Mahmoud Darwich 1b (12/05/2011)
Tu portes le fardeau du papillon
Tu diras: Non.Tu déchireras les mots et le fleuve indolent,tu annonceras les mauvais jourset disparaîtras sous les ombrages.Non au théâtre du verbe.Non aux limites de ce rêve.Non à l'impossible. Tu viens dans des villes et tu repars.Tu donnes à l'ombre le nom des villages.Tu mets en garde les pauvrescontre la parole de l'écho et des prophètes.Tu pars... parset le poème se tient derrière cette mer,derrière le passé.Tu expliques une obsession,viennent alors les gardiens du vide, impuissants,tombés de la rhétorique et des tambours. Pour ton chant, le ciel de l'eau s'est brisé.Un bûcheron, une amanteet le matin s'ouvre sur le lieu.Les mots perpétuent un oublimarié à mille massacres.La mort vient, blanche.Les pluies tombent.Revolver et victime se précisent. Les martyrs viendront à toides murs de ta dernière parole.Ils se poseront sur toi, diadème de sanget continueront à planterles pommiers hors de tes souvenirs.Tu en seras fatigué... fatigué.Tu les chasseras, mais ils ne partiront pas.Tu les insulteras, mais ils ne partiront pas.Ils occupent ces temps.Tu fuiras leur bonheur vers un temps qui va par les rues et les saisons. Les pauvres viendront à toi.Tu n'as pas de pain,pas d'invocation qui sauve le blé menacé de sécheresse.Tu dis quelques mots sur la colèrequi a marié les épis aux glaives.Quelques mots sur le fleuve cachédans les capes des femmes venues de l'automne.Ils rient et s'en vont,laissant la porte ouverte à la perplexité des champs. Pour ton chant, les yeux des amantes se sont agrandis.Oui, tu nommes les mèches de blé, patrie;la bleuité de la mer, patrie.Oui, tu nommes la terre, dame d'oubliet tu t'endors, seul,entre l'odeur des ombrages et ton coeur disparusur le long chemin. Une étudiante dira: A quoi sert le poème?Le poème extrait fleurs et poudre de deux motsquand les ouvriers ploient sous fleurs et poudredans deux guerres.A quoi sert le poème au midi sous les ombrages?Tu te trompes quand tu dis:Les palmiers sont proches de ma vision des choses.Les palmiers se brisent. Pour ton chant, se sont répandusles espaces blancs et la ruse du bourreau.Tu viens comme le suicide,ils réclament alors de la tristesse pour s'en vêtir.Tu viens comme la déflagration,ils réclament alors des fleurs,pour tracer les cartes.Tu viendras quand tu partiras,puis viendras quand partiraset l'arrivée ne viendra pas. Tu seras un aigle de fournaiseet les pays, ton espace bleu marine.Tu demanderas: T'ai-je nui, ô mon peuple?Les flancs des montagnes se briserontsur l'aile de l'aigle.L'aile se consume à la vapeur de la terre.Tu t'élèves, te poses,t'élèves encore pour entrer dans les torrents. Tu passes, célébration,par tous les commencements:T'ai-je nui, ô mon temps?Tu chantes le vert étendu entre deux mains desséchées.Tu entres dans une rose et tu cries:Qu'est cette cohue?Tu vois du sang et tu cries:Qui a assassiné le guide? Tu mourras seul.Les mers t'abandonneront sur leurs rivages,solitaire comme les galets.Les bibliothèques, les dames, les chansons,les rues des villes, les trains, les aéroportste fuiront.Les pays s'enfuiront de ta mainqui a créé des terres pour le roucoulement. Tu mourras seul.Les volcans t'abandonnerontqui obéissaient à ton hennissement ensanglanté.Le désir t'abandonneraet la joie qui te jetait aux poissons,les interrogations,la connivence entre chanson et geôlier,le hennissement t'abandonnera. On enterrera les parfums après toi.On décernera ton joug aux roses.On condamnera à mort la rose abandonnée.On mettra le feu aux mots après toi.On volera l'eau aux herbes de ta peau.On te chassera des mouchoirs de la Galilée. Et tu dis: Non.Non, aux limites du rêve.Non, à l'impossible.Mahmoud Darwich, Nous choisirons Sophocle et autres poèmes (Actes Sud, 2011)
00:04 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |