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03/08/2013

Javier Tomeo

31603_1.jpgJavier Tomeo, La nuit du loup (Bourgois, 2013)

S'aventurer de nuit dans la lande espagnole peut se révéler dangereux. Macario a beau connaître le terrain, il a vite fait de se fouler une cheville et se retrouve bloqué dans un abribus, au bord d'un chemin désert, par un soir de pleine lune. Cependant, depuis la route s'élève une autre voix. Celle d'Ismael, confronté aux mêmes difficultés cinquante mètres plus loin: désarroi en miroir, blessure, tout est semblable et différent à la fois. Au milieu de cette nuit improbable, une discussion insolite et décalée se tisse peu à peu entre ces deux êtres égarés.

Ce roman à deux personnages - auxquels il faut ajouter un corbeau qui les observe et les interpelle avec ses croa, croa, croa! - ferait une excellente pièce de théâtre en un acte pour dévoiler l'univers absurde, un brin kafkaïen qui nous entoure ou nous habite, et si le propos semble parfois léger ou superficiel, ce n'est que pour mieux souligner l'isolement, l'indifférence, la solitude qui, à la faveur de circonstances baroques, occupe tout l'espace de nos (anti-) héros, emportés par un fou-rire qui ressemble à un grincement de dents. Un moment dans la vie de Macario et d'Ismael qui préfigure un peu le nôtre, moderne et vide de sens - moral, social, politique - qu'un flot ininterrompu de paroles, de cruautés ordinaires et de pirouettes voudraient bien faire oublier. La nuit du loup mérite d'être lu, et en dépit de ce qui précède, distille tous les ingrédients d'une comédie qui prête à sourire, comme un bouquet de fleurs incongru dont ne subsistera sans doute pas, une fois les choses revenues à leur place, le moindre souvenir...

07:32 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature espagnole, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

02/08/2013

Lire les classiques - Gérard de Nerval

Gérard de Nerval

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Il est un air, pour qui je donnerais,
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber. 
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets!
 
Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit...
C'est sous Louis treize; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit;
 
Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre les fleurs;
 
Puis une dame à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue...et dont je me souviens!
 

Gérard de Nerval, Fantaisie, dans: Claire Julliard, Petite anthologie des plus beaux poèmes du bonheur (L'Instant Cupcake, 2013)

image: Edmund Blair Leighton, The End of The Song (canvaspaintingforsale.com)

11:06 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

01/08/2013

Morceaux choisis - Charles Ferdinand Ramuz

Charles Ferdinand Ramuz

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Les Vaudois sont un peuple gâté, qu'ils le disent donc: ils le disent. Les Vaudois sont un peuple auquel il ne manque rien: l'opinion qu'ils expriment publiquement est en effet qu'il ne leur manque rien. D'où alors ce vide qu'ils ne peuvent pas ne pas ressentir quand ils descendent au fond d'eux-mêmes, comme il leur arrive de faire au moins une fois, vers vingt ans? Voyez aussi que, pour peu qu'ils s'en aillent et quand ils rentrent au pays, beaucoup n'y peuvent pas tenir et s'expatrient à nouveau. Nous sommes un pays où on ne revient pas. On n'y peut pas revenir; on y reste, parce que c'est seulement en y restant qu'on arrive à s'en contenter. Peu à peu les poumons s'habituent à un certain renfermé qui est insupportable à ceux qui ont connu l'espace. Songez à tous ces Suisses de Russie revenus, et puis repartis; car ils préféraient avoir faim. Et nous sommes quelques-uns quand même à en avoir fait l'expérience: quelques-uns qui sont sortis, et puis qui sont rentrés; mais qui n'y ont tenu qu'en constituant autour d'eux un coin de territoire à eux, une zone de protection, mise tacitement au bénéfice du principe d'exterritorialité; - c'est-à-dire qu'ils ne se sont pas conformés. Ils vivent à une autre échelle. Ils sont dans ce pays comme s'ils n'y étaient pas. Là est leur risque, car ils ont au moins besoin d'un risque; et c'est précisément l'existence même du risque que le conformisme n'admet pas. (...)

Le conformisme n'admet pas d'état net, il n'a de rien autant horreur que des genres tranchés. Il s'est fait un cocon d'idées, où il est au chaud, d'autant plus au chaud qu'elles sont plus confuses, plus duveteuses, plus molletonnées. Il s'y tient renfermé avec ce qu'il aime, avec ceux qu'il aime, ceux qu'il a une fois admis, qui sont toujours un peu les mêmes et, parce qu'ils lui ressemblent, se ressemblent entre eux. Et tout ce qui ne lui ressemble pas exactement, il l'ignore, tout ce qui n'est pas exactement conforme. Il peut lui naître tous les grands peintres, tous les grands écrivains, tous les grands savants qu'on voudra: il ne pourra pas les ignorer sans doute, il ne les accueillera pas. Il ne faut pas que rien ne puisse changer au sein d'un petit univers où depuis longtemps tout est à sa place, ni dans cet état de demi-torpeur où le conformisme se complaît. Et pour combien de temps encore? Là est justement la question; mais ce peuple entend y rester le plus longtemps possible, et c'est son droit.

Il défend son bien, quel qu'il soit. Un bien où il y a, en effet, de très bonnes choses (car les idées, pour lui, et l'art et l'expression, s'il ne juge pas qu'il peut s'en passer, ne sont que choses très accessoires, et du dehors, et mises là pour faire beau), - qui est son vin que j'aime, de la saucisse aux choux, du pain de ménage, que j'aime. Je redeviens sur ces points-là conformiste, moi aussi. De sorte que j'aime ce pays, qui est le mien, et j'y participe, puis m'en évade; je ne peux pas ne pas y vivre, et j'y vis, mais je n'y suis pas.  

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Charles Ferdinand Ramuz, Conformisme (Séquences, 1996)

image 1: Blason du Canton de Vaud / Suisse (arcinfo.ch)

image 2: Charles Ferdinand Ramuz (lecippe.ch)

image 3: François Bocion, Le Château de Glérolles (repro-tableaux.com)

31/07/2013

Le poème de la semaine

Jean-Pierre Schlunegger

Je dis: lumière,
et je vois bouger de tremblantes verdures.
Je dis: lac,
et les vagues dansent à l'unisson.
Je dis: feuille,
et je sens tes lèvres sur ma bouche.
Je dis: flamme, 
et tu viens, ardente comme un buisson.
 
Je dis: rose,
et je vois la nuit qui s'ouvre à l'aube.
Je dis: terre,
un sommeil aveugle, un chant profond.
Je dis: amour,
comme on dit tendre giroflée.
Je dis: femme,
et déjà c'est l'écho de ton nom.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

30/07/2013

Morceaux choisis - Chimamanda Ngozi Adichie

Chimamanda Ngozi Adichie

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Mon mari tout neuf a sorti la valise du taxi et il est entré le premier dans le brownstone, me guidant par une volée de marches maussades puis le long d'un couloir sans air, à la moquette élimée, pour s'arrêter devant une porte. Le numéro 2 B, en caractères de métal jaunâtre irréguliers, y était fixé.

On est arrivés, a-t-il dit.

Il avait utilisé le mot maison pour me parler de notre futur foyer. Je m'étais imaginé une allée bien lisse serpentant entre des pelouses vert concombre, une porte s'ouvrant sur un vestibule, des murs ornés de tableaux paisibles. Une maison comme celle des jeunes mariés blancs dans les films américains qui passaient le samedi soir sur NTA.

Il a allumé la lumière du salon, au milieu duquel trônait un canapé beige, seul et de travers, comme tombé du ciel. Il faisait très chaud; de vieilles odeurs de renfermé flottaient lourdement dans l'air.

Je te fais visiter, a-t-il dit. 

La petite chambre avait un matelas nu à même le sol dans un coin. Le grande chambre avait un lit et une commode, ainsi qu'un téléphone par terre sur la moquette. Malgré cela, ni l'une ni l'autre ne donnaient une sensation d'espace, comme si les murs avaient fini par être gênés d'avoir si peu d'objets entre eux.

Maintenant que tu es là, on va acheter d'autres meubles. Je n'avais pas besoin de grand-chose tant que j'étais seul, a-t-il dit.

D'accord, ai-je répondu.

J'étais sonnée. Les dix heures de vol de Lagos à New York et l'attente interminable pendant que la douanière passait ma valise au peigne fin m'avaient laissée sur les rotules, et la tête dans le coton. La douanière avait examiné mes aliments comme si c'étaient des araignées. Elle avait enfoncé ses doigts gantés dans les sacs étanches d'egusi pilé, de feuilles d'onugbu séchées et de graines d'uziza, et fini par confisquer mes graines d'uziza. Elle avait peur que je les fasse pousser dans le sol américain. Peu importe si les graines avaient séché des semaines au soleil, si elles étaient dures comme un casque de vélo.

Ike agwum, ai-je dit en posant mon sac à main par terre dans la chambre.

Oui, mais aussi je suis épuisé, a-t-il dit. On devrait se coucher.

Dans le lit les draps étaient doux et je me suis roulée en boule, contractée comme le poing d'oncle Ike quand il est en colère, en espérant qu'aucun devoir conjugal n'était attendu de moi. Quelques instants plus tard, je me suis détendue en entendant les ronflements cadencés de mon mari tout neuf.

Chimamanda Ngozi Adichie, Les marieuses / extrait, dans: Autour de ton cou (Gallimard, 2013)

traduit de l'anglais (Nigeria) par Mona de Pracontal

image: Chimamanda Ngozi Adichie (lemonde.fr)

07:01 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; nouvelles; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

29/07/2013

Vendanges tardives - De la rupture

Un abécédaire: R comme Rupture

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Tout le problème avec Odette, c'est qu'elle n'a jamais justifié sa décision de tout plaquer, là, un beau jour de juillet voici trois ans exactement. Du coup, les rumeurs les plus fantaisistes ont circulé à son sujet: déception amoureuse, maladie contractée au cours de sa brève carrière, crise existentielle à l'approche de la trentaine? Quand je fais parfois allusion à son amitié, je me souviens que, sans être d'une beauté flamboyante, elle dégageait cette sensualité si particulière - à la commissure des lèvres, dans les plis de ses yeux où perçait une gaieté discrète ainsi qu'une absence de crainte et d'innocence - semblable à la houle charriant ces mouvements de l'âme propres aux femmes hardies et déterminées. Avec pourtant ce mur infranchissable qu'elle avait dressé entre sa vie privée dont peu m'était connu et celle, publique: banale, mesurée, conventionnelle, chez une jeune femme de son âge. Sa silhouette se détachait toujours dans les rues de Brive La Gaillarde, solitaire, drapée dans une cape noire dont les mauvaises langues disaient qu'elle n'abritait pas - outre ses bijoux et ses escarpins made in Italy - de parure excessive...  

Je ne lui a connu aucune liaison amoureuse officielle, mais toutes et tous semblent l'avoir regrettée - jeunes et moins jeunes - au pays où jamais elle ne refit son apparition. Voici une quinzaine de jours, j'ai reçu - pour la troisième fois en trois ans - de ses nouvelles. Elle vit aujourd'hui quelque part dans les Cévennes, à proximité d'un monastère, avec ses chats et ses livres, cet autre penchant qu'elle a toujours éprouvé. Epanouie dirais-je, libre et secrète comme autrefois. Je ne t'en dirai pas davantage, mon cher Fred, sinon qu'elle a conservé dans un écrin ce ruban rouge qu'elle portait autour du cou et que je lui avais offert pour son vingt-cinquième anniversaire. Me reviennent aussi en mémoire ses derniers mots, tracès à la hâte en bas de page de sa dernière lettre, signés Marcel Proust: Quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir...  

Marcel Proust, Du côté de chez Swann (coll. GF/Flammarion, 2009)

image: www.aufeminin.com

00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Marcel Proust, Vendanges tardives - Un abécédaire 2013 | Lien permanent | Commentaires (2) | |  Imprimer |  Facebook | | |

28/07/2013

Morceaux choisis - Marcel Proust

Marcel Proust

littérature; roman; morceaux choisis; livres

merci à Christiane H

Quand on aime, l'amour est trop grand pour pouvoir être contenu tout entier en nous; il irradie vers la personne aimée, rencontre en elle une surface qui l'arrête, le force à revenir vers son point de départ et c'est ce choc en retour de notre propre tendresse que nous appelons les sentiments de l'autre et qui nous charme plus qu'à l'aller, parce que nous ne connaissons pas qu'elle vient de nous.

Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs (coll. Livre de poche/LGF, 2001)

image: Pablo Picasso, Femme à la chemise / 1905 (berbec.com)

10:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Marcel Proust, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

27/07/2013

La citation du jour

René Char

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Comme les larmes montent aux yeux puis naissent et se pressent, les mots font de même. Nous devons seulement les empêcher de s'écraser comme les larmes, ou de refouler au plus profond. Un lit en premier les accueille: les mots rayonnent. Un poème va bientôt se former, il pourra, par les nuits étoilées, courir le monde, ou consoler les yeux rougis. Mais pas renoncer.

René Char, Le bâton de rosier, dans: Oeuvres complètes (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1983)

image: Katy Betz, Take Flight (mesalina.tumblr.com)

22:34 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Ramon Gomez de la Serna

Bloc-Notes, 27 juillet / Les Saules

littérature; pensées; livres

Je vous ai déjà présenté dans ces colonnes Ramon Gomez de la Serna, en deux extraits - voir Morceaux choisis - tirés de ses Lettres aux hirondelles et à moi-même. Aujourd'hui, avec autant de plaisir, je vous propose Greguerias de ce même auteur, dont la démarche singulière mérite que je cite l'introduction: Dans l'immense production littéraire de Ramon Gomez de la Serna, la "gregueria" est un genre qu'il n'a cessé de cultiver. De 1910 à 1962, les "greguerias" seront publiées dans la presse, citées dans d'autres livres, maintes fois réunies, inédites pour certaines; elles sont de véritables petits chefs-d'oeuvre, des notations délicates, de purs joyaux ciselés dans le laboratoire génial de l'auteur. La "gregueria" est née vers 1910, explique-t-il, un jour de fatigue et de scepticisme où je pris tous les ingrédients qui se trouvaient dans mon laboratoire, flacon après flacon, et les mélangeai. De leur précipité, de leur dissolution radicale, surgit la "gregueria", qui est humour, métaphore ou encore l'urne de mes cendres quotidiennes, un oeillet sur le mur.

Ci-dessous, voici donc, parmi plusieurs centaines d'autres, quelques perles de ces Greguerias:

La lune est un petit miroir impertinent avec lequel la voisine facétieuse renvoie le soleil dans les yeux de son voisin accoudé au balcon. (p. 15)
*
Lorsqu'une étoile tombe, on dirait que le ciel a filé ses bas. (p. 20)
*
Les bancs publics sont les portées musicales des initiales de l'amour. (p. 22) 
*
L'hirondelle est une flèche mystique à la recherche d'un coeur. (p.23)
*
La chenille est le plus petit chemin de fer du monde. (p. 24)
*
Qu'est-ce qu'une illusion? Un soupir de la fantaisie. (p.24)
*
La vie, c'est se dire adieu dans un miroir. (p. 34)
*
Les feuilles mortes sont les billets de loterie offerts par l'automne. (p. 38)
*
L'horloge est le médaillon du temps. (p. 44)
*
L'eau n'a pas de mémoire, c'est pour cela qu'elle est si propre. (p. 50)
*
L'arc-en-ciel est l'écharpe du ciel. (p. 50)
*
La girafe est un périscope pour scruter l'horizon du désert. (p. 50)
*
Grâce aux gouttes de rosée, la fleur a des yeux pour voir la beauté du ciel. (p. 51)
*
Les grêlons sont des grains de riz lancés pour célébrer les noces de l'été. (p. 53)
*
L'ennui est un baiser donné à la mort. (p. 54)
*
Il ne faut pas dire la vérité toute nue. Il faut au moins la couvrir d'un voile léger. (p. 58)
*
Le rêve est un dépôt d'objets perdus. (p. 67)
*
L'archet du violon a les cheveux blancs de l'expérience. (p. 68)
*
La queue de l'écureuil est un plumeau avec lequel il nettoie l'endroit où il s'assied. (p. 69)
*
C'est dans la vague que se trouve le miroir des abîmes. (p. 72)
*
Le hibou est la lampe de chevet du bois. (p. 74)
*
La plus élégante du bal s'était fait une robe dans cette dentelle que tisse sur le sol l'ombre des arbres. (p. 74)
*
L'éléphant est la gigantesque théière de la forêt. (p. 75)
*
La mer passe son temps à doucher la terre pour essayer de lui faire entendre raison. (p. 80)
*
L'hélice est le trèfle de la vitesse. (p. 82)
*
Lorsque le marteau perd la tête, les clous éclatent de rire. (p. 82)
*
Au petit matin, l'aube glisse une pièce dans la cage de l'oiseau pour qu'il commence à chanter. (p. 84)
*
La femme qui dans son mouchoir se taille un chemisier est d'une grande frivolité. (p. 89)
*
L'ombre est le vivant écrin de la silhouette. (p. 98)
*
Les touches noires du piano portent le deuil des pianistes disparus. (p. 127)
*
Les chardons sont les croque-mitaines des marguerites. (p. 146)
*
Il est des femmes qui croient que la seule chose importante chez elles est ce rien d'ombre qui ourle leur décolleté. (p. 148) 

Des pirouettes qui font la part belle à l'imagination, à la poésie, à l'humour, servies par le regard pénétrant et tout en finesse de Ramon Gomez de la Serna, qui ne ressemble à celui de personne...

Ramon Gomez de la Serna, Greguerias (Cent Pages, 2005)

traduit de l'espagnol par Jean-François Carcelen et Georges Tyras

préface de Valery Larbaud

Ramon Gomez de la Serna, Lettres aux hirondelles et à moi-même (André Dimanche, 2006)

traduit de l'espagnol par Jacques Ancet

04:07 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature espagnole, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; pensées; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/07/2013

Lire les classiques - Paul Verlaine

Paul Verlaine

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Va, chanson, à tire-d'aile
Au-devant d'elle, et dis-lui
Bien que dans mon coeur fidèle
Un rayon joyeux a lui,
 
Dissipant, lumière sainte,
Ces ténèbres de l'amour:
Méfiance, doute, crainte,
Et que voici le grand jour!
 
Longtemps craintive et muette,
Entendez-vous? La gaîté,
Comme une vive alouette,
Dans le ciel clair a chanté.
 
Va donc, chanson ingénue,
Et que, sans nul regret vain,
Elle soit la bienvenue
Celle qui revient enfin.
 

Paul Verlaine, Va, chanson, à tire-d’aile, dans: La bonne chanson, Jadis et naguère, Parallèlement (coll. Poésie/Gallimard, 2007)

image: Eugène Carrière, Paul Verlaine / 1891 (eugenecarriere.com)

11:04 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |