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07/08/2012

La citation du jour

Jean-Michel Maulpoix

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Ecrire est averse de neige. Quand le silence du ciel qui ne tient plus tombe sur la campagne et la mer en essaim d'abeilles froides. Ainsi arrive-t-il en pleine nuit que le ciel tout à coup inverse sa noirceur. Une floraison de blancheur dans l'obscur, telle serait la page qui se couvre de signes. Car ce n'est pas l'encre qui noircit le papier, mais plutôt ce blanc-là qui remonte et trouve une issue, faufilé dans les interstices entre les signes sombres.

Jean-Michel Maulpoix, Chutes de pluie fine (Mercure de France, 2002) 

image: Brigitte Pellerin, Champ de neige (2002)

http://www.pellerin.eu/2.html

03/08/2012

Au bar à Jules - De la qualité

Un abécédaire: Q comme Qualité

Joseph DeCamp (1858-1923) The Window Blind 1921.jpg

On peut se poser la question de savoir pourquoi certains livres incontournables - objectivement des oeuvres de qualité - ne parviennent pas à nous intéresser. C'est le cas aujourd'hui encore, en ce qui me concerne, pour Guerre et paix de Leon Tolstoï - contrairement à Anne Karénine -, Le côté de Guermantes de Marcel Proust ou L'homme sans qualités de Robert Musil, dont je ne parviens pas à dépasser le premier tiers; parmi les publications plus récentes, Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez est marqué de ce même sceau, même si je considère par ailleurs du même auteur L'automne du patriarche  comme un chef d'oeuvre de la littérature sud-américaine. Enfin, tout près de nous, j'ajoute Les Bienveillantes de Jonathan Littell, malgré les éloges de la critique et celles de nombreux de mes amis lecteurs.

Même si l'originalité du propos, la beauté de la langue ou la structure du récit peut susciter l'admiration, cela ne suffit pas à entretenir la curiosité ou stimuler le plaisir et la magie que peut nous procurer un livre. De plus, ne sont pas nombreux ceux qui se sentent à l'aise avec toutes les littératures et toutes les cultures: freins d'une traduction, d'une éducation rigide, de notre trajectoire personnelle, de désirs de voyages tôt abandonnés. Et que sais-je encore!

Dans son dernier ouvrage Alphabets, Claudio Magris soulève - à propos d'une parabole de Jorge Luis Borgès - une réflexion qui peut s'appliquer aux motivations de nos lectures, s'apparentant à la construction de notre propre visage à travers elles: Notre identité, c'est notre façon de voir et de rencontrer le monde: notre capacité ou notre incapacité de le comprendre, de l'aimer, de l'affronter et de le changer. Nous traversons le monde; ses figures, sur lesquelles se fixe notre regard, nous renvoient comme un miroir notre image, nos images, qui au fur et à mesure que nous avançons vers la destination finale du voyage restent en arrière, elles appartiennent peu à peu à un temps qui n'est plus le nôtre, épaves qui s'accumulent dans le passé.

Dans ce visage à la fois contruit et déconstruit au fil du temps, certaines lectures n'ont pas leur place; d'autres sont délaissées ou prêtes à dessiner une nouvelle empreinte, mais rares sont les ouvrages - à bien y réfléchir - à briller d'un même éclat, inaltérables dans notre souvenir, et tout autant catalyseurs de nos émotions fugitives, là, maintenant, aux premières lueurs du jour...

Claudio Magris, Alphabets (L'Arpenteur, 2012)

Gabriel Garcia Marquez, L'automne du patriarche (coll. Livre de poche/LGF, 1982)

image: Joseph De Camp, The Window Blind (1921)

02/08/2012

Lire les classiques - H.B. dit Stendhal

H.B. dit Stendhal

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Octave regardait les grands yeux d'Armance qui se fixaient sur les siens. Tout à coup ils comprirent un certain bruit qui depuis quelque temps frappait leur oreille sans attirer leur attention. Madame d'Aumale, étonnée de l'absence d'Octave, et trouvant qu'il lui manquait, l'appelait de toutes ses forces. On vous appelle, dit Armance, et le ton de voix brisé avec lequel elle dit ces mots si simples, eût appris à tout autre qu'Octave l'amour qu'on avait pour lui. Mais il était si étonné de ce qui se passait dans son coeur, si troublé par le beau bras d'Armance à peine voilé d'une gaze légère qu'il tenait contre sa poitrine, qu'il n'avait d'attention pour rien. Il était hors de lui, il goûtait les plaisirs de l'amour le plus heureux, et se l'avouait presque. Il regardait le chapeau d'Armance qui était charmant, il regardait ses yeux. 

Jamais Octave ne s'était trouvé dans une position aussi fatale à ses serments contre l'amour. Il avait cru plaisanter comme de coutume avec Armance, et la plaisanterie avait pris tout à coup un tour grave et imprévu. Il se sentait entraîné, il ne raisonnait plus, il était au comble du bonheur. Ce fut un de ces instants rapides que le hasard accorde quelquefois, comme compensation de tant de maux, aux âmes faites pour sentir avec énergie. La vie se presse dans les coeurs, l'amour fait oublier tout ce qui n'est pas divin comme lui, et l'on vit plus en quelques instants que pendant de longues périodes.

H.B. dit Stendhal, Armance (coll. Folio/Gallimard, 1975)

image: Marie Laurencin, Jeune femme (etude-gestas-carrere.com)

01/08/2012

Le poème de la semaine

Jacques Prévert 

Il dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le coeur
Il dit oui à ce qu'il aime
Il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les chiffres et les mots
Les dates et les noms
Les phrases et les pièges
Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

09:32 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

Au bar à Jules - De la patrie

Un abécédaire: P comme Patrie

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Lors de mon examen final d'apprentissage en librairie, j'avais à choisir entre deux sujets de rédaction jugés aussi débiles l'un que l'autre - Le 1er août ou Les transports en Suisse - si bien que choisissant Le 1er août, j'avais joué un mauvais tour à mes examinateurs en imaginant deux jeunes compères en chemin pour la montagne du Grütli - à pied - afin d'y célébrer la fête nationale, à leur manière. Le premier n'avait jamais connu son père et cherchait à retrouver dans cet événement une chaleur familiale qui lui était étrangère; son compagnon, quant à lui, venait d'être largué par une jolie danseuse et s'élançait vers les hauteurs avec l'énergie d'un désespoir tout neuf. Au cours de ce pélerinage insolite, nos gais lurons vont faire halte à chaque station au bistrot du village pour se donner du courage, si bien que parvenus au sommet, ils seront ivres au point d'oublier le motif de leur ballade et sombreront dans un sommeil peuplé d'ombres douloureuses et de rêves fracassés, alors que pour les autres, c'est la fête...

Il va sans dire que mon travail fut sanctionné - jugé sans doute irrévérencieux - mais depuis ce temps, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts et l'enseignement auprès des jeunes générations a connu une évolution plutôt heureuse! 

Aujourd'hui en guerre contre une certaine autoflagellation qui habite le coeur de bon nombre de mes amis suisses et les clichés les plus éculés qui circulent auprès de nos détracteurs hors des frontières - dans la plupart des pays il en va de même - je revendique une fierté patriotique qui m'est venue dans l'éloignement de la terre, au fil de mes séjours à l'étranger: en Italie et en Angleterre, pour l'essentiel. Ce qu'on pourrait nommer autrement la nostalgie du bonheur suisse, qui ne se borne pas aux plaques de Frigor, à la fondue ou au cor des Alpes.

De mon pays, j'apprécie tout particulièrement la cohésion sociale qui, malgré de vives tensions parfois, laisse toujours le dernier mot à la légitimité et à l'expression démocratique; j'aime ce sens discret des responsabilités où toute démarche n'est pas politique et qui sait bien souvent trancher entre des revendications pertinentes et l'intérêt de la nation; enfin, je mesure la chance d'une gouvernance fédérale au sein de laquelle je peux exprimer en toute liberté mes opinions quant au destin que je souhaite pour la Suisse.

On pourra me dire que cette admiration béate peine à cacher les fissures de l'histoire ou les lézardes de notre système. Pêle-mêle: l'or des nazis, le droit d'asile, le blanchiment d'argent, le röstigraben (fossé linguistique), les fonds en deshérence, l'insécurité. Je ne le nie pas et ne prétends nullement que ma patrie ressemble à une cité divine, mais plutôt que de perdre mon temps et le vôtre à poursuivre dans cette voie, je préfère m'attacher à un exemple très symbolique de la réussite en Helvétie.

J'aurais pu vous parler de Nicolas Hayek - entrepreneur suisse d'origine libanaise, né à Beyrouth, fondateur de Swatch Group, contradicteur de cette image qui veut qu'on soit privé d'imagination en Suisse - mais choisis Roger Federer. Pourquoi? Tout simplement parce que j'y retrouve de nombreuses vertus qui caractérisent ce visage de la Suisse que j'aime: l'homme est discret, il croit en lui-même, il se bat pour réussir. Conquérant sans arrogance, il est ouvert et chaleureux, considéré par ses pairs et ses fans comme un gentleman, de par son respect des autres, sa disponibilité - exprimée en trois langues - et sa fidélité en amitié. Son épouse Mirka Vavrinec, d'origine slovaque, concrétise cette séduction d'un ailleurs qui jalonne nos manuels scolaires. Le succès de Roger Federer et son sens des affaires ne l'empêchent pas de s'engager à travers la Fondation Federer pour des projets en Afrique du Sud, au Mali, en Éthiopie ou en faveur des jeunes athlètes suisses. Et il n'en parle que lorsqu'on lui pose la question à ce sujet.

C'est ce visage de la Suisse que je veux retenir pour la décennie à venir, capable de rayonner malgré sa modeste place dans le monde, qui inspire confiance davantage que ses coffre-forts, qui tient le choc contre vents et marées au sein de l'Europe, davantage par son réalisme, sa faculté d'adaptation et sa compétitivité que par les cadeaux empoisonnés des autres...

Finalement, ce qui constitue l'ossature de l'existence, ce n'est ni la famille, ni la carrière, ni ce que d'autres diront ou penseront de vous, mais quelques instants de cette nature, soulevés par une lévitation plus sereine encore que celle de l'amour, et que la vie nous distribue avec une parcimonie à la mesure de notre faible cœur. Nicolas Bouvier

Nicolas Bouvier, Oeuvres (coll. Quarto/Gallimard, 2004)

image: Roger Federer / Wimbledon 2012 (tennisnewsviews.com)

31/07/2012

La citation du jour

Jacques Chardonne

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Je ne connais qu'une distraction dans la vieillesse : être utile. C'est sortir de soi.

Jacques Chardonne, Propos comme ça (coll. Cahiers Rouges/Grasset, 2006)

07:22 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

29/07/2012

Au bar à Jules - De Ondine

Un abécédaire: O comme Ondine

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On ne lit plus guère Jean Giraudoux, et on a bien tort. Ondine par exemple: une pièce de théâtre inspirée par le conte du romantique allemand Frédéric de La Motte-Fouqué. Il y raconte l'histoire d'une nymphe qui veut s'incarner, non pour trouver dans le monde un univers plus vaste que le sien, mais celui de l'amour apparu sous les traits de Hans, un chevalier errant. En son nom, elle veut prêter vie au sentiment le plus noble, le plus parfait, le plus bouleversant: Le seul homme digne d'être aimé est celui qui ressemble à tous les hommes, qui a la parole, les traits de tous les hommes, qu'on ne distingue des autres que par des défauts ou des maladresses en plus. (...) prélude à un feu intérieur qui, jusqu'alors, lui était inconnu: Depuis que je t'aime, ma solitude commence à deux pas de toi.

Mais dans sa transgression, Ondine à la fois légère et déterminée, sera confrontée à ce qui lui était étranger dans son milieu naturel: le mensonge, l'infidélité, la trahison et la douleur d'un rêve inaccessible qui ne peut fleurir que dans l'imperfection qu'imposent la fragilité et la complexité des sentiments humains : C'est tout petit dans l'univers, le milieu où l'on s'oublie, où l'on change d'avis, où l'on pardonne, l'humanité comme vous dites... Chez nous, c'est comme chez le fauve, comme chez les feuilles du frêne, comme chez les chenilles, il n'y a ni renoncement, ni pardon. A ses dépens, Ondine apprendra que les passions les plus exceptionnelles sont aussi les plus vulnérables.

Elle l'exprimera avec mélancolie et force dans un pathétique aveu, lot de bien des amours de tous les âges: Nous sommes chez les humains. Que je sois malheureuse ne prouve pas que je ne suis pas heureuse. Et plus loin: Les bras des hommes leur servent surtout à se dégager.

Ces mots qui ne subissent en rien la flétrissure du temps sont là pour nous dire à voix basse que la recherche de l'absolu - là où il n'a pas cours - ne peut conduire qu'à la désillusion et qu'il importe peut-être de vivre le moment présent - éphémère autant qu'inexplicable - comme un bonheur inespéré quand il se trouve, là et maintenant, sans l'enfermer dans nos vertiges imaginaires qui savent avec tant de conviction l'évincer du réel...    

Jean Giraudoux, Ondine (coll. Livre de poche/LGF, 2000)

image:  Fanny  Cerrito, Pas de l'ombre / Anonyme - Ondine (Illustrated London News, 1843)

16:21 Écrit par Claude Amstutz dans Au bar à Jules - Un abécédaire 2012, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

28/07/2012

Jean Giono

9782070368723.gifJean Giono, Le chant du monde (coll. Folio/Gallimard, 2000)

Un jour d'automne, sur les bords d'un fleuve non nommé, Antonio, l'homme du fleuve, vivant dans l'île des Geais et qu'on appelle Bouche d'or - car il sait parler, inventer des chansons et séduire les femmes - reçoit la visite de son ami Matelot, un ancien marin. Ce dernier est devenu bûcheron et a eu deux fils, des jumeaux, des bessons, dont l'un est mort. L'autre, celui aux cheveux rouges, est parti chercher du bois au pays Rebeillard, dans le haut de la vallée, l'été dernier, mais il n'est pas revenu. Ils décident alors de partir à sa recherche. En chemin, ils rencontrent dans un bois Clara, une jeune aveugle sur le point d'accoucher. Ils l'aident, la mettent à l'abri chez la mère Delarue. Antonio en tombe amoureux. Mais ils comprennent que le propriétaire des pâturages, le riche Maudru, mène avec ses bouviers une chasse à l'homme sans pitié contre le Besson qui a enlevé la fille de Maudru, Gina, consentante bien que promise au neveu de son père. Le Besson évite un premier piège mais blesse mortellement le neveu Maudru. Antonio et le Matelot rejoignent le couple traqué chez Toussaint, le guérisseur bossu, beau-frère du Matelot. L'hiver est arrivé. Gina la vieille, soeur de Maudru et mère du mort, se joint à ceux qui veulent abattre le Besson. À la fin d'une fête villageoise, où Clara a retrouvé Antonio, le Matelot est battu à mort par les bouviers. Au comble de la fureur, le Besson, accompagné d'Antonio, met le feu à la ferme de Maudru...

Hymne à la vie où l'instinct, l'honneur et la passion brute font corps avec le paysage - le fleuve, la forêt, la montagne - ce roman respire d'un lyrisme, d'une sensualité et d'une profondeur rares, tout au long de cette histoire intime, tragique, sauvage qui pénètre le lecteur comme une mélodie dont on ne parvient pas à se défaire: On entendait chanter les pins là-bas devant et une autre odeur venait aussi, avivée et pointue, puis soyeuse et elle restait dans le nez, et il fallait se le frotter avec le doigt pour la faire partir. C'était l'odeur des mousses chevrillonnes; elles étaient en fleurs, écrasées sous de petites étoiles d'or.

Plongeant ses racines au coeur des complexités de l'homme, de son rapport aux autres hommes et à la nature indomptable charriant et mêlant aussi bien la vie que la mort avec une étonnante fraîcheur, ce roman est l'un de mes préférés de la littérature française contemporaine, que je lis et relis à chaque fois avec un même bonheur!

De l'œuvre de Giono - écrit Henry Miller - quiconque possède une dose suffisante de vitalité et de sensibilité reconnaît tout de suite le chant du monde. Pour moi, ce chant dont il nous donne avec chaque nouveau livre des variations sans fin, est bien plus précieux, plus émouvant, plus poétique, que le cantique des cantiques...

05:08 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

25/07/2012

Le poème de la semaine

Andrée Chedid

Je reste émerveillée
Du clapotis de l’eau
Des oiseaux gazouilleurs
Ces bonheurs de la terre
 
Je reste émerveillée
D’un amour
Invincible
Toujours présent
 
Je reste émerveillée
De cet amour
Ardent
Qui ne craint
Ni le torrent du temps
Ni l’hécatombe
Des jours accumulés
Dans mon miroir
Défraîchi
 
Je me souris encore
Je reste émerveillée
Rien n’y fait
L’amour s’est implanté
Une fois
Pour toutes
 
De cet amour ardent
je reste émerveillée
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

23/07/2012

Au bar à Jules - Du mime

Un abécédaire - M comme mime 

littérature; roman; musique; danse; livres

C'est en 1973 que Lindsay Kemp réalise son spectacle le plus subversif, cruel, d'une beauté vénéneuse, intitulé Flowers, un hommage à Jean Genêt et à Notre-Dame-des-fleurs, l'une des oeuvres majeures de son auteur. Mais faisons un petit retour en arrière: Lindsay Kemp est né en 1938 à South Shields. Son père était marin, disparu en mer en 1940. Avec sa mère, ils déménagent à Bradford où il étudie la danse avec Hilde Holger et le mime avec Marcel Marceau. Dès son plus jeune âge, il eut la danse dans le sang: Je dansais sur la table de cuisine pour distraire les voisins. Je veux dire, c'était une surprise pour eux de voir un petit garçon tout maquillé, dansant sur les pointes. Finalement, cela en était devenu un peu trop pour ma mère, et elle décida de m'envoyer en pension à l'âge de huit ans, espérant que cela me donnerait un peu de bon sens.

Acteur, mime et chorégraphe, Lindsay Kemp devient connu du grand public en 1968 au Festival d'Edimbourg et dans sa classe, voit s'épanouir Kate Bush et surtout David Bowie qui conservera du passage dans sa troupe, un goût inné pour la mise en scène provocatrice et un registre de créations ambiguës auquel son physique se prête avec ingénuosité. Lindsay Kemp apparaît dans plusieurs films, dont Sebastiane et Jubilee de Derek Jarman, ainsi que dans The Wicker Man de Robert Hardy. Plus important, parmi ses spectacles en qualité de mime et de danseur, mentionnons A Midsummer Night's Dream, Nijinsky, Big Parade et Cerentola.

Avec la Lindsay Kemp Company, la pantomime Flowers est interprétée pour la première fois à Londres, en 1968 et connaît un succès considérable - prélude à une tournée internationale - dépassant, et de loin, la communauté gay. Une mise en scène hallucinante, avec en toile de fond, les musiques de Wolfgang Amadeus MozartJohann Strauss et Pink Floyd. Une descente aux enfers sauvage, burlesque, magique, destructrice et pourtant follement drôle, laissant au coeur du spectateur - et j'étais du nombre - un souvenir inoubliable: tout le parfum sulfureux d'un Jérôme Bosch revisité par un Francis Bacon pour la violence des traits, l'expression de la sexualité et le sens du défi permanent.

En 2002, Lindsay Kemp quitte l'Angleterre pour s'installer en Italie. Il y réalise parmi d'autres créations Salieri, Elizabeth's Last Dance, L'oiseau de feu et L'histoire du Soldat.

Avec le lien ci-dessous - vimeo.com - vous pouvez si le coeur vous en dit, visionner en films et images plusieurs spectacles de Lindsay Kemp...   

Lindsay Kemp 2.jpg


 

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images: Lindsay Kemp

sources: Wikipedia (http://en.wikipedia.org/wiki/Lindsay_Kemp)

extrait de Flowers: Maya Cusell / Madrid 1986 (http://vimeo.com/9805444)

Jean Genêt, Notre-Dame-des-fleurs (coll. Folio/Gallimard, 2012)