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12/05/2011

Mahmoud Darwich 1a

9782742790029.jpgMahmoud Darwich, Nous choisirons Sophocle et autres poèmes (Actes Sud, 2011)

C'est toujours un plaisir de découvrir et de lire les écrits de Mahmoud Darwich. Les éditions Actes Sud ont déjà publié Anthologie 1992-2005 - recueil incontournable en édition bilingue si l'auteur vous intéresse et que nous ne connaissez aucun de ses textes - , La trace du papillon ainsi que Le lanceur de dés et autres poèmes, parmi d'autres titres. Le présent ouvrage, Nous choisirons Sophocle et autres poèmes, traduit par Elias Sanvbar, souligne une fois encore, ses engagements qui, dans les années 80, voient son itinéraire poétique traverser Paris, Tunis et Beyrouth. Deux textes surtout comptent parmi les plus beaux lus au cours de ces dernières années: Tu portes le fardeau du papillon et Nous choisirons Sophocle. Un des plus grands poètes arabes contemporains, avec Abdelattif Laâbi qui, par ailleurs, a traduit plusieurs de ses oeuvres, aux éditions de Minuit...

Mahmoud Darwich est né le 13 mars 1941 à Al-Birwah en Galilée - Palestine sous mandat britannique - et mort le 9 août 2008 à Houston - aux Etats-Unis - est une des figures de proue de la poésie palestinienne. Profondément engagé dans la lutte de son peuple, il n'a pour autant jamais cessé d'espérer la paix et sa renommée a dépassé largement les frontières de son pays. Président de l'Union des écrivains palestiniens, il est aujourd'hui reconnu dans le monde entier pour sa poésie qui évoque la nostalgie de la patrie perdue mais aussi la recherche d'une vérité multiple dans un chant d'insoumis permanent. Ses œuvres lui ont valu de multiples récompenses et il a été publié dans une vingtaine de langues.

00:00 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Mahmoud Darwich | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Imprimer |  Facebook | | |

28/04/2011

Quasi une fantasia 3/3

Bloc-Notes, 28 avril / Les Saules

littérature; essai; voyages; livres

Le livre de Guido Ceronetti est bien plus qu'un compagnon de voyage. D'une humanité sous-jacente à tous ces billets d'humeur, il s'y exprime souvent avec un humour féroce - voir Du nouveau dans la mendicité ou Que sauver d'Italoshima? - mais parfois aussi avec une nostalgie tendre et rageuse, par exemple dans un chapitre émouvant intitulé L'Italie à une lire: La perte des chansons à une lire n'est pas la perte d'une lire. On n'accorde jamais un minimum de perte d'âme à ce qui ne correspond pas à une avancée du front entier des ténèbres. (...) Ce n'est pas la perte d'une lire, parce que la voix humaine qui chante exclut, brise prodigieusement le fini. D'un seul coup le poids qui nous écrase devient moins terrible, moins intolérable; en quelques notes l'infini a fait levier, il soulève le monde, le trop grand mal du monde.

Dans Lettre à une prostituée, je vous partage aussi cette belle réflexion sur l'amour: Il suffit d'une certaine idée de la beauté pour réprimer ce qu'il est nécessaire de réprimer. S'il manque cette idée universelle et la conscience de la douleur, on ne peut sentir le battement revivifiant de l'éventail sublime, de la fraîcheur incomparable de l'amour. Vouloir que tout soit libre est la folie du monde actuel, et la vie n'en devient que plus sombre, plus désespérée.

Un art de vivre et une conscience qui ne peuvent laisser indifférent - surtout de nos jours - quand Guido Ceronetti croque la mort des rizières ou le sens du patriotisme. Le plus beau visage de Albergo Italia est sans doute celui de l'un de ces Iraniens qui vend le journal de ceux qui combattent les crimes du régime, un message jailli de la profondeur de l'océan des douleurs: Je vais vous dire ce que vous perdez en n'achetant pas le feuillet illisible. Moi qui l'achète, je le sais... Non, ce n'est pas pour la lire... C'est pour le sourire. Si vous leur mettez dans la main, avec à peine un signe muet de solidarité, ces mille cinq cents lires, les Iraniens vous en récompensent d'un sourire si rayonnant de sympathie et de douceur, si débordant de reconnaissance, qu'il vous fait rougir à l'idée du peu d'effort qu'il vous en a coûté pour l'obtenir. Le sourire de l'Iranien vous rassure: non, vous n'êtes pas de ces charognes égoïstes, même si vous êtes conscients d'en faire partie. Alors, si vous vous sentez seuls, si l'absence d'âme de la coulée humaine qui vous heurte et vous bouscule vous accable, ne perdez pas cette occasion (...) et vous verrez à chaque fois pointer cette fleur rare, absurde, ce sourire d'humanité vive, massacrée mais vivante, ni pétrifiée, ni vitrifiée, ni éteinte.

Hymne à la beauté autant que croisade désespérée contre l'abrutissement, la vulgarité et le profit, Albergo Italia est précédé, chronologiquement, par Voyage en Italie, paru chez Albin Michel en 1996. Guido Ceronetti, né en 1927 à Andezeno, dans la province de Turin, est à la fois poète, penseur, journaliste, dramaturge, traducteur d'oeuvres latines et marionnettiste. Parmi ses écrits traduits en langue française - outre les deux précédentes - peuvent être cités Le silence du corps, Une poignée d'apparences et La patience du brûlé - carnets de voyage 1983-1987, tous les trois publiés par Albin Michel.

Un mot encore: Un jour peut-être, vous vous hasarderez dans la librairie où je butine depuis de nombreuses années. Derrière mes traits pâles et tirés, vous devinerez que, malheureusement pour vous, ce n'est ni le jour ni l'heure propice aux échanges, aux épanchements, aux sourires. De l'électricité dans l'air? De l'exaspération? De la colère? Ne rebroussez pas chemin, mais ne me parlez pas, ne me demandez rien... Cherchez simplement du regard la section des essais littéraires. Sous la lettre C vous trouverez le livre Albergo Italia de Guido Ceronetti. Achetez-le, lisez-le. Ensuite - et ce sera votre revanche - vous pourrez à votre tour rédiger un billet d'humeur dont les premiers traits de plume diront à peu près ceci: Tout avait pourtant mal commencé, dans une librairie nyonnaise...

Mais je plaisante, bien sûr! 

Guido Ceronetti, Albergo Italia (Phébus, 2003)

Guido Ceronetti, Voyage en Italie (Albin Michel, 1996)

26/04/2011

Quasi une fantasia 2/3

Bloc-Notes, 26 avril / Les Saules 

littérature; essai; voyages; livres 

Outre mon attirance naturelle pour tout ce qui concerne l'Italie, ce qui me touche d'emblée dans Albergo Italia de Guido Ceronetti, c'est la mise en perspective de deux mille ans et plus d'art, de culture, d'histoire, de valeurs revisitées dans ces années 80, avec une liberté de pensée et un sens critique très aiguisé devenus si rares en littérature, où les auteurs communément, tantôt font preuve d'une admiration sans discernement, tantôt se livrent à une entreprise de démolition sans fondement. Rien de tel dans cet ouvrage dont il vaut la peine - même si l'extrait peut sembler long - de se laisser imprégner par les premières lignes de ces billets d'humeur publiés à l'origine dans les colonnes de la Stampa, donnant toute la mesure de la tonalité de ces promenades attachantes et érudites à travers l'Italie:

L'Albergo Italia est un hôtel de malaise, de l'ennui et de l'insomnie avec, ici ou là, toujours plus d'anxiété et de peur. Mais il conserve l'attrait des grands hôtels déchus où des plaques commémorent des séjours d'empereurs ou de musiciens. Et c'est aussi le mien... On me connaît et, si je ne suis pas vraiment une personnalité, je n'y suis pas non plus personne. S'il m'arrive de crier dans la nuit, une main se tend. J'occupe une bonne chambre, toujours la même; elle a des rideaux pour voir ou ne pas voir, mais ce qu'il est possible d'apercevoir de la fenêtre a perdu peu à peu une grande partie de sa beauté. Une chose qui change, touchée chaque jour davantage par l'inexplicable. Une colline disparaît et à sa place on ne voit plus que fumée et acier. Une cour et ses cariatides chantantes se sont tues pour devenir un columbarium pour défunts coûteux. Un oratoire pour la Madone est maintenant un dépôt de motocyclettes. Aux bonnes odeurs de cuisine et de jardin ont succédé des miasmes qui brûlent la gorge. Pourtant, si j'ouvre les volets, je me dis qu'il est encore bon de sentir ces odeurs âcres auxquelles nous avons fini par nous habituer, de crainte qu'il nous arrive pis.

Pessimiste, Guido Ceronetti? On le serait à moins, mais contrairement à ce que suggère le quatrième de couverture de Albergo Italia, il n'y pas seulement de l'amertume ou de la nostalgie dans les évocations de son pays pour qui sait - ou veut - savourer, au détour d'une phrase ou d'une citation, l'enchantement certes lézardé, mais encore suffisamment séduisant pour conduire le lecteur attentif à prendre son bâton de pèlerin et le suivre en toute confiance, hors des sentiers battus.

J'aspire à redécouvrir, dans son ombre, certains lieux mal visités autrefois, tels Mantoue dont il dit demeurer surpris de voir que l'âme lombarde - ce qui est aimable, généreux, tolérant, peu enclin à la fatuité, attentif, virgilien - survit encore dans cette ville des brumes; il n'est pas moins généreux avec Trieste - une intense couleur de noblesse morale, une agitation nerveuse venue non des limbes vulgaires, mais d'âmes vivantes en révolte - ou Gubbio - qui a vu Gubbio une seule fois ne peut plus jamais l'oublier - mais se montre sévère avec d'autres lieux.

Naples, par exemple: Une ville de philosophes désormais réduite à un parfait télescopage de vulgarités, à un choc désespéré de grincements qui étouffent toute idée d'une cohabitation humaine décente. (...) Le golfe entier est désormais un véritable cloaque: urbain, administratif, touristique, alimentaire, moral; aucune beauté ne subsiste; le vitriol des camorras a défiguré partout la droiture; s'il vous reste encore un coeur et des yeux, vous pouvez seulement vous en servir pour pleurer. Il n'est pas plus tendre avec Rome: On n'y rêve pas, on n'y prie pas, on prend seulement des autobus dont on descend toujours avant d'être arrivé, en détestant le visage humain.

Pourtant, même en ces deux villes, sa curiosité nous attire dans quelques recoins secrets où vacille encore une faible lumière, comme il le fait avec Assise - qu'un vent inimitable ne parvient pas à blesser (...) Intoxiquée par la foule, elle reste solitaire. Elle s'est avilie, mais l'air la soutient - ou Venise - il y a des coffres enfouis dans les épaves coulées - qu'il n'apprécie guère.

Si je ne partage pas son appréhension de cette dernière, à laquelle j'ai toujours été sensible hors saison - tôt le matin ou tard le soir, longeant des canaux méconnus de l'étranger ou entrant dans une église où je ne rencontrais personne - avec Guido Ceronetti j'ai plaisir à me laisser bousculer, à priori toujours tenté d'idéaliser ce qui parfois ne le mérite pas ou d'effleurer seulement ce qu'il vaudrait la peine de creuser ou d'apprendre.

Mais Albergo Italia, ce n'est pas que cela...

A suivre...           

Guido Ceronetti, Albergo Italia (Phébus, 2003)

25/04/2011

Quasi une fantasia 1/3

Bloc-Notes, 25 avril / Les Saules 

littérature: essai; voyages; livres

Tout avait pourtant bien commencé, ce jour-là. Emergeant d'un sommeil prolongé - recommandé depuis quelques semaines par la faculté de médecine! - écartant les rideaux de ma chambre, je pressentais une belle journée, tandis que le chant multiple des oiseaux, tout alentour, me confortait dans l'idée que le bonheur goûté en silence, me prive de diffuser, de partager ou de fuir tant de niaiseries, de bêtises ou de banalités qui, pour sûr, une heure plus tard, ne manqueraient de fondre sur moi comme un vol têtu de mouches insouciantes de tacher cette magnifique et changeante robe du ciel où s'ébattent ces amis de frère François, auxquels, soit dit en passant - c'est ma forme de gratitude - je fournis le gîte et le couvert, même quand les saisons sont clémentes.

Le temps de glisser une musique pour mes amis sur Facebook, me voici, empruntant le chemin de Ruth où j'habite, afin de rejoindre l'autobus au chemin des Princes. Un premier désagrément aurait dû éveiller ma méfiance et me suggérer de rebrousser chemin: Je croise une femme, plutôt une zombie accompagnée d'un chien bien vivant dont je ne conserve aucun souvenir - entendez par là une de ces nouvelles riches qui prolifèrent à foison depuis le débarquement des oligarques russes - pour qui répondre au bonjour d'un proche voisin, constitue une faute de rang impardonnable. La scène se reproduit à l'arrêt des transports publics, mais avec quelques nuances: Cette fois-ci, il s'agit d'enfants prêts à emprunter le minibus du réputé collège privé de Florimont. A leur propos, je n'ai rien à dire, mais Ils sont accompagnés d'une femme entre deux âges, philippine sans doute, qui imite la zombitude de ma rencontre précédente, comme si ce signe malin - un copier/coller vide et creux - ferait d'elle une des leurs. Une membre de la classe dirigeante. Quelle ignorance revancharde, quelle affligeante imbécillité, et cela, de si bon matin!

Dans mon autobus chéri - qui me réserve souvent des moments de lecture privilégiés - un nouvel incident se produit, à l'arrêt de La Rippaz: Une africaine avec un landau ne prend pas garde que dans les anciens modèles de transport, seule une porte est aménagée pour accéder au véhicule. Elle en emprunte une autre, et là, l'enfer se matérialise. Le chauffeur, une espèce de Rocky VI ou VII manifestement contrarié ou excédé, quitte sa place, se plante devant ladite passagère, la sermonne vertement sur sa responsabilité en cas d'accident, les interdictions à observer dans les transports publics, les retards occasionnés sur l'horaire et que sais-je encore. Elle l'écoute avec attention et respect. Dans le balancement gracieux du cou qui s'harmonise avec son regard discret empreint d'une douce mélancolie, je devine qu'elle a l'habitude de ces dérapages, qu'ils n'ont pas trop d'importance et qu'elle en a probablement connu de bien pires, sous nos latitudes inhospitalières. Un peu plus loin, lui traduisant en des termes un peu plus civilisés les propos du conducteur, j'apprends qu'elle ne comprend que la langue anglaise...

Sur le quai de la gare Cornavin où j'attends le chemin de fer qui m'emmènera à Nyon, je vitupère intérieurement contre tous ceux qui s'acharnent à gâcher ma si belle journée naissante, ici au milieu d'un autre type de zombies: les adeptes de la pensée unique avec leur 20 minutes - quotidien gratuit - ou leur natel manipulé à l'infini, oublieux du silence et de l'immobilité auxquels fort heureusement fait obstacle un club de randonneurs du troisième âge dont l'oeil, malicieux et rieur, témoigne d'un reste d'humanité dans cette foire au béton. Comme pour enfoncer définitivement le clou de mon exaspération, j'apprends par la manchette d'un quotidien lausannois que les fumeurs, sur les quais de gare, incommodent de plus en plus les autres, candidats à l'immortalité. Sinon, pour quoi d'autre? Ah la sage Helvétie au sein de laquelle le mot verboten - interdit - résonne comme un anesthésiant puissant et salvateur. La canne blanche des futurs zombies... complément recherché de la désormais célèbre phrase de Georges Clemenceau reprise par Paul Claudel: la tolérance, il y a des maisons pour ça!

Arrivé sur mon lieu de travail, j'apprends enfin que, la veille, je n'ai pas respecté une procédure quelconque - je les envoie systématiquement valser dans la poubelle la plus proche avec une désinvolture persistante - et voilà: Ma journée est, semble-t-il, définitivement pourrie...

Mais là encore, je me serai trompé. Au cours de la matinée, un de mes jeunes et sympathiques collègues m'apprend qu'une de mes récentes commandes de livres, vient d'être honorée. Il s'agit de Albergo Italia, de Guido Ceronetti, qu'un ami m'avait chaleureusement recommandé et là, j'oublie tout. Un moment de grâce commence...

A suivre... 

Guido Ceronetti, Albergo Italia (Phébus, 2003)

22/04/2011

Stewart O'Nan

9782879294964.gifStewart O'Nan, La part des ténèbres (Editions de l'Olivier, 2006)

 

J’espère sincèrement que vous partagerez mon enthousiasme pour ce roman engagé, généreux et profondément humain. Non seulement parce qu’il traduit la vacuité de la vie quotidienne d’une ville de province (avec ses silences, ses non-dits, ses grimaces de perfection, ses rêves factices, ses valeurs de réussite qui ressemblent à un « copier-coller » d’une maison à l’autre et qui n’intéressent en rien les acteurs de cette histoire) mais bien davantage par le déroulement profondément original de ce récit de vie et de mort très contemporain, tout en ombres et lumières réunies, dont la lecture s’effectue sous deux angles différents :


La trame linéaire du récit d’abord, qui décrit ces êtres meurtris, à la dérive : Tim qui a tout perdu, ne ressent plus l’envie de vivre et aspire à rejoindre ses amis disparus ; Kyle, déficient mental à la suite de l’accident et que sa mère essaie désespérément d’aimer comme un nouvel enfant, devenu étranger tout à coup ; Brooks enfin, le flic au caractère complexe, rongé par son terrible secret, dont la vie est détruite à tout jamais. Tous hantés par le culpabilité de leur tragique aventure.


La voix des morts, ensuite, plus douce (entre parenthèses, dans le livre), Marco, Toe et Danielle – la petite amie de Tim – tour à tour graves, drôles ou compatissants et qui voudraient aider leurs amis survivants, les consoler, colmater leurs blessures.


Ce roman lyrique, poignant, est admirable de style, de finesse et dépasse largement le cadre du Connecticut, parce qu’il véhicule des thèmes et des personnages universels. Aussi mérite-t-il d’être lu sans tarder !


« Il n’y a pas d’avenir, seulement le présent, cette minute-ci. Peu importe l’heure qu’il est ; nous ne voulons pas rentrer à la maison. Nous sommes jeunes et foutus dans les ténèbres au cœur de ce pays, à l’abri au sein de notre coûteuse innocence, coincés derrière des lignes ennemies. Il est tard et il n’y a nulle part où aller car cette ville craint trop, mais nous nous en fichons. Nous sommes juste une bande de mômes idiots qui s’amusent.. Nous voulons que la nuit dure éternellement. » Stewart O’Nan, Le pays des ténèbres

00:04 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Stewart O'Nan | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/04/2011

Erri de Luca 1b

Bloc-Notes, 17 avril / Les Saules

Erri de Luca parle de Il peso della farfalla (Le poids du papillon) en italien et sans sous-titres, malheureusement...



Erri de Luca, Le poids du papillon (Gallimard, 2011) 

13:51 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Erri de Luca, Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; interview; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Erri de Luca 1a

Bloc-Notes, 17 avril / Les Saules 

littérature; nouvelles; livres

Sa mère avait été abattue par un chasseur. Dans ses narines de petit animal se grava l'odeur de l'homme et de la poudre à fusil. Lui, c'est un chamois qui a grandi tout seul, sans règles, a rejoint un troupeau et s'y est imposé. Devenu le roi des chamois, un matin de novembre, vieillissant, il sent que l'heure de la fin de sa suprématie est proche, malgré son instinct de survie. Il sait, au crépuscule de sa vie, qu'il va devoir affronter cet autre roi, le chasseur braconnier, cet ermite des montagnes, dont le temps lui semble aussi compté et qui n'accepte pas l'idée de mourir: Les voix continueront quand son harmonica se taira. La vie sans lui est déjà en chemin. (...) Sa canne en cerisier est munie d'une pointe en fer pour goûter le sol, elle a le son ami des pas d'un aveugle.  

Entre l'homme et l'animal - deux créatures libres, solitaires et justes - le face à face aura bel et bien lieu, après tant d'années de ruses, d'observations silencieuses, de stratégies déjouées dans l'air raréfié de la haute montagne...

Métaphore de la vie, ce court récit de 70 pages pourrait être lu en une heure, mais tel une pierre brute qui prend du temps à épouser les contours de la main et se joue des jeux d'ombre ou de lumière sur le fil mystérieux des saisons, l'intensité et la signification de chaque mot impose la patience, la respiration, la lenteur. Plaisir rare de lecture, d'amour et de poésie mêlés, cernant - d'une écriture aussi ascétique que le physique de l'écrivain - avec une infinie douceur la montagne, le coeur et l'âme, plus facétieuse que la volonté de l'homme, sous la forme d'un papillon blanc qui passant de l'arme de l'homme à la corne du chamois donne un sens au récit dans tout ce qu'il effleure.  

C'est le mois de novembre, l'homme entend tomber le rideau métallique de l'hiver. Dans les nuits où le vent arrache les arbres les plus exposés à leurs racines, la pierre et le bois de la cabane se frottent entre eux et lancent une plainte. Le feu fait claquer des baisers de réconfort. L'âpreté extérieure donne des coups d'épaule, mais la flamme allumée garde unis le bois et la pierre. Tant qu'elle brille dans le noir, la pièce est une forteresse. Et l'harmonica est là aussi pour dominer le bruit de la tempête. (...) Pendant les nuits de lune, le vent agite le blanc et envoie des oies sur la neige, un vieux moyen pour dire qu'à l'extérieur se promènent des fantômes. Il les connaît, à son âge les absents sont plus nombreux que ceux qui sont restés. A sa fenêtre, il regarde passer leur blanc d'oie sur la neige nocturne.

Aussi mordante et douce que le vent qui nous pousse à travers les sentiers escarpés, l'histoire s'achève sur une victoire - que j'éprouve beaucoup de peine à ne pas vous révéler - qui ressemble à une défaite... Lisez Le poids du papillon, et vous comprendrez!

Ce texte est suivi de la Visite à un arbre - 10 pages à peine - célébration d'un pin des Alpes, à 2'200 mètres d'altitude: En montagne, il existe des arbres héros, plantés au-dessus du vide, des médailles sur la poitrine des précipices. Tous les étés, je monte rendre visite à l'un d'entre eux. Avant de partir, je monte à cheval sur son bras au-dessus du vide. Mes pieds nus reçoivent la chatouille de l'air libre au-dessus de centaines de mètres. Je l'embrasse et le remercie de durer.

Magistral! Dans ma besace de randonneur solitaire, Le poids du papillon de Erri de Luca rejoint Sentiers sous la neige de Mario Rigoni Stern et La promenade sous les arbres de Philippe Jaccottet: Trois livres qui me font presque regretter d'en parler tant la justesse de ton, la beauté de la langue et leur habit qui me sied si bien, suffisent à mon bonheur, partagé avec vous... 

Erri de Luca, Le poids du papillon (Gallimard, 2011)

Mario Rigoni Stern, Sentiers sous la neige (La fosse aux ours, 2000)

Philippe Jaccottet, La promenade sous les arbres (Bibliothèque des arts, 2009)

publié dans Le Passe Muraille no 86 - juin 2011

14/04/2011

Silvia Avallone 1b

Bloc-Notes, 14 avril / Les Saules

Pour en savoir davantage, voici un entretien en italien - sous-titres en français - de Silvia Avallone avec Liana Levi.


Silvia Avallone 1a

Bloc-Notes, 14 avril / Les Saules

littérature; roman; livres

Ca veut dire quoi, grandir dans un ensemble de quatre barres d'immeubles d'où tombent des morceaux de balcon et d'amiante, dans une cour où les enfants jouent à côté des jeunes qui dealent et des vieilles qui puent? Quel genre d'idée tu te fais de la vie, dans un endroit où il est normal de ne pas partir en vacances, de ne pas aller au cinéma, de ne rien savoir du monde, de ne pas feuilleter les journaux, de ne pas lire de livres, où la question ne se pose même pas?

C'est pourtant là qu'elles se sont connues, choisies, aimées, Francesca la blonde et Anna la brune, quatorze ans à peine, belles et insouciantes, conscientes de leur pouvoir sur les hommes et pourtant rebelles contre certains d'entre eux, leurs pères respectifs, surtout: Enrico le père de Francesca qui bosse aux aciéries Lucchini, brutalisant sa femme Rose et sa fille qu'il mate avec ses jumelles de malade; Arturo le père d'Anna, un bon à rien, escroc séducteur et mari de Sandra - une réminiscence de Anna Magnani? - qui disparaît quand ça lui chante. Elle ne désirait qu'une chose: La mort de son père. La mort de tous ces vieux dégueulasses, qui sentaient mauvais et voulaient une femme pour leur laver le cul, une petite ukrainienne arrachée à son foyer, parole d'Anna. Plus loin, elle ajoute: C'est pas juste que notre vie soit bousillée par ces deux salauds qui savent faire que des conneries, et qui valent pas un clou!

Anna s'est juré de ne ressembler ni à Sandra, ni à Rose dans vingt ans, toutes deux à trimer comme des détraquées avec leurs illusions perdues, auxquelles il n'arrive plus rien et dont personne, à leur mort, ne se souviendra. Heureusement, il y a Francesca, avec ce curieux incendie noir dans les yeux, et son frère protecteur Alessio - lui aussi employé des aciéries - qui partage avec son copain Cristiano les sorties en boîte, la coke, le marché noir du cuivre, les rêves de bolides, dont le coeur généreux atténue ses violences et masque ses blessures.

Dans ce roman tout conduit à la Lucchini SPA, emblème de cette ville toscane de Piombino près de Livourne, qui employait vingt mille hommes voici trente ans - mais n'en compte plus que deux mille aujourd'hui, délocalisations à l'Est oblige - et qui cristallise dans ses haut-fourneaux tous les conflits, les fatigues et les injustices de cette terre ingrate. De magnifiques pages lui sont consacrées par Silvia Avallone, soucieuse de prêter sa voix à ces cabossés de la vie oubliés de tous, dont pourtant les péripéties au quotidien, basculant du rire à la colère ou aux larmes avec la vivacité de l'éclair, ne laissent pas indifférent. Bien au contraire.

La crudité du ton qui déborde de ce trop plein de gâchis, d'espoirs et de misère confondus dont l'histoire s'avère captivante de la première ligne à la dernière, déjoue tous les pièges de la vulgarité gratuite. Paradoxalement, c'est peut-être à travers les non-dits, que les personnages féminins de Silvia Avallone explosent le plus d'une humanité insoupçonnée et bouleversante. Les hommes, quant à eux, pour la plupart - exception faite d'Alessio - n'y tiennent pas le beau rôle...

Malgré l'horizon rétréci d'une plage douteuse où le sable se mêle à la rouille et aux ordures, avec les égouts au milieu, face à l'île d'Elbe, berceau de tous les rêves, ce roman n'est pas désespéré. Il évoque bien sûr ce néoréalisme à l'italienne, chaleureux, fort, cruel parfois dans un univers provincial dont les contours sociaux ou économiques reflètent bien les malaises d'une époque paumant ses repères, mais il est aussi un discret signe d'espoir qui se disperse dans le sillage d'Anna et de Francesca, déterminées sous leurs faux airs peau de vache à changer les règles du jeu, touchantes au point de faire chavirer le coeur.  

Si le temps pouvait se glisser dans les maisons, sous les portes, sans que personne le sache. Si tout pouvait se terminer avec cette position de la tête renversée contre le dossier du canapé, mains sur les cuisses, oublieuses de ce qu'elles ont fait, n'en portant plus trace, comme si jamais elles n'avaient construit de maison, fabriqué de rails d'acier, roué de coups des corps humains, marqué leur descendance au plus profond.

Un autre rêve de Francesca? Peut-être, mais l'un d'entre eux se réalisera: le voyage à l'île d'Elbe où, passés les premiers émois et mauvais coups portés à l'adolescence, avec son amie Anna, parfaitement accordées l'une à l'autre, elles plongeront dans la mer comme les touristes de Milan ou de Florence, heureuses, inséparables, réconciliées avec la vie.

Le monde, c'est quand on a quatorze ans...

Silvia Avallone, née en 1984, a été finaliste en Italie avec D'acier - premier roman - du prestigieux prix Strega et couronnée par le prix Campiello Opera Prima, en 2010. 

Sylvia Avallone, D'acier (Liana Levi, 2011)

00:07 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Littérature italienne, Silvia Avallone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/04/2011

Constance de Salm

9782752902481.gifConstance de Salm, Vingt-quatre heures d'une femme sensible (Phébus, 2007)

 

Véritable petit bijou, ce roman épistolaire publiée en 1824 se présente comme une variation sur la jalousie et ses affres. Confrontée à l'image obsédante de son amant disparaissant dans la calèche d'une autre beauté au sortir de l'opéra, notre héroïne tente de comprendre et de calmer les milles émotions qui l'assaillent. Au cours d'une nuit d'insomnie et d'une journée perdue à guetter un signe de celui qui, semble-t-il, vient de la trahir, elle ne trouve d'autre consolation que de lui écrire. Quarante-quatre lettres pour dire vingt-quatre heures de fièvres, de doutes et de désespoir. 


A ranger aux côtés de la  Lettre à une inconnue de Stefan Zweig et Laissez-moi de Marcelle Sauvageot, ce texte est une célébration de l’amour conquis au jour le jour avec détermination et bonheur, dans un style admirable. A découvrir, vite …

06:24 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Stefan Zweig | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |