Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

24/11/2011

Qu'allons-nous faire de vous? 2/3

Bloc-Notes, 24 novembre / Les Saules

document; témoignage; livres

Ce qui frappe dans les témoignages recueillis par Edouard et Marie de Hennezel face à la vieillesse et la dépendance, tient au constat que notre grand âge ne ressemblera pas à celui de nos parents. Non que les valeurs fondamentales s'en trouvent nécessairement changées, mais la génération montante connaîtra sans doute des années de vie active et professionnelle prolongées; la précarité du travail peut-être, l'emploi à accepter où qu'il se trouve, même à des milliers de kilomètres; des moyens financiers qui, compte tenu d'une longévité accrue, risquent de leur suffire pour eux-mêmes, à peine. Donc insuffisants pour nous entretenir. Et cela change tout.

Aujourd'hui on meurt loin de chez soi, et généralement seul, à l'hôpital, ou sur un brancard dans les services d'urgences. Certainement de moins en moins chez soi, dans son univers familier, entouré des siens, nous confie Marie de Hennezel et pourtant, tout ce que nous disent la plupart des participants à ce livre formidable converge dans une volonté à envisager toutes les solutions, afin de permettre à leurs aînés une fin de vie paisible, même si dans ces intentions généreuses et sincères, ils en oublient souvent l'incontournable conflit de priorités: leur propre vie, leur conjoint, leurs enfants, leur vie professionnelle ou leurs loisirs à ménager avec bienveillance et réalisme.

Edouard de Hennezel résume très bien ce que les quadras attendent de leurs parents ou de leurs familles en général: Faites du ménage dans vos vies. Vous vous allégerez et vous nous allégerez aussi. Ne baissez pas les bras. Vivez votre vieillissement le mieux possible, continuez à célébrer la vie. Ne nous faites pas porter les regrets, les rancunes ou les remords de votre passé. Prenez soin de vous, mais surtout prenez soin de la relation que vous avez avec nous. (...) Se faire léger, ce serait commencer par parler de ces questions taboues - l'avenir - pour qu'elles pèsent moins sur la pensée des enfants. Tout ce qui peut contribuer à une maturité heureuse.

Les plus belles pages traitent du bonheur de la vieillesse: Au fond, nous avons besoin que vous soyez heureux de vieillir et nous savons que vous ne le serez que si vous vous tournez vers le coeur et l'esprit. Vieillir, c'est un travail difficile qu'il faut mener joyeusement. L'essentiel pour une bougie n'est pas l'endroit où elle est posée, c'est la lumière qu'elle irradie jusqu'au bout.

La santé fragilisée n'empêche ni le charme ni la gaieté, ni l'intérêt pour ce qui nous entoure. Certains vieillards font moins vieux que des gens de cinquante ans. On grandit en sagesse, on a du recul, on est de bon conseil: Les personnes âgées et vulnérables peuvent donner et recevoir autre chose, et autrement. La vulnérabilité peut faire appel au meilleur chez l'autre, qui en est le témoin, ajoute Marie de Hennezel.

Il n'empêche que le souci de l'avenir de nos seniors - si nous ne sommes pas des monstres - peut légitimement nous déstabiliser et fondre sur nous à l'improviste, comme la foudre. Tous, dans notre voisinage, connaissons au moins un cas de personne âgée particulièrement difficile à gérer, quand le fil est rompu, comme c'est le cas avec une maladie de Alzheimer, par exemple. Saurons-nous, dans notre propre entourage, accueillir chez nous un parent dépendant? Pourrons-nous franchir la barrière des soins intimes à prodiguer? Accepterons-nous d'envisager d'autres solutions sans culpabiliser ni briser le lien? Parviendrons-nous à jouer la carte de l'apaisement, sans fuir le réel ni connaître l'épuisement?  

Il n'est pas de réponse universelle à ces questions que chacun est amené - le plus tôt possible - à se poser, mais une certitude émane de tout ce qui est dit dans ce livre: la force de solidarité entre générations existe davantage qu'on l'imagine et finalement, comme concluent Edouard et Marie de Hennezel: Quand il y a l'amour, il y a des solutions.

Nous sommes indissolublement égoïstes et altruistes, soucieux comme jamais de notre bien-être individuel, et cependant convaincus qu'il y a parfois plus de joie à donner qu'à prendre, à partager qu'à accumuler. Luc Ferry

A suivre...

Marie et Edouard de Hennezel, Qu'allons-nous faire de vous? (Carnets Nord, 2011)

image: Edouard et Marie de Hennezel

06:07 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : document; témoignage; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

22/11/2011

Qu'allons-nous faire de vous? 1/3

Bloc-Notes, 22 novembre / Thonon-les-Bains

document; témoignage; livres

Parler de la vieillesse et davantage encore en tout ce qu'elle implique dans l'avenir de nos proches, demeure bien souvent un sujet tabou, mais curieusement, dans ma propre vie, elle a toujours fait partie d'un décor naturel ou mieux, d'un monde où elle tutoie certes la mort, mais dialogue de même avec les vivants. Quelques impressions douces et agréables - parmi d'autres, beaucoup moins paisibles à cette époque - me reviennent en mémoire au temps de mon adolescence: à dix-huit ans à peine, avec un groupe d'amis toujours les mêmes - cinq ou six - dans ma sphère professionnelle, une fois par mois, nous partions à la découverte de restaurants d'exception, dans la campagne genevoise. Prétexte à dévorer la vie à pleines dents, en bonne compagnie, sans arrière-pensées. Le plus jeune des membres de cette fratrie voisinait la cinquantaine. Un souvenir de bien-être où se mêlaient la nostalgie d'un temps révolu que je ne connaîtrais jamais, la légèreté de l'être, le rire malicieux et une certaine sagesse que je n'éprouvais pas auprès de mes contemporains. Quarante ans plus tard, mon regard n'a pas changé - auprès des hôtes de passage à la librairie ou mes liens familiaux - même si je fais désormais partie du club moi aussi, celui des aînés!

Le second exemple - déjà mentionné dans un autre article - me vient de ma grand-mère paternelle - qui venait habiter chez nous en famille, trois ou quatre fois par an, décidant par elle-même du moment choisi pour réintégrer son foyer, à près de 150 km de chez nous. Devenue dépendante avec une présence et des soins permanents nécessaires auxquels nous ne pouvions répondre durablement, elle a intégré un établissement médicalisé pour personnes âgées et mon père - qui occupait alors une haute fonction professionnelle - soutenu sans réserve par ma mère et accompagné de son fiston, lui rendait visite au moins tous les quinze jours, malgré un horaire de travail frisant les 70 heures par semaine. Un lien jamais interrompu donc, jusqu'à la fin du voyage.

Une dernière image enfin, beaucoup plus récente cette fois-ci - et plutôt négative - se trouve liée au thème de la vieillesse en littérature, reflet à bien des égards de notre société résolument tournée vers la performance, montrant du doigt avec une effarante régularité ce temps comme celui de la fin de la jeunesse, donc de la séduction et de l'espérance dans tous les domaines: la faillite en amour, la maladie qui submerge tout, la maltraitance, la précarité financière, les fractures familiales, la dignité perdue. Que de récits et de témoignages abondent dans ce sens! Rares sont les ouvrages qui, sans occulter une réalité parfois triste ou douloureuse, présentent à contre-courant ce grand âge comme une chance, une promesse tenue, un bonheur toujours possible. C'est le cas - heureusement - avec La grand-mère de Jade écrit par Frédérique Deghelt, Les bonnes dames de Jean-Louis Kuffer ou encore Grandir sous la plume de Sophie Fontanel. Trois auteurs qui pourraient être le fil rouge du livre écrit par Edouard et Marie de Hennezel, Qu'allons-nous faire de vous? consacré à la vulnérabilité et à la fragilité liées à la vieillesse. 

A lire absolument, car derrière cette trentaine de témoignages - souvent poignants, sincères, empreints de tendresse et de culpabilité - recueillis par Edouard et Marie de Hennezel, c'est la question des parents qui est envisagée, mais aussi, par projection dans le futur, la nôtre. Vous savez bien: cette génération bénie des dieux qui a connu le plein-emploi, le boum économique, les frasques amoureuses sans le spectre du sida et qui, farouchement individualiste, s'est payé de luxe de faire comme si elle n'allait jamais ni vieillir ni mourir, et voudrait tout à coup donner de la voix quand se profile l'intolérable miroir de la dépendance, face aux quadras qui la juge parfois avec une certaine sévérité, voire de la rancoeur.

Injustes, les jeunes? Pas si sûr...

A suivre...

Marie et Edouard de Hennezel, Qu'allons-nous faire de vous? (Carnets Nord, 2011)

Frédérique Deghelt, La grand-mère de Jade (coll. J'ai Lu, 2011)

Jean-Louis Kuffer, Les bonnes dames (Campiche,  2006)

Sophie Fontanel, Grandir (Laffont,  2010)

image: Edouard et Marie de Hennezel

00:01 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, Jean-Louis Kuffer, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : document; témoignage; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

03/07/2011

Coup de gueule

Bloc-Notes, 3 juillet / Les Saules

document; témoignage; livres

Emmanuel Delhomme est un libraire en colère. Patron de la librairie Livre Sterling, à deux pas lu rond-point des Champs-Elysées, il vide son sac, en proie aux difficultés financières qui s'emparent des commerçants indépendants en général - et pas seulement dans le domaine du livre -, face à une culture en pleine mutation qui le plonge, dirait-on, en plein désarroi.

Contemporain d'Emmanuel Delhomme, mais au parcours différent, dans un autre pays - la Suisse romande, au sein des librairies Payot - je peux mesurer ce qui nous sépare, mais aussi ce qui nous rapproche, à commencer par cet amour sans réserve de l'écrit, parfois d'un titre particulier - on s'attache à un livre, et il fait partie intégrante de votre vie -, instants inoubliables d'émerveillement et de reconnaissance partagés avec les clients et les proches qui font confiance à nos choix et à leur tour, en font l'éloge auprès d'autres personnes. Un vrai plaisir, pour l'auteur qui ne roule pas toujours sur l'or, lui non plus, avec ce sentiment réconfortant que notre métier n'est pas inutile. Les rencontres exceptionnelles font aussi partie de ce paysage inoubliable: Isabelle Adjani pour lui, Anouk Aimée ou Dirk Bogarde pour moi, autrefois, à Londres...

Cela n'occulte pas pour autant certaines interrogations. Il est vrai que le temps manque au livre - pour les hommes surtout: allez savoir pourquoi? - et que les femmes représentent le 80% des lecteurs actuels, une réalité incontournable qui se vérifie sur les réseaux sociaux tels Facebook où l'élan culturel, la passion de partager des choix de textes, de critiques ou de citations, connaît une fréquentation dans les mêmes proportions. Il est vrai aussi que si l'édition nous réserve autant d'heureuses surprises, les mauvaises sont en constante augmentation et tendent - si nous n'y prenons garde - à noyer les titres qui nous tiennent à coeur.

En revanche, je ne souscris pas du tout à cette mort annoncée du livre, qui depuis plus de vingt ans alimente les conversations de salons. Souvenez-vous de la période où explosa la bande dessinée, puis l'apparition des jeux vidéo qui n'inspiraient pas moins de craintes hier que les multiples chaînes de télévision ou les heures passées sur Internet aujourd'hui. Enfin, les jeunes lisent bien davantage que dans les années 70. Le livre a donc, quoiqu'on en dise, des lendemains riches de promesses...

David Servan-Schreiber, dans son émouvant On peut se dire au revoir plusieurs fois, parle des métiers ou services proposés qui contribuent au bien-être des gens, comme une pierre apportée au bonheur d'autrui. Le milieu un peu marginal de la librairie, correspond pour une bonne part à cette image, pour autant que l'on respecte son interlocuteur, qu'il désire s'instruire, se distraire, se faire peur, trouver remède à ses problèmes personnels ou se laisser surprendre. Or, dans Un libraire en colère, que de mépris et d'amertume, somme toute: Indécrottables, les hommes ne veulent plus de livres. Dans leur habitacle robotisé, ils vont décider de l'avenir du monde... Avec pour point d'orgue ce commentaire d'Emmanuel Delhomme sur le livre de Charles Dantzig Pourquoi Lire: Pour être moins con.

Et si le con, d'une certaine manière, c'était lui? Les grandes surfaces ont vu le jour, en partie grâce à cette école de librairie, imbue de son savoir et percluse de jugements sur la société. Emmanuel Delhomme avec ses airs d'outre-tombe semble convaincu que la désertification de sa librairie est due à la désaffection du livre. Il se trompe sans doute. Qu'est-ce qu'une librairie pour eux aujourd'hui? Un endroit austère, sinistre, il n'y a pas d'écran sur les murs, ça ne hurle pas dans les oreilles, et il faut pour comprendre l'objet l'ouvrir... 

Les clients vont ailleurs, tout simplement, et pas seulement pour sacrifier aux modes ou tendances! Dans la jeune génération des libraires indépendants - et des autres - Dieu merci, l'approche du métier est devenue moins sacrée peut-être, mais plus humble, moins pleurnicharde, plus imaginative et conviviale. La librairie est devenue un espace où il fait bon vivre... Les temps restent durs, mais à des degrés divers, ne l'ont-ils pas toujours été?

Voilà bientôt trente ans que je suis sur la terre, et j'en ai passé dix à chercher un libraire. Pas un être vivant n'a lu mes manuscrits. (Alfred de Musset) Alfred de Musset

Emmanuel Delhomme, Un libraire en colère (L'Editeur, 2011)

19:28 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : document; témoignage; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

27/06/2011

David Servan-Schreiber

Bloc-Notes, 27 juin / Les Saules

document; témoignage; livres

Tumeur ou oedème, cette chose qui prospérait dans mon lobe frontal droit menaçait directement ma vie. En quittant le centre de radiologie, j'ai enfourché mon vélo, parfaitement conscient du risque que je m'apprêtais à courir. J'ai eu soudain besoin de tester mon courage. Aussi fou, aussi inconsidéré qu'il puisse paraître, le test du vélo a rempli sa fonction: j'ai senti que mon plaisir de vivre était intact, et avec lui ma détermination. J'ai su que je n'allais pas baisser les bras.

Ainsi peut se résumer le premier chapitre du témoignage de David Servan-Schreiber: une alchimie de douleur, de réalité et d'espoir, fil conducteur du récit où l'auteur de Guerir le stress, l'anxiété et la dépression sans médicaments ni psychanalyse et de Anticancer - les gestes quotidiens pour la santé du corps et de l'esprit, apprend la mauvaise nouvelle, celle de la rechute grave de son cancer du cerveau survenu près de vingt ans plus tôt.

Ce qui frappe d'emblée dans On peut se dire au revoir plusieurs fois, tient en quelques mots: L'honnêteté, l'absence d'arrogance, la franchise. Pas de faux-fuyants. Il a connu - et connaîtra encore, peut-être - à certains moments la peur, les larmes, le désarroi qu'il a si souvent lus sur le visage de ses patients. Il ne s'en cache pas. De même envers ses multiples activités, parfois harassantes: Je n'ai pas pris assez soin de moi, et ce depuis bien des années. Les témoignages d'intérêt et de reconnaissance que j'ai reçu m'ont rendu si heureux que je me suis donné à fond à la défense de ces idées. J'en étais venu à me sentir quasi invulnérable. Or, il ne faut jamais perdre son humilité face à la maladie. J'ai commis l'erreur de croire que j'avais trouvé la martingale gagnante.

A la lumière de ce qui précède, oserai-je dire qu'il se dégage de son dernier livre une lueur d'espoir, un appétit de vivre, une reconnaissance qui importent tant, dans la processus de guérison? David Servan-Schreiber insiste - dans sa thérapie de la douleur - sur le besoin de calme intérieur, d'images gratifiantes, d'activité physique, de distraction qui permet, grâce aux amis et aux proches, de continuer de faire partie du club des vivants qui font des choses et vivent leur vie

De très belles pages traitent des gestes de l'émotion partagée - j'ai besoin que tu continues à être dans ma vie - et du temps qui passe avec toutes ces choses, grandes ou petites, qui ont été agréables, qui ont apporté du plaisir, de la joie ou simplement de l'amusement. Les passages consacrés à ses amis Bernard Giraudeau et Guy Corneau sont eux aussi, empreints de tendresse et de gratitude.

Ce témoignage, tonique et grave à la fois, devrait tous nous interpeller, malades saisonniers ou au long cours, devant le sujet tabou qui, un jour ou l'autre, fera irruption dans notre vie: Est-ce que vous vous posez parfois la question de savoir ce qui se passerait si le traitement ne marchait pas?

Au moment de refermer ce livre, je pense aux deux DVD de Georges Lautner, Les barbouzes et Les tontons flingueurs, avec les inénarrable Bernard Blier, Lino Ventura et Francis Blanche. Ces deux films sont ma thérapie personnelle aux jours de découragement, de révolte ou d'impuissance, et lorsque, peut-être pour la centième fois je les reverrai après avoir reçu ma mauvaise nouvelle, je penserai à David Servan-Schreiber très fort, comme à un ami de longue date, lui qui parle tout au long de son livre de l'importance de la légèreté, de la détente et du rire... malgré tout!   

David Servan-Schreiber, On peut se dire au revoir plusieurs fois (Laffont, 2011)

David Servan-Schreiber, Guerir le stress, l'anxiété et la dépression sans médicaments ni psychanalyse (coll. Pocket Evolution, 2011)

David Servan-Schreiber, Anticancer - les gestes quotidiens pour la santé du corps et de l'esprit (coll. Pocket Evolution, 2011)

23:52 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : document; témoignage; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

05/04/2010

Le quai de Ouistreham

Bloc-Notes, 5 avril / Les Saules

262447423_13a0321b9c.jpg

Dans l’avant-propos de son livre, Le quai de Ouistreham, Florence Aubenas nous explique sans ambiguïté la démarche qui l’a conduite, six mois plus tard, au témoignage que nous avons sous les yeux : J’ai décidé de partir dans une ville française où je n’ai aucune attache pour chercher anonymement du travail. (…) J’ai conservé mon identité, mon nom, mes papiers, mais je me suis inscrite au chômage avec un baccalauréat pour seul bagage. J’affirmais m’être tout juste séparée d’un homme avec lequel j’avais vécu une vingtaine d’années, et qui subvenait à mes besoins, ce qui expliquait pourquoi je ne pouvais justifier d’aucune activité professionnelle durant tout ce temps-là. Je suis devenue blonde. Je n’ai plus quitté mes lunettes. Je n’ai touché aucune allocation.

Nous suivons ainsi ses périples à la recherche d’un emploi, avec des impressions qui sonnent juste et vrai – on me traite avec une douceur d’infirmière dans un service de soins palliatifs, mais fermement – et un angle de vue original qui laisse une large place à ceux qui sont de l’autre côté. Et c’est surtout, sans être forcément un écrit militant, un document qui dresse sous nos yeux, les liens de solidarité, voire d’amitié entre ces femmes unies dans la précarité auxquelles elle prête son oreille. Elle décrit avec beaucoup de conviction aussi, l’évolution des Pôles Emploi où les commerciaux ont pris le pas sur les travailleurs sociaux, ce que – soit dit au passage – on retrouve dans l’administration des soins à domicile par exemple et pas seulement en France. Changement d’époque.

Après avoir décroché quelques bribes d’emploi dans des sociétés de nettoyage, elle obtient pour six mois un travail de femme de chambre, sur les ferrys de Ouistreham.

La critique, presque à l’unanimité, ne tarit pas d’éloges sur l’expérience vécue par Florence Aubenas. Les réactions des internautes – à juste titre, me semble-t-il – sont plus contrastées, car si la démarche de l’auteur est généreuse et veut rendre compte d’une réalité douloureuse par un témoignage plutôt qu’un traité sociologique que personne ne lira, usant de sa notoriété pour amener sur la place publique ces angoisses vécues au jour le jour et qu’on voudrait bien étouffer, quelques réserves sont tout de même à souligner : Dans la galère d’une femme sans emploi – qui n’aurait pas la possibilité de quitter le navire – elle aurait probablement, par vagues successives, perdu des amis (Florence Aubenas n’en connaît pas à Caen), sa belle assurance avec au fond des yeux – fréquentes dans la recherche d’un emploi après plusieurs refus – ces vagues qui trahissent les combats perdus d’avance et ce sentiment bien réel d’inutilité à la collectivité, aux autres, parfois même à ses proches. Par honte, lassitude ou culpabilité. D’autre part, j'imagine mal Florence Aubenas, même déguisée, en femme de ménage, car tout dans sa personnalité, son histoire, sa culture portent la marque d’une incroyable détermination. Ainsi, les dés sont tout de même un peu pipés. Enfin, même au service d’une cause juste, son reportage ne peut-il être ressenti quelque part, comme un jeu de rôle ou une tromperie par celles et ceux qui l’ont côtoyée au fil de ces quelques mois ?

Ces réserves mises à part, Le quai de Ouistreham est un livre sincère, terriblement attachant. Il faut le lire, davantage pour la qualité du regard de Florence Aubenas sur les autres que pour sa propre histoire. On en sort un peu triste et surtout soulagé… d’avoir un emploi, si imparfait soit-il. Ne serait-ce que pour parvenir à cette conclusion, son pari est réussi !

Florence Aubenas, Le quai de Ouistreham (Editions de l'Olivier, 2010)

image de Ouistreham (sur www.tmlvoile.com)

 

00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : document; témoignage; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |