29/06/2011
Le poème de la semaine
Charles-Ferdinand Ramuz
Viens te mettre à côté de moi sur le banc devant la maison, femme, c'est bien ton droit;il va y avoir quarante ans qu'on est ensemble.Ce soir, et puisqu'il fait si beau,et c'est ausssi le soir de notre vie: tu as bien mérité, vois-tu, un petit moment de repos.
Voilà que les enfants à cette heure sont casés,ils s'en sont allés par le monde; et, de nouveau, on n'est rien que les deux, comme on a commencé.
Femme, tu te souviens ?On avait rien pour commencer, tout était à faire.Et on s'y est mis, mais c'est dur.Il faut du courage, et de la persévérance.
Il faut de l'amour,et l'amour n'est pas ce qu'on croitquand on commence.
Ce n'est pas seulement ces baisers qu'on échange,ces petits mots qu'on se glisse à l'oreille,ou bien de se tenir serrés l'un contre l'autre;le temps de la vie est long, le jour des noces n'est qu'un jour; c'est ensuite, tu te rappelles,c'est seulement ensuite qu'a commencé la vie.
Il faut faire, c'est défait;il faut refaire et c'est défait encore.
Les enfants viennent;il faut les nourrir, les habiller, les élever: ça n'en finit plus;il arrive aussi qu'ils soient malades;tu étais debout toute la nuit;moi, je travaillais du matin au soir.
Il y a des fois qu'on désespère; et les années se suivent et on n'avance paset il semble qu'on revient en arrière.Tu te souviens, femme, ou quoi ?
Tous ces soucis, tous ces tracas; seulement tu as été là.On est restés fidèles l'un à l'autre.Et ainsi j'ai pu m'appuyer sur toi, et toi tu t'appuyais sur moi.
On a eu la chance d'être ensemble,on s'est mis tous les deux à la tâche,on a duré, on a tenu le coup.
Le vrai amour n'est pas ce qu'on croit.Le vrai amour n'est pas d'un jour, mais de toujours.C'est de s'aider, de se comprendre.
Et, peu à peu, on voit que tout s'arrange.Les enfants sont devenus grands, ils ont bien tourné.On leur avait donné l'exemple.
On a consolidé les assises de la maison.Que toutes les maisons du pays soient solides,et le pays sera solide, lui aussi.
C'est pourquoi, mets-toi à côté de moi et puis regarde,car c'est le temps de la récolte et le temps des engrangements;quand il fait rose comme ce soir,et une poussière rose monte partout entre les arbres.
Mets-toi tout contre moi, on ne parlera pas:on n'a plus besoin de rien se dire;on n'a besoin que d'être ensemble encore une fois,et de laisser venir la nuitdans le contentement de la tâche accomplie. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
01:08 Écrit par Claude Amstutz dans Charles Ferdinand Ramuz, Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
Commentaires
Un bonheur simple... Une vie en ligne droite, une rareté aujourd'hui... Par contre, il faut aussi des vies dont les lignes sont courbes ou spiralées. Il y a aussi ces vies brisées en plein élan par la guerre ou autres cataclysmes. Une vie en ligne droite, c'est bon, mais ce n'est pas le lot de tous...
Écrit par : Rolande Bergeron | 29/06/2011
Qu'est ce que c'est bon les mots l'histoire de cette façon! Peu importe si dans la vraie vie la chute diffère souvent de ce contentement, de cet unique besoin: "on n'a besoin que d'être ensemble encore une fois, et de laisser venir la nuit dans le contentement de la tâche accomplie" Peu m'importe tant j'y crois vraiment, de le lire je me souviens, femme, de l'avoir rêvé...
Qui est Charles-Ferdinand-Ramuz??? J'aimerais, sans avoir à cliquer, que Monsieur Claude me raconte...
Écrit par : Kass | 29/06/2011
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