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15/11/2013

Les pièces de Shakespeare 10a

Henry V

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Avec une certaine ironie, le public français considère souvent Henry V - comme on a pu le lire voici quelques années dans les colonnes de Libération - l'une des pièces les moins palpitantes de Shakespeare! Il n'est pas étonnant non plus qu'au Royaume-Uni, elle demeure l'une des plus populaires: et pour cause...

En effet, si Henry V nous raconte la vie de ce roi dont le règne n'aura duré que neuf ans, l'histoire a retenu qu'après le règne agité de son père, Henry IV, il a incarné - en quelques traits de sa personnalité - la vertu, la droiture, la sincérité, la foi. Mais ces dispositions ne pèseraient pas lourd sans la puissance étendue de l'Angleterre sous son ère, dont le point déterminant se situe lors de la célèbre Bataille d'Azincourt, où, avec 6'000 hommes à peine, il inflige l'une des plus cinglantes défaites au Royaume de France, malgré ses 18'000 combattants. A Hardricourt - alors que la progression de l'armée anglaise a vu tomber Rouen et marche sur Paris - Henry V demande la main de Catherine de Valois, fille du roi Charles VI, héritant du même coup de l'Aquitaine et de la Normandie. Reconnu par le Traité de Troyes comme héritier et régent de France, tous les états d'Europe sont désormais sous son influence, mais son ascension fulgurante est interrompue à Vincennes, en 1422, où il meurt d'une dysenterie à l'âge de 35 ans: jeune donc, comme Alexandre le Grand...

La pièce de Shakespeare s'attache en priorité à faire revivre sous nos yeux un homme d'état - un vrai - pour lequel il éprouve une authentique admiration. Redoutable diplomate, fin stratège militaire, habile en paroles et doté d'un charisme politique exceptionnel, il se révèle aussi manipulateur, refoulant au fond de lui-même ses doutes, les incertitudes de l'histoire, notamment avant la Bataille d'Azincourt où il prononce devant ses troupes un discours célèbre entre tous - voir l'annexe 1b - dont la détermination affichée n'est peut-être pas le reflet de son intime conviction. Mais qu'importe, puisque seul le résultat compte et que les soldats lui emboîtent le pas et se reconnaissent en lui!

Shakespeare s'est sans doute laissé emporter par sa vénération pour un roi personnifiant l'unité de la Nation, le courage et la domination de l'Angleterre, à travers ses caricatures et moqueries envers la France, plongée alors dans un chaos indescriptible. Bien des critiques littéraires anglo-saxons - dont Harold Bloom - soulignent non sans humour, que Henri V est un homme qu'on admire certainement, auquel on ne peut résister en raison de sa force de persuasion; mais l'aimer? Rien n'est moins sûr, car sa sécheresse de coeur - le prix payé pour sa réussite et ses victoires -, son insolence typiquement britannique ou son autoritarisme n'abondent pas dans ce sens.   

Mais l'histoire effacera ces ombres singulières pour retenir ces mots: Faites-nous jurer que vous valez autant que vos origines, ce dont je ne doute pas, puisqu'à aucun de vous, si modeste qu'il soit ne manque dans les yeux l'éclat de la noblesse... 

Et comme on voudrait aujourd'hui que nos politiques sachent parler ainsi... 

William Shakespeare, Henry V (coll. Folio Théâtre/Gallimard, 1999)

traduit de l'anglais par Jean-Michel Déprats

Harold Bloom, Shakespeare - The Invention of the Human (Fourth Estate, 1998)

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

11/08/2013

Les pièces de Shakespeare 9b

La tempête

En 1980, la BBC a réalisé sous la direction de John Gorrie, une superbe adaptation de La tempête, avec Michael Hordern, Warren Clarke, Pipa Guard et l'ensemble de la Royal Shakespeare Company. En voici l'épilogue, précédé du texte français et suivi du texte original en anglais, dont l'harmonie est sans équivalent.

Maintenant, mes charmes sont abolis.
A mon chétif pouvoir je suis réduit.
Maintenant c'est à vous de décider
Si je reste ici confiné
Ou si je suis à Naples renvoyé.
Mais puisque j'ai mon duché reconquis
En pardonnant à qui me l'avait pris,
Ne me laissez pas sur ce rocher nu,
Par votre pouvoir retenu,
Mais libérez-moi de mes liens
A l'aide de vos bonnes mains.
Que le souffle de bienveillants murmures
Vienne souffler dans la mâture,
Gonflant ma voile, car, sinon,
J'aurai manqué mon but: vous plaire.
Je n'ai plus d'esprits pour règner
Ni de magie pour enchanter.
Faut-il donc que je désespère?
Non, si m'assiste la prière
Qui du Ciel force la Merci
Et toutes les fautes délie.
Vous voudriez être pardonnés pour vos offenses?
Moi de même.
Ainsi donc, que me délie votre indulgence.
 

 
Now my charms are all overthrown, 
And what strength I have's mine own, 
Which is most faint: now, 'tis true, 
I must be here confined by you, 
Or sent to Naples. Let me not, 
Since I have my dukedom got 
And pardon'd the deceiver, dwell 
In this bare island by your spell; 
But release me from my bands
With the help of your good hands: 
Gentle breath of yours my sails 
Must fill, or else my project fails, 
Which was to please. Now I want 
Spirits to enforce, art to enchant, 
And my ending is despair, 
Unless I be relieved by prayer, 
Which pierces so that it assaults 
Mercy itself and frees all faults. 
As you from crimes would pardon'd be,
Let your indulgence set me free.
 

La tempête, traduit par Jean-Louis Curtis (coll. Papiers/Actes Sud, 1986)

00:24 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Les pièces de Shakespeare 9a

La tempête

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S'il me fallait emporter sur une île déserte une seule pièce du grand William Shakespeare, je crois bien que je choisirais La tempête, malgré mon admiration pour Comme il vous plaira, Le songe d'une nuit d'été et Un conte d'hiver, entre autres chefs-d'oeuvre.

On y retrouve en effet tous les thèmes chers à son auteur, mais jugez plutôt: Prospero, le duc de Milan, après avoir été déchu et exilé par son frère, se retrouve avec sa fille Miranda sur une île déserte. Grâce à la magie que lui confèrent ses livres, il maîtrise les éléments naturels et les esprits; notamment Ariel, esprit de l'air et de la joie de vivre ainsi que Caliban, être sombre et instinctif symbolisant la terre, la violence et la mort. Le premier acte s'ouvre sur le naufrage - orchestré par Prospero et executé par Ariel - d'un navire portant le roi de Naples, son fils Ferdinand ainsi que le frère parjure de Prospero, Antonio. Usant de ses pouvoirs surnaturels, Prospero fait subir aux trois personnages échoués sur l'île diverses épreuves destinées à les punir de leur trahison, mais qui contiennent aussi, peut-être, un caractère salvateur. Au dernier acte, Prospero se réconcilie avec son frère et le roi, marie sa fille avec Ferdinand, libère Ariel et Caliban puis renonce à la magie pour retrouver son duché.

Critique de la société, de la démocratie et du pouvoir - comme dans Coriolan, Jules César, Richard III ou Henry VI - l'humour, la fantaisie et la féérie occupent néanmoins dans La tempête une place prépondérante, au fil de cette plongée au coeur des méandres de la nature humaine: avec Prospero qui dans son exil amer, médite sur la vieillesse et la mort, mais dans sa solitude, aspire de même à la paix du coeur, la justice et la compassion; avec Ariel au service de Prospero, de nature joyeuse et amoureux des arts, sensible au malheur des hommes; avec Miranda, incarnant l'amour véritable dans toute sa simplicité, sa fraîcheur, sa sincérité envers son père, mais aussi de Ferdinand qui nous réserve une des plus belles scènes d'amour, aux côtes de celles de Roméo et Juliette et Un conte d'hiver.

Le portrait de Caliban est plus complexe: souvent décrit comme un monstre, un médiocre dépourvu de sens moral, il symbolise l'insoumission, la félonie, la sauvagerie, le désir irréfléchi. Oui, sans doute, et pourtant, n'est-il pas le personnage le plus émouvant - le plus humain - de cette pièce, incarnant à lui seul un monde privé de grâce, voué au désespoir, et dont Prospero croit que le destin n'est pas définitivement tracé, s'il est traversé d'affection et d'une patiente éducation capable de l'enrichir de valeurs qui lui sont inconnues?  

En Angleterre, cette oeuvre n'est pas assimilée à une comédie - terme souvent galvaudé chez nous - mais à une romance pastorale. A la différence de Un conte d'hiver qui aboutit aussi au pardon et à la réconciliation, cette pièce est celle de l'apprentissage et de la sagesse dans laquelle tous les questionnements - comme au sein d'une prison sans barreaux - aboutissent au triomphe de l'amour en dissolvant les rancoeurs, les haines, les illusions, devant la précarité de la vie qui prend ses distances.

Pour terminer, sachez que c'est dans La tempête qu'on trouve ce célèbre extrait: Nous sommes de la même étoffe que nos songes et notre infime vie est cernée de sommeil...

En annexe, vous pouvez découvrir - en version bilingue - l'éblouissant épilogue de Prospero...  

La tempête, traduit par Jean-Louis Curtis (coll. Papiers/Actes Sud, 1986)

00:15 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

07/01/2013

Les pièces de Shakespeare 8b

Roméo et Juliette


17:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Les pièces de Shakespeare 8a

Roméo et Juliette

littérature; théâtre; livres

Dans l'oeuvre de William Shakespeare, la pièce de théâtre Roméo et Juliette - écrite au début de sa carrière - demeure certainement la plus populaire entre toutes.

L'action se passe à Vérone et met en scène deux grandes familles ennemies, les Montagu et les Capulet. A un bal masqué donné par les Capulet, Roméo - un Montagu - tombe follement amoureux de Juliette, une Capulet promise en mariage au comte Paris, un jeune noble. Il la retrouve à la nuit tombée, sous son balcon, pour lui déclarer son amour. Eperdument amoureux, ils demandent le lendemain au frère Laurent de les marier. Mais leur bonheur sera bref. Tybalt, cousin de Juliette, provoque Roméo en duel, qui refuse. Mercutio, le confident et ami de Roméo, courageux, intelligent, et doué pour la poésie, accepte de le remplacer. Il se bat donc contre Tybalt et meurt. Roméo veut venger la mort de son ami. Il provoque à son tour Tybalt en duel et le tue. Roméo est alors banni de la ville. Le père de Juliette oblige sa fille à épouser le comte Paris. Le mariage doit avoir lieu le lendemain. Juliette s'y refuse et court chez le frère Laurent qui lui remet une potion pouvant lui donner l'apparence de la mort pendant quarante heures. Le frère promet d'avertir Roméo de l'astuce. Mais Roméo ne reçoit pas le message à temps et, croyant Juliette morte, décide d'aller la rejoindre pour l'éternité. Il se rend sur la tombe de Juliette et y rencontre Paris. Un duel a lieu entre les deux jeunes hommes et Paris, mourant, demande à Roméo de l'amener près de Juliette. Celui-ci accepte. Roméo embrasse Juliette avant de boire du poison et de mourir à son tour. À son réveil, Juliette découvre Roméo mort près d'elle. Ne pouvant imaginer la vie sans lui, elle se poignarde et meurt à ses côtés.

Pourquoi ce drame de la passion connaît-il aujourd'hui encore un si vif succès? Aimons-nous tout particulièrement, dans nos humeurs mélancoliques, les histoires d'amour qui finissent mal? Oubien derrière cette querelle de familles rivales entre Capulet et Montagu, y lisons-nous les conséquences inévitables du pouvoir aveugle, exercé sans mesure, et qui en d'autres temps, dans un autre contexte, aurait emprunté les masques obscurs de la religion ou de la politique avec autant de véracité pour fracasser ce qu'il se peut trouver de noble et de précieux sur terre?

Sans doute un peu de tout cela mais, une fois n'est pas coutume, Shakespeare n'a semble-t-il pas cherché autre chose que de projeter sur la scène l'image d'un amour pur, sincère et absolu, qui n'est pas le fruit d'intrigues de cour et qui, jusqu'à sa fin tragique, ne se laisse ni corrompre, ni décourager:

Beauté trop précieuse pour la possession,
trop exquise pour la terre!
Telle la colombe de neige dans une troupe de corneilles,
telle apparaît cette jeune dame au milieu de ses compagnes.
Cette danse finie, j'épierai la place où elle se tient,
et je donnerai à ma main grossière le bonheur de toucher la sienne.
Mon coeur a-t-il aimé jusqu'ici?
Non ; jurez-le, mes yeux!
Car jusqu'à ce soir, je n'avais pas vu la vraie beauté. 

Même la mort n'altère la beauté de leurs sentiments. Ce n'est pas du coeur - propre aux malentendus, aux enchantements imaginaires ou à l'ignorance - que naît le drame de Roméo et Juliette, mais de la seule malveillance - voire la haine - des hommes: un thème cher à son auteur et qu'on retrouve par la suite dans nombreuses de ses pièces, avec davantage d'ironie, de noirceur ou d'amertume.

Si Roméo et Juliette a inspiré maints écrivains, on peut être surpris d'apprendre que la musique n'en est pas le parent pauvre. Ainsi, Charles Gounod et Vincenzo Bellini pour l'opéra; Hector Berlioz, Piotr Ilitch Tchaïkovski et Serge Prokofiev dans leurs oeuvres orchestrales; sans oublier, plus récemment, Leonard Bernstein et son célèbre West Side Story...

traduit par Olivier Py (coll. Papiers/Actes Sud, 2011)

16:54 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

29/07/2012

Au bar à Jules - De Ondine

Un abécédaire: O comme Ondine

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On ne lit plus guère Jean Giraudoux, et on a bien tort. Ondine par exemple: une pièce de théâtre inspirée par le conte du romantique allemand Frédéric de La Motte-Fouqué. Il y raconte l'histoire d'une nymphe qui veut s'incarner, non pour trouver dans le monde un univers plus vaste que le sien, mais celui de l'amour apparu sous les traits de Hans, un chevalier errant. En son nom, elle veut prêter vie au sentiment le plus noble, le plus parfait, le plus bouleversant: Le seul homme digne d'être aimé est celui qui ressemble à tous les hommes, qui a la parole, les traits de tous les hommes, qu'on ne distingue des autres que par des défauts ou des maladresses en plus. (...) prélude à un feu intérieur qui, jusqu'alors, lui était inconnu: Depuis que je t'aime, ma solitude commence à deux pas de toi.

Mais dans sa transgression, Ondine à la fois légère et déterminée, sera confrontée à ce qui lui était étranger dans son milieu naturel: le mensonge, l'infidélité, la trahison et la douleur d'un rêve inaccessible qui ne peut fleurir que dans l'imperfection qu'imposent la fragilité et la complexité des sentiments humains : C'est tout petit dans l'univers, le milieu où l'on s'oublie, où l'on change d'avis, où l'on pardonne, l'humanité comme vous dites... Chez nous, c'est comme chez le fauve, comme chez les feuilles du frêne, comme chez les chenilles, il n'y a ni renoncement, ni pardon. A ses dépens, Ondine apprendra que les passions les plus exceptionnelles sont aussi les plus vulnérables.

Elle l'exprimera avec mélancolie et force dans un pathétique aveu, lot de bien des amours de tous les âges: Nous sommes chez les humains. Que je sois malheureuse ne prouve pas que je ne suis pas heureuse. Et plus loin: Les bras des hommes leur servent surtout à se dégager.

Ces mots qui ne subissent en rien la flétrissure du temps sont là pour nous dire à voix basse que la recherche de l'absolu - là où il n'a pas cours - ne peut conduire qu'à la désillusion et qu'il importe peut-être de vivre le moment présent - éphémère autant qu'inexplicable - comme un bonheur inespéré quand il se trouve, là et maintenant, sans l'enfermer dans nos vertiges imaginaires qui savent avec tant de conviction l'évincer du réel...    

Jean Giraudoux, Ondine (coll. Livre de poche/LGF, 2000)

image:  Fanny  Cerrito, Pas de l'ombre / Anonyme - Ondine (Illustrated London News, 1843)

16:21 Écrit par Claude Amstutz dans Au bar à Jules - Un abécédaire 2012, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

10/03/2012

Les pièces de Shakespeare - 7a

Peines d'amour perdues

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Cette pièce de théâtre, écrite probablement vers 1596 - l'époque de Songe d'une nuit d'été et de Roméo et Juliette - s'inscrit dans le cycle des comédies de Shakespeare, ou des romances dans la classification anglaise.

De quoi s'agit-il ici? De Ferdinand, roi de Navarre, ainsi que de ses trois compagnons: Biron, Longueville et Dumaine. Ensemble, ils font serment de se consacrer à l'étude et de renoncer à la frivolité, aux excès, aux plaisirs, et de redonner ainsi à la cour son sérieux, son intelligence, sa noblesse. Cette promesse - bien entendu - inclut le renoncement à toute conquête féminine... Ainsi, ils seront mis à très rude épreuve lorsqu'arrivent parmi eux la reine de France accompagnée de ses dames de compagnie: Rosalinde, Marie, et Catherine. Leurs coeurs vont s'enflammer comme fétus de paille, et les voici éperdument amoureux. Oubliés leurs engagements? Le destin - une fois encore - vient mettre un peu d'ordre dans cette comédie libertine: la princesse, apprenant la mort de son père, rejoint ses terres de France avec ses suivantes, non sans que toutes ensemble promettent à leurs galants, un an plus tard - le temps du deuil familial - un rendez-vous qu'on suppose prometteur pour ces jeunes gens, à la seule condition que, pendant leur absence, ils se consacrent à des oeuvres charitables afin d'effacer le parjure et leur prouver par ce sacrifice, la sincérité de leurs sentiments.

Injustement considérée comme une pièce mineure de Shakespeare, c'est pourtant l'une des seules qui soit tout à fait originale, c'est-à-dire non inspirée de textes antérieurs. D'autre part, pour qui ne maîtrise pas la langue anglaise classique, c'est l'une des oeuvres les plus ardues à lire, avec ses jeux de mots, son mélange d'érudition et de moquerie, de tendresse et d'insouciance, de prétention et d'ingénuité. Probablement un cauchemar pour les traducteurs!

Une romance vraiment, Peine d'amour perdues? Sans aucun doute, mais comme toujours avec cet auteur, sous les rires, les caricatures et la pétulence de la jeunesse, on peut y lire la précarité des voeux, la trahison des promesses, les vélléités de l'ascétisme et le passage difficile de la séduction à la preuve de l'amour. Pourtant, Peine d'amour perdues demeure une comédie pleine de charme qu'il vaut la peine de découvrir.

On y retrouve aussi l'un des plus beaux poèmes de Shakespeare: Si l'amour m'a rendu parjure, comment pourrai-je faire serment d'aimer? Ah! il n'est de serments constants que ceux qui sont faits à la beauté; quoique parjure à moi-même, je n'en serai pas moins fidèle à toi. Ces pensées, qui étaient pour moi comme des chênes, s'inclinent devant toi comme des roseaux. L'étude abandonne ses livres pour ne lire que dans tes yeux où brillent tous les plaisirs que l'art peut comprendre. Si la science est le but de l'étude, te connaître suffit pour l'atteindre. Savante est la langue qui peut bien te louer. Ignorante est l'âme qui te voit sans surprise... (Acte IV, Scène II)

On voudrait avoir écrit ces vers...

traduit par Pierre Messiaen (Comédies - Desclée de Brouwer, 1961)

02:42 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

06/01/2012

Morceaux choisis - Thomas Bernhard

Thomas Bernhard

littérature; théâtre; livres

Si une fois seulement, rien qu'une seule fois
on réussissait à jouer jusqu'au bout
le quintette La Truite une seule fois
une musique parfaite...
 
Pendant ces vingt-deux années
on n'a pas réussi une seule fois à jouer jusqu'au bout
le quintette La Truitesans faute
je ne dis même pas comme une oeuvre d'art
Il y a toujours quelqu'un qui détruit tout
par une inattention ou une vulgarité...
 
Un jour c'est le violon
un jour c'est l'alto
un jour c'est la contrebasse
un jour c'est le piano
Puis de nouveau c'est moi qui attrape ces sacrés maux de reins
je me tords de douleur
figurez-vous et le morceau tombe en miettes
Si j'obtiens du clown qu'il maîtrise son instrument
le dompteur perd la tête sur le piano
ou ma petite-fille qui tout de même tient l'alto depuis déjà dix ans
s'enfonce comme mardi dernier une écharde
Avec un visage grimaçant de douleur
on ne peut pas jouer Schubert encore moins le quintette La Truite
Je ne pouvais pas savoir que servir la musique est chose si difficile...
 
Et tout seul il m'est impossible de jouer le quintette
C'est un quintette...
 
Ne vous fiez pas à l'hyprocrisie du clown
il hait la contrebasse
Ma petite-fille n'aime pas non plus l'alto
admettez-le vous-même
vous ne tenez qu'avec répugnance le violon
Tout n'est que répugnance
tout ce qui arrive répugne à arriver
La vie l'existence répugnant...
 
La vérité estque je n'aime pas le violoncelle
C'est une torture mais il faut en jouer
ma petite-fille n'aime pas l'alto mais il faut en jouer
le clown n'aime pas la contrebasse mais il faut en jouer
le dompteur n'aime pas le piano mais il faut en jouer
Nous ne voulons pas de la vie mais il faut la vivre...
Nous haïssons le quintette La Truite mais il faut le jouer.

Thomas Bernhard, La force de l'habitude (Arche, 1983)

image: Florence Iazzetta - Art Studio 

09:45 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/06/2011

Les pièces de Shakespeare - 6b

Le conte d'hiver



23:36 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Les pièces de Shakespeare - 6a

Le conte d'hiver

littérature; théâtre; livres 

Léonte, roi de Sicile et Prolixène, roi de bohème ont été élevés ensemble, comme deux frères, mais, alors que Prolixène se rend en Sicile, Léonte est pris d'une folie passionnelle et souterraine qui prend les allures d'une jalousie aussi ténébreuse que dévastatrice. Elle envahit tout au point qu'en son pouvoir de roi, débordé par ses sentiments personnels, il en oublie ses devoirs et se mue en tyran. Il soupçonne ainsi son épouse Hermione de nourrir une relation adultère avec son ami d'enfance et de porter dans son ventre l'enfant de cette trahison. Il fait donc mettre Hermione sous les verrous après l'avoir publiquement humiliée, tente d'empoisonner Prolixène sans y parvenir. Ce dernier, grâce à Camillo, loyal serviteur de Léonte - qui n'admet pas l'injustice dont fait preuve son maître - parvient à s'enfuir. En prison, Hermione accouche d'une fille, Perdita. Abandonnée sur un lointain rivage afin d'y mourir, elle entraîne la perte du goût de vivre de sa mère Hermione qui, même lavée de toute infamie, redevenue aux yeux du roi la reine de Sicile, se laisse mourir. Quant au premier enfant de l'union royale, Mamillius, ulcéré par l'injustice du roi envers sa mère, il meurt, lui aussi. La première partie de cette oeuvre, s'achève dans le drame, offrant aux spectateurs le visage d'un Léonte accablé et brisé par sa propre folie, désormais privé d'amis - Prolixène et Camillo - entouré de ses propres morts.

Aucune autre pièce de Shakespeare - pas même Le roi Lear ou Macbeth - n'atteint aussi rapidement que dans Le conte d'hiver un tel paroxysme de délire obsessionnel, de violence irraisonnée, de destruction implacable. Le thème de l'orgueil, de l'innocence bafouée, du mal et de ses conséquences, se trouve une fois encore au coeur de cette intrigue qui - nous le verrons plus loin - réserve bien des surprises. Au début de l'acte IV, le Temps fait son apparition et lève le voile sur ce qui va suivre et qui, seize ans plus tard, nous fait passer de la plus sombre tragédie à une délicieuse romance, ainsi qu'il en est de Comme il vous plaira et La tempête:

Moi qui plais à certains, qui éprouve tout le monde,
à la fois joie et terreur des bons et des méchants,
moi qui fais et défais l'erreur,
il est temps maintenant, au nom du Temps,
d'user de mes ailes.
Laissez-moi passer, tel que je suis,
le même, plus ancien que l'ordre ancien
ou que celui d'aujourd'hui:
je suis le témoin des temps qui les firent naître,
et je serai le témoin de ceux qui règnent maintenant.
De même que je ternirai l'éclat du présent,
de même mon histoire semble terne maintenant.
Si votre patience le permet, je retourne mon sablier
et je vais faire un grand saut à ma pièce,
comme si vous aviez dormi entre-temps.

Contrairement aux pressentiments de l'acte précédent, Perdita n'est pas morte. Devenue une séduisante jeune fille recueillie par des bergers, elle est sur le point de se marier avec Florizel, qui n'est autre que le fils du roi Polixène, le roi de Bohème et l'ami trahi par Léonte. Après les soubresauts d'un hasard qui ne fait pas nécessairement mal les choses, tout le monde se rend en Sicile où le roi inconsolé retrouve son fidèle ami de toujours. Les noces de Perdita et de Florizel sont célébrées, et tandis que Léonte se recueille devant la statue commémorative de son épouse défunte qui lui ressemble trait pour trait, celle-ci s'anime et ressuscite Hermione qui lui pardonne tout le mal subi seize ans auparavant. La mort elle-même semble vaincue, comme si les forces de l'invisible avaient, par un ballet mystique et déroutant, régénéré l'innocence première.  

Le contraste est plutôt violent entre le début et la fin de l'histoire, mais tout le génie de Shakespeare - ici au sommet de son art - transparaît dans une thématique qui ne se trahit jamais mais offre de subtiles nuances au fil du récit. Face à la jalousie et à la trahison, s'érige la loyauté et la beauté des sentiments: si le temps engloutit les regrets, les torts et les amertumes, il est aussi capable d'éveiller le pardon, le rachat et la guérison; si les parents portent le sceau du mal, leurs descendants par la pureté de leurs intentions, peuvent le réduire ou l'effacer. 

Enfin, Le conte d'hiver, davantage que Roméo et Juliette, nous offre par la voix de Perdita, s'adressant à Florizel, l'un des plus beaux poèmes d'amour nés sous la plume de Shakespeare: 

Non, jamais je ne planterai
une seule de ces boutures dans mon jardin.
De même que je ne voudrais pas que ce garçon me dise,
si j'étais maquillée:
c'est bien, et que ça lui donne envie de me faire l'amour.
Prenez ces fleurs, c'est de la chaude lavande,
de la sarriette, de la marjolaine,
et puis le souci, qui se couche en même temps que le soleil
et se lève en larmes en même temps que lui.
Oui, toutes ces fleurs me manquent
pour vous en faire des couronnes,
et vous, mon doux ami,
pour vous en couvrir tout entier. 
 

Un pur chef d'oeuvre! 

 William Shakespeare, Un conte d'hiver (Minuit, 1988)

traduit par Bernard-Marie Koltès

23:35 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |