25/04/2010
Stewart O'Nan
Bloc-Notes, 25 avril / Les Saules
Dans un village de l’Ohio, Kim, une adolescente de 18 ans, vit sa dernière année de collège et se réjouit de bientôt prendre le large, comme tant de jeunes de son âge. Un beau jour, elle disparaît sans crier gare. Aucun signe, aucune trace de sa disparition, sinon sa voiture abandonnée.
Ainsi commence le dernier roman vertigineux de Stewart O’Nan. Avec un fil narratif somme toute simple, il aurait pu – comme dans Speed Queen - basculer dans le roman noir, ou verser dans le mélodrame. Rien de tout cela chez cet auteur un peu caméléon qui, à chacune de ses créations, s’intéresse à un angle de vision différent pour cerner la réalité qui l’entoure. Ainsi, dans Chanson pour l’absente, c’est l’amour et la tristesse des proches de Kim, renforcées par le vide qu'elle laisse derrière elle, qui occupe le devant de la scène, contrastant avec ce visage d’une Amérique conquérante, qui garde pour la sphère intime ses découragements, ses angoisses ou incompréhensions.
Il nous partage aussi un aspect peu représenté en littérature, celui des démarches répétitives auprès de la communauté, de la police, des commerçants, des amis pour retrouver la jeune fille, avec l’énergie du désespoir qui voudrait donner un sens à sa disparition. Aux côtés de J.P. et Nina, amis de Kim, les personnages les plus bouleversants de cette histoire sont Ed, le père de la disparue qui délaisse son travail, voire sa famille, incapable de rester chez lui à attendre et surtout Lindsay, sa sœur cadette qui, au fil du temps qui passe et sans même réaliser tout à fait ce qui lui arrive, se fait une place au soleil, affirme sa personnalité comme dans un espace laissé vacant par sa sœur. Autre éclairage intéressant que celui des liens familiaux – entre Ed, son épouse Fran et Lindsay - qui se resserrent autour de cette absence qu’on n’ose encore nommer autrement, tandis que la vie, malgré tout, continue...
Contrairement à un thriller qui obéit à d'autres règles d'écriture – cela décevra quelque peu les esprit cartésiens - l'enquête sert ici de prétexte à soulever des questions qui bien souvent demeurent sans réponse, comme dans la vraie vie. Qui donc était Kim ? Après un événement aussi traumatisant, où se situe la frontière qui ouvre à la liberté, à la fin du deuil, sans culpabiliser ni trahir ce trop plein d’amour qui irrigue encore notre mémoire ?
Décliné avec beaucoup de douceur à la manière d'un J.D. Salinger – ainsi que dans cet autre chef d’œuvre, La part des ténèbres – il se dégage de ce roman une profonde humanité, même si la tonalité générale reste sombre, et que si le deuil délivre des incertitudes, il ne console vraiment personne.
Stewart O'Nan, Chanson pour l'absente (Editions de l'Olivier, 2010)
20:05 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Stewart O'Nan | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |
19/04/2010
La citation du jour
Hermann Hesse
J'ose affirmer qu'on lit trop et que cet excès de lecture ne fait pas honneur à la littérature; il lui est même nuisible. Les livres ne sont pas faits pour rendre les gens dépendants plus dépendants encore, et encore moins pour fournir à bon compte une vie illusoire à ceux qui ne savent pas quoi faire de la leur. Les livres, au contraire, n'ont de valeur que s'ils mènent à la vie, que s'ils sont utiles, au service de l'existence. Si elle n'éveille pas chez le lecteur une étincelle d'énergie, un soupçon de rajeunissement, un souffle de fraîcheur, toute heure passée à lire est une heure perdue.
Hermann Hesse, Une bibliothèque idéale (Rivages, 2010)
00:05 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : auteurs; citations; livres | | Imprimer | Facebook |
12/04/2010
De l'autre côté du miroir
Bloc-Notes, 12 avril / Les Saules
Samedi dernier - un peu las du bruit, de l'absence de lumière intérieure, de la vacuité ambiante - j'ai entrepris un voyage avec ces écrivains imprégnés par la nature qui les entoure. Une première lecture à laquelle j'ai pris beaucoup de plaisir avec Jean-Louis Hue, auteur de L'apprentissage de la marche (Grasset, 2010). Aujourd'hui, ce sont trois autres auteurs que j'évoque, témoins de ces mouvement de la terre capables de mieux nous régénérer qu'un long discours philosophique.
Prenez au hasard, le premier de ces livres: un auteur autrichien étonnant, Paulus Hochgatterer. Dans Brève histoire de pêche à la mouche, trois psychiatres, partent de bon matin ensemble pour une partie de pêche. Une journée d'évasion ou au contraire, un jeu de rôles, une mise à nu de leurs névroses en terre étrangère? Rêves et réalité s'entremêlent dans cette escapade où, quand on ne parle pas de poissons, on parle de femmes et entre hommes, bien sûr: convoitées, imaginées, rencontrées sur le mince fil de conscience qui démêle tant bien que mal l'écheveau obscur de l'équilibre et de la folie... Une comédie farcie de dialogues désopilants - la pêche à la mouche n'est rien d'autre que de la masturbation masculine en bande - au milieu de nulle part.
Une toute autre atmosphère avec Hubert Mingarelli. Son dernier roman, L'année du soulèvement, est la chronique de trois hommes piégés sur une colline, en marge d'une insurrection qui vient de renverser le pouvoir. Chacun à sa manière - deux, Cletus et Daniel, sont des insurgés accompagnant San-Vitto, un officier fait prisonnier - auprès des autres ou dans le bruissement du vent, cherche en son for intérieur,la paix. La fin du livre - le point culminant de l'émotion romanesque - est un hommage à Jack London: Il n'y avait plus de sentier et il s'enfonçait dans la neige. Il arriva au bord du creux et il vit l'église en bois noir, entre les sapins, pas plus grande qu'une maison. Il y descendit par une congère. Il en fit le tour lentement. Le temps de la pluie et le soleil l'avaient noircie. Les planches étaient disjointes. Le bois tendre entre les nervures avait disparu. (...) Le vent avait fait entrer la neige et l'avait poussée contre les murs. Cletus posa son fusil et ressortit. Il coupa des branches de sapin et revint, construisit un feu et l'alluma...
Retour à la pêche enfin, avec la réédition d'un texte jouissif et impertinent signé René Fallet, Les pieds dans l'eau. Adressé à ses compagnons de pêche, cet opuscule parle de rituels - le pain, le café, la ligne, l'aurore du peuple des roseaux - de la magie, de la liberté, de l'impatience: Venu de loin, très loin, le soleil passe. A la guillotine. Une écume de sang bave des vieux nuages, gicle au ciel. Oui, je me fous du monde, et il me le rend bien. A votre bon coeur, le mien bat la breloque, ou la bernique, ou la berlue. Demain il fera nuit. La fin dans le monde, la fin du monde, c'est au bout du couloir à droite, pas moyen de se tromper. J'ai posé ma canne dans l'herbe. Mon bouchon flotte dans un remous vert-de-gris. Pas une touche. Je baîlle. Je m'endors. Il fait très beau...
Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche (Quidam, 2010)
Hubert Mingarelli, L'année du soulèvement (Seuil, 2010)
René Fallet, Les pieds dans l'eau (Le Cherche Midi, 2010)
photo: le lac du Bourget (sur www.lemonde.fr)
01:08 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : bloc-notes; livres | | Imprimer | Facebook |
11/04/2010
Le Passe Muraille
Or, le problème est ailleurs, sans doute. Le problème est qu’une société littéraire, jalouse de ses prérogatives, est en train de disparaître, au profit d’une nouvelle nébuleuse de lecteurs-passeurs se déployant sur des sites et des blogs. La critique littéraire est-elle condamnée pour autant ? Là encore Michel Crépu calme le jeu, affirmant qu’ « il n’y a pas de critique littéraire, il n’y a que des lecteurs plus ou moins attentifs » et « qu’une lecture, plus ou moins suivie, profonde, disponible, libre». Dès lors, qu’importe que la lecture soit défendue sur le papier ou la Toile, si la Qualité résiste au déferlement de la Quantité ?
C’est le défi qu’a relevé Le Passe-Muraille dès sa création, en 1992, et c’est dans la même optique, peut-être plus ouverte encore, que son équipe rajeunie poursuit aujourd’hui son effort, sur le papier autant que sur la Toile - http://www.revuelepassemuraille.ch -, en préparant notamment une livraison, à paraître en mai 2010, consacrée tout entière à la défense et l’illustration de la lecture…
Sommaire du Passe-Muraille No 81. Avril 2010, «Magies de Rose-Marie Pagnard ».
p.1
Inédit, « Un très léger vertige » par Rose-Marie Pagnard
p.2
« Les leçons de mystère » à propos de Rose-Marie Pagnard, « Le Motif du Rameau », Zoé, 2010, 220p., par Bruno Pellegrino
p.3
« Portrait d'un homme mort » à propos de Sarah Hall, « Comment peindre un homme mort », Christian Bourgois, 348p., par Claude Amstutz
« La geste des enfants perdus » à propos de Sacha Sperling, « Mes Illusions donnent sur la cour », Fayard, 2009, 272p., par Matthieu Ruf
p.4
« Le chant d'amour pour Haïti » à propos de Dany Laferrière, « L'Enigme du retour », Grasset, 2009, 301p., par Luisa Campanile
« Un geste solidaire » à propos de Collectif, « Histoires cueillies pour Haïti », TheBookEdition.com, 2010, 146p., par Jean-Louis Kuffer
p.5
« Le héraut du neuf » à propos de J.G. Ballard, « La Vie et rien d'autre », Denoël, 2009, 291 p., par Jean-François Thomas
« A l'intérieur du gueuloir » à propos de Pierre-Marc de Biasi, « Gustave Flaubert, une manière spéciale de vivre », Grasset, 2009, 496p., par Matthieu Ruf
p.6
« Des éléphants et des lunes » à propos de Raphaël Aubert, « La Terrasse des Elephants », L'aire, 2009, 169p., par Jean Perrenoud
« Dans l'ample foulée de la vie » à propos de Pascal Rebetez, Je t'écris pour voir, Editions de l'Hèbe, 2009, 153p., par Jean-Louis Kuffer
« Autoportrait d'un « inutile » » à propos de Jean-François Sonnay, Hobby, Bernard Campiche Ed., 2009, 110p., par Janine Massard
p.7
« Le vertige de notre époque » à propos de Catherine Lovey, Un Roman russe et drôle, Zoé, 2010, 289p., par Bruno Pellegrino
« Une soif de lire très mobile » à propos de Gérard Delaloye, Le Voyageur (presque) immobile, L'Aire, 2008, 191p., par Jean Perrenoud
p.8
« Un humour pince-sans-rire » à propos de Jean Vuilleumier, Les Fins du voyage, L'Age d'Homme, 2009, 134p., par Patrick Vallon
« Une ville la nuit » à propos de Rosa Montero, Instructions pour sauver le monde, Métailié, 2009, 269p., par Claude Amstutz
p.9
« Lettres de l'intempestif » à propos de Louis-Ferdinand Céline, Choix de Lettres, Gallimard, La Pléiade, 2009, 2029p., par Antonin Moeri
p.10
Littérature Jeunesse
« Aventure entre deux mondes » à propos de François Place, La Douane volante, Gallimard-Jeunesse, 2010, 334p., par Sophie Kuffer
« Aimer lire en Corée » à propos de Eun-sil Yoo, Si j'étais Fifi Brindacier, Picquier Jeunesse, 2010, 198p., par Nasma Al'Amir
« A la poursuite de l'amour » à propos de Eglal Errera, Le Rire de Milo, Actes Sud Junior, 2009, 90p., par Nasma Al'Amir
P.11
« Romancier de l'empathie profonde » à propos de Louis Guilloux, d'une Guerre l'autre, Gallimard Quattro, 2009, 1117p., par René Zahnd
p.12
« Premier homme, dernière phrase » à propos de Albert Camus, Le premier Homme, Gallimard, 1994, 331p., par René Zahnd
« L'Epistole », Lettre de l'île de Chatham, par Damien Personnaz
Pour s'abonner et communiquer: http://www.revuelepassemuraille.ch/
00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Albert Camus, Jean-Louis Kuffer, Le Passe Muraille, Littérature étrangère, Littérature francophone, Littérature suisse, Louis-Ferdinand Céline, Rosa Montero, Sarah Hall | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : critique littéraire; presse; livres | | Imprimer | Facebook |
06/04/2010
Les pièces de Shakespeare - 3a
La tragédie de Coriolan
Caius Marcius est un héros. Il vient de conquérir la ville de Corioli aux mains des Volsques – ce qui lui vaudra le surnom de Coriolan - et rentre avec tous les honneurs à Rome. Il a presque tout pour savourer sa victoire: Il est intègre, courageux, incorruptible, près de ses frères d’armes, mais chaque homme n’a-t-il pas son point faible? A la faveur de circonstances particulièrement favorables, sa mère l’exhorte à se porter candidat pour le titre de consul. Il se présente à deux reprises devant le peuple qui redoute son autoritarisme et sa tyrannie. Non seulement il ne sera pas élu, mais ses insultes adressées au peuple, sous le coup de la colère, lui vaudront d’être banni.
Il se réfugie alors chez ceux qu'il a combattus - les Volsques - et avec son ennemi juré Aufidius, dresse une armée dont il prend le commandement afin de mettre Rome à feu et à sang, devant tant d’ingratitude et d’injustice, selon lui. Après l’intervention de son épouse Virgilia et celle de son fils Marcus, il renonce à mettre son projet sanguinaire à exécution et revient auprès des Volsques avec un traité qui leur est favorable. Mais chez eux aussi, la popularité de Coriolan fait de l’ombre. Ainsi, accusé de trahison, il sera assassiné par les partisans d’Aufidius.
La tragédie de Coriolan est probablement la pièce politique la plus achevée de Shakespeare et conserve toute sa modernité. Ainsi, son ego surdimensionné, orgueilleux jusqu’à la démesure altérant parfois son jugement, ne l’a-t-on pas redécouvert sous d’autres traits, chez certains candidats malheureux de la cinquième république ? Peu féru de diplomatie, défenseur de l’aristocratie, le mépris affiché par Caius Marcius envers le peuple jugé infantile, malléable, peu instruit, changeant – aujourd’hui, on jugerait poliment son attitude condescendante – ne réveille-t-il pas le souvenir d’hommes (ou de femmes) politiques actuels ayant raté par une semblable attitude, la dernière marche pour accéder au pouvoir suprême ?
Aux prises avec une époque changeante qui baigne dans un climat désabusé où le meilleur – espéré - n’est plus à la portée des classes dirigeantes, l’incapacité de Coriolan à envisager l’avenir avec d’autres règles ou d’autres lois, plus démocratiques peut-être, ne traduit-elle pas le désarroi grandissant des politiques de ce siècle face à un monde en mutation qui les dépasse?
Enfin, par soif de vengeance, l’alliance de Coriolan avec son pire ennemi Aufidius, à une douloureuse époque pour le grand nombre d’entre nous, a suscité une vive polémique, voire l'interdictions de programmer cette pièce de théâtre. Sous le régime de Vichy, pour être plus précis.
Quand je vous dit que la thématique shakespearienne est universelle, parfois dérangeante ...
traduit par Jean-Michel Desprat (édition bilingue: Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 2008)
00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | | Imprimer | Facebook |
Les pièces de Shakespeare - 3b
Coriolan
00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | | Imprimer | Facebook |
29/03/2010
George Steiner - 1b
George Steiner
En complément au bloc-notes, voici un entretien exceptionnel accordé par George Steiner au magazine Philosophie, numéro 31:
00:10 Écrit par Claude Amstutz dans Documents et témoignages, George Steiner, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : auteur; document; littérature | | Imprimer | Facebook |
George Steiner - 1a
Bloc-Notes, 29 mars / Les Saules
Il me tient à coeur de vous présenter aujourd'hui un des plus grands esprits de notre temps, George Steiner. Son histoire, en elle-même, n'est déjà pas banale: Né dans une famille juive autrichienne en 1929, exilé en France pour échapper à l'antisémitisme qui régne à Vienne à cette époque, il quitte l'Europe avec sa famille en 1940, étudie au lycée français de New York, à l'université de Chicago et parachève ses études avec un doctorat à l'université d'Oxford. Enseignant au Williams College (dans le Massachusetts), à Innsbruck, Cambridge et Princeton, il devient professeur de littérature comparée à l'université de Genève, avec - entre autres - des cours mémorables consacrés à mon ami William Shakespeare! Son parcours - tout sauf classique - explique peut-être sa fascination pour la langue, la traduction, la culture - outre le grec et le latin, son éducation est marquée par l'allemand, le français et l'anglais - avec un ancrage dans la tradition juive, même s'il se déclare athée: le signe d'une conscience complexe, d'une réflexion sans concession, d'une approche de la pensée en perpétuel devenir, comme ces vieux arbres qui se déploient avec élégance, mais gagnent aussi en lumière, en simplicité pour l'oeil qui les guette, au fil du temps.
Parmi les textes d'une oeuvre considérable, certains méritent qu'on s'y arrête un instant: La nostalgie de l'absolu (où il interroge le sens des spiritualités pour l'homme moderne), Maîtres et disciples (consacré à l'éducation et à la transmission du savoir), Réelles présences (le miroir tendu entre le déclin possible du sens et l'appréciation de l'art), Le silence des livres (leur rapport à l'intolérance, à la fin, à la destruction). Je pourrais encore citer Après Babel et Les passions impunies - deux oeuvres majeures - mais d'une accessibilité plus délicate pour le commun des mortels dont je suis!
Tous les thèmes mentionnés jusqu'ici - auxquels j'ajoute la question du mal et de la Shoah, omniprésente dans toute sa démarche de penseur - sont évoqués dans les entretiens de George Steiner avec Antoine Spire, Barbarie de l'ignorance (plus de deux heures sur CD) diffusés sur France Culture en 1998. Il s'agit là, à mon sens, de la meilleure introduction à l'hommes et l'oeuvre, indissociables. J'y ajoute deux livres essentiels, Errata (une évocation des frémissements du monde, de l'histoire, de la pensée) et Les livres que je n'ai pas écrits (la proximité délicate entre la perception, la compréhension et la création), sans doute le texte le plus humain, le plus intime et lucide qu'il a écrit à ce jour.
Pour terminer, sachez que le propre des grands hommes - c'est leur immense qualité - est de nous surprendre, toujours. Ainsi, vient de paraître en librairie un choix de chroniques du New Yorker, publiées entre 1967 et 1997. Vous y croisez Alexandre Soljenitsyne, Simone Weil, Bertolt Brecht, Paul Celan, Georges Orwell, mais plus insolite, l'histoire de Bébert (le chat de Louis-Ferdinand Céline) ou d'Anthony Blunt (historien d'art anglais et espion). De quoi s'instruire en s'amusant...
Bref: que du bonheur!
George Steiner, Lectures - chroniques du New Yorker (Coll. Arcades/Gallimard, 2010)
Georges Steiner, Barbarie de l'ignorance, 2 CD (France Culture, Radio France et Harmonia Mundi, 1998)
00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, George Steiner, Littérature étrangère, Louis-Ferdinand Céline, Simone Weil | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essais; livres | | Imprimer | Facebook |
12/03/2010
Les pièces de Shakespeare - 2b
La tragédie du roi Lear
07:13 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | | Imprimer | Facebook |
Les pièces de Shakespeare - 2a
La tragédie du roi Lear
On dit que La tragédie du roi Lear est la plus sombre de toutes les pièces de théâtre écrites par Shakespeare, mais jugez plutôt: Elle nous raconte l’histoire de Lear, roi d’Angleterre vieillissant qui, au sommet de sa gloire veut abdiquer et partager son royaume entre ses trois filles, à la mesure de l’amour qu’elles lui témoigneront lors d’une cérémonie de piété filiale. A ce jeu, Goneril et Regane se montrent habiles dans la flatterie, l’hypocrisie et la louange, alors que Cordelia – sa préférée – qui voue un amour sincère depuis toujours envers son père, se contente de lui dire qu’elle l’aime comme elle l’a toujours aimé, avec ou sans héritage. Le roi en est blessé et dans un élan de colère, la déshérite au profit de ses deux sœurs. Il bannit aussi le comte de Kent, son plus loyal serviteur, pour avoir pris la défense de Cordelia.
Lear, qui ne conserve pour tout pouvoir qu’une centaine d’hommes, compte séjourner alternativement chez ses deux gendres - les ducs d’Albany et de Cornouailles, respectivement époux de Goneril et Regan - mais ces dernières vont le chasser, le dépouiller, le priver de tout ce qu’il lui reste. Rejeté, exclu par les siens, le voici errant dans la forêt comme un miséreux. Pour un temps, il sombre dans la démence avec pour seuls amis un fou, un mendiant - Edgar, le fils du comte de Gloucester qui l’a rejoint pour éviter d’être assassiné - ainsi que le fidèle Kent, déguisé en valet pour sauver son roi.
Tandis que le royaume est secoué par des intrigues sanglantes, d’autres personnages importants occupent le devant de la scène et gravitent autour d’Edmond, le fils bâtard du comte de Gloucester, qui trahit son père - capturé par Regan et son époux qui lui crèveront les yeux – et commanditera le meurtre de Cordelia et de son père, réfugiés auprès du roi de France. Encore lui qui, séduit par les deux duchesses du royaume dont il use avec plaisir, provoquera la mort de Regan, empoisonnée par sa soeur, Goneril, avant que cette dernière mette fin à ses jours et que lui, Edmond, soit vaincu en duel par Edgar.
Quant à lui, Lear va progressivement réaliser ses erreurs, redevenir lui-même, plus humble et plus humain qu’au début de la pièce. Il se réconciliera avec Cordelia mais ne pourra éviter la pendaison de sa fille et à son tour, mourra, fou de douleur. A la fin de la pièce, Albany renoncera au royaume au profit d’Edgar et de Kent, les deux fidèles serviteurs du roi Lear, avec cet hommage célèbre entre tous rendu au défunt : Au poids de ce triste temps il nous faut obéir; dire ce que nous éprouvons et non ce qu’il nous faudrait dire. Les plus vieux ont tant souffert : nous qui sommes jeunes, nous n’en verrons jamais autant, ni ne vivrons assez longtemps.
Pour la beauté de la langue, voici le texte en langue anglaise :
The weight of this sad time we must obey ;Speak what we feel, not what we ought to say.The oldest hath born most : we that are YoungShall never see so much nor live so long.(Acte V, Scène III)Terrible, n’est-il pas vrai ? Au premier degré, ce drame né de la quête du pouvoir où tout est permis pour l’atteindre – la flatterie, le mensonge, le cynisme, la trahison - tendrait à condamner les uns et vénérer les autres. Pas si simple, car à y regarder de plus près, Lear lui-même, tyrannique et vaniteux, n’entraîne-t-il pas dans sa chute, les conséquences de son aveuglement et de sa vanité ? Enfin, la lumière demeure omniprésente dans cette pièce avec la place réservée aux justes – Cordelia, Edgar, Kent – dont la fidélité et la droiture passent par le dévouement, la sincérité, l’abnégation. Ils ne reçoivent pourtant pas tous leur juste récompense.
Pessimiste, Shakespeare, ou tout simplement réaliste? A vous de choisir...
traduit par Yves Bonnefoy (coll. Folio Théâtre/Gallimard, 2008)
07:00 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, William Shakespeare, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | | Imprimer | Facebook |