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30/05/2012

Morceaux choisis - Henri Roorda

Henri Roorda

littérature; chroniques; livres

C'est incontestable: je suis un roseau pensotant. Le lecteur ne s'en apercevra peut-être pas; car aujourd'hui, ceux qui lisent pensotent aussi rarement que ceux qui écrivent. Il y a beaucoup de personnes qui lisent des pages entières en somnolant. Eh bien, que ces personnes le sachent: mon éditeur n'a pas l'habitude de rendre l'argent. Au lecteur mécontent qui n'aura trouvé dans mon livre aucun aliment sapide, je demanderai: Aux endroits où je pensotais, pensotiez-vous aussi? 

Dans les phénomènes de télépathie sans fil, il importe que l'appareil récepteur soit réglé sur l'autre. Pour qu'un livre ait de l'efficacité, il faut que l'auteur et le lecteur pensotent simultanément. Cela dit, je ne crains plus aucune critique. 

Henri Roorda, Le roseau pensotant (Ed. Mille et une Nuits, 2011) 

image: deco-design.biz

00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; chroniques; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

29/05/2012

Colette Fellous

images-2.jpegColette Fellous, Pour Dalida (Flammarion, 2010)

En écho à Aujourd'hui et Avenue de France (en coll. Folio/Gallimard) Colette Fellous - née à Tunis et qui vit actuellement à Paris - poursuit la douce évocation de sa famille, avec ce portrait croisé de Dalida et de sa mère. Il respire la tendresse de l'auteur envers l'interprète de Ciao, ciao bambina, Il venait d'avoir 18 ans et Gigi l'amoroso qui a bercé son enfance, illuminé la maison familiale et résonne encore au profond de son coeur. On retrouve dans ce livre un parfum typiquement méditerranéen, des joies ou des bonheurs simples qui résonnent avec nostalgie à nos oreilles, comme les réminiscences d'un temps révolu et qui pourtant, aux heures mélancoliques, nous habitent toujours.

Colette Fellous est aussi l'auteur de Maria, Maria - un autre texte magnifique - écrit avec Paul Nizon (Maren Sell, 2004).

La citation du jour

Alphonse Allais 

littérature; essai; livres

C'est quand on serre une femme de trop près qu'elle trouve qu'on va trop loin.

Alphonse Allais, Les pensées (Le Cherche-Midi, 1997)

image: guide-drague.com

11:46 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Morceaux choisis - Alexandre Kalda

Alexandre Kalda

spicavet-rainy-night-in-paris-1.jpg

Il se remit à danser, seul, au milieu de la rue, au coeur de la nuit, à danser devant la mort, et il était comme un étalon sauvage et il se cabrait et ruait et semblait galoper sur place et le visage tendu vers le ciel, les bras ouverts, il poursuivait sa danse forcenée, et l'air qu'il avalait lui crevait la poitrine, et son coeur explosait, et son sang mugissait, et il continuait de danser, et son coeur battait si violemment, catapultant la nuit à travers ses membres, salut la nuit, et la nuit qui cesse enfin d'être la nuit, et le coeur qui trouve enfin le moyen de s'échapper, et le corps qui s'échappe lui aussi et s'envole. 

Laurent parvint à faire encore un tour sur lui-même, lent, lent et lourd, d'oiseau frappé en plein vol, et il sourit d'un sourire que personne ne discerna, il ouvrit la bouche, renversa davantage la tête en arrière, tendit davantage les bras. Il n'entendait plus la musique, il n'entendit pas non plus le hurlement d'épouvante que, soudain, poussa la foule. Il sentit seulement ses genoux fléchir, des étoiles partaient dans tous les sens, des soleils éclataient, il gardait les yeux ouverts comme sur mille soleils et ne voyait plus rien. Il s'écroula d'un bloc avant que Gaïa n'ait pu le rejoindre pour le soutenir. 

Et quelle différence cela faisait-il que, juste avant, une détonation eût retenti et qu'une tache de sang se fût élargie sur sa poitrine? Gaïa s'agenouilla lentement près de lui et lui prit le visage entre les mains. Et elle se mit à chanter. 

Alexandre Kalda, Le vertige (Albin Michel, 1969)

image: Saint-Germain des Près (picspics.fr)

01:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/05/2012

Patrick Modiano

9782070321025.gifPatrick Modiano, Un pedigree (Coll. Folio/Gallimard, 2006)

J'écris ces pages comme on rédige un constat ou un curriculum vitae, à titre documentaire et sans doute pour en finir avec une vie qui n'était pas la mienne. Les événements que j'évoquerai jusqu'à ma vingt et unième année, je les ai vécus en transparence - ce procédé qui consiste à faire défiler en arrière-plan des paysages, alors que les acteurs restent immobiles sur un plateau de studio. Je voudrais traduire cette impression que beaucoup d'autres ont ressentie avant moi : tout défilait en transparence et je ne pouvais pas encore vivre ma vie.

Patrick Modiano parle de son père et lève avec pudeur et humour parfois le voile sur lui-même, sans fard. Sensible et sobre, à l’image de son auteur.

08:16 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

25/05/2012

Morceaux choisis - Jacques Prévert

Jacques Prévert

Mina Estevez .jpg

La fermeture éclair a glissé sur tes reins
Et tout l'orage heureux de ton corps amoureux
Au beau milieu de l'ombre
A éclaté soudain
Et sa robe en tombant sur le parquet ciré
N'a pas fait plus de bruit
Qu'une écorce d'orange tombant sur un tapis
Mais sous nos pieds
Ses petits boutons de nacre craquaient comme des pépins
Sanguine
Joli fruit
La pointe de ton sein
A tracé une nouvelle ligne de chance
Dans le creux de ma main
Sanguine
Joli fruit
Soleil de nuit
 

Jacques Prévert, dans: Eros émerveillé - Anthologie de la poésie érotique française (coll. Poésie/Gallimard, 2012) 

image: Metart Fine Photography (2009)

23/05/2012

Morceaux choisis - René Guy Cadou

René-Guy Cadou

littérature; poésie; livres

Tu es dans un jardin et tu es sur mes lèvres 
Je ne sais quel ‘oiseau t'imitera jamais 
Ce soir je te confie mes mains pour que tu dises 
À Dieu de s'en servir pour des besognes bleues
 
Car tu es écoutée de l'ange tes paroles 
Ruissellent dans le vent comme un bouquet de blé 
Et les enfants du ciel revenus de l'école 
T'appréhendent avec des mines extasiées
 
Penche-toi à l'oreille un peu basse du trèfle 
Avertis les chevaux que la terre est sauvée 
Dis-leur que tout est bon des ciguës et des ronces 
Qu'il a suffi de ton amour pour tout changer
 
Je te vois mon Hélène au milieu des campagnes 
Innocentant les crimes roses des vergers 
Ouvrant les hauts battants du monde afin que l'homme 
Atteignent les comptoirs lumineux du soleil
 
Quand tu es loin de moi tu es toujours présente 
Tu demeures dans l'air comme une odeur de pain 
Je t'attendrai cent ans mais déjà tu es mienne 
Par toutes ces prairies que tu portes en toi

René Guy Cadou, Poésie - La vie entière (Seghers, 2001)

image: Leonor Fini, Le visage endormi, 1974 (weinstein.com)

08:29 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Le poème de la semaine

Edmond Jabès

Que les bois aient des arbres,
Quoi de plus naturel ?
Que les arbres aient des feuilles,
Quoi de plus évident ?
Mais que les feuilles aient des ailes,
Voilà qui, pour le moins, est surprenant.
Volez, volez, beaux arbres verts.
Le ciel vous est ouvert.
Mais prenez garde à l’automne, fatale
Saison, quand vos milliers et milliers
D’ailes
redevenues feuilles,
tomberont.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:16 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

22/05/2012

Robert Bober

littérature; roman; livresRobert Bober, Laissées-pour-compte (P.O.L., 2005)

Les vêtements ont-ils un nom, une âme, une mémoire ? On serait tenté de répondre par l'affirmative après la lecture de ce roman très original qui se déroule entre 1949 et 1964. Ainsi, trois vestes racontent leur histoire : Y a pas de printemps (l’étudiante), Un monsieur attendait (le monde du théâtre) et Sans vous dont l’histoire n’est révélée qu’à la fin du livre. Un prétexte original pour dire l’éphémère du temps qui passe dans un Paris d’autrefois – ponctué par des extraits de chansons de l’époque - avec beaucoup de chaleur, de tendresse et de poésie. En refermant ce livre, vous éprouverez peut-être des remords à jeter vos vêtements usagés…

Egalement disponible en format de poche (coll. Folio/Gallimard, 2007) 

11:22 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

19/05/2012

Morceaux choisis - Adam Biro

Adam Biro

Adam Biro.jpg

La Tisza a débordé. C'était au XIXe siècle. Une année de soleil, de belle moisson. Et soudain, la terreur. De cette masse d'eau immense; ce n'était que de l'eau, que la Tisza, mais elle balayait sur son passage le blé, le pain des gens, avec un bruit de destruction totale, de fin du monde. On fuyait. On savait. On en avait entendu parler. De la fureur du fleuve paisible. De la mort qu'elle sème. 

Tout le monde fuyait, sauf Izsak. L'eau boueuse a déjà inondé la cave de sa maison, le potager aussi était sous l'eau. Sa famille, sa femme et les enfants étaient allés rendre visite à ses beaux-parents dans une ville à trente kilomètres de là, loin de la Tisza, heureusement. Ils étaient à l'abri. Izsak, assis dans la belle chambre, priait. Autour de lui, l'affolement, des appels, des hurlements. Le tocsin à tout va. Beuglement et cris des bêtes. Izsak prie avec ferveur. 

Une barque, remplie de gens, s'approche de la fenêtre ouverte. Mozes et Samuel rament de toutes leurs forces. Ils appellent: "Izsak, viens. Qu'est-ce que tu fais? Le village est sous l'eau, nous avons tout perdu. Dieu nous punit durement pour nos péchés. Viens, il y a encore de la place pour toi. Qu'attends-tu?" Izsak, imperturbable, les toise avec dédain. "Je prie. Laissez-moi tranquille. Je prie mon Dieu. Il me sauvera." 

Les autres, dehors, dans la barque, se regardent, incrédules. Izsak a toujours eu un comportement étrange. A présent, il est devenu complètement fou. Enfin, ne voit-il pas l'eau tout submerger inexorablement? Il n'a aucune chance... Mais il leur dit de le laisser et de continuer leur chemin. Ils s'en vont. Après tout...

La Tisza ne se calme pas, bien au contraire. On voit le sommet des arbres dépasser des flots; des armoires, des berceaux, des portes arrachées, poussés les uns contre les autres par les vagues du fleuve, s'entrechoquer par une étrange loi du hasard. Des cadavres d'animaux déjà gonflés descendent immobiles le courant. Izsak doit monter à l'étage de sa maison, car le rez-de-chaussée est désormais inondé. Les meubles avec tous leurs vêtements et leur linge, fruits d'une vie de labeur, les beaux tapis reçus de sa belle-famille sont les proies de l'élément incontrôlé. Izsak n'en a cure.  

"Les affaires, dit-il. Il n'a que mépris pour les "affaires", les "choses". On lui a dit, on lui a enseigné de ne s'intéresser, de ne donner de la valeur qu'au spirituel. Quel intérêt, les vieilles chaises en bois? Quel prix? Qui s'en soucie? Il ne va tout de même pas sacrifier sa foi, sa confiance dans le Seigneur à quelques vieilles chemises? Que va-t-il emporter, le jour de sa mort, dans l'Au-Delà? Les chaises, ou son âme? Sa famille est en lieu sûr, ça, c'est important. Le reste... 

Une autre barque s'approche. Izsak en connaît tous les occupants. Les gens du village, des voisins. "Izsak, tu es encore là? Tu dois venir, c'est épouvantable ce qui se passe. Tout le village est emporté. Nous n'avons jamais vu cela. Une inondation d'une telle violence, jamais. Viens vite, nous ne pouvons pas t'attendre longtemps, nous devons aller en sauver d'autres."

Izsak les renvoie d'un revers de main. "Je prie mon Dieu, l'Eternel. Il ne m'a jamais abandonné. Vous, mauvais croyants, impies, faites ce que bon vous semble. Vous vous fiez à une méchante barque pourrie plutôt qu'au Seigneur. Vous croyez sauver votre peau tout seuls, plutôt que de vous adresser au Très-Haut. A votre guise. Allez, allez, laissez-moi prier." 

Et l'eau monte. Elle brise la fenêtre de la chambre à coucher, elle la remplit, hurlant, chuintant, elle dépose une boue gluante et verdâtre sur les draps, les oreillers, le couvre-lit blanc immaculé, avant de soulever l'immense lit de bois massif, de le faire tourner comme une toupie et de le plaquer contre le plafond. Et les flots, ayant accompli leur devoir dans la chambre, déferlent au grenier. A peine Izsak a-t-il le temps de se réfugier sur le toit. 

C'est alors, à cet instant précis, qu'une nouvelle embarcation passe. Elle s'approche avec difficulté d'Izsak. Du village, on ne voit plus que la cime de quelques arbres, quelques toits et le clocher de l'église. C'était un village. Il n'existe plus. Les réfugiés de la barque hurlent de loin: "Izsak, tu es complètement fou! Tu vas mourir, c'est sûr! Il n'y a plus personne au village, tu es le seul, le dernier! Viens avec nous, on arrive, saute dans la barque!" 

Izsak, accroché à la cheminée de ce qui fut sa maison, les injurie. "Moi, oui, moi et moi seul, je prie mon Dieu qui me regarde, me reconnaît et me sauvera. Sans vous. Je n'ai pas besoin de vous, hommes de petite foi, ça, c'est sûr." 

Les gens n'ont ni le temps ni l'envie de discuter avec un illuminé. Ils veulent sauver leur vie, quitter ce village funeste. Tant pis pour ce pauvre idiot. Advienne que pourra. Peut-être qu'il s'en sortira tout seul. Ils s'en vont au gré des flots, avec la barque où s'entassent hommes, femmes, enfants, animaux, matelas, ustensiles de cuisine, hardes, affaires utiles et inutiles. 

Et l'eau noire monte. Elle arrache Izsak à sa cheminée. Le pauvre homme essaie de nager désespérément, mais le courant est plus fort que lui. Il lutte, nage, disparaît, plonge, remonte, crache de l'eau, le souffle lui manque, il tâche de s'accrocher à des meubles qui tournoient en descendant le fleuve, replonge... et se noie. Aussitôt après... non, immédiatement, sans délai... il n'y a point de délai, de temps dans l'Au-Delà, Izsak est debout, sec et propre, devant la face du Seigneur. Il se souvient parfaitement mais avec une paix et un calme célestes de ses dernières minutes, de l'horreur de cette mort... et il s'adresse à son Dieu, comme les prophètes le faisaient, en ces termes: 

"Seigneur, je ne Te comprends pas. Tout le village a fui, sans attendre Ta volonté. La synagogue s'est vidée dès le début du sinistre. Moi seul, oui, j'ai prié, je me suis adressé à Toi, j'ai mis ma confiance en Toi et ma vie entre Tes mains. Je savais que Tu allais me sauver, que Toi seul pouvais me sauver... et voilà, Seigneur, ce que tu as fait du seul croyant du village: un noyé!" 

L'infinie sagesse de Dieu aurait été ébranlée si elle n'avait pas été divine et infinie. Le Seigneur a regardé Izsak avec pitié avant de lui dire:

"Izsak, mon pauvre petit, moi non plus, je ne te comprends pas. Pourquoi n'as-tu pas confiance en Moi? J'ai envoyé trois barques, en vain, pour te sauver!"

Adam Biro, Deux Juifs voyagent dans un train (Belfond, 2007)

16:46 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; spiritualité; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |