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20/08/2012

Quentin Mouron 1a

Bloc-Notes, 20 août / Thonon-les-Bains

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Il m'arrive de redouter la lecture d'un nouveau roman, parce que j'ai beaucoup aimé le précédent du même auteur - généralement le premier - et que je voudrais, comme dans la vraie vie, réduire au mieux la frange de mes déceptions possibles. Si j'ajoute qu'avant même la parution dudit roman, la presse dans une belle unanimité, crie au chef-d'oeuvre, l'inquiétude grandit. La méfiance aussi, avec cette désagréable impression de n'avoir plus rien à découvrir avant même la première ligne, que les jeux sont faits. Le danger enfin de m'exposer à dire les mêmes choses que tout le monde - le péché d'orgueil cher à nos amis catholiques! - ou oser exprimer que je n'aime pas ce livre, qu'à tout prendre il serait préférable de n'en pas parler, par délicatesse.

Cela m'est arrivé avec Quentin Mouron, mais toutes ces interrogations qui m'ont parcouru, pêle-mêle, se sont dissipées dès les premières lignes de Notre-Dame-de-la-Merci dont il est dit à juste titre qu'elles signent souvent - avec les dernières - un bon livre: C'est un matin de novembre. Les premiers flocons tombent sur la forêt québecoise. Le vieux Pottier a connu l'ennui. Qui dévore les personnes et les choses, les forêts, et qui balaie la neige. L'ennui silencieux, angoissé, que l'on ne peut pas dire parce que les mots nous manquent et qu'ils nous ont toujours manqué.

En quelques lignes, le décor est planté, est condensée toute l'atmosphère de ce qui va par la suite réunir trois antihéros sans ambition ni espoir véritable, qui se contentent de s'arranger avec la vie, parce que les dés sont pipés depuis trop longtemps pour qu'ils puissent se hasarder à autre chose. Il y a Jean, le fils du vieux Pottier qui s'est pendu - à qui il fait les poches pour lui piquer sa montre en or et un billet de vingt dollars -, une brute ivrogne, médiocre, qui voudrait devenir quelqu'un. Et Odette - après le décès de son type - est tombée amoureuse de lui, parce qu'elle croit qu'après tous ses déboires, il pourrait lui montrer qu'elle existe, alors qu'il s'en fout et ne pense qu'au fric qu'elle a amassé en vendant de la coke. Au contraire de Daniel, un ouvrier intermittent et rêveur de ce village de retraités paisibles, qui aime Odette, serait prêt à tout pour la mériter, au bout du compte. Enfin, il y a le narrateur de ce récit, du côté de ces trois-là, qui aimerait leur tendre une main, les retenir, à la corniche, éviter qu'ils ne plongent. C'est à lui que l'on doit l'un des plus beaux passages de ce roman, où il évoque l'église de Notre-Dame-de-la-Merci, la grande embrouille, les questions sans réponse, les nouveaux dieux: ceux qui fourguent leur camelote, le confort même s'il y manque toujours quelque chose. L'éternité peut-être...

En revanche, au regard de personnages si denses que la structure du récit - plus aboutie que dans Au point d'effusion des égouts - et la progression dramatique amplifient à merveille, les réflexions du narrateur manquent parfois de profondeur - à propos de l'hédonisme, du libre arbitre et du destin - ou en voix off prolongent ce que la qualité de l'écriture, la description des personnages, le déroulement de l'action ont si bien rendu sans lui: un tremblement plein de tendresse pour ces amputés du coeur.   

Cette réserve étant faite, malgré une intrigue assez noire et désespérée, une humanité sans fard transpire de cette histoire dont le point d'orgue est la difficulté voire l'impossibilité de traduire en mots les rêves, les désirs, les blessures les plus secrètes. Ainsi Daniel - et c'est une des scènes les plus bouleversantes du livre - transi d'amour devant Odette - mais auprès de laquelle les mots n'arrivent pas (...) Les mots qui comptent lui manquent tous.

Odette et Daniel glissent vers le gouffre qui s'est ouvert entre ce qu'ils sont et ce qu'ils aimeraient être. Cet abîme saignant que chacun vit pour soi, duquel on peut crier mais l'autre ne répond pas. La neige a fini de tomber. Le vent ne souffle plus. Il n'y a que des hommes et la nuit. Et les hommes crient et la nuit se tait. Du bord de la falaise, il serait vain de pointer un vainqueur, de dire que celui-ci va se perdre plus que l'autre, ou qu'un tel va mourir, ou qu'un tel autre vivra. Du haut de la falaise je ne vois que des perdants. Des perdants qui crient. Et la nuit qui les brise.

Et c'est ainsi - pour paraphraser l'ami Vialatte - que Quentin Mouron est grand!     

Quentin Mouron, Notre-Dame-de-la-Merci (Olivier Morattel, 2012)

Quentin Mouron, Au point d'effusion des égouts (Olivier Morattel, 2011)

09:11 Écrit par Claude Amstutz dans Alexandre Vialatte, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/08/2012

Morceaux choisis - Charles-Albert Cingria

Charles-Albert Cingria

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Est arrivé dans ma chambre quelque chose comme un avion cette nuit. J'ai réfléchi que cela devait être un de ces noirs insectes énormes attirés par la lumière. Et je n'ai même pas regardé. Ah mais le lendemain quand le soleil déjà cruellement dardait, quelle chose lamentable s'est offerte à ma vue! Oui, c'était bien un démesuré cétoine, le dos renversé, dont les pattes en l'air et bougeant encore au milieu d'un peuple de sales hideuses petites fourmis qui s'acharnaient pour lui ôter le fil de la vie. Et elles paraissaient y réussir - oui réussir cette chose injuste et monstrueuse - lorsque je compris que j'avais un rôle à jouer oui un rôle de géant, de géant de Gulliver. Je pris l'insecte par le dos et le nettoyai sous le robinet. Cette eau dut lui faire du bien après toutes ces brûlures entre les pattes et les plis de la tête et partout. Mais il était à la mort et ce que je faisais était peut-être inutile. Je n'en continuai pas moins, outré contre les fourmis et plein de déférence pour ce noble animal. Et quand je l'eus rendu à sa dignité et remis dans sa position normle et capable de défensive - s'il en avait encore le sens - j'allai le placer sous les branches d'une plante à l'abri du soleil qui l'aurait encore fait souffrir, et je retournai aux fourmis qui étaient encore massées en quantité innombrable à l'endroit où avait commencé de se perpétrer ce hideux drame. J'étais le géant dans Gulliver. J'empoignai mes savates à semelles de caoutchouc et les exterminai toutes. Pas une ne devait subsister, pas une. Cela me prit au moins dix minutes, mais j'y eusse dépensé une heure et plus s'il eût fallu, tant la révolte contre un procédé pareil avait envahi mon âme. Car c'est superbe un de ces coléoptères comme celui-ci, superbe et de grande taille et noble - noble, je le répète - et digne en tout point de compassion et d'extinction de tout autre sentiment devant des circonstances surtout comme celle-là.

Charles-Albert Cingria, Epiphanies - Chronique caniculaire / Oeuvres complètes vol. 2 (L'Age d'Homme, 2012)

17/08/2012

Morceaux choisis - Ananda Devi

Ananda Devi

littérature; poésie; anthologie; livres

A quoi pensais-tu en descendant ces marches
que tu ne remonterais plus
 
Je voudrais savoir
percer ta brume et ton mystère
et ta bouche close
Ton âme mystique ton silence
 
Savoir
Ce qui t'a poussé ce jour-là
ton plateau de fruits aux mains
Savoir
Ce que tu allais chercher là-bas
ce que tu demandais de l'ombre
Ce que tu exigeais des dieux
Ce que tu franchissais de néants
Les adieux que tu laissais comme des cendres
De tes paumes multipliées
 
Savoir
Ce que tu pensais rejoindre
Ou quitter
Voler de vos ailes car tu ne supportais plus
Savoir ta main tendue et dépliée
comme le front de l'eau
Ta main molle souple doucement lâchée
pieds titubés
 
Visage plongeant dans l'eau tiède de ses offrandes
de ses miettes de prières
de ses promesses diluées
 
Très haut le soleil chauffait
chauffait
très loin les cloches sonnaient
 
Cloches soleil fleurs ébréchées
eau blondie vie percée tachée de lassitude 
 
Qui tu es mon père
Mieux vaut ne pas savoir
 
Les cloches ont trop longtemps sonné
dans le temple enfumé
De très loin j'ai entendu les chants
Et respire l'âpre sueur des bois de manguier
L'encens le ghee l'adieu
 
Moi je n'ai pas fait mes adieux
Pourquoi l'aurais-je fait
Je ne t'ai pas vu
Je te vois toujours marcher parmi les arbres
Arracher une mauvaise herbe
d'une plate-bande négligée
Ecrire dans ton cahier tes mille choses inutiles
Bribes brèves 
bruits de tes vies qui se fendent
 
On ne saura jamais
Je n'ai pas cherché à savoir
Je t'ai laissé tes secrets
Je ne saurai jamais
 
Si je l'avais pu
Je t'aurais écouté vivre
Vivre
Jusqu'à en mourir
 

Ananda Devi, Le long désir (Gallimard, 2003)

image: Pascal Quelen (photos.linternaute.com)

07:06 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

16/08/2012

Au bar à Jules - De Simenon

Un abécédaire: S comme Simenon

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Georges Simenon ressemble à un membre de ma famille. Il me semble l'avoir toujours côtoyé à travers les enquêtes du commissaire Maigret que je dévorais en vacances - haut comme trois pommes - sur les plages italiennes, puis les séries télévisées avec Jean Richard et Bruno Cremer, enfin les films tirés de son oeuvre, avec Albert Préjean, Pierre Renoir, Harry Baur, Jean Gabin et Charles Laughton.

Une autre raison de proximité est liée à mon père qui - autour de la cinquantaine - était surnommé Maigret, avec sa collection de pipes, son pas tranquille, et qui était bien plus à l'aise avec ses proches collaborateurs ou les ouvriers qu'avec la classe dirigeante de son entreprise dont pourtant il faisait partie. Un point de ressemblance avec SimenonClasses dirigeantes, gentilhommes, personnalités distinguées, classes sociales sont des mots que je hais depuis mon enfance, parce que depuis mon enfance je n'arrive pas à les comprendre. Ou plutôt je ne comprends que trop bien, que même en démocratie, chacun a son rang déterminé qui dépend surtout du bon vouloir du pouvoir.

Plus tard, je me suis passionné pour les autres romans de Simenon et films adaptés de ses livres, dont j'aimais les personnages souvent solitaires ou meurtris envers lesquels l'auteur semblait faire preuve - au contraire des nantis - d'une empathie toute particulière. Parmi les premières lectures, ce furent Le destin des Malou, La neige était sale, L'horloger d'Everton, Le rapport du gendarme et Les demoiselles de Concarneau. Tant d'autres, par la suite parmi lesquels deux titres éclairent l'homme Simenon - déjà présentés dans ces pages -, Pedigree et Les mémoires de Maigret.

A propos de son style si caractéristique, je me souviens d'avoir suivi une série d'entretiens radiophoniques sur France Culture, où Simenon expliquait que, si le lecteur était dès les premières lignes happé par l'intrigue romanesque, l'atmosphère, la progression dramatique, cela provenait de ses débuts d'écrivain dans la presse où il fallait d'emblée captiver et éveiller la curiosité de découvrir la suite du récit, le lendemain. Pas de verbiage inutile chez lui: Pendant l'écriture d'un livre, il s'agit que j'écrive aussi rapidement que possible en y pensant le moins possible, de façon à laisser travailler l'inconscient. Au fond, un roman que j'écrirais consciemment serait probablement très mauvais. Il ne faut pas que l'intelligence intervienne pendant l'écriture du roman.

Je ne me suis intéressé que tardivement à l'homme dont je voulais nuancer le portrait caricatural retenu par le grand public au cours de ses dernières années. Deux images en disent long sur ce vrai Simenon qui transparaît dans ses écrits: L'important, à mes yeux, c'est que je ne suis jamais devenu une grande personne et que mes réactions soient les mêmes que lorsque j'avais moins de quinze ou seize ans. A soixante-dix ans j'agis, je pense, et me comporte comme l'enfant d'Outremeuse.

Et, ailleurs: Si dans mes romans je prends des hommes très quelconques, c'est que pour moi ils représentent davantage l'homme qu'un normalien, un général, un dictateur, un savant, un génie quelconque. Et si mes personnages ratent, c'est que l'homme rate, fatalement. C'est même à mes yeux, le seul drame: la disproportion entre ce que l'homme voudrait, pourrait être, entre ses aspirations et ses possibilités.

Au coeur de l'humain, l'ami Simenon!

Michel Lemoine,  Simenon - Ecrire l'homme (coll. Découvertes/Gallimard, 2003)

Pierre Assouline, Simenon (coll. Folio/Gallimard, 1996)

15/08/2012

Le poème de la semaine

Jean-Pierre Schlunegger

Dans un café j'ai mis mon bras sur tes épaules 
Mon bras mes mains
J'ai vu tes yeux dans la carafe de vin noir
La groseille du verre illuminait ta joue
Tu renversais la tête contre le bois
 
La porte s'ouvrait sur des hommes
Ils apportaient le bruit du lac
Et son haleine d'algue en pénétrant ta robe
Brouillait aussi tes yeux faisait battre ton coeur
 
Tu m'apportes la nuit du lac sur tes épaules
Galets polis par la paume des vagues
Ton corps brun comme un jeune bourgeon
de noisetier
Respire avec le calme des animaux sages
 
Tes épaules me donnent la nuit du lac
Tu me donnes le ciel le soleil et la terre
Et je repose en toi comme sur l'eau la barque
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

14/08/2012

La citation du jour

Henri Laborit

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D'un ami on n'attend ni morale, ni règlements de manoeuvres, ni principes, ni lois. Ce qu'on demande à un ami, c'est son amitié, et tout le reste on laisse à ses pires ennemis le soin de l'inventer. 

Henri Laborit, Eloge de la fuite (coll. Folio Essais/Gallimard, 1989)

image: Henri Laborit (boutique.ina.fr)

08:12 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/08/2012

Au bar à Jules - Du roman

Un abécédaire: R comme Roman

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Dans Carnets du vieil écrivain, Jean Guéhenno écrit ceci à propos du roman: Lit-on un grand roman? On s'identifie à son héros. On y vit par procuration. Et cela devient  plus conscient, et vient le moment où on ne lit plus pour aucun intérêt, pour aucun profit, rien que pour admirer, en toute gratuité et dans une joie indéfinissable, au-delà de soi-même. Dès lors, on devient de plus en plus difficile. On ne supporte plus les fantômes d'auteurs, les fantômes d'ouvrages. Mais un vrai livre est devenu la chose la plus précieuse. Un homme vous parle et il vous semble qu'il dise précisément ce que vous attendiez, ce que vous vouliez dire mais n'auriez jamais su dire. C'est tout simple et merveilleusement étrange.

A quelques nuances près, tel est mon sentiment quand je découvre un roman qui me captive dès les premières lignes, aussi redoutables que les dernières. Mais alors, d'où vient cette réticence qui me saisit bien souvent, à propos de la littérature française tout particulièrement? Autrefois, invité de la célèbre émission Apostrophes de Bernard Pivot, Maurice Nadeau , éditeur de Malcolm Lowry, Witold Gombrowicz, Leonardo Sciascia, Georges Perec et Hector Bianciotti entre autres, rappelait - je cite de mémoire - ce qu'est un roman: une oeuvre d'imagination, avec un début, une fin, un cadre, des personnages et une action... Le dictionnaire Littré lui fait écho en ces termes: Une histoire feinte, écrite en prose, où l'auteur cherche à exciter l'intérêt par la peinture des passions, des moeurs, ou par la singularité des aventures.

Et c'est là que la bât blesse, car en France tout est roman, notamment cette majorité de titres parmi les nouveautés dont la qualité n'est pas toujours en cause, mais qui mériterait le titre de récit ou de fiction romanesque - histoire réelle ou inventée que l'on raconte par écrit - ou d'autofiction - autobiographie empruntant les formes narratives de la fiction - prétexte à une quête identitaire de l'auteur. Un éditeur justifiait cette étiquette arbitraire de roman, afin que ses livres puissent figurer sur les rayonnages des grandes chaînes de la distribution. Dans le cas contraire: aucune chance!

Les vrais romans sont ainsi devenus, dans leur construction et leur qualité, plutôt rares. On ne dira jamais assez combien l'émergence du Nouveau Roman aura laissé des traces - exception faite de Samuel Beckett et de Nathalie Sarraute - qui ressemblent à un séisme dont les prolongements demeurent vifs dans la littérature française actuelle. Avec l'acuité habituelle de son regard, Alexandre Vialatte notait: On a tout essayé pour trouver du nouveau: le roman sans histoire, le roman sans personnages, le roman ennuyeux, le roman sans talent, peut-être même le roman sans texte. La bonne volonté a fait rage. Peine perdue, on n'est parvenu à créer que le roman sans lecteur. C'est un genre connu depuis longtemps!

Rien de tel par exemple chez les anglo-saxons, les italiens ou les espagnols qui savent encore raconter des histoires. Et si nous ne goûtez pas trop les auteurs étrangers, (re)lisez un bon auteur classique ou parmi les auteurs actuels, un roman de Philippe Claudel ou de Pascal Quignard. Vous ne le regretterez pas...  

Jean Guéhenno, Carnets du vieil écrivain (Grasset Digital, 1971)

Alexandre Vialatte, La porte de Bath-Rabimm (Julliard, 1986) 

image: Jean-Jacques Henner, La femme qui lit (culture.gouv.fr)

10/08/2012

Lire les classiques - Victor Hugo

Victor Hugo

littérature; poésie; anthologie; livres

pour Catherine P

Quand deux coeurs en s'aimant ont doucement vieilli
Oh! quel bonheur profond, intime, recueilli!
Amour! hymen d'en haut! ô pur lien des âmes!
Il garde ses rayons même en perdant ses flammes.
Ces deux coeurs qu'il a pris jadis n'en font plus qu'un.
Il fait, des souvenirs de leur passé commun,
L'impossibilité de vivre l'un sans l'autre.
Chérie, n'est-ce pas? cette vie est la nôtre!
Il a la paix du soir avec l'éclat du jour,
Et devient l'amitié tout en restant l'amour!

Victor Hugo, Toute la lyre - Poésie, vol. 4 (coll. Bouquins/Laffont, 2002)

image: Chemin de Ruth, Cologny

08:59 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Sylvie Aymard

9782862312149_1_75.jpgSylvie Aymard, La vie lente des hommes (Maurice Nadeau, 2010)

En 1939, c'est la mobilisation générale et Bussy, 13 ans, est conduite par son père Matteo loin de Paris afin d'échapper aux affres de la guerre. Avec son drôle de diable dans le regard et sa beauté à couper le souffle, elle tombe sous le charme de Daniel, un jeune résistant qui lui rend la paix de l'enfance, mais ce dernier est tué, et la blessure de Bussy qui s'en suit ne se refermera jamais. Pourtant, à la Libération, le hasard lui fait rencontrer Tristan, qui s'amourache d'elle, l'épouse et adopte son enfant, Esther. Il croit au bonheur, tente l'impossible pour raviver la gaieté enfuie de Bussy, mais s'il se montre exemplaire, est-il en revanche capable d'aimer? Pas d'imprévu ou de passion avec un homme parfait? Bien plus tard, elle part pour se recueillir sur la tombe de son père en Sicile et ne reviendra pas. Réconciliée avec elle-même? Peut-être. Libre? Enfin!

Les pages autour de la rencontre de Bussy et Daniel sont sublimes: Bussy espérait sourdement que rien ne commencerait jamais pour elle, qu'on lui laisserait la liberté de se raconter des histoires, de s'engourdir, de se mirer. Sa splendeur lui suffisait... et plus loin: Rose et fraîche dans le grand manteau rêche, il l'enferma. Elle le fixa de ses yeux bleus d'enfant et de voyante. Un cri sous les arcades moussues du pont se mêla au vent, au clapotis des poissons, à la roue cerclée d'une charrette sur le dur. La brise retroussa les feuilles sensibles des arbres...

Ce roman bouleversant, avec ses phrases courtes, son émotion contenue - 140 pages à peine - est servi par une écriture qui rappelle Maupassant pour son atmosphère mélancolique, ou Bernanos pour son intériorité qui ne parvient pas à franchir les lèvres.

Sylvie Aymard a déjà publié Courir dans les bois sans désemparer (2006) et Du silence sur les mains (2008) parus chez le même éditeur.E

 

00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | |  Imprimer |  Facebook | | |

08/08/2012

Le poème de la semaine

S. Corinna Bille

Comme je te revois bien,
Ce soir dans mes pensées.
Oh! mon tout petit jardin.
 
Je marche lentement
Sur les dalles marbrées
De ton sentier.
Il y a un peu de vent
Dans les peupliers.
Il y a un peu de rose dans le ciel.
Il doit encore y avoir 
Des dents-de-lion dans l'herbe.
Et les grillons
chantent de nouveau, je pense.
Et sur la mosaïque de la fontaine
L'oiseau du paradis
N'a pas encore avalé sa pomme.
Et dans la niche,
La madone en bois peint
Est revenue.
 
Mais sa couronne
A ses pieds est tombée,
Et la "grille du couvent"
est restée entr'ouverte...
 
Oh! pourquoi ce soir
Suis-je dans ce petit jardin?
Qui respire l'odeur de l'air?
Qui sent le vent dans mes cheveux...?

 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle