Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

21/06/2013

Morceaux choisis - Guillaume Apollinaire

Guillaume Apollinaire

peinture-2006-la-rousse.jpg

Me voici devant tous un homme plein de sens
Connaissant la vie et de la mort ce qu'un vivant peut connaître
Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l'amour
Ayant su quelquefois imposer ses idées
Connaissant plusieurs langages
Ayant pas mal voyagé
Ayant vu la guerre dans l'Artillerie et l'Infanterie
Blessé à la tête trépané sous le chloroforme
Ayant perdu ses meilleurs amis dans l'effroyable lutte
Je sais d'ancien et de nouveau autant qu'un homme seul
pourrait des deux savoir
Et sans m'inquiéter aujourd'hui de cette querre
Entre nous et pour nous mes amis
Je juge cette longue querelle de la tradition et de l'invention
De l'Ordre et de l'Aventure
 
Vous dont la bouche est faite à l'image de celle de Dieu
Bouche qui est l'ordre même
Soyez indulgents quand vous nous comparez
A ceux qui furent la perfection de l'ordre
Nous qui quêtons partout l'aventure
 
Nous ne sommes pas vos ennemis
Nous voulons vous donner de vastes et étranges domaines
Où le mystère en fleurs s'offre à qui veut le cueillir
Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues
Mille phantasmes impondérables
Auxquels il faut donner de la réalité
Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait
Il y a aussi le temps qu'on peut chasser ou faire revenir
Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières
De l'illimité et de l'avenir
Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés
 
Voici que vient l'été la saison violente
Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps
O Soleil c'est le temps de la Raison ardente
Et j'attends
Pour la suivre toujours la forme noble et douce
Qu'elle prend afin que je l'aime seulement
Elle vient et m'attire ainsi qu'un fer l'aimant
Elle a l'aspect charmant
D'une adorable rousse
 
Ses cheveux sont d'or on dirait
Un bel éclair qui durerait
Ou ces flammes qui se pavanent
Dans les rose-thé qui se fanent
 
Mais riez riez de moi
Hommes de partout surtout gens d'ici
Car il y a tant de choses que je n'ose vous dire
Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire
Ayez pitié de moi
 

Guillame Apollinaire, La jolie rousse, dans: Calligrammes (coll. Poésie/Gallimard, 2002)

image: Poule Picote, La rousse (http://perlbal.hi-pi.com)

08:00 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/06/2013

Vendanges tardives - De l'opéra 1b

Un abécédaire: O comme Opéra

Voici donc l'enregistrement historique intégral de La Tosca de Giacomo Puccini (1953) avec Maria Callas, Giuseppe di Stefano, Tito Gobbi, Franco Calabrese, Angelo Mercuriali, Melchiorre Luise, Dario Caselli et Alvaro Cordova. Orchestre et Choeurs de la Scala de Milan, sous la direction de Victor de Sabata...  


Vendanges tardives - De l'opéra 1a

Un abécédaire: O comme Opéra

das-rheingold-full-score__24768.1311107783.1280.1280.jpg

pour Jean-Pierre O

Et si on allait à l'opéra, Fred? Ce soir, il reste des billets pour La Tosca de Giacomo Puccini, ma partition préférée entre toutes avec La flûte enchantée de Wolfgang Amadeus Mozart... Et je peux te promettre que je ne te ferai pas honte, comme au soir de mes vingt ans! Souviens-toi qu'avant de te rejoindre pour la représentation de L'Or du Rhin, j'avais noyé mon spleen dans un bar pas très recommandable, si bien que, au moment du lever de rideau, lors du prélude de Richard Wagner, plongé soudain dans une béatitude sans crainte ni tourment, je m'étais endormi... Tu prétends que j'ai ronflé comme un sonneur, mais n'est-ce pas une légende savamment entretenue au fil des ans, juste pour rire? De même que les mauvaises langues - comme toi - ont prétendu que je ne retrouvais pas ma place après l'entracte et que dans l'obscurité qui avait gagné la salle, j'aurais trébuché sur de nombreux pieds inconnus avant de m'effondrer sur mon fauteuil, l'estomac dans les talons! Pauvre Richard: il a dû s'en retourner dans sa tombe!

Aujourd'hui, crois-moi, nulle inquiétude, non seulement parce que - provisoirement, pour des raisons médicales - je suis interdit d'alcool, mais surtout Fred, en raison de cet opéra, La Tosca, qui me colle à la peau et dont chaque note m'arrache une émotion sauvage, violente, absolue, à l'image de la passion de Floria Tosca pour Mario Cavaradossi et du baron Scarpia pour Floria Tosca. Tous les ingrédients de la passion culminent ici: ardeur, aveuglement, jalousie, perfidie, trahison, mêlés comme la lave d'un volcan intérieur que nul mieux que Giacomo Puccini dans cette oeuvre, a su exprimer en musique. Un frisson me parcourt à chaque fois, quand Floria Tosca, après avoir assassiné le baron Scarpia, s'écrie: E morto! O libertà!

Et cet opéra demeure pour moi - aux côtés de Giuseppe di Stefano et de Tito Gobbi - le plus beau rôle de Maria Callas! Mais, malgré le souvenir ce cet enregistrement légendaire, nous n'allons pas bouder notre plaisir ce soir, et tant qu'on ne nous inflige pas une mise en scène fantasque, en jeans et blouson de cuir, la magie opère toujours...

Non? Qu'en dis-tu?


 

Giacomo Puccini, La Tosca (1953) avec Maria Callas, Giuseppe di Stefano, Tito Gobbi, Franco Calabrese, Angelo Mercuriali, Melchiorre Luise, Dario Caselli, Alvaro Cordova. Orchestra e Coro Teatro alla Scala, Victor de Sabata (EMI) 

illustration musicale: Jacques Brel, Jef (1964)

image: http://cdn2.bigcommerce.com

Philippe Jaccottet

9782940055364.gifPhilippe Jaccottet, Une constellation tout près - Poètes d'expression française du XXe siècle (La Dogana, 2002)

Si vous n’ouvrez qu’une seule anthologie poétique de toute votre vie, alors choisissez celle-ci, subjective, longuement mûrie comme les fruits de la vigne. Aux côtés des incontournables dont l'auteur a souvent choisi des textes méconnus – Guillaume Apollinaire, René Char, Henri Michaux, Paul Valéry  – vous en découvrirez d’autres, injustement oubliés – Charles Péguy, Paul-Jean Toulet, Edmond-Henri Crisinel – ou modernes – Pierre-Albert Jourdan, André Du Bouchet – dans cet ouvrage magnifiquement mis en pages. Un bel objet à la hauteur des émotions qu’il suscite.

Le langage de la poésie m'est toujours apparu comme celui qui rend le compte le plus juste de nos vies dans toutes leurs dimensions, celui qui peut réconcilier fumée et parfum; celui qui sait tirer un chant, ou une simple chanson, de nos peines légères ou violentes, de nos voyages - dans le temps, dans l'espace du dehors comme dans celui du dedans -, qui bâtit une musique même à partir de l'ombre et de l'absence, qui fait scintiller pour notre joie même la course des jours. Oui, cela brille, cela luit ou brûle dans la main ouverte. Une constellation tout près de nous, dans la main ouverte, dans le livre ouvert...

19/06/2013

Morceaux choisis - Charles-Ferdinand Ramuz

Charles-Ferdinand Ramuz

6bfceea408338924_jpg_530x530_q85.jpg

Maintenant la nuit était venue tout à fait. Pierre Chemin avait remis sa pipe dans sa poche; Adèle Genoud avait été coucher son enfant; les chauves-souris avaient été se coucher aussi, qui sont des bêtes vite fatiguées. Et ceux qui étaient encore là se souhaitèrent le bonsoir. On entendit les portes se fermer l'une après l'autre, mais on n'avait plus besoin de tourner la clé dans la serrure. Il n'y avait plus non plus une seule de ces lumières, comme autrefois. Dans le temps d'autrefois, toujours une fenêtre ou deux restaient éclairées toute la nuit.  

Est-ce qu'on se souvient? Quand on entrait dans les villages il y avait toujours ces deux ou trois points de feu à des maisons qu'on ne distinguait pas, et ils faisaient penser à des étoiles tombées. On se disait: C'est pour un malade. On regardait ces lampes, on se disait: C'est quelqu'un qui se meurt; on se disait: C'est un accident; on se disait: C'est la vache qui fait le veau. Et quelquefois, les nuits d'orage, voilà qu'elles s'allumaient toutes à l'imitation des éclairs, et tout le monde s'habillait, parce qu'il n'y avait de sécurité pour personne, et la vie de chacun de nous pouvait lui être reprise à chaque heure, comme ses biens.

Le veilleur de nuit faisait sa tournée avec sa lanterne; c'était une lumière de plus et celle-ci se promenait. L'homme chargé de distribuer l'eau cheminait le long des rigoles, déplaçant les planchettes qui servent d'écluses; encore une lumière qui allait et venait. Par les nuits les plus tranquilles, il fallait qu'on fût sur ses gardes. Par les plus belles nuits d'étoiles. Sous les étoiles, sous point d'étoiles. En tout temps, en toute saison, parce qu'on ne savait jamais.

Charles-Ferdinand Ramuz, Joie dans le ciel (coll. Cahiers Rouges/Grasset, 1997)

image: Charles-Ferdinand Ramuz (notrehistoire.ch)

Le poème de la semaine

Pierre Reverdy

Sous les lueurs des plantes rares
les joues roses des cerisiers
les diamants de la distance
Et les perles dont elle se pare
Sous les lustres des flaques tièdes
A travers la campagne hachée
A travers les sommeils tranchés
A travers l'eau et les ornières
les pelouses des cimetières 
A travers toi 
Au bout du monde
Le monde couru pas à pas
Ton amour sous la roue du soir
A peine la force de ce geste de désespoir
A peine l'eau ridée sur le cours de ton sein
Contre le parapet fragile du destin
J'aime ces flocons blancs de la pensée perdue
dans le vent de l'hiver et le printemps mordu
Mon esprit délivré de ces chaînes anciennes
Et que la rouille a dénouées
Pour me serrer plus fort aujourd'hui dans les tiennes.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

05:28 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/06/2013

Benoîte Groult

9782253119746.gifBenoîte Groult, La touche étoile (Coll. Livre de poche, 2007)

 

Ni Dieu, ni diable, Moïra, dans la mythologie grecque représente la destinée. Et c'est elle qui dans ce roman, observe, commente, juge et parfois intervient dans la vie des personnages. Amoureuse de l'existence terrestre qu'elle ne connaîtra jamais, elle s'attache à faire advenir l'improbable chez ses protégés en brouillant les cartes quand elle les juge mal distribuées. Ainsi Marion, qui s'est mariée en espérant former un couple moderne, respectueux de la liberté de l'autre, découvrira qu'on souffre comme au temps de Racine même si on a signé le contrat de Sartre et Beauvoir. Mais Moïra veille et lui fera vivre, en marge, une liaison passionnée et inattendue avec un Irlandais un peu fou, un peu poète comme les celtes le sont si souvent. Sa mère Alice, 80 ans, journaliste féministe de choc, grand-mère indigne et pourtant tendre, s'est juré de ne pas se laisser déborder par la vieillesse. Un défi osé, que Moïra invisible et présente, l'aidera à relever avec panache. Alice affrontera son âge avec une lucidité impitoyable et un humour décapant, dans un monde ou le jeunisme est érigé en valeur et où vieillir est un délit. Jusqu'au jour où...

  

Toutes les générations de femmes peuvent se reconnaître dans ce livre, véritable immersion dans l’univers de la femme, de sa liberté, de ses rapports à la famille, à l’amour, avec ses blessures, ses indignations et sa générosité. Son évocation de la vieillesse est à la fois tendre, lucide et jubilatoire.

07:25 Écrit par Claude Amstutz dans Documents et témoignages, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; essai; témoignage; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

16/06/2013

Lire les classiques - Louise Michel

Louise Michel

3650_0.jpg

Hirondelle qui vient de la nue orageuse
Hirondelle fidèle, où vas-tu? dis-le-moi.
Quelle brise t’emporte, errante voyageuse?
Ecoute, je voudrais m’en aller avec toi,
 
Bien loin, bien loin d’ici, vers d’immenses rivages,
Vers de grands rochers nus, des grèves, des déserts,
Dans l’inconnu muet, ou bien vers d’autres âges,
Vers les astres errants qui roulent dans les airs.
 
Ah ! laisse-moi pleurer, pleurer, quand de tes ailes
Tu rases l’herbe verte et qu’aux profonds concerts
Des forêts et des vents tu réponds des tourelles,
Avec ta rauque voix, mon doux oiseau des mers.
 
Hirondelle aux yeux noirs, hirondelle, je t’aime!
Je ne sais quel écho par toi m’est apporté
Des rivages lointains ; pour vivre, loi suprême,
Il me faut, comme à toi, l’air et la liberté. 
 

Louise Michel, A travers la vie et la mort (La Découverte, 2001)

image: Jari Peltomäki, Hirondelle de rivage (vogelwarte.ch)

10:34 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

15/06/2013

Milena Agus

9782867464331.gifMilena Agus, Mal de pierres (Liana Levi, 2007)

Comme dans cet autre chef d’œuvre contemporain de la littérature italienne, L’amandière de Simonetta Agnello-Hornby, nous suivons le destin d’une jeune femme sarde hors du commun par les yeux de sa petite-fille. Sans compromis, sauvage, passionnée, son destin bascule entre son mari et le rescapé - dans le livre - brève rencontre sur le continent, croisant au passage des personnages secondaires originaux, attachants, dans cette chronique d’après-guerre. Une heureuse découverte, pleine de saveur !

également disponible en coll. Livre de poche (LGF, 2009) 

 

07:47 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

14/06/2013

Lire les classiques - Louise Ackermann

Louise Ackermann

littérature; poésie; anthologie; livres

Levez les yeux! C’est moi qui passe sur vos têtes,
Diaphane et léger, libre dans le ciel pur;
L’aile ouverte, attendant le souffle des tempêtes,
Je plonge et nage en plein azur.
 
Comme un mirage errant, je flotte et je voyage.
Coloré par l’aurore et le soir tour à tour,
Miroir aérien, je reflète au passage
Les sourires changeants du jour.
 
Le soleil me rencontre au bout de sa carrière
Couché sur l’horizon dont j’enflamme le bord;
Dans mes flancs transparents le roi de la lumière
Lance en fuyant ses flèches d’or.
 
Quand la lune, écartant son cortège d’étoiles,
Jette un regard pensif sur le monde endormi,
Devant son front glacé je fais courir mes voiles,
Ou je les soulève à demi.
 
On croirait voir au loin une flotte qui sombre,
Quand, d’un bond furieux fendant l’air ébranlé,
L’ouragan sur ma proue inaccessible et sombre
S’assied comme un pilote ailé.
 
Dans les champs de l’éther je livre des batailles;
La ruine et la mort ne sont pour moi qu’un jeu.
Je me charge de grêle, et porte en mes entrailles
La foudre et ses hydres de feu.
 
Sur le sol altéré je m’épanche en ondées.
La terre rit; je tiens sa vie entre mes mains.
C’est moi qui gonfle, au sein des terres fécondées,
L’épi qui nourrit les humains.
 
Où j’ai passé, soudain tout verdit, tout pullule;
Le sillon que j’enivre enfante avec ardeur.
Je suis onde et je cours, je suis sève et circule,
Caché dans la source ou la fleur.
 
Un fleuve me recueille, il m’emporte, et je coule
Comme une veine au coeur des continents profonds.
Sur les longs pays plats ma nappe se déroule,
Ou s’engouffre à travers les monts.
 
Rien ne m’arrête plus; dans mon élan rapide
J’obéis au courant, par le désir poussé,
Et je vole à mon but comme un grand trait liquide
Qu’un bras invisible a lancé.
 
Océan, ô mon père! Ouvre ton sein, j’arrive!
Tes flots tumultueux m’ont déjà répondu;
Ils accourent; mon onde a reculé, craintive,
Devant leur accueil éperdu.
 
En ton lit mugissant ton amour nous rassemble.
Autour des noirs écueils ou sur le sable fin
Nous allons, confondus, recommencer ensemble
Nos fureurs et nos jeux sans fin.
 
Mais le soleil, baissant vers toi son oeil splendide,
M’a découvert bientôt dans tes gouffres amers.
Son rayon tout puissant baise mon front limpide:
J’ai repris le chemin des airs!
 
Ainsi, jamais d’arrêt. L’immortelle matière
Un seul instant encor n’a pu se reposer.
La Nature ne fait, patiente ouvrière,
Que dissoudre et recomposer.
 
Tout se métamorphose entre ses mains actives;
Partout le mouvement incessant et divers,
Dans le cercle éternel des formes fugitives,
Agitant l’immense univers.
 

Louise Ackermann, Nuage, dans: Oeuvres (L'Harmattan, 2005)

image: Ciel de Yens, Vaud / Suisse (2013)

07:53 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |