette descente aux enfers subsiste cet écrit poignant auquel un autre - non moins célèbre - fait écho: Le repos du guerrier de Christiane Rochefort, inspiré sans doute de sa relation avec un certain Henri-François Rey...

Henri-François Rey, La comédie (Robert Laffont, 1960)

Christiane Rochefort, Le repos du guerrier (coll.Livre de poche, 1992)

 

 

00:44 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, In memoriam, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |