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10/07/2012

La citation du jour

Jules Renard

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La vie n'est ni longue ni courte; elle a des longueurs.

Jules Renard, Journal (coll. Bouquins/Laffont, 2011)

image: Clown (maluespacio.blogspot.com)

00:31 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

08/07/2012

Quentin Mouron

littérature; roman; livresQuentin Mouron, Au point d'effusion des égouts (Olivier Morattel, 2011)

Au point d’effusion des égouts, premier roman formidable de Quentin Mouron, nous entraîne dans un road movie à travers les States qui, dans la tête de ce découvreur à couteaux tirés avec la réalité, absorbe le quotidien, l’imaginaire des autres, les paysages à grande vitesse, avec une virtuosité de vieux baroudeur. De Los Angeles à Las Vegas, en passant par Trona, la Death Valley et Beatty, Quentin brosse un portrait souvent pathétique, terrifiant et sans fard de ses lieux de passage, dont Los Angeles, où tout a commencé: C’est la Cité des anges, c’est entendu. Mais des anges poussiéreux, noirs à l’os - et qui tombent à grosse grêle sur le dur des trottoirs.

Le jeune auteur n’est pas plus tendre avec Pasadena - un petit satellite universitaire qui suit en moutonnant les révolutions qui lui échappent - ou Las Vegas: Des centaines d’hystéries qui se tissaient sous chaque enseigne, des pâmoisons. Dans ces décors un peu felliniens, l’un des points culminants du roman se situe à Trona, un bled au milieu de nulle part. Bref, il faut vraiment lire Au point d’effusion des égouts. Vous n’en sortirez pas indemne ou blanchi, mais gonflé comme la voile d’un trois-mâts qui nous aspire vers un ailleurs possible et assouplit nos artères saturées de cholestérol... 

publié dans Le Passe Muraille no 89 - juin 2012

07:53 Écrit par Claude Amstutz dans Le Passe Muraille, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

05/07/2012

La citation du jour

Jean Paulhan

Jean Paulhan.jpg

Quand le langage à la fois nous manque, et la sécurité, quand chaque détail est fait pour nous troubler et que les mots nous trompent, l'amour est à tout prendre la seule ressource qui nous reste.

Jean Paulhan,  Petit avertissement au lecteur suisse, suivi de: Henri Calet, Rêver à la Suisse / 1948 (Pierre Horay, 1984)

09:06 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; voyages; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/07/2012

Le poème de la semaine

Malek Haddad

Je suis le point final d'un roman qui commence
Non pas oublions tout non pas niveau zéro
Je garde dans mes yeux intacte ma romance
Et puis sans rien nier je repars à nouveau
Je suis le point final d'un roman qui commence
A quoi bon distinguer le ciel et l'horizon
On ne peut séparer la musique et la danse
Et mon burnous partout continue ma maison
Je suis le pont final d'un roman qui commence
De mes deux Sahara je ferai des chansons
Je garde dans mes yeux intacte ma romance
Je suis en vérité l'élève et la leçon

Souvent je me suouviens j'avois été berger...
J'ai alors dans mes yeux cette longue patience
Du fellah qui regarde à ses mains incassables
L'histoire du pays où naîtra l'oranger
Souvent je me souviens d'avoir été berger...
J'ai rompu la galette
J'ai partagé les figues
Mes filles j'ai bien marié
Il n'est point de pareil
Au fusil à l'ouvrage que mon fils aîné
Ma femme était la plus belle de la vallée
Chez nous le mot Patrie a un goût de colère
Ma main a caressé le coeur des oliviers
Le manche de la hache est début d'épopée
Et j'ai vu mon grand-père au nom de Mokrani
Poser son chapelet pour voir passer des aigles
Chez nous le mot Patrie a un goût de légende

Père!
Pourquoi m'as-tu privé
Des musiques charnelles
Vois: ton fils, il apprend à dire en d'autre langue
Ces mots que je savais
Lorsque j'étais berger

Oh mon Dieu cette nuit tant de nuit dans mes yeux
Maman se dit Ya-Ma et moi je dis ma mère
J'ai perdu mon burnous mon fusil mon stylo
Et je porte un prénom plus faux que mes façons
O mon Dieu cette nuit mais à quoi bon siffler
Peur tu as peur peur tu as peur peur tu as peur
Car un homme te suit comme un miroir atroce
Tes copains à l'école et les rues les rigoles
Mais puisque je vous dis que je suis un Français
Voyez donc mes habits mon accent ma maison

Moi qui fais d'une race une profession
Et qui dis Tunisien pour parler d'un marchand
Moi qui sais que le juif est un mauvais soldat
Indigène? Allons donc ma soeur n'a pas de voile
Au Lycée n'ai-je pas tous les prix de français
De français de français de français... en français

O mon Dieu cette nuit tant de nuit dans mes yeux

Un jour c'était Huit Mai!...
Alors tourne la terre
Et grondez les tonnerres
Mes erreurs j'ai laissé
Au fond de mes tombeaux
Un jour c'était Huit Mai
Mais quel prix pour comprendre
Et que de professeurs pour pareille leçon
Et que de musiciens pour aimer la musique!
Un jour c'était Huit Mai!...

Comme à la femme il manque une gloire totale
Sans les yeux de l'enfant où nos yeux se poursuivent
Comme il manque aux forêts les amants qui les peuplent
Pour dire au vent du soir combien il les protège
Comme il manque une voile au cargo qui s'en va
Et le petit mouchoir qu'on n'oubliera jamais
Et comme il peut manquer un homme au genre humain
J'avais besoin encore
D'un jardin pour mes fleurs
D'un parfum pour mes fleurs
Et puis d'un jardinier
Mes amis ont des yeux que j'ai vus en colère
Mes amis ont des yeux que j'ai vus se mouiller
Mes amis tisserands du drapeau national
Grand vent levé debout et large et historique
Qui nous fait des vingt ans venger nos cheveux blancs

Ah! il nous faudrait avoir la vertu des abeilles
Pour mériter le miel
Et chanter nos amis

 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

09:57 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

03/07/2012

Marcus Malte

malte-marcus-mmaltergaillardegamma.jpgMarcus Malte, Garden of love (Zulma, 2007)

Dès les premières pages de cette vertigineuse descente aux enfers, où l’imagination et la réalité se côtoient en permanence, vous serez fasciné par la complexité de l’histoire et de ses personnages. Là où tout roman noir traditionnel s’achève – ici, le suicide d’un présumé meurtrier – dans celui-ci au contraire, tout commence ! Une chose est sûre : retenez bien le nom de ce jeune auteur français, car après avoir lu ce livre, - qui a vraiment mérité son Prix Policier 2008 des Lectrices de Elle - vous voudrez sans doute découvrir ses autres textes, parmi lesquels Intérieur Nord. Quant au titre Garden of love, il est tiré d’un poème de William Blake, dont vous découvrirez la résonance singulière au cours de ce terrible récit.

Egalement disponible en coll. Folio policier (Gallimard, 2010)

05:54 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

02/07/2012

Morceaux choisis - Henri Calet

Henri Calet

littérature; essai; voyages; livres

Les Suisses, même dans les villes,
recherchent plus les jouissances de la vie intérieure
que les plaisirs brillants de la société.
Le goût de la musique est très répandu chez eux.

(Cours de Géographie)

Le 14 juillet à Paris, le 1er août en Suisse: deux fêtes nationales coup sur coup, j'étais comblé. Les réjouissances commençèrent à la tombée du jour, au passage à niveau. C'est là que se groupa le cortège. Trois gendarmes en tête (ou ce que je pris pour des gendarmes) suivis par L'Instrumentale, bannière au vent - il n'y avait pas de vent -, après venaient quelques sapeurs-pompiers du genre dragons d'Alcala, puis ensuite un groupe de marins à pompons rouges, des gymnastes, les autorités civiles que j'allais oublier, le drapeau fédéral et sa garde d'honneur casquée, habillée de cet uniforme gris qui ne me plaît pas beaucoup, enfin des dames et demoiselles en costumes vaudois et une ribambelle de gosses portant des lampions. L'ensemble était pittoresque.

Et nous partîmes, au pas, en musique, en direction du château de Chillon tandis que je sentais grandir en moi un patriotisme tout nouveau. A notre approche, le boucher fit éclater deux pétards. Plus loin, le fruitier embrasa sa devanture. On déboucha devant le château, où des guirlandes électriques multicolores avaient été tirées entre les arbres. Une tenture rouge marquée à la croix blanche formait toile de fond.

Un monsieur monta dans une sorte de chaire pour nous lire le programme. Une intense émotion rendait son élocution des plus particulières. En outre, il coupait son discours de pauses inexplicables. Il me sembla que deux mots revenaient assez souvent: ... croissants chauds... croissants chauds... On allait bénéficier d'une distribution de croissants chauds. Une vieille coutume suisse, possiblement.

Là-dessus, L'Instrumentaliste joua Au Drapeau et puis un pot-pourri. Bonne soirée. Un des musiciens s'affaissa soudain, sans bruit. On le porta à l'écart, en bordure de la voie ferrée. Nous nous dîmes qu'il avait trop bu et la fête continua. Un autre monsieur était en chaire; il allait nous faire l'allocution patriotique attendue. Il s'exprimait bien. Nous écoutâmes une longue harangue dans laquelle il fut question d'une conférence importante qui se tenait à Paris, de l'industrie hôtelière, de l'armée suisse, et de bien d'autres sujets. Pendant ce temps, le musicien se roulait par terre en se griffant la poitrine. Il paraissait souffrir. Le monsieur arrivait à la péroraison...

- Tous pour un, un pour tous! s'écria-t-il.

Personne ne s'inquiétait du musicien toujours occupé à se contorsionner dans l'herbe. Une courte phrase pour conclure:

- J'ai dit!

Nous applaudîmes sans excès de chaleur. Après cela, des adolescents firent des mouvements de gymnastique rythmique et des sauts aux barres parallèles... On se décida à transporter le musicien hors de la foule. C'était un homme assez grand, jeune encore, très pâle; il fermait les yeux, comme s'il allait mourir. Je me demande quel effet cela produit en soi d'avoir très mal ainsi parmi une cohue joyeuse, au grand air. L'Instrumentale exécuta le Cantique suisse. Et nous nous séparâmes sans qu'il y eût aucune distribution de croissants chauds. J'avais du mal à comprendre.

Le musicien était étendu sur un matelas, entouré de petits enfants curieux. Il est mort là, une nuit de fête nationale, sans faire de bruit, et sans même que l'on s'en aperçut, en grande tenue à brandebourgs de trombone de L'Instrumentale. Certes, nul ne choisit son instant ni son coin pour cela. Qui sait où et quand il nous adviendra de nous mettre à agoniser et à mourir. Il n'est pas certain que nous nous y prenions aussi simplement, aussi dignement que le trombone ni que nous ayons des enfants tout autour de notre lit - si, par chance, nous avons un lit - ni que l'on joue le Cantique suisse à notre intention, ni que l'on éclaire le ciel de fusées roses et vertes...

Henri Calet, Rêver à la Suisse / 1948 (Pierre Horay, 1984)

image: François Boçion, La promenade devant Chillon /1868 (www.huma3.com)

11:08 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; voyages; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

30/06/2012

Le Passe Muraille

Le Passe Muraille, no 89, juin 2012 

littérature; roman; nouvelles; essai; livres

Le dernier numéro de cette revue - comme vous pouvez le découvrir dans l'éditorial de Jean-Louis Kuffer - est, fait exceptionnel, consacré aux écrivains qui prennent la relève en Suisse romande: Après la disparition des figures romandes que furent une Alice Rivaz, un Georges Haldas. un Jacques Chessex, un Maurice Chappaz, ou tout récemment un Jean Vuilleumier, y a-t-il continuité ou rupture entre ceux-là et les auteurs nés après 1980, alors que disparaissent les revues, les rubriques littéraires dignes de ce nom et toute une société de lecteurs attentifs? C'est à ces questions que nous aimerions donner une ébauche de réponse dans cette livraison d'été du Passe Muraille réservée exclusivement, en cette vingtième année, à des auteurs de moins de trente ans.

Lisez, écoutez et partagez ces nouvelles voix, auxquelles répondent aussi de jeunes éditeurs dotés d'un formidable culot comme ont su en faire preuve leurs prédécesseurs en des temps aussi troublés que les nôtres, preuve que l'intuition associée à un grain de folie demeure capable de faire jaillir des fleurs rares entre les terres inhospitalières, aujourd'hui comme hier...

Bonne lecture à tous!

Sommaire du Passe-Muraille no 89

p.1

Notre-Dame-de-la-merci, par Quentin Mouron - Inédit

Ecrire la vie devant soi, par Jean-Louis Kuffer

p.2

Au point d'effusion des égoûts - Quentin Mouron, par Claude Amstutz

p.3

Horizon de paille, par Douna Loup - Inédit

Chroniques de l'Occient nomade - Aude Seigne, par Jean-Louis Kuffer

p.4

Avis d'essai, par Timothée Léchot

Le coup de jeune de l'AJAR, par Jean-Louis Kuffer

Sur des airs de jazz: variations sur trois standards, par Nicolas Lambert

p.5

Ours, merci de libérer les portes, par Daniel Vuataz - Inédit

p.6

Julien Burri, poète et conteur, par Jean-Louis Kuffer

Le droit chemin, par Guy Chevalley - Inédit

p.7

Le retour, par Noémi Schaub - Inédit

p.8

Peut-être l'Afrique, par Bruno Pellegrino - Inédit

Entretien avec Max Lobe: L'Afrique à la Rue de Berne, par Jean-Louis Kuffer

p.9

Le puits, par Elodie Gelrum - Inédit

Sébastien découvreur, par Sébastien Meyer

p.10

Portrait du corps en jeune homme, par Matthieu Ruf - Inédit

Voici le chemin, par Vincent Yersin

p.11

La Grâce, par Fanny Wobmann-Richard - Inédit

Entretien avec Mathias Clivaz: Terre sur terre, par Patrick Vallon

p.12

Visions de Jack, par Maxime Maillard - Inédit

 

image: Quentin Mouron

Pour s'abonner et communiquer: http://www.revuelepassemuraille.ch/

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29/06/2012

Dominique Fernandez

9782253122784.gifDominique Fernandez, L'art de raconter (Grasset, 2007)

Un exercice personnel, passionnant, tout à fait accessible, qui peut réjouir beaucoup d’amoureux de la littérature. Bien sûr, Fernandez évoque Stendhal, Dickens ou Morand, mais il attire souvent aussi l’attention sur quelques phénomènes tels Traven - Le trésor de la Sierra Madre, Le chagrin de Saint Antoine -  ou Chase, pour certains de ses titres de gloire - Pas d’orchidées pour Miss Blandish, L’abominable pardessus, Un beau matin d’été - injustement dépréciés. Le chapitre consacré à Simenon et à son étude parallèle sur Gide mérite à lui seul de rafraîchir notre mémoire! Enfin, pour conclure, sa chronique consacrée aux œuvres ultimes - Proust, Michel-Ange ou Verdi – est foisonnante, sensible, pertinente.

Egalement disponible en coll. Livre de poche (LGF, 2008)

05:38 Écrit par Claude Amstutz dans H.B. dit Stendhal, Littérature francophone, Marcel Proust | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

28/06/2012

Au bar à Jules - De l'indignation

Un abécédaire - I comme Indignation

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Certains mots, tant galvaudés dans les conversations, le commerce ou dans les médias, semblent perdre toute signification, toute saveur, toute perspective. Un exemple parmi tant d'autre, vécu dans mon activité professionnelle, se trouve dans le terme coups de coeur - appliqué au livre, au CD ou au cinéma - devenu l'emblème des restaurateurs, des bouchers, des géants de la distribution en produits alimentaires ou activités de loisirs. Ce qui à l'origine relevait d'un lien personnel entre une personne et une autre, s'est mué en stéréotype collectif. Donc, sans intérêt désormais en ce qui concerne le terme, ce qui ne s'applique pas - bien sûr - à la démarche.

Un autre aperçu de cette banalisation recouvre le terme de l'indignation, retrouvant miraculeusement près de quatre millions d'adeptes, grâce à Stephane Hessel dont l'opuscule consacré à ce sujet, s'est vendu dans près de cent pays. L'expression d'un résistant, d'un honnête homme engagé et convaincu, un phénomène de l'édition, me direz-vous. Un mécanisme de contagion auprès du grand public? Oui, peut-être, mais sous conditions: tant que l'indignation n'est pas une leçon de morale obligée, tant qu'elle n'est pas le quotidien reflet des seules intentions, tant qu'elle ne traduit pas uniquement une pensée convenue ou le sentiment d'une bonne conscience bien vite reléguée aux oubliettes de l'histoire: celle d'un dogme monocolore valable pour tous.

Socrate pourrait nous redire à son exemple, que l'indignation, c'est déjà ne pas accepter la règle du jeu - à commencer par celle des politiques de tous bords -, de passer à l'épreuve du feu les faits davantage que les idées afin de réformer, ou mieux, stimuler nos actes, notre propre sens de la justice, nos convictions intimes à découvert.

Pour tous ceux, de plus en plus nombreux, à qui il ne reste que l'indignation - alors qu'ils ont perdu tout le reste - la révolte est parfois, trop rarement, capable d'interpeller les scandalisés du système et les lecteurs de Stéphane Hessel, de concrétiser l'inacceptable et lui donner un sens universel. Hannah Arendt nous laisse une réflexion qui devrait faire son chemin, aujourd'hui encore: Ce ne sont pas la fureur et la violence, mais leur absence évidente, qui devient le signe le plus évident de la déshumanisation.

L'indignation, n'est que le premier pas - en s'abstenant d'offenser ou de haïr comme le rappelle Epictète - contre l'hypocrisie ou pire, l'indifférence...  

Stéphane Hessel, Indignez-vous! (Editions Indigène, 2010)

Hannah Arendt, Du mensonge à la violence (coll. Agora/Pocket, 2007)

image:  Socrate / Académie d'Athènes (www.123rf.com)

Morceaux choisis - François Mauriac

François Mauriac

François Mauriac 5.jpg

Fernand regarda autour de lui: c'est bien la chambre où Mathilde est morte. Voici le cadre en coquillages où elle ne sourit pas. Un oiseau grimpeur chante avec sa voix de printemps. Matinée pleine de fumée et de soleil. Pour rejoindre Mathilde, il lui faut remonter des profondeurs de sa vie à l'extrême surface du passé le plus proche. Il essaie de s'attendrir, songeant comme ils ont peu vécu ensemble. Maintenant la bru n'a plus sur la belle-mère l'avantage d'être morte: sa vieille ennemie l'a rejointe dans le troisième caveau à gauche, contre le mur du fond. L'une et l'autre appatiennent désormais à ce qui n'est plus; et Fernand s'irrite de la petite part de sa vie dévolue à l'épouse, alors que la mère couvre de son ombre énorme toutes les années finies.

Il achève de s'habiller, erre au jardin, regarde à la dérobée la fenêtre du bureau où ne l'irritera plus une vieille tête à l'affût. Est-ce parce qu'il ne se sait plus ainsi épié, qu'il éprouve si peu le désir de rejoindre Mathilde? Fallait-il que cet immense amour obsédant de sa mère le cernât de ses flammes pour que, traqué, il descendit en lui-même jusqu'à Mathilde? Voici que l'incendie est éteint. Ce brasier, qui le rendait furieux, soudain le laisse grelottant au milieu de cendres. Il existe des hommes qui ne sont capables d'aimer que contre quelqu'un. Ce qui les fouette en avant vers une autre, c'est le gémissment de celle qu'ils délaissent.

François Mauriac,  Génitrix (coll. Livre de Poche/LGF, 1979)