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24/06/2011

Lionel Shriver

 

9782714441188.gifLionel Shriver, Il faut qu'on parle de Kevin (Belfond, 2006)

Inspiré par la tuerie de Columbine – un adolescent de seize ans tue sept de ses camarades de collège, un employé de la cafétéria et un professeur – ce roman intense et sans concessions, bien plus que par son ancrage dans l’actualité de l’Amérique, vaut par son angle de vision sur l’histoire de Kevin, à travers les lettres que sa mère adresse à son ex-mari. Comment peut-on devenir un monstre ou pire, l’être ? Quelle influence exerce notre propre histoire sur nos enfants ? Quelle est notre part de responsabilité dans les relations affectives ou éducatives que nous leur inspirons ? Radiographie en quelque sorte de la société, avec son cortège de compétition et de course effrénée à un épanouissement hors du commun, ce récit est aussi – et surtout – une interrogation sur la maternité, les non-dits et la crise des générations. Une œuvre magistrale, lucide, d’une beauté ténébreuse.

Egalement disponible en coll. J'ai Lu (J'ai Lu, 2008)

 

06:27 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

23/06/2011

Markus Orths

9782867465086.gifMarkus Orths, Femme de chambre (Liana Levi, 2009)

L’histoire de cette femme de chambre à l’Hôtel Eden, ressemble en un sens aux obsessions des temps modernes. Drame de la solitude, des tâches répétitives afin de donner un sens au quotidien, parcours de l’ombre à travers l’empreinte des autres, espoir qu’un jour ce trop plein d’émotions contenues cède comme un barrage dans le tourbillon d’une tempête estivale. Si Lynn est psychiquement fragile, distante, perturbée – même sa brève relation avec une prostituée, Chiara, aboutit à un échec – sa démarche oscillant entre perfectionnisme et voyeurisme, nous partage une atmosphère si singulière, dérangeante ou lisse, avec un sens du détail si juste, qu’il est bien difficile d’échapper à sa fascination. Au-delà de ces fragments de vie, n’est-ce pas de nous qu’il s’agit, surveillés ou épiés à notre insu, en contrepoint à notre confort ? La magie du portable et les dérives d’internet ne sont pas loin …

également disponible en livre de poche (coll. Piccolo/Liana Levi, 2010)

00:42 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

16/06/2011

Mary Wesley

Bloc-Notes, 16 juin / Les Saules

littérature; roman; livres 

Matilda, la cinquantaine, a soigneusement préparé son coup. Elle a arrosé une dernière fois son jardin, laissé un intérieur propre et bien rangé, réduit en cendres la correspondance qu'elle entretenait avec son mari. Maintenant que Tom n'est plus là, rien ne m'attache plus à la vie. Les enfants ne veulent pas de moi. Je me suis retrouvée seule avec mon chien, le chat et Gus. Le chien est mort, il y a quatre mois, la chatte s'est prise dans un piège et a été victime d'un empoisonnement de sang. Gus aurait pu durer encore vingt ans. Je lui ai déniché une bonne maison, tranquille, où il y a une flopée d'oies. J'ai tout prévu, tout est en ordre. Je n'ai plus rien à faire ici-bas. Je m'en vais.

Sans regrets envers sa progéniture: Louise vit à Paris, Marc à Paris, Claud aux Etats-Unis et Anabel toujours par monts et par vaux. Ils m'appellent de temps à autre. Ils n'ont pas vraiment envie de discuter avec moi, ni moi avec eux. Que pourrions-nous nous dire? (...) J'aurais aimé qu'ils se posent des questions sur nous - Tom et Matilda - mais ils ne s'intéressent qu'à eux.

Sur le pont dominant l'endroit du village où le fleuve se précipite dans la mer, elle s'apprête donc à se bourrer les poches de pierres avant de se jeter à l'eau comme Virginia Woolf, mais sur le point de tirer sa révérence en beauté, son destin est contrarié par la rencontre de Hugh sur la falaise, un trentenaire recherché par la police après avoir bousillé sa mère avec un plateau à thé. Les articulations qui craquent, la fatigue, le dentier qui bringuebale, les taches brunes, le derrière fripé: vous lui avez évité cela...

Entre notre morte en sursis et Hugh vont se nouer des liens doux-amers, prétextes à laisser craquer le vernis des apparences - même celui des souvenirs - avec un humour caustique qui, de même que dans les précédents romans de Mary Wesley, La pelouse de Camomille, Rose sainte-nitouche et Les raisons du coeur - chez le même éditeur - ouvre à des dialogues truffés d'une délicieuse malice à l'anglaise. Un des passages les plus drôles du roman met en scène le postier, pas même joli garçon, aujourd'hui marié comme tous les autres gars et qui à la vue de l'écriture de Claud, se rappelle des choses... Claud, gay dans tous les sens du terme - le préféré de Matilda - qui a chipé en son temps tous les petits amis de ces demoiselles!

Baissant peu à peu sa garde, Matilda avouera à Hugh bien des secrets gardés tout au long de ces années, dont celui d'un meurtre commis autrefois, en toute impunité: une oeuvre de salubrité publique dit-elle, envers toutes les femmes trompées, écornant l'image de son premier et unique amour, Tom. 

Outre une évocation subtile de la vieillesse, cette bonne dame indigne réglant ses comptes avec le passé, laisse s'épanouir un savoureux parfum de liberté, de tendresse et d'insoumission que même la fin de l'histoire - que je vous laisse découvrir - ne ternit pas. On prendrait bien la place de Gus, le jard: un esprit drôle, fidèle, indépendant, voué à sa maîtresse qui lui témoigne en retour une affection dont aucun humain n'aura été - sans déception aucune - l'heureux bénéficiaire...  

Dans ces colonnes - sous catégories/Mary Wesley - vous pouvez retrouver, à propos du même auteur, les notices consacrées à Rose sainte-nitouche et Les raisons du coeur.

Mary Wesley, La resquilleuse (Héloïse d'Ormesson, 2011)

03:40 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Mary Wesley | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/06/2011

Les pièces de Shakespeare - 6b

Le conte d'hiver



23:36 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Les pièces de Shakespeare - 6a

Le conte d'hiver

littérature; théâtre; livres 

Léonte, roi de Sicile et Prolixène, roi de bohème ont été élevés ensemble, comme deux frères, mais, alors que Prolixène se rend en Sicile, Léonte est pris d'une folie passionnelle et souterraine qui prend les allures d'une jalousie aussi ténébreuse que dévastatrice. Elle envahit tout au point qu'en son pouvoir de roi, débordé par ses sentiments personnels, il en oublie ses devoirs et se mue en tyran. Il soupçonne ainsi son épouse Hermione de nourrir une relation adultère avec son ami d'enfance et de porter dans son ventre l'enfant de cette trahison. Il fait donc mettre Hermione sous les verrous après l'avoir publiquement humiliée, tente d'empoisonner Prolixène sans y parvenir. Ce dernier, grâce à Camillo, loyal serviteur de Léonte - qui n'admet pas l'injustice dont fait preuve son maître - parvient à s'enfuir. En prison, Hermione accouche d'une fille, Perdita. Abandonnée sur un lointain rivage afin d'y mourir, elle entraîne la perte du goût de vivre de sa mère Hermione qui, même lavée de toute infamie, redevenue aux yeux du roi la reine de Sicile, se laisse mourir. Quant au premier enfant de l'union royale, Mamillius, ulcéré par l'injustice du roi envers sa mère, il meurt, lui aussi. La première partie de cette oeuvre, s'achève dans le drame, offrant aux spectateurs le visage d'un Léonte accablé et brisé par sa propre folie, désormais privé d'amis - Prolixène et Camillo - entouré de ses propres morts.

Aucune autre pièce de Shakespeare - pas même Le roi Lear ou Macbeth - n'atteint aussi rapidement que dans Le conte d'hiver un tel paroxysme de délire obsessionnel, de violence irraisonnée, de destruction implacable. Le thème de l'orgueil, de l'innocence bafouée, du mal et de ses conséquences, se trouve une fois encore au coeur de cette intrigue qui - nous le verrons plus loin - réserve bien des surprises. Au début de l'acte IV, le Temps fait son apparition et lève le voile sur ce qui va suivre et qui, seize ans plus tard, nous fait passer de la plus sombre tragédie à une délicieuse romance, ainsi qu'il en est de Comme il vous plaira et La tempête:

Moi qui plais à certains, qui éprouve tout le monde,
à la fois joie et terreur des bons et des méchants,
moi qui fais et défais l'erreur,
il est temps maintenant, au nom du Temps,
d'user de mes ailes.
Laissez-moi passer, tel que je suis,
le même, plus ancien que l'ordre ancien
ou que celui d'aujourd'hui:
je suis le témoin des temps qui les firent naître,
et je serai le témoin de ceux qui règnent maintenant.
De même que je ternirai l'éclat du présent,
de même mon histoire semble terne maintenant.
Si votre patience le permet, je retourne mon sablier
et je vais faire un grand saut à ma pièce,
comme si vous aviez dormi entre-temps.

Contrairement aux pressentiments de l'acte précédent, Perdita n'est pas morte. Devenue une séduisante jeune fille recueillie par des bergers, elle est sur le point de se marier avec Florizel, qui n'est autre que le fils du roi Polixène, le roi de Bohème et l'ami trahi par Léonte. Après les soubresauts d'un hasard qui ne fait pas nécessairement mal les choses, tout le monde se rend en Sicile où le roi inconsolé retrouve son fidèle ami de toujours. Les noces de Perdita et de Florizel sont célébrées, et tandis que Léonte se recueille devant la statue commémorative de son épouse défunte qui lui ressemble trait pour trait, celle-ci s'anime et ressuscite Hermione qui lui pardonne tout le mal subi seize ans auparavant. La mort elle-même semble vaincue, comme si les forces de l'invisible avaient, par un ballet mystique et déroutant, régénéré l'innocence première.  

Le contraste est plutôt violent entre le début et la fin de l'histoire, mais tout le génie de Shakespeare - ici au sommet de son art - transparaît dans une thématique qui ne se trahit jamais mais offre de subtiles nuances au fil du récit. Face à la jalousie et à la trahison, s'érige la loyauté et la beauté des sentiments: si le temps engloutit les regrets, les torts et les amertumes, il est aussi capable d'éveiller le pardon, le rachat et la guérison; si les parents portent le sceau du mal, leurs descendants par la pureté de leurs intentions, peuvent le réduire ou l'effacer. 

Enfin, Le conte d'hiver, davantage que Roméo et Juliette, nous offre par la voix de Perdita, s'adressant à Florizel, l'un des plus beaux poèmes d'amour nés sous la plume de Shakespeare: 

Non, jamais je ne planterai
une seule de ces boutures dans mon jardin.
De même que je ne voudrais pas que ce garçon me dise,
si j'étais maquillée:
c'est bien, et que ça lui donne envie de me faire l'amour.
Prenez ces fleurs, c'est de la chaude lavande,
de la sarriette, de la marjolaine,
et puis le souci, qui se couche en même temps que le soleil
et se lève en larmes en même temps que lui.
Oui, toutes ces fleurs me manquent
pour vous en faire des couronnes,
et vous, mon doux ami,
pour vous en couvrir tout entier. 
 

Un pur chef d'oeuvre! 

 William Shakespeare, Un conte d'hiver (Minuit, 1988)

traduit par Bernard-Marie Koltès

23:35 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

06/06/2011

Le Passe Muraille

Le Passe Muraille, no 86, juin 2011 

ceronetti.jpg

Dans son éditorial, Jean-Louis Kuffer cite Friedrich Hölderlin, qui disait que les poètes seuls donnent à ce qui dure une assise éternelle, ce qu'on se répète à la lecture de certains auteurs dont l'engagement, dans la vie de la Cité, ne se borne pas qu'à des postures visant à se faire bien voir. Tel Guido Ceronetti auquel est fait la part belle dans ce nouveau numéro. Le Passe Muraille, dans cette célébration, demeure ainsi fidèle à sa vocation de passeur, au propre comme au figuré.

Sommaire du Passe-Muraille no 86, Juin 2011 - "Guido Ceronetti ou le désespoir tonique": 

p.1 

Editorial, "Le poète dans la Cité", par Jean-Louis Kuffer

Guido Ceronetti, "Entre ombre et lumière", par Anne-Marie Jaton

p.3

Guido Ceronetti, "Un poète de la blessure de vivre", par Fabio Ciaralli

Guido Ceronetti, "A travers la vie et les oeuvres du Maestro", par Jean-Louis Kuffer

p.4

Guido Ceronetti, "Une visite au Maestro", par Jean-Louis Kuffer

p.5

Blaise Cendrars, "Une bibliothèque fantôme", par René Zahnd

p.6

Bruno Pellegrino, "Une bone nouvelle", par Jean-Louis Kuffer

Dany Laferrière, "La minute où tout bougea", par Claude Amstutz

p.7

Corinne Desarzens, "Un exorcisme poétique", par Pascal Ferret

Jean-François Schwab, "Scènes de la vie des gens", par Jean-Louis Kuffer

p.8

Inédit, "Aux éboulis du Temps", par Philippe di Maria

p.9

Erri de Luca, "La leçon du papillon", par Claude Amstutz

Claire Keegan, "De la vie, poisons et contrepoisons", par Claire Julier

p.10

L'épistole, "Lettre de Bethléem", par Pascal Janovjak 

Rosa Montero, "Si belle et si sombre", par Claude Amstutz

Chronique, "L'amour résurrection", par Frédéric Rauss

p.11

Carnet nomade, "L'oeil du crocodile", par René Zahnd

Raphaël Enthoven, "Rayonnante sagesse", par Claude Amstutz

p.12

Inédit, "Hubert le baron", par Pascal Rebetez

 

Pour s'abonner et communiquer: http://www.revuelepassemuraille.ch/

PM.jpg 

30/05/2011

Editions La Dogana, Chêne-Bourg (Suisse)

Dogana_catalogue30_couv.jpgCollectif: Un visa donné à la parole - Trente ans d'édition (La Dogana, 2011)

Ce n'est pas par le nombre de publications que nous souhaitons nous distinguer, mais par leur qualité et la cohérence des choix. Et pour cette même raison que la poésie demeure à nos yeux - au sein des discours scientifiques, didactiques ou idéologiques dont nous sommes trop souvent devenus la proie - une des rares paroles à la fois légère, durable et nécessaire, nous avons accordé un soin particulier à l'aspect extérieur de nos livres; afin d'aboutir à une sorte de point d'équilibre entre la petite masse de papier, de toile et d'encre et l'énorme densité des oeuvres qui s'y trouvent inscrites.

 Ainsi s'exprime Florian Rodari pour célébrer les trente ans de sa maison d'édition. Je ne vais pas vous raconter l'histoire de La Dogana, puisque - dans ces mêmes colonnes - un article lui a déjà été consacré par le passé, de même que plusieurs livres parmi lesquels ceux d'Ossip Mandelstam, Anna Akhmatova et Philippe Jaccottet. Par la critère de recherche sur ce site, vous pouvez les découvrir, les lire ou relire, si le coeur vous en dit. Ce petit cadeau fait à tous les passionnés de poésie est un catalogue illustré de toutes les publications de cet éditeur - 80 titres - entrecoupé par des textes inédits d'Yves Bonnefoy, Pierre-Alain Tâche, Jacques Réda, Philippe Jaccottet, Jean-Pierre Lemaire, Fréderic Wandelère, Alain Madeleine-Perdrillat et Angelika Kirchschlager. De l'autre côté du miroir, une autre résonance conclut ce bel anniversaire, avec Muriel Bonicel: Impressions d'une libraire à Montparnasse.

Florian Rodari peut être fier de son travail d'éditeur passionné, minutieux, insensible au rythme effréné des mondes, comme ces vagues de l'âme unissant une communauté d'artisans qui, refusant toute compromission, en scellent toute la beauté et l'authenticité.  

26/05/2011

Donna Leon

9782757802786.gifDonna Leon, Dissimulation de preuves (Coll. Points/Seuil, 2008)

On peut être à la fois vieille, égoïste, portant la haine des autres sur soi comme tant d’autres, et franchement mériter d’être assassinée… Mais dans la Sérénissime République, pragmatique et cupide, les apparences sont parfois trompeuses, et il faudra un commissaire Brunetti en grande forme – plus déterminé que jamais - pour dénouer cette affaire typiquement vénitienne. L'une des enquêtes les plus réussies de Donna Leon.

05:34 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/05/2011

Michael Ondaatje

9782879295794.gifMichael Ondaatje, Divisadero (Editions de 'Olivier, 2007) 

 

Imaginez une toile vierge. Peu à peu, sous la plume magique de Michael Ondaatje, surgissent des personnages, des décors. Une ferme en Californie, les sœurs adolescentes, Claire et Anna, toutes deux au regard accroché par Cooper, recueilli après un drame familial. Un jeu de poker, une arme menaçante, une épaule salvatrice. Un manouche, Rafael et un écrivain, Lucien Segura. De Petaluma à Las Vegas et finalement au Sud-Ouest de la France, nous les découvrons tous aux différentes étapes de leur vie avec leur soif d’absolu, leur musique intérieure, leur apprentissage de la liberté. Le tableau est achevé : Magnifique !


également disponible en coll. de poche (coll. Points/Seuil, 2008)

 

N2 - M Ondatjee O Adam.ppt

15:32 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/05/2011

Mahmoud Darwich 1b

Tu portes le fardeau du papillon

littérature; poésie

Tu diras: Non.
Tu déchireras les mots  et le fleuve indolent,
tu annonceras les mauvais jours
et disparaîtras sous les ombrages.
Non au théâtre du verbe.
Non aux limites de ce rêve.
Non à l'impossible.
 
Tu viens dans des villes et tu repars.
Tu donnes à l'ombre le nom des villages.
Tu mets en garde les pauvres
contre la parole de l'écho et des prophètes.
Tu pars... pars
et le poème se tient derrière cette mer,
derrière le passé.
Tu expliques une obsession,
viennent alors les gardiens du vide, impuissants,
tombés de la rhétorique et des tambours.
 
Pour ton chant, le ciel de l'eau s'est brisé.
Un bûcheron, une amante
et le matin s'ouvre sur le lieu.
Les mots perpétuent un oubli
marié à mille massacres.
La mort vient, blanche.
Les pluies tombent.
Revolver et victime se précisent.
 
Les martyrs viendront à toi
des murs de ta dernière parole.
Ils se poseront sur toi, diadème de sang
et continueront à planter
les pommiers hors de tes souvenirs.
Tu en seras fatigué... fatigué.
Tu les chasseras, mais ils ne partiront pas.
Tu les insulteras, mais ils ne partiront pas.
Ils occupent ces temps.
Tu fuiras leur bonheur
vers un temps qui va par les rues et les saisons.
 
Les pauvres viendront à toi.
Tu n'as pas de pain,
pas d'invocation qui sauve le blé
menacé de sécheresse.
Tu dis quelques mots sur la colère
qui a marié les épis aux glaives.
Quelques mots sur le fleuve caché
dans les capes des femmes venues de l'automne.
Ils rient et s'en vont,
laissant la porte ouverte à la perplexité des champs.
 
Pour ton chant,
les yeux des amantes se sont agrandis.
Oui, tu nommes les mèches de blé, patrie;
la bleuité de la mer, patrie.
Oui, tu nommes la terre, dame d'oubli
et tu t'endors, seul,
entre l'odeur des ombrages et ton coeur disparu
sur le long chemin.
 
Une étudiante dira: A quoi sert le poème?
Le poème extrait fleurs et poudre de deux mots
quand les ouvriers ploient sous fleurs et poudre
dans deux guerres.
A quoi sert le poème au midi sous les ombrages?
Tu te trompes quand tu dis:
Les palmiers sont proches de ma vision des choses.
Les palmiers se brisent.
 
Pour ton chant, se sont répandus
les espaces blancs et la ruse du bourreau.
Tu viens comme le suicide,
ils réclament alors de la tristesse pour s'en vêtir.
Tu viens comme la déflagration,
ils réclament alors des fleurs,
pour tracer les cartes.
Tu viendras quand tu partiras,
puis viendras quand partiras
et l'arrivée ne viendra pas.
 
Tu seras un aigle de fournaise
et les pays, ton espace bleu marine.
Tu demanderas: T'ai-je nui, ô mon peuple?
Les flancs des montagnes se briseront
sur l'aile de l'aigle.
L'aile se consume à la vapeur de la terre.
Tu t'élèves, te poses,
t'élèves encore pour entrer dans les torrents.
 
Tu passes, célébration,
par tous les commencements:
T'ai-je nui, ô mon temps?
Tu chantes le vert étendu
entre deux mains desséchées.
Tu entres dans une rose et tu cries:
Qu'est cette cohue?
Tu vois du sang et tu cries:
Qui a assassiné le guide?
 
Tu mourras seul.
Les mers t'abandonneront sur leurs rivages,
solitaire comme les galets.
Les bibliothèques, les dames, les chansons,
les rues des villes, les trains, les aéroports
te fuiront.
Les pays s'enfuiront de ta main
qui a créé des terres pour le roucoulement.
 
Tu mourras seul.
Les volcans t'abandonneront
qui obéissaient à ton hennissement ensanglanté.
Le désir t'abandonnera
et la joie qui te jetait aux poissons,
les interrogations,
la connivence entre chanson et geôlier,
le hennissement t'abandonnera.
 
On enterrera les parfums après toi.
On décernera ton joug aux roses.
On condamnera à mort la rose abandonnée.
On mettra le feu aux mots après toi.
On volera l'eau aux herbes de ta peau.
On te chassera des mouchoirs de la Galilée.
 
Et tu dis: Non.
Non, aux limites du rêve.
Non, à l'impossible. 
 

Mahmoud Darwich, Nous choisirons Sophocle et autres poèmes (Actes Sud, 2011) 

00:04 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Mahmoud Darwich | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |