29/09/2011
La citation du jour
Iouri Dombrovski
Une porte de fer, basse et étroite, le mit à la rue. Une rue parfaitement déserte. Mais tout un côté en était occupé par la Grande Maison; des centaines de fenêtres, des rideaux aux fenêtres, et beaucoup de gens derrière les rideaux. Il s'engagea dans une allée de silence et de fraîcheur; parfumée aux aiguilles de pin et au sable surchauffé. Sur les terrains de jeux, le vent balançait des chevaux de bois, dragons aux formes tortillées, pommelés de rouge et de noir. Quelqu'un ronflait sous la tonnelle. O monde de douceur et de paix... Il trouva un banc à l'écart, s'assit, s'appuya au dossier et sentit comme des myriades de moustiques vrombir dans sa tête. Il ne me manquerait plus que de tomber malade! pensa-t-il, et il se perçut soudain mortellement las, pour la vie, peut-être.
Iouri Dombrovski, La faculté de l'inutile (Albin Michel, 1979)
00:32 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
23/09/2011
In memoriam
Bloc-Notes, 23 septembre / Les Saules
La jeunesse de ma grand-mère paternelle semble tout juste tirée d'un roman d'Emile Zola. Issue d'un milieu modeste, elle quitta l'école à l'âge de quatorze ans, pour apporter sa contribution financière à la famille. A son père, plutôt, un pilier de bistrots qui l'attendait en fin de semaine à la sortie de sa blanchisserie, pour lui piquer ses sous. Pas d'études donc, ni d'instruction particulière sinon pratique, comme pour bon nombre de femmes de son époque. Je l'ai toujours connue penchée sur France Dimanche, Ici Paris, Le Détective ou La Feuille d'Avis de Lausanne - devenu par la suite 24 Heures - qui occupaient ses après-midis quand elle nous rejoignait cinq ou six fois par an, pour une quinzaine de jours. Ou plongée dans les romans à l'eau de rose, signés Delly ou Max Du Veuzit que je lui offrais à son anniversaire et à Noël. Une manière comme une autre de réhabiliter cette notion de bonheur qui lui avait été refusée. Un événement pourtant allait chambouler ses habitudes: Une émission TV - en noir et blanc, dans les années 60/70 - intitulée Préfaces, magazine culturel d'une quarantaine de minutes produit par la Télévision Suisse Romande, en collaboration avec l'ORTF, présentée par Albert Zbinden et Guy Dumur, réalisée par Maurice Huelin.
Préfaces consacra en première partie de l'émission des dossiers passionnants à Jean Cocteau, Marcel Jouhandeau, Michel Simon, Joseph Kessel, Henry de Montherlant, Françoise Sagan ou Ivo Andric - pour n'en citer que quelques-uns - avant de cèder la place, dans un salon où l'on n'entendait pas même bourdonner une mouche, à Henri Guillemin et ses rendez-vous littéraires. Ce catholique engagé, professeur au Caire puis à Bordeaux avant la guerre de 39-45, fuyant la France en 1942 pour s'établir en Suisse - à Neuchâtel - devint pour la petite histoire attaché culturel à l'ambassade de France jusqu'à sa retraite, en 1962. Boudé par les intellectuels français pour sa vision anticonformiste et passionnée, il n'accèda jamais à ce vieux rêve: devenir professeur à La Sorbonne.
Ma grand-mère donc - pour laquelle j'ai toujours éprouvé une immense tendresse - malgré ses études embryonnaires, était vive, intelligente, curieuse. Elle n'a raté aucune des émissons de Henri Guillemin et était capable de résumer chacune de ses interventions - une quinzaine de minutes - avec un lumineux sourire. Je me souviens particulièrement de son évocation de Pascal - pourtant pas facile à décrypter - qui l'avait captivée. Il avait réussi là où tous - notre entourage et les autres - avaient échoué: susciter la soif d'apprendre, aiguiser la curiosité, traquer la vérité...
