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19/08/2011

Caterina Bonvicini 1a

Bloc-Notes, 19 août / Curio

littérature; roman; livres

Elles sont des amies trentenaires qui ne se sont jamais perdues de vue depuis le lycée. Et voilà que dans ce groupe, après Diana opérée avec succès, c’est chez Lisa deux ans plus tard, que le même mal - une tumeur au cerveau - est diagnostiqué par les médecins. Elle, par contre, en meurt: Lisa, l'amie inséparable de Clara et son lent sourire qui offre un si beau titre au roman de Caterina Bonvicini: Le sourire lent, c'est le sourire de la fin. La vie qui ralentit, qui décélère jusqu'a l'immobilité.

C'était une histoire simple: Nous nous sommes rencontrées, nous nous sommes choisies, nous nous sommes écoutées, nous nous sommes comprises. Il n'y avait pas de noeuds à défaire, pas de fragments à rassembler, pas de mystères. Nous étions là. A cette touchante évocation répond une autre, après la mort de Lisa: C'était une amitié passionnelle, certes, reposant sur une attraction réciproque, mais une amitié profonde, durable. Un peu comme sa foulée, son pas qui résonne encore dans ma tête quand je retourne dans cette maison, un pas élancé. Il m'arrive de l'entendre dans le hall: c'est elle qui entre. Alors je vais dans la cuisine, je m'assieds et fixe la place vide. Je tends le bras, tourne ma main, et attends. Les yeux fermés, j'essaie de sentir ses doigts, longs comme ses pas, qui touchent les miens

Remontant le temps, égrenant les souvenirs partagés - les moments d'extase, de turpitudes ou d'insouciance de leur jeunesse - le tour de force de ce roman est de nous montrer, par la voix de Lisa, que la mort peut prendre le visage de la vie dans un mouvement opposé à la sépulture, et qu’il n’est pas nécessaire d’oublier pour affronter l’avenir: Derrière nos dialogues il y avait des pages et des pages de vie commune. L'enfance, l'adolescence, les années de fac, tous les boulots et les amours venus après, les anniversaires, les réveillons, les vacances, les mariages, les enterrements, les cuites, les bêtises monstres, les soucis d'argent, les problèmes familiaux, tout un entrelacs d'événements partagés qui émergeait comme un fleuve souterrain, en se mélangeant au flux du présent.

Un éloge de l’amitié - thème somme toute peu abordé en littérature - qui obéit à d’autres règles que celles de l’amour, unissant malgré la douleur présente Sandra l'ex première de classe avec sa petite frange brune aujourd'hui épouse de Daniele, Veronica la rebelle qui organisait les fugues du lycée et toujours à la recherche du prince charmant, Diana la véritable soeur avec laquelle Lisa a partagé 4'745 jours sur les bancs d'école et qui est mariée avec Marco, Clara la librairie qui s'est enfin découvert un mec libre prénommé Tommaso, enfin Lisa et ses yeux en amande qui évoquent Giotto, bleus comme le fond de la chapelle Scrovegni et son mari Alberto. 

Caterina Bonvicini, par de délicates anecdotes, souvent drôles, décrit admirablement les états d'âme qui s'emparent de ce groupe d'amis - un pluriel fissuré - submergés tour à tour par la soudaine précarité de la vie, la fatigue, la colère, les reproches, la difficulté à supporter les autres ou d'être ensemble, se sentant coupables d'être en bonne santé, coupables d'être heureux, coupables d'être vivants avec leurs limites, leurs défauts, leur générosité, chacun devenu la mémoire de l'autre, tantôt prison, tantôt rempart devant ce paysage dévasté.

Une histoire bien différente de celle qui secoue Ben, le narrateur de la partie centrale du livre: un chef d'orchestre célèbre, homme jaloux, possessif, égoïste qui fait la connaissance de Clara dans les couloirs de la clinique de Bentivoglio, où il rend visite à son épouse Anna - une cantatrice adulée par son public - elle aussi arborant ce lent sourire, mais dans un contexte bien différent: Les mille amis qu'Anna croyait avoir. Avec leurs histoires incroyables. Personne ne s'est donné la peine de venir. En même temps, je lançais des coups d'oeil méprisants vers les tournesols et les orchidées, les roses et les lis, qu'on apercevait par la porte entrouverte. Pour envoyer des fleurs, il y a du monde. Seulement ce n'est pas une loge ici, messieurs

Si les vivants sont faits pour se remémorer, Caterina Bonvicini restitue toute l'émotion palpable de ce roman bouleversant par la bouche de la mère de Clara: Trésor, les morts ne doivent pas sentir notre douleur. Ils ne doivent sentir que notre amour...

A lire et relire, le coeur gagné par le léger tremblement de ces saisons volées en éclats, empreintes de tant de douceur et d'apaisement: Le lent sourire est un pur chef d'oeuvre! 

Caterina Bonvicini, Le lent sourire (Gallimard, 2011)

07:55 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Caterina Bonvicini, Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/08/2011

Francesco De Filippo

littérature; roman; policier; livresFrancesco De Filippo, L'offense (Métailié, 2011)

Comment donc peut-il s’en sortir à Naples, Gennarino Sorrentino? A 21 ans à peine, le voilà paralysé par la peur, entraîné dans une guerre de clans qui n'est pas la sienne, ne sachant comment faire pour qu’une étincelle puisse le purifier du dedans et libérer une énergie autre que celle de la culpabilité, de l’horreur ou de la mort. Issu d'un milieu modeste, il se trouvait plutôt du bon côté de la barrière et, un peu trop naïf ou enthousiaste, n'a pas très bien compris les choses, quand Don Rafaele a honoré la promesse faite à son père - au cas où les siens reposeraient sous quatre planches - de veiller sur lui et de lui offrir une brave petite, Pamela, pour fonder une famille, et vivre mieux... Mais un petit service en entraîna un autre, puis encore un autre, et maintenant, ce gamin des rues se trimballe sous l'ombre menaçante de Don Rafaele aux côtés de Paolini, un fou dangereux aux pulsions perverses et meurtrières. Aujourd'hui, il est à bout de forces, il pleure comme jamais depuis son enfance, les pieds dans une mare de sang... A quoi donc peut-elle désormais servir, sa vie tenue en laisse derrière des murailles invisibles, loin de sa femme Pamela et de ses deux minots prêts à embarquer pour l’Argentine?

Ils ont tout démoli, Gennari. Ils ont mis du poison partout, de tous les côtés, comme si ceux qui habitent là étaient des rats, et pourtant ils ont survécu, tout empoisonnés qu'ils étaient.

Davantage qu’un polar, ce roman est une radiographie effrayante d’une certaine réalité napolitaine, déconseillée aux âmes sensibles... 

09/08/2011

Michela Murgia 1b

Bloc-Notes, 9 août / Les Saules

Au festival d'Arezzo en 2010, Michela Murgia présente son roman Accabadora, malheureusement pour plusieurs d'entre vous, en italien sans sous-titres...


 

Michela Murgia, Accabadora (Seuil, 2011)

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vidéo; littérature; document | |  Imprimer |  Facebook | | |

Michela Murgia 1a

Bloc-Notes, 9 août / Les Saules

littérature; roman; livres

La littérature italienne affiche, décidément, une santé insolente. Après quelques années d'errance, empêtrée dans ses années Aldo Moro et les brigades rouges, la voici revenue sur les devants de la scène, avec Fabio Geda, Silvia Avallone, Milena Magnani, Caterina Bonvicini et Michela Murgia, dignes successeurs de Michele Fois, Alessandro Piperno ou Tiziano Scarpa et, remontant un peu plus loin, d'un Erri de Luca ou d'un Guido Ceronetti.

Michela Murgia est née en 1972 à Cabras, en Sardaigne, auteur de quatre livres à ce jour: Il mondo deve sapere (2006), Viaggio in Sardegna - Undici percorsi nell'isola che non si vede (2008), Accabadora (2009) et Ave Mary - E la chiesa inventò la donna (2011). Compatriote de Michele Fois et de Milena Agus, Accabadora est son premier roman traduit en langue française.

Il nous conte l'histoire de Maria, enfant tardif d’un foyer modeste qui en compte déjà trois, cédée par sa mère Maria Teresa Listru à une vieille femme, Tzia Bonaria. A cette fill'e anima - fille d'âme - elle apprend le métier de couturière, l’élève comme sa propre fille, lui inculquant une éducation rigoureuse mêlée à une sincère tendresse, comme s'il s'agissait de son propre enfant. Maria, fière de son nouveau foyer, apprend vite. Malgré son caractère sauvage, indépendant, elle se conforme à l'enseignement et aux exhortations de sa mère adoptive. Un seul point la chagrine, une zone d'ombre qui la préoccupe chaque jour davantage: Souvent, tard dans la nuit, Tzia Bonaria s'absente, sans autres explications. Mais la curiosité de la jeune fille est trop forte. Un soir, elle verra de ses propres yeux et comprendra son surnom de Accabadora, c'est-à-dire la dernière mère... Sa douleur filiale s’en trouvera bouleversée à tout jamais, mêlant les sentiments confus de l'indignation, de la révolte, de la trahison, et les eaux du pardon prendront du temps à laver les plaies de Maria.

Un roman très attachant dont - intentionnellement - je ne vous donne toutes les clefs, qui nous immerge dans le monde des sortilèges et coutumes sardes, des non-dits, des secrets de famille, avec un rare talent.  

Michela Murgia, Accabadora (Seuil, 2011)

sources: Wikipedia

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Caterina Bonvicini, Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/07/2011

La rentrée littéraire 3/3

Bloc-Notes, 26 juillet / Les Saules

littérature; livres

Contrairement aux années précédentes, les titres littéraires traduits cet automne sont en augmentation de 7.3 %. Une bonne nouvelle. Sachez cependant qu'à l'heure actuelle, un roman sur trois à peine est d'origine étrangère! Très attendus, je vous signale brièvement les nouvelles parutions de Paul Auster, Sunset Park (Actes Sud), Mario Vargas Llhosa, Le rêve du Celte (Gallimard) et Arturo Pérez-Reverte, Cadix ou la diagonale du fou (Seuil). Deux autres écrivains révélés tout récemment feront sans doute le bonheur de leurs fans: Sofi Oksanen - l'auteur de Purge, Prix Femina Etranger 2010 - avec Les vaches de Staline (Stock) et David Vann - l'auteur de Sukkwan Island, Prix Médicis Etranger 2010 - avec Désolations (Gallmeister). 

Pour ma part, de même que pour la littérature d'expression française, quelques curiosités ont retenu mon attention et je vous les partage avec plaisir ci-dessous, avant d'en parler plus longuement sur La scie rêveuse lors de leurs parutions, entre août et octobre 2011.

Traduite pour la première fois dans notre langue, Michela Murgia, avec Accabadora (Seuil) nous entraîne en Sardaigne, dans les années 50. Une vieille couturière, Tzia Bonaria y accueille Maria, d'origine modeste et lui apprend le métier. Cette dernière est intriguée par les absences de Tzia, sa mère adoptive dont le surnom d'Accabadora - la dernière mère - cache un lourd secret bouleversant le coeur de Maria... Un face-à-face fascinant entre ces deux femmes, ainsi qu'une plongée intime dans les coutumes berçant cette histoire avec beaucoup de sobriété et de poésie.

Toujours en Italie, voici un nouveau roman de Alessandro Piperno, Persécution (Liana Levi). L'auteur de Avec les pires intentions raconte le destin de Leo Pontecorvo, un professeur de médecine et père de famille respecté issu de la bourgeoisie juive romaine et qui voit un jour le sol se dérober sous ses pieds en apprenant par le journal télévisé que l'un de ses fils est accusé d'avoir tenté de séduire une gamine de 12 ans. Sérieux et disctret, rien ne l'a préparé à cet événement qui dresse, en filigrane, les frontières ambiguës de la justice. Un texte envoûtant.

Deux autres romans italiens méritent un coup de chapeau: Le lent sourire de Caterina Bonvicini (Gallimard). Il dit la maladie, l'amitié, le parcours nécessaire du deuil unissant Clara la narratrice et Lisa au-delà de la mort, qui survient au sein d'un groupe d'amis trentenaires. Malgré la gravité du sujet, ce livre célèbre la vie, débarassée de ses artifices encombrants ou inutiles. Une heureuse surprise.

Avec Francesco de Filipppo, enfin, L'offense (Métailié/Noir) se situe à Naples, avec en toile de fond un petit jeune de 21 ans, Gennaro, issu des quartiers pauvres de la ville qui découvre, sous ses yeux, les trafics honteux de la drogue, des armes et des êtres humains, dans les entrailles de la camorra qui, un jour, croise sa route... Comment peut-il s'en sortir, tout seul? Un roman noir plein de tendresse et de fureur.

Non sans mentionner Scintillation, le nouveau roman de John Burnside (Métailié) - l'auteur de La maison muette et Les empreintes du diable - je termine ce rapide tour d'horizon avec Dire son nom de Francisco Goldman (Bourgois), écrit en l'honneur de son épouse Aura Estrada, morte en 2007, se brisant la nuque en faisant du bodysurf sur la côte mexicaine. Tenu pour responsable de l'accident, rongé par la culpabilité et le chagrin, Francisco se décide à raconter leur histoire, celle d'une perte insurmontable bien sûr, mais aussi le récit d'un couple plein de charme, drôle et singulier, qui émeut à chaque ligne: un hymne à l'amour et à la vie. L'un des plus beaux textes de cette rentrée littéraire! 

Une rentrée à laquelle je reproche seulement - du bout des lèvres - de n'être pas follement gaie...

image: Caterina Bonvicini

22/07/2011

Loriano Macchiavelli

9782864246671.gifLoriano Macchiavelli, Derrière le paravent (Métailié, 2008)

L'été 1978 est torride à Bologne. Sarti Antonio est chargé de surveiller une exposition de numismatique dans un musée de la ville, il a fait garder les issues en oubliant qu'un vieil aqueduc arrive dans la cour du bâtiment : les trois plus belles pièces sont volées. Sanctionné, le policier est affecté aux rondes de nuit dans le quartier du Pilastro, celui des immigrés récents, tous venus du Sud du pays, de la petite délinquance et de l'impuissance de la loi. Pour lui, l'enfer. Là, il croise le chemin du petit Claudio, futé, vif, élevé par une mère qui plaît beaucoup à notre enquêteur. Peu après, le cadavre de Claudio est découvert une balle dans la tête, sous le seul lampadaire de la rue qui fonctionne. Révolté, Sarti Antonio va s'obstiner à trouver la vérité sous toutes les apparences et, avec son ami le philosophe Rosas, fouiller derrière le paravent des bonnes consciences. Dans un style inimitable, Loriano Macchiavelli suit son personnage, le tarabuste, le malmène, le plaint, l'aime parce qu'il est imparfait et boit autant de café que lui. Et nous, nous l'accompagnons...

Vous n'avez jamais lu Loriano Macchiavelli ? Encore méconnu en traduction française, découvrez-le sans tarder : l’auteur de Bologne ville à vendre et de Les souterrains de Bologne est sans doute le meilleur auteur de romans policiers italiens avec Andrea Camilleri, ce qui n’est pas un compliment exagéré ! Entre les coups bas des pouvoirs en place, une intrigue tortueuse à souhait et un humour désabusé, l’inspecteur Sarti Antonio deviendra vite, pour votre plaisir, un ami privilégié.

21/07/2011

Thomas Eloy Martinez

9782070773091.gifThomas Eloy Martinez, Le chanteur de Tango (Gallimard, 2006)

On dit qu'il ne chante plus que dans quelques cabarets malfamés du port. On dit aussi qu'il est très malade mais qu'il chante parfois dans un vieux bar du centre-ville. Certains affirment qu'ils l'ont entendu chanter dans un square de Palerme, l'ancien quartier italien, et d'autres vont jusqu'à dire qu'il se produit inopinément sur les marchés populaires des faubourgs. Bruno Cadogan regarde perplexe la carte de Buenos Aires et essaie de déceler la logique qui commande les dernières apparitions de Julio Martel. Car ce légendaire chanteur de tango à la voix obscure et envoûtante, l'homme qui n'a jamais voulu enregistrer de disques, est bien plus qu'un mythe urbain. Martel est un artiste accompli qui ne laisse rien au hasard et qui dessine par sa présence - et son absence - une autre carte de la ville, les traits d'une énigme. Volontaire, résolu, le jeune Américain est prêt à tout pour le rencontrer et pour l'entendre chanter ces étranges morceaux dont il est le seul à connaître les paroles et le sens. Mais sa quête va le conduire là où il ne l'attend pas : au cœur même de l'insurrection populaire de 2001 qui fait chuter les présidents les uns après les autres. Bruno Cadogan se trouve ainsi emporté par le tourbillon de l'histoire dans un Buenos Aires rebelle et assoiffé de justice où la voix de Julio Martel est devenue l'un des symboles de l'espoir.

Parti à la recherche de ce mythique chanteur de tango, notre jeune américain découvre Buenos Aires, sa magie, sa littérature, mais aussi sa part d'ombre - le temps des colonels, l’immigration clandestine - avec ses destins rattrapés par l’histoire contemporaine. Une heureuse découverte.

Egalement disponible en coll. Folio (Gallimard, 2007)

02:54 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature sud-américaine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/07/2011

Philippe Fusaro

9782912042897.gifPhilippe Fusaro, Palermo solo (La Fosse aux Ours, 2007)

 

L’Italie se retrouve enfin un grand écrivain … français, libraire et fils d’immigrés ! Il nous conte, dans ce court récit plein de nostalgie, de violence, de poésie aussi, l’histoire du Baron qui a dû quitter sa ville natale de Castelvetrano, parce que la mafia l’a condamné à payer sa dette de sang, au Grand Hôtel de Palerme, à deux pas du port et qu’il ne peut fuir depuis près d’un demi-siècle, sous peine de mort. A 92 ans, au cœur d’une terrible solitude consentie – il est un homme d’honneur – ses souvenirs de jeune homme remontent à la surface, fugaces, silencieux et apaisants. A découvrir.

06:46 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

05/07/2011

Ernesto Sabato

9782020281379.gifErnesto Sabato, Héros et tombes (Coll. Points/Seuil 1996)

  

Alejandra embrase l'esprit, le coeur et le corps de Martin. Elle a pour ancêtres des héros de la révolution et des fous. Il est le fils d'une prostituée et d'un artiste raté. Leur amour sera fulgurant, leur destinée cruelle. A travers eux, c'est toute une vision de l'Argentine et de son histoire qui surgit: sa démesure, ses fantômes et son improbable salut... Paru autrefois sous le titre de Alejandra, ce roman est sans nul doute l’un des plus importants de la littérature argentine et mêle tous les genres : L’histoire d’un amour déchirant et éternel, la quête d’identité d’un pays, la révélation du Mal qui attire et détruit. Sa modernité n’a pas pris une seule ride et sa thématique demeure universelle. Un livre qu’on ne peut abandonner qu’à la dernière page, à regret ! Un de mes livres préférés...   

 

06:14 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature sud-américaine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

30/06/2011

Reconnaissance à Dimitri - par JLK

Vladimir Dimitrijevic, fondateur des éditions L’Age d’Homme, s’est tué sur une route de France

par Jean-Louis Kuffer

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Une figure légendaire de l’édition littéraire européenne vient de disparaître en la personne de Vladimir Dimitrijevic, dont le van commercial est sorti de la route aux abords de Clamecy, dans la soirée du mardi 28 juin, percutant ensuite un autre véhicule et provoquant la mort immédiate du conducteur, seul à bord. Bien connu à Paris et dans les grandes foires du livre, de Francfort à Montréal, le directeur de L’Age d’Homme, âgé de 77 ans, avait fondé sa maison d’édition en 1966 et publié plus de 4000 titres.

Mondialement connu pour son catalogue slave, établi avec la collaboration des professeurs Georges Nivat et Jacques Catteau, L’Age d’Homme avait également redimensionné l’édition romande. À côté de l’intégrale mythique du Journal intime d’Amiel et des Œuvres complètes de Charles-Albert Cingria, réunies par Pierre-Olivier Walzer, de nombreux auteurs contemporains y ont publié leurs ouvrages aux bons soins particuliers de Claude Frochaux. En outre, les collections de cinéma, sous la direction de Freddy Buache, de théâtre, de sciences humaines ou de spiritualité, entre autres domaines, ont souvent fait référence au-delà de nos frontières.

Bien au-delà de l’aire romande, Vladimir Dimitrijevic n’eut de cesse de faire partager sa passion de jeunesse pour un titan de la littérature américaine, Thomas Wolfe. La révélation du bouleversant Vie et destin de Vassili Grossman, arrivée en Suisse sous la forme de microfilms miraculeusement sauvés, est également à son crédit. De la même façon, il alla jusqu’à hypothéquer sa maison de hauts de Lausanne afin de publier les pavés d’Alexandre Zinoviev, des Hauteurs béantes au mémorable Avenir radieux (prix Médicis 1976).

Au nombre des auteurs phares vivants défendus par Dimitri, comme tout le monde l’appelait, figurent en outre Georges Haldas au premier rang des écrivains romands, les Français Vladimir Volkoff ou Pierre Gripari, mais l’originalité de L’Age d’Homme a souvent consisté en découvertes dans les périphéries francophones de la Belgique ou du Québec.

Un personnage à la Simenon

La destinée de Vladimir Dimitrijevic, né en 1934 dans la Yougoslavie de Tito, est elle-même un fabuleux roman. Fils d’un artisan horloger-bijoutier jeté en prison en 1945, comme nombre de commerçants, le jeune Vladimir, fou de littérature et de football, fuira la conscription en 1954 pour débarquer en Suisse sous le faux nom d’un personnage de Simenon. Sous le titre d’Autobiographie d’un barbare, Dimitri a d’ailleurs raconté ses années d’enfance et de jeunesse hautes en couleurs en Macédoine puis à Belgrade, dans une série de propos recueillis par le soussigné : Personne déplacée. Arrivé en Suisse le 4 mars 1954 avec 12 dollars en poche, le jeune déserteur de l’armée du peuple devint libraire à Neuchâtel  puis à Lausanne, chez Payot Bourg où son passage laisse un souvenir marquant.

Un homme de passions

Impatient de combler les vides d’un catalogue selon son cœur, Vladimir Dimitrijevic, avec quelques amis et son épouse Geneviève, fonda L’Age d’Homme en 1966 et ne tarda pas à tisser des liens avec Paris, où il se rendait régulièrement avec Algernon, sa camionnette d’éternel errant dans laquelle il serrait son sac de couchage, par mesure d’économie. Les rapports de Dimitri avec l’argent marquaient d’ailleurs une partie de sa légende, autant que ses positions idéologiques...

Orthodoxe croyant et conservateur, Vladimir Dimitrijevic passa ainsi d’un anticommunisme résolu à un nationalisme serbe qui le rapprocha, dès la fin des années 1980, de ceux-là même qui avaient persécuté son père. Devenu l’éditeur des grands romans serbes historico-politiques de Dobritsa Tchossitch, futur président de la Serbie, en relation directe avec Slobodan Milosevic et même Radovan Karadzic, dont il publia les écrits, Dimitrijevic, et son lieutenant Slobodan Despot, animèrent un Institut serbe à vocation de propagande (ou de contre-propagande, selon leur dire) qui entacha durablement la réputation de L’Age d’Homme. Cela étant, l’héritage de cet éditeur sans pareil ne saurait se réduire à de tels choix, si discutables qu’ils aient pu être. 

Un être lumineux et complexe 

La somme des instants où l’on sent les choses devenir sans poids et de la vie émaner un parfum constitue pour moi la preuve de la communion avec Dieu, nous disait Dimitri en 1986, lors de conversations dont il nous reste l’aura d’une présence sans pareille.

Dimitri était un homme inspiré, proprement génial par moments, qui pouvait se montrer d’une extrême délicatesse de sentiments. Ses intuitions de lecteur étaient incomparables et ses curiosités inépuisables. Mais c’était aussi un barbare, selon sa propre expression, qui ne savait pas faire le beau.

Malgré les services exceptionnels qu’il rendit à notre littérature et à notre vie culturelle, aucune reconnaissance publique ne lui a été manifestée. Or il ne s’en plaignait pas, n’ayant rien fait pour flatter. L’opprobre s’accentuant après ses prises de positions de patriote serbe, il sembla même s’en accommoder.

En son antre du Métropole, à Lausanne, nous l’avons connu irradiant et fraternel, puis il s’est assombri. Les lendemains de la guerre en ex-Yougoslavie, la difficulté de survivre dans cet empire du simulacre qu’il fut des premiers à stigmatiser, la perte de l’être lumineux qui avait partagé tant d’années, l’obligation récente de quitter sa tanière tapissée d’icônes, le poids du monde, enfin, ont accentué la part d’ombre de cette personnalité à la Dostoïevski. Une personnalité complexe et parfois insaisissable, croyant jusqu’au fanatisme, tantôt avenant et tantôt impossible, terroriste ou bouleversant de douceur retrouvée.

Un jour que Bernard Pivot, l’accueillant à Apostrophes, lui demandait ce qu’il espérait voir par-delà la mort, Dimitri le mystique lui répondit, devant le public médusé: la face de Dieu.

«Ses» milliers de livres, sur nos murs, en sont comme le reflet, par-delà les eaux sombres de sa mort tragique.

Claude Frochaux
Écrivain et éditeur à L’Age d’Homme

Je connaissais Dimitri depuis cinquante ans. J’ai travaillé à ses côtés trente ans durant, de 1968 à 2001. Notre rencontre, fulgurante, fut celle de deux libraires. Mais immédiatement, nous avons pensé édition. Ensuite, avec son immense personnalité un brin écrasante, il a imposé une vision large qui manquait chez nous. Elle était fondée sur son amour de la littérature. Ce fut un passeur d’exception. Il m’a ouvert au monde. Son rayonnement dépasse de loin nos frontières.

Freddy Buache
Fondateur de la cinémathèque suisse et directeur de collection

Je suis triste à en crever. C’est le seul type au monde pour lequel, sans partager toutes ses idées, j’aurais pu faire n’importe quoi! La mort de Dimitri me frappe au cœur. Pas à cause de ses qualités intellectuelles ou de son talent d’éditeur, insurpassable. Mais il avait des intuitions et des observations qui relevaient de l’ordre de la sensation et de la perception du monde. Tout cela faisait qu’il ne ressemblait à nul autre, ici et maintenant. 

Patrick Besson
Écrivain

Sa mort me cause une grande peine. C’est un des très grands éditeurs européens. L’équivalent slave de Maurice Nadeau. Il a connu deux positions successives et opposées. Après avoir été le chouchou des anticommunistes lorsqu’il publiait des dissidents, il est devenu un paria pour ses positions proserbes pendant la guerre civile yougoslave. Ce dont je veux me souvenir, c’est d’abord qu’il fut un ami, un très grand lecteur et un extraordinaire éditeur. 

Pascal Bacqué
Poète, auteur de L'Age d'Homme

Qu’on me pardonne d’avance : j’ai envie d’écrire ce petit mot comme pour conjurer, pour retenir les commentaires qui ne tarderont pas de tourner leur ronde de nuit autour de la dépouille de Vladimir Dimitrijevic. Dimitri, que je connais depuis quelques années, était mon éditeur ; ce mot, comme tous les mots, est saisi dans la signification qu’on lui donne dans la tribu, où elle n’est jamais très pure, vous savez bien. Editeur, aujourd’hui, cela veut dire : il faut un peu retravailler votre écriture; vous allez bien, en ce moment ? Quand on en est là, on est au sommet. Sinon, cela veut dire : Il faut penser à la demande du public, vous comprenez ?

Editeur, aujourd’hui, est un autre mot pour normalisateur, équarisseur, marchand de soupe et non-lecteur.

Tout le monde savait, chez les éditeurs, que Dimitri lisait mieux que l’immense majorité de ses confrères ; tout le monde savait que, dans son esprit, les livres signifiaient quelque chose qui n’était pas l’objet fétiche de quelques précieuses germanopratines, ni le tube de dentifrice de la civilisation en mal d’écroulement. Dimitri, hanté par l’écroulement, désespéré par le crime commis, toujours davantage, contre l’humain, regardait les livres avec un cœur et un esprit brûlant – peu d’écrivains méritent, il faut bien le dire, qu’on les prenne avec autant de sérieux que celui qu’il accordait à leur livre.

On ne manquera pas, aujourd’hui, dans les colonnes de Libération, du Monde et de toutes les grandes institutions majoritaires, c’est-à-dire, très exactement, du camp adverse de Dimitri qui était profondément minoritaire, de saluer le très grand éditeur, tout en soulignant l’engagement serbe, et, partant, le caractère sulfureux du grand homme. De cette histoire serbe, je vais parler après. Mais quant au concert de louanges, il ne faut jamais oublier que nous vivons en Egypte, je parle de l’Egypte ancienne. Nous vivons dans la civilisation de la mort. Un homme existe s’il est mort, dans la culture, dans celle qu’on conserve pieusement, puisque celle qui vit, on a déjà réussi à la dématérialiser, à la ramener à son concept; Dimitri, donc, a désormais de fortes chances d’exister dans la culture.

Cet homme, avec qui j’ai parlé en juif quand il parlait, absolument parlant, en chrétien - cet homme qui a eu le courage de publier mon poème furieusement antichrétien, cela tout de même en dit long sur la largeur de vue du bonhomme -  ne regardait qu’une chose, nos conversations étaient faites de cela : faut-il encore espérer, quand on veut coûte que coûte assurer le triomphe de la foule, d’une foule qui préfère se noyer dans son angoisse d’être foule, de n’être rien, d’être morte, plutôt que d’affronter la terreur de vivre ?

Dimitri, je crois bien, répondait non. Je crois que Dimitri désespérait. Dimitri était vieux, Dimitri avait perdu son épouse ; Dimitri avait subi l’ostracisme de tous les médiocres, qui le jalousaient, en France et en Suisse, et qui trouvaient dans ses maladresses serbes l’occasion du coup de grâce. La maladresse serbe de Dimitri, c’était celle qu’on rêvait d’un criminel, d’un Milosevic, alors que c’était celle d’un homme, traumatisé par le Nazisme et par le Communisme, et qui voyait dans son pays, la Serbie, un rempart contre l’empire – dans l’histoire plus ancienne, Serbe signifiait non austro-hongrois ; plus tard, pendant la guerre, Serbe avait signifié non-croate, et non-bosniaque ; et il faut dire que croate et bosniaque avait signifié, infiniment plus que le signifiant serbe, barbare et criminel, massacreur de juifs, pour parler franc. Bref, Dimitri se disait que la Serbie était un rempart pour sa foi, pour son désir d’humain. Il se trompait, Dimitri ? Ptêt ben qu’oui ; et, s’il y a encore des happy few, eux sauront compléter : et alors ?

Il y avait aussi de vilains fachos, ou cyniques, qui avaient tourné autour de lui ? Vous savez quoi : je m’en contrefous. Les médiocres, même vilains fachos et cyniques, ont pour métier de tourner autour de ceux qui vivent ; c’est leur substance, c’est leur définition.  Donc que Dimitri, qui fut serbe au nom de ce qu’il voyait de plus beau dans ce mot, de plus haut dans son propre Christianisme, qu’il fût pris au piège du nationalisme laid d’autres serbes, cela est bien possible. Si un grand comme Hölderlin a chanté la Germanie, et s’il a fini dans les paquetages des SS, faut-il en conclure, avec cette distance si confortable que vous offre la doxa, à sa très-grande faute ?

C’est beaucoup plus simple : Dimitri prenait la vie au sérieux, et c’est parce qu’il prenait la vie au sérieux, et qu’il n’y a de sérieux que dans l’esprit, qu’il prenait la littérature très au sérieux. Il n’était un de ces affreux prêtres de Pharaon, experts en sortilèges, experts en culture, qui a dégénéré, aujourd’hui, en tendance. Dimitri était sérieux devant son assiette, devant ses cartons de livres qu’il trimbalait de Lausanne à Clamecy et à Paris, et qui auront eu raison de lui. Dimitri était sérieux devant la beauté des mots et des phrases. Amis journalistes, vous qui avez vécu l’outrage, vous qu’on a formés pour ne jamais prendre au sérieux les mots et les phrases, si jamais vous écoutiez ces propos d’un anonyme prononcés dans le désert, cela ne mériterait-il pas que vous vous absteniez, un bref instant, de jacasser ?

Il n’est qu’une tâche, pour ceux qui ont aimé et compris un peu Dimitri, et pour ceux qui admirent son travail : de le contredire, dans son désespoir, et de le confirmer, dans son travail. Non, Dimitri, jamais il n’est lieu de désespérer, et vous, qui n’avez jamais cessé de travailler pour l’esprit, vous devez savoir que vous n’avez pas agi en vain, et que la vie de l’esprit, même offensée, même traînée dans la boue du lieu commun, de la culture et de la complaisance, se continue, obscure et petite, à l’âge des empires d’argent, et des foules assombries par leur propre défaite ; et parce qu’il n’y a que l’esprit qui soit immortel, c’est l’esprit qui triomphera ; non, Dimitri, vous n’avez pas travaillé en vain ; vous fîtes erreur, comme tout homme, mais comme les rares hommes vivants, vous avez donné à votre erreur la forme d’une demande, furieuse, brûlante, de vie, et qui demande la vie est toujours exaucé.

 Vladimir Dimitrijevic. Personne déplacée (coll. Poche Suisse/L’Age d’Homme, 2010)

article paru dans les quotidiens suisses La Tribune de Genève et 24 Heures

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