25/07/2013
Morceaux choisis - Nicolas Machiavel
Nicolas Machiavel
On peut dire généralement des hommes qu'ils sont ingrats, inconstants, dissimulés, tremblants devant les dangers et avides de gain; que, tant que vous leur faites du bien, ils sont à vous, qu'ils vous offrent leur sang, leurs biens, leur vie, leurs enfants, tant, comme je l'ai déjà dit, que le péril ne s'offre que dans l'éloignement; mais que, lorsqu'il s'approche, ils se détournent bien vite. Le prince qui se serait entièrement reposé sur leur parole, et qui, dans cette confiance, n'aurait point pris d'autres mesures, serait bientôt perdu; car toutes ces amitiés, achetées par des largesses, et non accordées par générosité et grandeur d'âme, sont quelquefois, il est vrai, bien méritées, mais on ne les possède pas effectivement; et, au moment de les employer, elles manquent toujours. Ajoutons qu'on appréhende beaucoup moins d'offenser celui qui se fait aimer que celui qui se fait craindre; car l'amour tient par un lien de reconnaissance bien faible pour la perversité humaine, et qui cède au moindre motif d'intérêt personnel; au lieu que la crainte résulte de la menace du châtiment, et cette peur ne s'évanouit jamais.
Nicolas Machiavel, Le prince (coll. Livre de poche/LGF, 2000)
05:24 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; philosophie; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |
24/07/2013
Le poème de la semaine
Ilarie Voronca
Rien n’obscurcira la beauté de ce mondeLes pleurs peuvent inonder toute la vision.La souffrance peut enfoncer ses griffes dans ma gorge.Le regret, l'amertume, peuvent élever leurs murailles de cendre,La lâcheté, la haine, peuvent étendre leur nuit,Rien n'obscurcira la beauté de ce monde. Nulle défaite ne m'a été épargnée.J'ai connu le goût amer de la séparation.Et l'oubli de l'ami et les veilles auprès du mourant.Et le retour vide, du cimetière.Et le terrible regard de l'épouse abandonnée.Et l'âme enténébrée de l'étranger,Mais rien n'obscurcira la beauté de ce monde. Ah! On voulait me mettre à l'épreuve,Détourner mes yeux d'ici-bas.On se demandait : "Résistera-t-il?"Ce qui m'était cher m'était arraché.Et des voiles sombres, recouvraient les jardins à mon approcheLa femme aimée tournait de loin sa face aveugleMais rien n'obscurcira la beauté de ce monde. Je savais qu'en dessous il y avait des contours tendres,La charrue dans le champ comme un soleil levant,Félicité, rivière glacée, qui au printempsS'éveille et les voix chantent dans le marbreEn haut des promontoires flotte le pavillon du ventRien n'obscurcira la beauté de ce monde. Allons! Il faut tenir bon.Car on veut nous tromper,Si l'on se donne au désarroi on est perdu.Chaque tristesse est là pour couvrir un miracle. Un rideau que l'on baisse sur le jour éclatant,Rappelle-toi les douces rencontres, les serments,Car rien n'obscurcira la beauté de ce monde. Il faudra jeter bas le·masque de la douleur,Et annoncer le temps de l’homme, la bonté,Et les contrées du rire et la quiétudeJoyeux, nous .marcherons vers la dernière épreuveLe front dans la clarté, libation de l'espoir,Rien n'obscurcira la beauté de ce monde.Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
06:57 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
23/07/2013
Mary Wesley
Mary Wesley, La resquilleuse (coll. J'ai lu/Flammarion, 2013)
Matilda, la cinquantaine, a soigneusement préparé son coup. Elle a arrosé une dernière fois son jardin, laissé un intérieur propre et bien rangé, réduit en cendres la correspondance qu'elle entretenait avec son mari. Sans regrets envers sa progéniture: Louise vit à Paris, Marc à Paris, Claud aux Etats-Unis et Anabel toujours par monts et par vaux. Sur le pont dominant l'endroit du village où le fleuve se précipite dans la mer, elle s'apprête donc à se bourrer les poches de pierres avant de se jeter à l'eau comme Virginia Woolf, mais sur le point de tirer sa révérence en beauté, son destin est contrarié par la rencontre de Hugh sur la falaise, un trentenaire recherché par la police après avoir bousillé sa mère avec un plateau à thé.
Entre notre morte en sursis et Hugh vont se nouer des liens doux-amers, servis par des dialogues truffés d'une délicieuse malice à l'anglaise. Baissant peu à peu sa garde, Matilda avouera à Hugh bien des secrets gardés tout au long de ces années, dont celui d'un meurtre commis autrefois, en toute impunité: une oeuvre de salubrité publique dit-elle, envers toutes les femmes trompées, écornant l'image de son premier et unique amour, Tom.
Outre une évocation subtile de la vieillesse, cette bonne dame indigne réglant ses comptes avec le passé, laisse s'épanouir un savoureux parfum de liberté, de tendresse et d'insoumission que même la fin de l'histoire - que je vous laisse découvrir - ne ternit pas. On prendrait bien la place de Gus, le jard: un esprit drôle, fidèle, indépendant, voué à sa maîtresse qui lui témoigne en retour une affection dont aucun humain n'aura été - sans déception aucune - l'heureux bénéficiaire...
00:01 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Mary Wesley | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
22/07/2013
Vendanges tardives - Des quatuors
Un abécédaire: Q comme Quatuors
Quand je revois le visage pâle, infiniment triste et néanmoins enjoué de Florence, peu après l'accident mortel de son fils en scooter, la semaine dernière, je ne peux m'empêcher de penser au dernier mouvement du quatuor à cordes No 15, KV 421 de Wolfgang Amadeus Mozart, qui mieux qu'aucune autre oeuvre au monde restititue l'infini de l'isolement, de la douleur et d'une inéluctable désintégration intérieure, sous une apparence joviale. A juste titre, Jean-Victor Hocquard parle d'une lourde et vague anxiété, plus pénible que ne serait un pathos déclaré. On y trouve un aspect des plus impressionnants - des plus authentiques aussi - du Maître: la solitude, l'impossibilité, voire l'inutilité de toute communication, la déréliction...
On devine, dans ce Allegretto ma non troppo, ce qu'on retrouve dans d'autres quatuors ultérieurs: cette mélodie des profondeurs où la lumière peine à traverser les abîmes, d'une douceur irréelle ou mieux, détachée, retirée du monde, malgré ses élans embarrassés, comme à bout de souffle. Mais si j'ai pensé à cette oeuvre en face de notre amie Florence - plutôt qu'aux pages poignantes d'un Gustav Mahler ou d'un Piotr Ilitch Tchaïkovski - c'est qu'elle condense en moins de dix minutes la précarité de l'existence, sa beauté, sa douleur, son mystère. L'espérance aussi, au final. Brigitte et Jean Massin notent: Ce quatuor finit sur un refus de quitter une partie jouée d'avance; il laisse le dernier mot, sans réconfort et sans calcul, au courage.
Et Fred, si on est bien loin d'une voie royale ouverte au triomphe de la vie sur la mort, tout n'est pourtant pas perdu, et le temps sait faire le reste, parfois, ne guérissant pas ou peu les blessures, mais leur conférant une tonalité particulière que le regard, débarrassé de ses masques, inonde d'une clarté si particulière et bouleversante, tout alentour...
Brigitte et Jean Massin, Wolfgang Amadeus Mozart (coll. Les Indispensables Musique/Fayard, 2006)
Jean-Victor Hocquard, Mozart (coll. Solfèges/Seuil, 1994)
image: http://www.tounsia4ever.com
Wolfgang Amadeus Mozart, String Quartet No 15 in D minor, KV 421 - IV. Allegretto ma non troppo (Quatuor Mosaïques)
12:43 Écrit par Claude Amstutz dans Gustav Mahler, Musique classique, Piotr Ilitch Tchaïkovski, Vendanges tardives - Un abécédaire 2013, Wolfgang Amadeus Mozart | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; musique classique; livres | | Imprimer | Facebook |
Musica présente - 71 Arturo Benedetti Michelangeli
Arturo Benedetti Michelangeli
pianiste italien, 1920 - 1995
*
Frédéric Chopin
Piano Sonata No 2 in B flat minor, Op 35 - "Marche funèbre"
Ballade No 1 in G minor, Op 23
Andante spianato and Grande Polonaise, Op 22
Fantasia in F minor, Op 49
Waltz No 9 in A flat major, Op 69 - "Les adieux"
Waltz No 2 in A flat major Op 34 - "Grande Valse Brillante"
Waltz No 17 in E flat major, Op Post KKIVa:14, B 46
Scherzo No 2 in B flat minor, Op 31
Mazurka No 47 in A minor, Op 68
Mazurka No 25 in B minor, Op 33
Mazurka No 20 in D flat major, Op 30
Berceuse in D flat major, Op 57
merci à Nicole R
07:28 Écrit par Claude Amstutz dans Frédéric Chopin, Musica présente, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : musique classique | | Imprimer | Facebook |
20/07/2013
Françoise Baqué
Françoise Baqué, Celle qui détricotait sa vie (Jacqueline Chambon, 2009)
La mort brutale de Nicole, son amie d'enfance, frappe Florence de plein fouet. Tandis que la télévision montre la chute du mur de Berlin, un mur cède à l'intérieur d'elle-même, livrant passage aux monstres jusque-là tenus en respect par la vitalité de Nicole. Elle se décide alors à consulter Ida, une thérapeute un peu suspecte qui habite Mer, petite ville terne et envoûtante...
Florence a toujours vécu à travers le regard des autres. A travers ce deuil, les repères s’évanouissent, sans crier gare. Temps de la souffrance et de malheur, ce moment du milieu de la vie est aussi celui de toutes les interrogations. Il met le cœur à nu afin de mieux le délivrer des fantômes qui l’habitent, au risque d’égratigner les certitudes du passé et les souvenirs. Une ambiance particulière pour ce récit austère, un brin mystique, résolument original.
03:54 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |
19/07/2013
Morceaux choisis - André Velter
André Velter
La nuit ne cache rienElle ouvre son baiser sombreSon brasier d'étoiles filantesQui tombent du côté des cendresEt la Grande Migration a déjà commencé De très haut le regard se surprendA plus haut que luiUne idée fixe et mouvantePour débusquer la voie délivrée des ombresSorte de secret révéléQui met des bleus aux épaules et aux cuisses On monte à coups de reinsDans un écho venu de loinQui depuis longtemps ne s'entend plusQue les yeux à la renverse Notre histoire en appelle au sens ascendantCelui du réel inouïCelui des légendes vraies Le vertige se cantonne au dedansNuage en chute libreDe la bouche jusqu'au ventreAvec son charroi de ressouvenirs En rappel sur la paroi c'est autre choseUne éclaircie des muscles des osUn sursaut hors de toutA une corde près qui vibre contre les pierres Etre là dans ce gouffre aboliSi fier de répondre à son propre défiRessuscité d'entre les cicatricesEt délesté enfin Et invincible encoreAndré Velter, Hors de tout, dans: Avec un peu plus de ciel (Gallimard, 2012)
18:45 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
Jacques Chessex
Jacques Chessex, Le vampire de Ropraz (Grasset, 2007)
En 1903 à Ropraz, dans le Haut-Jorat vaudois, la fille du juge de paix meurt à vingt ans d'une méningite. Un matin, on trouve le couvercle du cercueil soulevé, le corps de la virginale Rosa profané, les membres en partie dévorés. Horreur. Stupéfaction des villages alentour, retour des superstitions, hantise du vampirisme, chacun épiant l'autre au cœur de l'hiver. Puis, à Carrouge et à Ferlens, deux autres profanations sont commises. Il faut désormais un coupable. Ce sera le nommé Favez, un garçon de ferme aux yeux rougis, qu'on a surpris à l'étable. Condamné, emprisonné, soumis à la psychiatrie, on perd sa trace en 1915.
A la fois historien soucieux de vérité et conteur incomparable, Jacques Chessex nous offre l’un de ses textes les plus personnels. Les descriptions du Haut Jorat sont magnifiques et sa saisissante évocation nous aspire littéralement dans cette terrible histoire jaillie du silence, des secrets de famille et du sang, porteuse d’une intolérable soif de jugement. Que cache la vérité ? Une interrogation constante dans les œuvres de l’auteur.
également disponible en format de poche (coll. Livre de poche/LGF, 2008)
05:47 Écrit par Claude Amstutz dans Jacques Chessex, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; récit; livres | | Imprimer | Facebook |
18/07/2013
Morceaux choisis - Nazim Hikmet
Nazim Hikmet
merci à Monique D
Si j'étais platane si je me reposais à son ombre si j'étais livre que je lirais sans ennui dans mes nuits d'insomnie crayon, je ne voudrais pas l'être même pas entre mes propres doigts si j'étais porte je m'ouvrirais aux bons je me fermerais aux méchants si j'étais fenêtre une fenêtre sans rideaux grande ouverte si j'étais verbe si je vous appelais au beau au juste au vrai si j'étais parole je dirais mon amour doucement, tout doucementNazim Hikmet, cité par John Berger (bleublancturc.com)
09:48 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
Vendanges tardives - De la panne
Un abécédaire: P comme Panne
Comme chaque année, notre brave Madame Angela Martinez a investi pour tout l'été la loge de concierge de l'immeuble. Je la connais de longue date, pour lui confier souvent - au noir - quelques corvées de nettoyage ou tâches ponctuelles, telles les changements de literie ou les courses encombrantes du supermarché! Or, toi qui recours aussi de temps à autres à ses services, tu as peut-être remarqué que cette année ne ressemble pas aux précédentes, notre fée du logis arborant la mine d'une résistante en état de guerre totale. Et pourquoi donc?
Tout a commencé par un doute qui m'a saisi lors de ses derniers achats chez notre épicier local, dont je voyais les tickets de caisse prendre soudain l'ascenseur. Elle m'a alors expliqué qu'elle avait biffé de sa liste tous les produits au label Made in France, les remplaçant par les produits du Terroir suisse. Et le melon, alors: il est suisse? Non, me répondit-elle, il est italien, et aussi savoureux que son homologue bleu-blanc-rouge... Ah, donc un léger différend avec nos voisins et néanmoins amis?
J'aurais sans doute mieux fait de ne pas la provoquer, car Angela ouvrit toutes grandes les vannes de ses griefs: donneurs de leçons détestés même dans son pays d'origine; jaloux de la réussite des pays étrangers à leurs dépens; avides de faire les poches des autres plutôt que resserrer les cordons de leur propre bourse; incorrigibles bavards aux propos dispersés par le vent; encourageant la délation (financière) - et on voit où cela a pu les mener, les français - sans oublier cette insupportable vanité qui les fait croire (à eux-mêmes) qu'ils sont les sauveurs d'une Europe inéquitable! Rien que ça...
Je passe sous silence ses propos lapidaires sur le football ou la politique intérieure, mais mon cher Fred, ce qu'Angela ne m'a pas dit, c'est que son ami Xavier, maçon venu voici trois hivers de Villeurbanne, l'a larguée le mois dernier et a choisi de rejoindre sa régulière dans la région lyonnaise, sans autre forme de procès... Petite amertume passagère? Depuis hier à 17h15, elle jubile, car sa télévision est tombée en panne - elle ne compte pas la réparer de si tôt - lui évitant le lavage de cerveau des informations people en continu et le bla-bla des initiés ou gourons en tous genres, semblables à ceux de la veille, de l'avant-veille etc. A toute chose donc, malheur est bon, car ce soir, au moment où je te parle, elle regarde un DVD de Stanley Donen que je lui ai prêté: Singin' in the Rain (Chantons sous la pluie) avec Gene Kelly, Donald O'Connor, Debbie Reynolds et Cyd Charisse!
Quant à moi, je regarde avec le sourire mes fruits et légumes, délicatement disposés sur ma table de cuisine. Une pomme suisse: ça te tente? Ou allons-nous pencher vers un Rosé de Provence?
D'accord, j'éteins la télévision! A ta bonne santé, l'ami...
image: http://farm8.staticflickr.com
03:29 Écrit par Claude Amstutz dans Le monde comme il va, Vendanges tardives - Un abécédaire 2013 | Lien permanent | Commentaires (1) | | Imprimer | Facebook |