Une même ferveur chez ma mère, par contre impregnée de littérature et qui m'a transmis entre autres sa passion pour les auteurs russes du XIXe siècle. Préfaces fut pour elle un moment exceptionnel de télévision: elle applaudissait quand Henri Guillemin parlait d'Emile Zola, d'Alphonse de Lamartine, de François Mauriac ou de Charles Péguy avec son drapeau tricolore à la main... Elle lui a écrit plusieurs fois, fière de brandir les réponses du maître à ses interprétations ou critiques. Quant à moi, je me rappelle qu'il avait ressuscité Jules Vallès, tombé à cette époque en désuétude: au lendemain de sa présentation - j'étais alors apprenti libraire - tout le monde voulait découvrir cet illustre inconnu de la Commune, comme s'il s'agissait du dernier lauréat d'un prix littéraire! Plus tard, il m'avait entraîné sur les traces d'un auteur étonnant aujourd'hui - hélas! - oublié: Jean Sulivan, prêtre-écrivain de l'après-guerre, auteur de Car je t'aime ô Eternité et Devance tout adieu.
Avec Henri Guillemin, cela nous amusait de compter les coups. Un peu injustement - parfois, souvent - contre André Gide, par exemple ou pire encore, contre Jean-Jacques Rousseau. Cela dit, son plus grand mérite fut de populariser la littérature - au sens noble du terme - sur les ondes ou à la télévision, de l'avoir rendue accessible hors de la sphère privilégiée des universitaires, avec une élocution et une force de conviction qui n'ont jamais été égalées depuis, pas même par Alain Decaux ou plus tard Bernard Pivot.
Bien sûr qu'il peut lui être reproché d'avoir pris des libertés avec l'histoire, d'avoir été fasciné ou au contraire indigné par certains écrivains et hommes politiques, mais en revanche, sceptique devant les modèles préfabriqués, il aimait chercher ce qui se cache derrière les choses et cela incitait son auditoire à dépasser avec lui les apparences, les lieux-dits, fut-ce dans une autre direction que la sienne, au coeur de l'homme, loin des abstractions.
Parmi une riche bibliographie, il vaut la peine de lire A vrai dire (1956), L'énigme Esterhazy (1962), L'homme des Mémoires d'Outre-tombe (1965), Sulivan ou la parole libératrice (1977) et Charles Péguy (1981).
Henri Guillemin nous a quittés en 1992, à l'âge de 89 ans et je suis ému qu'en 2011, un auteur lui consacre un vibrant hommage. Il s'agit de Michel Crépu. Dans son dernier ouvrage, Le souvenir du monde - Essai sur Chateaubriand, il note: Henri Guillemin, un inquisiteur en quelque sorte amoureux de son prévenu, sa manière à lui de l'aimer, multipliant les pièces à charge dans l'espoir d'un rachat de dernière minute, fourni par l'accusé lui-même, si possible malgré lui, bien entendu. Au fond, Guillemin, si acharné en procureur des grandes gloires, ne voulait pas un casier sans tache, ce qu'il voulait c'était pouvoir pardonner. Si la littérature est la littérature, alors qu'elle le prouve. (...) Chez Guillemin, la beauté se gagne au terme d'une entreprise de démolition implacable: à la fin, on veut bien baisser la garde, à condition que la beauté, une fois n'est pas coutume, joue cartes sur table.
Merci pour lui, Michel Crépu: il le vaut bien...
Henri Guillemin, L'énigme Esterhazy (Gallimard, 1962)
Jean Sulivan, Car je t'aime ô Eternité (Gallimard, 1966)
Michel Crépu, Le souvenir du monde - Essai sur Chateaubriand (Grasset, 2011)
Archives de la TSR: http://archives.tsr.ch/dossier-18esiecle
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, François Mauriac, In memoriam, Littérature étrangère, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: essais; conférences; livres | | Imprimer | Facebook |
18/09/2011
Guido Ceronetti 2/2
Bloc-Notes, 18 septembre / Les Saules
Après avoir déjà publié un extrait de La patience du brûlé - dans la rubrique La citation du jour - je vous partage ci-dessous avec beaucoup de plaisir quelques facettes de Guido Ceronetti, glânées au fil d'une lecture jubilatoire:
La compassion pour le genre humain, que pourrais-je chercher d'autre? Le destin de l'humanité est en bonnes mains: sanguinaires, crétins, paranoïaques, universitaires, banquiers, tenanciers de tripots, médecins, optimistes, sous-traitants du crime, foreurs, pontifes; ils obéissent tous à un obscur, impénétrable maître. (p. 63)
*
Le livre est une nuit, le lecteur la lanterne, le porteur de lumière. La plupart des livres n'ont pas de belles endormies, ils n'ont pas de secret, ils servent à peu de choses, ils ont un usage limité et pratique; mais quelques-uns abritent le compagnon de la Vallée de l'Ombre; après les avoir lus, on les met là, pour les heures graves, pour les exercices de profondeur, et plus on les manie, plus on en comprend intimement quelque chose, moins on est seul, moins la mort sera dépourvue de mains qui nous orientent, avec sûreté, et qui veillent la peur. (p. 113-114)
*
Aucune musique de grand compositeur (en dehors de l'orgue d'une église) ne peut avoir des effets psychologiques aussi forts, aussi tendres que, parfois, la plus pauvre des chansons, s'il y a la voix, la maison, la rue. La femme qui chante fait toujours partie du mystère érotique, le sien est un appel et une attente, c'est pourquoi il ensorcelle, il donne envie de monter les escaliers à la hâte et d'ouvrir la porte derrière laquelle la voix se cache. Mais nous parlons du passé, aussi bien en Orient qu'en Occident. Elles ont été assassinées et jetées dans des tas d'ordures, comme un butin invendable, les chansons... (p. 165)
*
Un triste voile a recouvert les choses et ce n'est pas l'illusion fugitive d'une âme mélancolique: il y a quelque chose qui ressemble à une baisse d'imprégnation d'amour. On parle de tout d'une autre façon et si l'on n'apprend pas ce langage, notre prise sur le monde diminue. De quelle chose (une fenêtre, une arcade, une figure peinte, une femme, une idée...) parle-t-on encore, poussés par un attachement ému, par la passion de la profondeur, comme si on voulait la caresser en prononçant son nom, en poursuivant dans le langage le secret de sa manifestation? (p.167-168)
*
La poésie, qui était obscure, est devenue plus obscure encore: elle craint que l'on ne comprenne trop bien qu'à travers elle quelqu'un a aimé, que des lieux et des noms vivants ont brûlé de passion... (p. 168)
*
Je ne travaille pas, non, je ne fais absolument rien. Des envies de changement je n'en ai pas, je suis bien comme ça. Pour manger, une mouche par jour me suffit, et je pourrais même m'en passer. Je n'ai pas besoin de l'élever ni de l'attraper ni d'attendre qu'elle me tombe dans la bouche par hasard: une amie de la Caritas m'en laisse une chaque jour à sept heures, comme les laitières d'autrefois, vivante, sous un verre, près de ma clavicule. Son bourdonnement désespéré ne me réveille pas puisque je ne dors jamais, bien qu'il me soit facile de faire semblant de dormir, sans faire le moindre mouvement. Ce bourdonnement, au bout d'un moment, me fait pitié, il me rappelle trop les maisons, j'enfile une carte postale sous le verre et la mouche, reconnaissante, entre aussitôt dans ma bouche. Parfois je la reprends, je me la mets dans l'oeil et je la regarde vieillir. Une mouche, entre sept et dix-neuf heures, vieillit tellement qu'on peut la cracher sans la regretter. (p. 272)
*
J'ai aimé le mimosa, l'arbre du mimosa tout entier, dans sa brève floraison, j'aime toujours énormément les chrysanthèmes, que je dois m'acheter, personne ne m'offrirait de chrysanthèmes puisqu'une idée reçue d'une immense stupidité les associe honteusement à la mort et aux cimetières. (p. 276-277)
*
C'est un mal moderne: confier au livre tout ce que l'on a à répandre, en bien et en mal, de médiocre et de sublime. Même les plus crétins sentent la gravité de ce besoin et rêvent de publier, et quand ils y arrivent ils sont ivres comme la recrue qui, après la visite, croit avoir défloré le bordel. (p.337-338)
*
Colorés sont les poètes: Leopardi est rose pâle, Pétrarque blanc, Dante ocre, Montale jaune clairet comme un vin blanc, Campana est rouge et violet, Rimbaud est noir, Baudelaire or, Mallarmé vert et jaune, Valéry vert petit pois, Shakespeare est violet, Eschyle vert, Sophocle jaune, Pétrone est couleur de pourpre, Racine châtain clair... (p. 430)
*
J'ai l'impression d'être un pélerin sans pélerinage, un croisé sans croisade, une coque de bateau ensablé. (p. 452)
Guido Ceronetti, La patience du brûlé / Carnets de voyage 1983-1987 (Albin Michel, 1995)
17:00 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Charles Baudelaire, Guido Ceronetti, Littérature étrangère, Littérature italienne, Paul Valéry | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; livres | | Imprimer | Facebook |
Guido Ceronetti 1/2
Bloc-Notes, 18 septembre / Les Saules
Guido Ceronetti est un écrivain tout à fait inclassable. A la fois poète, philosophe, singulier observateur du monde qui l'entoure, laissant surgir - quand il se peut - les flammes de la passion qui l'interrogent à travers les siècles, il signe, avec La patience du brûlé, une variation sur les thèmes abordés dans Albergo Italia et Le voyage en Italie, introduisant cependant des éléments nouveaux recueillis au fil de ses vagabondages: fragments de journal, carnets, graffitis, citations, tout un ensemble de perceptions qui élargissent davantage encore son ouverture au monde. Celui des idées, des arts, des hommes avec des instantanés que jamais ne traverse l'indifférence. Avec quelle hâte on fait les livres, à présent! Leur première idée est déjà mise en page, la première édition est déjà la seconde, avant même qu'ils ne soient reliés, les principaux journaux en reçoivent par fax les pages les plus caressantes. Je jette un cri dans ce naufrage car je tiens à me distinguer, en me noyant.
Une lecture superficielle tendrait à réduire Guido Ceronetti à un pessimiste grognon. Un peu facile car, de même que dans la plupart de ses autres oeuvres traduites en français - outre celles déjà citées: Le silence du corps, Ce n'est pas l'homme qui boit le thé mais le thé qui boit l'homme, Une poignée d'apparences, Le lorgnon mélancolique - on devrait plutôt parler d'un inquiet cherchant des traces d'amour dans l'art comme dans la vie, là où généralement, renouant avec un passé pas nécessairement lpintain, il n'y en a guère encore.
Ses impressions sur les villes d'Italie - Florence, Rome, Milan ou Bari - sont toujours aussi sévères: Ce n'est pas le smog qui perd les villes, qui les ronge, mais la haine. Généreux en revanche, il l'est pour Trévise et Urbino par exemple, dont il nous partage une vision bienheureuse: Ce que l'on voit du bourg par cette fenêtre équilibrée, arbres, briques anciennes bien disposées, tuiles rouges. Rien de sinistre, d'agressif, de brutalement matériel. (...) Les collines sortent du brouillard, plus belles encore vues à travers la grille. Paysage de peintres du XVIe, pour un instant, en fermant les yeux.
Au fil de ses carnets de voyage, toute sa passion souterraine émerge quand il évoque Eugenio Montale, Martin Heidegger, Egon Schiele. Deux portraits restent gravés dans ma mémoire: celui de Bernadette Soubirous et celui de Louis-Ferdinand Céline. Sur la première, il note: Chez Bernadette, il y a la sainteté profonde, la candeur absolue, une très haute qualité contemplative; elle fut un moyen de transmission authentique du divin, de sa vision jusqu'aux dernières gouttes de sa souffrance. A propos du second, j'apprécie l'angle de vue inhabituel: Céline a été le plus grand écrivain de notre époque, bien que les ténèbres aient été sur le point, entre 1937 et 1944, de l'engloutir et de le salir misérablement. L'attaque fut virulente, mais je vois, je reconnais dans son visage les années de Meudon la fatigue terrifiante d'un homme qui a traversé toutes les ténèbres en traînant derrière lui, dans une implorante boîte en fer-blanc, un peu de lumière sauvée, quelques éclats de pure compassion humaine. Sa faute sera, au Jugement, beaucoup plus légère que ce tabernacle roulant dans la nuit qu'il a endurée, et pour peu qu'il soit possible, vaincue.
Son état de révolte demeure terriblement présent face à la catastrophe de Tchernobyl ou l'impitoyable dégradation des vestiges de la mémoire: Je crie salauds, je m'en contrefous de votre Italie grande puissance industrielle qui plante des arbres de morts à travers le monde, une puissance imaginaire et vile, inventée par les délires des esclavagistes de la nécroéconomie! Ce que je ne peux pas supporter, c'est qu'à la place de cette péninsule qui dans la Méditerranée élevait des sanctuaires grecs étrusques chrétiens et gnostiques en les couvrant de mousses réparatrices, au bout d'un demi-siècle de paix aux frontières ne soit couché qu'un bourbier infect, de déshonneur et de crime.
Mais au coeur du scepticisme de Guido Ceronetti face à la modernité, quelques perles rares fondues au centre de l'homme, éclairent la route de sa clairvoyante émotion: Une silhouette de femme à San Marino dont la clarté persiste une fois la lumière éteinte, un aveugle qui pose son regard sur la condition humaine comme sur une mer immense et infiniment triste, un souvenir d'Arletty, un écrin de lumière... La paix retrouvée enfin, dans les églises qui, même vides, protègent des laideurs extérieures.
Pour en finir avec La patience du brûlé, je citerai l'épigraphe consolatrice que son auteur choisit pour entreprendre ses voyages et qui guide désormais mes propres pas: Emu par l'amour du pays natal, je rassemblai les feuilles éparses... (Dante, La Divine Comédie - L'enfer)
Inutile d'ajouter qu'immergé dans l'oeuvre toute entière de Guido Ceronetti qui me colle à la peau, il m'a fallu ajouter - avec joie - son nom à celui de mes écrivains préférés, dans Le questionnaire Marcel Proust. Y figure aussi, aujourd'hui, au rang des poètes, Giacomo Leopardi, que Guido Ceronetti m'a donné envie de relire avec davantage de ferveur et d'attention...
Guido Ceronetti, La patience du brûlé / Carnets de voyage 1983-1987 (Albin Michel, 1995)
17:00 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Guido Ceronetti, Littérature étrangère, Littérature italienne, Louis-Ferdinand Céline, Marcel Proust | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: essai; livres | | Imprimer | Facebook |
16/09/2011
La citation du jour 1b
Giacomo Leopardi
En complément à cette citation de Giacomo Leopardi, voici le magnifique poème A Silvia, lu par Vittorio Gassman. Vous pouvez en trouver le texte en traduction ci-dessous:
Quand la beauté brillait
Dans tes yeux fugitifs et riants,
Et que, pensive et gaie, tu gravissais
Le seuil de la jeunesse ?
Sonnaient les calmes
Voûtes, et les rues alentour,
À ta chanson sans fin,
Alors qu’assise à ton œuvre de femme
Tu t’appliquais, heureuse
De ce vague avenir que tu rêvais en toi.
C’était mai plein d’odeurs, et tu aimais
Passer ainsi le jour.
Parfois abandonnant
Les bien-aimées études, les pages fatiguées,
Où mon tout premier âge
Et le meilleur de moi se dissipaient,
Du haut des balcons du palais paternel
Je tendais mon oreille au son de ta voix
Et de ta main rapide
Qui parcourait l’âpre toile.
Je contemplais le ciel serein,
Les rues dorées et les vergers,
Là-bas la mer, au loin, et là les monts,
Langue mortelle ne dit pas
Ce qu’au sein j’éprouvais.
Quelles pensées de douceur,
Quels espoirs et quels cœurs, ma Silvia !
Tels alors nous paraissaient
La vie humaine et le destin !
Quand je revois une telle espérance,
Une passion m’oppresse,
Acerbe et désolée,
Et j’en reviens à souffrir de ma détresse.
O nature, nature,
Pourquoi ne tiens-tu pas
Ce que tu promettais alors ? Pourquoi
Te moques-tu de tes enfants ?
Avant que l’hiver même eût desséché les feuilles,
Toi, frappée, vaincue d’un mal obscur,
Tu périssais, fillette. Et tu n’as point connu
La fleur de tes années,
Ton cœur ne s’est ému
Sous la tendre louange de tes cheveux de jais,
De tes yeux amoureux et craintifs,
Et près de toi tes amies, aux jours de fête,
D’amour n’ont pas parlé.
Bientôt mourait aussi
Ma suave espérance : à mes années
Les destins refusèrent aussi
La jeunesse. Ah ! comme,
Comme tu t’es enfuie,
Chère compagne de mon jeune âge,
Mon espérance pleine de larmes !
C’est donc cela, le monde ? Cela, l’amour,
Et les plaisirs, les aventures, les travaux
Dont nous avions tant devisé ensemble ?
C’est là le sort du peuple des mortels ?
À peine parut le vrai
Que tu tombas, fragile; et de la main
La froide mort près d’un tombeau désert
Tu désignais au loin.
Giacomo Leopardi, Chants, in: Anthologie bilingue de la poésie italienne (Bibliothèque de La Pléiade/Gallimard, 1994)
sur: http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2006/03/_posie_dun_jour.html
08:10 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature; poésie; vidéo | | Imprimer | Facebook |
12/09/2011
La citation du jour 1b
Marco Lodoli
Je les observe les uns après les autres, et ils me font penser à des mains tendues autour d'un feu qui cherchent à le protéger du vent, qui cherchent à se réchauffer éternellement à ses braises. Ces êtres font partie de moi, ils sont mes caves et mes horizons, et pourtant ils ont leur dignité, ils sont capables de paroles et de gestes qui me surprennent, ils ont faim et soif, ils ont leur propre façon de rêver. Et qui sait si je ne suis pas moi-même en train de vivre dans un livre, dans la malheureuse notice d'un volume oublié sur l'étagère de l'infinie bibliothèque: et la bibliothèque engrange d'un côté de nouvelles acquisitions, elle refait à chaque seconde l'inventaire, elle s'agrandit, se complète; à l'autre bout elle croule et disparaît. Et si ça se trouve, toute la bibliothèque n'est que la virgule d'une feuille de journal pliée sur la caboche d'un clown.
Marco Lodoli, Les prétendants / Trilogie romanesque - Le vent (P.O.L., 2011)
00:07 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature étrangère, Littérature italienne, Marco Lodoli | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
11/09/2011
La citation du jour 1a
Marco Lodoli
Qui sait si sur la Terre, en un lieu que je n'ai pas encore traversé, il n'est pas en train de naître une civilisation exempte de tristesse, généreuse, immortelle... un univers d'enfants insouciants qui échangeront des tapes amicales et des baisers, qui entreront et sortiront en bande dans les rêves, comme dans les bars sur les avenues, et qui ne laisseront personne de côté, ne rejetteront personne, même celui qui a le coeur transi, les mains glacées et les pensées engourdies par la mort... Peut-être suis-je arrivé au bon moment, même si tout m'apparaît désert et plongé dans un silence sidéral, peut-être que devant moi ou au-dessus de moi, telle une pierre sera posée la première rose éternelle.
Marco Lodoli, Les prétendants / Trilogie romanesque - Le vent (P.O.L., 2011)
06:35 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature étrangère, Littérature italienne, Marco Lodoli | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
06/09/2011
Loriano Macchiavelli
Loriano Macchiavelli, Bologne ville à vendre (Métailié, 2006)
En Italie, il y des commissaires plus célèbres que d’autres : En Sicile, vous trouvez Montalbano, héros des romans de Andrea Camilleri; à Venise, vous marchez sur les traces de Brunetti, mis en scène par Donna Leon; à Bologne, enfin, Sarti Antonio est incontournable mais peu connu, découvert par le grand public voici quelques années avec Les souterrains de Bologne de Loriano Macchiavelli - chez Métailié également - et qui connut un vif succès. De ces trois policiers, ce dernier est peut-être le plus atypique, le plus complexe, le plus attachant, avec ses intuitions, son humour désabusé, sa parfaite connaissance -et méfiance - des rouages de la politique, des finances et du pouvoir. Et l’amour de sa ville, malgré tout. L’intrigue de ce roman est envoûtante, plus vraie que nature pour tous les amoureux de cette Italie ambiguë où vérité et mensonge se confondent parfois à s’y méprendre… Un polar inventif et original!
23:15 Écrit par Claude Amstutz dans Andrea Camilleri, Littérature étrangère, Littérature italienne, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |
02/09/2011
La citation du jour
Guido Ceronetti
C'est une pensée qui apaise et fortifie de savoir que parmi les livres que nous possédons il en est quelques-uns capables de nous libérer et de nous sauver. Il s'en ajoute de nouveaux, presque chaque jour, mais les livres nécessaires sont là depuis longtemps.
Guido Ceronetti, Le silence du corps (Albin Michel, 1984)
00:15 Écrit par Claude Amstutz dans Guido Ceronetti, La citation du jour, Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
29/08/2011
Gianrico Carofiglio
Bloc-Notes, 29 août / Curio
Guido Guerrieri n'est pas tout à fait un avocat comme les autres. Outre sa passion pour les livres et les voyages, il pratique la boxe, confiant à son sac - quand une nostalgie douce le gagne au souvenir de ses amours, Tiziana, Margherita et Sara - ses contradictions, ses humeurs, ses interrogations.
Son métier, il l'exerce à Bari, dans les Pouilles, avec l'aide de Consuelo et de Pasquale. Et voici qu'un de ses confrères, Sabino Fornelli, lui demande de s'occuper d'une affaire banale à priori, celle de la disparition de Manuela, une étudiante, six mois plus tôt. Reprenant officieusement l'enquête, il ne décèle aucune négligence et ne trouve pas l'ombre d'une nouvelle piste. Au point mort, c'est au fil de ses rencontres avec les amis, les témoins et les familiers de la victime que la lumière, au moment le plus inattendu, lui fournira une réponse implacable, dans le sillage de Caterina, un personnage clef dont le charme ne laisse pas indifférent Guido Guerrieri, méfiant certes, mais non pas moins homme...
Hors des conventions du genre, ce roman mêle une intrigue palpitante à des considérations philosophiques non dénuées d'humour qui accentuent son originalité: Seul ce qui est provisoire peut atteindre la perfection. Ou encore: Les enquêteurs capables de détecter les mensonges comptent parmi les plus stupides. Ce sont ces enquêteurs-là que les bons menteurs abusent avec le plus de facilité et le plus de plaisir.
Gianrico Carofiglio, magistrat, écrivain et homme politique, est né à Bari, en 1961. Plusieurs de ses livres sont disponibles en traduction française: Témoin involontaire (coll. Rivages/Noir, 2007), Les yeux fermés (Rivages, 2008), Le passé est une terre étrangère (Rivages, 2009) et Les raisons du doute (coll. Points/Seuil, 2011).
Quand j'écris ou lis un roman, ce sont les héros, plus que l'intrigue, qui retiennent mon attention. Plus que les trames enchevêtrées, j'aime les histoires dont les personnages ne vous abandonnent pas, une fois la lecture terminée. J'aime les personnages contradictoires, qui mêlent force et fragilité, sérieux et ridicule, fanfaronnerie et courage. Et j'aime les décors qui reflètent leur naturel changeant. Le silence pour preuve est un roman policier, quoique totalement atypique. Mais c'est surtout un voyage de découverte dans une ville nocturne, silencieuse et indéchiffrable. Gianrico Carofiglio
Gianrico Carofiglio, Le silence pour preuve (Seuil, 2011)
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Littérature italienne, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman: policier; livres | | Imprimer | Facebook |