01/07/2015
Le poème de la semaine
Robert Desnos
J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité. Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivantet de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m'est chère?J'ai tant rêvé de toi que mes bras habituésen étreignant ton ombre à se croiser sur ma poitrinene se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être.Et que, devant l'apparence réellede ce qui me hante et me gouvernedepuis des jours et des années,je deviendrais une ombre sans doute. O balances sentimentales. J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps sans doute que je m'éveille.Je dors debout, le corps exposéà toutes les apparences de la vie et de l'amour et toi, la seule qui compte aujourd' hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvresque les premières lèvres et le premier front venu.J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu'il ne me reste plus peut-être,et pourtant,qu'à être fantôme parmi les fantômeset plus ombre cent foisque l'ombre qui se promèneet se promènera allègrement sur le cadran solaire de ta vie. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
05:56 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
24/06/2015
Le poème de la semaine
Paul-Jean Toulet
Le temps irrévocable a fui. L'heure s'achève.
Mais toi quand tu reviens, et traverses mon rêve,
Tes bras sont plus frais que le jour qui se lève,
Tes yeux plus clairs.
A travers le passé ma mémoire t'embrasse.
Te voici. Tu descends en courant la terrasse
Odorante, et tes faibles pas s'embarrassent
Parmi les fleurs.
Par un après-midi de l'automne, au mirage
De ce tremble inconstant que varient les nuages,
Ah! verrai-je encor se farder ton visage
D'ombre et de soleil?
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
07:00 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : textes; poésie | | Imprimer | Facebook |
17/06/2015
Le poème de la semaine
Jean-Pierre Schlunegger
La nuit gouverne les branchages de mon coeurJe vous parle à travers la brume et la distance,Terre immobile où rien n'est vraiQue ce murmure d'eau qui chante. Plus vieux mais non vieilli,J'ai le regard de l'enfant solitaireQui reflète longtemps les étangs et les arbres.Il dure à l'épreuve, le coeur,Malgré la nuit si longue. Mon chant profond n'est que la pluie aux tresses pâles,Mon chant n'est qu'un murmure sans paroles,Et l'on dirait parfois la phrase interminableDu vent qui se disperse à travers la campagne. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
07:39 Écrit par Claude Amstutz dans Jean-Pierre Schlunegger, Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
10/06/2015
Le poème de la semaine
Paul Valéry
Ce toit tranquille, où marchent des colombes,Entre les pins palpite, entre les tombes;Midi le juste y compose de feuxLa mer, la mer, toujours recommencéeO récompense après une penséeQu'un long regard sur le calme des dieux! Quel pur travail de fins éclairs consumeMaint diamant d'imperceptible écume,Et quelle paix semble se concevoir!Quand sur l'abîme un soleil se repose,Ouvrages purs d'une éternelle cause,Le temps scintille et le songe est savoir. Stable trésor, temple simple à Minerve,Masse de calme, et visible réserve,Eau sourcilleuse, Oeil qui gardes en toiTant de sommeil sous une voile de flamme,O mon silence! . . . Édifice dans l'âme,Mais comble d'or aux mille tuiles, Toit! Temple du Temps, qu'un seul soupir résume,À ce point pur je monte et m'accoutume,Tout entouré de mon regard marin;Et comme aux dieux mon offrande suprême,La scintillation sereine sèmeSur l'altitude un dédain souverain. Comme le fruit se fond en jouissance,Comme en délice il change son absenceDans une bouche où sa forme se meurt,Je hume ici ma future fumée,Et le ciel chante à l'âme consuméeLe changement des rives en rumeur. Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change!Après tant d'orgueil, après tant d'étrangeOisiveté, mais pleine de pouvoir,Je m'abandonne à ce brillant espace,Sur les maisons des morts mon ombre passeQui m'apprivoise à son frêle mouvoir. L'âme exposée aux torches du solstice,Je te soutiens, admirable justiceDe la lumière aux armes sans pitié!Je te tends pure à ta place première,Regarde-toi! . . . Mais rendre la lumièreSuppose d'ombre une morne moitié. O pour moi seul, à moi seul, en moi-même,Auprès d'un coeur, aux sources du poème,Entre le vide et l'événement pur,J'attends l'écho de ma grandeur interne,Amère, sombre, et sonore citerne,Sonnant dans l'âme un creux toujours futur! Sais-tu, fausse captive des feuillages,Golfe mangeur de ces maigres grillages,Sur mes yeux clos, secrets éblouissants,Quel corps me traîne à sa fin paresseuse,Quel front l'attire à cette terre osseuse?Une étincelle y pense à mes absents. Fermé, sacré, plein d'un feu sans matière,Fragment terrestre offert à la lumière,Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux,Composé d'or, de pierre et d'arbres sombres,Où tant de marbre est tremblant sur tant d'ombres;La mer fidèle y dort sur mes tombeaux! Chienne splendide, écarte l'idolâtre!Quand solitaire au sourire de pâtre,Je pais longtemps, moutons mystérieux,Le blanc troupeau de mes tranquilles tombes,Éloignes-en les prudentes colombes,Les songes vains, les anges curieux! Ici venu, l'avenir est paresse.L'insecte net gratte la sécheresse;Tout est brûlé, défait, reçu dans l'airA je ne sais quelle sévère essence . . .La vie est vaste, étant ivre d'absence,Et l'amertume est douce, et l'esprit clair. Les morts cachés sont bien dans cette terreQui les réchauffe et sèche leur mystère.Midi là-haut, Midi sans mouvementEn soi se pense et convient à soi-mêmeTête complète et parfait diadème,Je suis en toi le secret changement. Tu n'as que moi pour contenir tes craintes!Mes repentirs, mes doutes, mes contraintesSont le défaut de ton grand diamant! . . .Mais dans leur nuit toute lourde de marbres,Un peuple vague aux racines des arbresA pris déjà ton parti lentement. Ils ont fondu dans une absence épaisse,L'argile rouge a bu la blanche espèce,Le don de vivre a passé dans les fleurs!Où sont des morts les phrases familières,L'art personnel, les âmes singulières?La larve file où se formaient les pleurs. Les cris aigus des filles chatouillées,Les yeux, les dents, les paupières mouillées,Le sein charmant qui joue avec le feu,Le sang qui brille aux lèvres qui se rendent,Les derniers dons, les doigts qui les défendent,Tout va sous terre et rentre dans le jeu! Et vous, grande âme, espérez-vous un songeQui n'aura plus ces couleurs de mensongeQu'aux yeux de chair l'onde et l'or font ici?Chanterez-vous quand serez vaporeuse?Allez! Tout fuit! Ma présence est poreuse,La sainte impatience meurt aussi! Maigre immortalité noire et dorée,Consolatrice affreusement laurée,Qui de la mort fais un sein maternel,Le beau mensonge et la pieuse ruse!Qui ne connaît, et qui ne les refuse,Ce crâne vide et ce rire éternel! Pères profonds, têtes inhabitées,Qui sous le poids de tant de pelletées,Êtes la terre et confondez nos pas,Le vrai rongeur, le ver irréfutableN'est point pour vous qui dormez sous la table,Il vit de vie, il ne me quitte pas! Amour, peut-être, ou de moi-même haine?Sa dent secrète est de moi si prochaineQue tous les noms lui peuvent convenir!Qu'importe! Il voit, il veut, il songe, il touche!Ma chair lui plaît, et jusque sur ma couche,À ce vivant je vis d'appartenir! Zénon! Cruel Zénon! Zénon d'Elée!M'as-tu percé de cette flèche ailéeQui vibre, vole, et qui ne vole pas!Le son m'enfante et la flèche me tue!Ah! le soleil . . . Quelle ombre de tortuePour l'âme, Achille immobile à grands pas! Non, non! . . . Debout! Dans l'ère successive!Brisez, mon corps, cette forme pensive!Buvez, mon sein, la naissance du vent!Une fraîcheur, de la mer exhalée,Me rend mon âme . . . O puissance salée!Courons à l'onde en rejaillir vivant. Oui! grande mer de délires douée,Peau de panthère et chlamyde trouée,De mille et mille idoles du soleil,Hydre absolue, ivre de ta chair bleue,Qui te remords l'étincelante queueDans un tumulte au silence pareil Le vent se lève! . . . il faut tenter de vivre!L'air immense ouvre et referme mon livre,La vague en poudre ose jaillir des rocs!Envolez-vous, pages tout éblouies!Rompez, vagues! Rompez d'eaux réjouiesCe toit tranquille où picoraient des focs! Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Paul Valéry, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | | Imprimer | Facebook |
03/06/2015
Le poème de la semaine
Nadia Tuéni
Je vous salue,vous qui êtes, dans la simplicité d'une racine,avec la nuit pour chien de garde.Vos bruits ont la splendeur des mots,et la fierté des cataclysmes. Je vous connais,vous qui êtes, hospitaliers comme mémoire;vous portez le deuil des vivants,car l'envers du temps, c'est le temps. Je vous épèle,vous qui êtes, aussi unique que le Cantique.Un grand froid vous habille,et le ciel à portée de branche. Je vous défie,vous qui hurlez sur la montagneusant les syllabes jusqu'au sang,Aujourd'hui c'est demain d'hier,sur vos corps un astre couchant. Je vous aime,vous qui partez avec pour bannière le vent.Je vous aime comme on respire,vous êtes le premier poème. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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27/05/2015
Le poème de la semaine
René Depestre
Une fois, il y a très longtempsJ'ai voulu aimer une femme sans couleur. Une femme sans jour et sans nuitUne femme sans azur dans ses gestesNi tournesols dans ses passionsUne femme sans neige ni lumièreSans oranges ni cerisesUne femme sans la belle couleur noireDe la noblesse humaine. On me parla d'une petite féeQui vit dans une étoile lointaine.Une nuit elle me donna à aimerSa jeune peau sans couleur. J'aimai ses seins, son enfance,Ses cuisses, ses secrets, ses cris,Ses nuages, son ventre, ses vaguesEt les papillons sans couleurQui volaient dans son silence. Au moment de nous séparerLà-haut dans son étoileEn guise d'adieu son corps de féeDessina au beau milieu du litUn arc-en-ciel. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
02:28 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
20/05/2015
Le poème de la semaine
Karel Logist
J'emporte en voyage deux montresl'une marque l'heure de mon départl'autre semble indiquer celle de mon retour Vous le savez mieux que moi:les belles étrangèressi accueillantes aux étrangerssont rarement ponctuelles en amour C'est pourquoi j'ignore toujourslaquelle de mes montres retardeet pour qui mes fuseaux horairesse déhanchent ainsi que sur des airs de danse. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:00 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
14/05/2015
Le poème de la semaine
Yves Bonnefoy
Ecoute-moi revivre dans ces forêts
Sous les frondaisons de mémoire
Où je passe verte,
Sourire calciné d'anciennes plantes sur la terre,
Race charbonneuse du jour.
Ecoute-moi revivre, je te conduis
Au jardin de présence,
L'abandonné au soir et que des ombres couvrent,
L'habitable pour toi dans le nouvel amour.
Hier régnant désert, j'étais feuille sauvage
Et libre de mourir,
Mais le temps mûrissait, plainte noire des combes,
La blessure de l'eau dans les pierres du jour.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
06/05/2015
Le poème de la semaine
Abdellatif Laâbi
Ce monde n'est pas le mien
et je n'ai pas d'autre monde
Je ne dispute à personne son royaume
Je ne convoite
que ce qui a été délaissé
par les convoitises:
un arpent de terre en jachère
un mouchoir de ciel
imbibé de lavande
un filet d'eau
plus pour le plaisir des yeux
que pour la soif
un fruit resté seul sur l'arbre
des livres hors commerce
usés à force d'être lus
des amitiés pour le simple repos du coeur
une étoile complice pour les confidences
en cas de douleur
des miettes pour attirer
les hirondelles de la vision
un bâton solide de pélerin
pour entreprendre
encore et toujours
le seul voyage qui en vaille la peine
celui au centre de l'homme
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Abdellatif Laâbi, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
29/04/2015
Le poème de la semaine
Raymond Queneau
Bien placés, bien choisis,Quelques mots font une poésieLes mots, il suffit qu'on les aimePour écrire un poème.On sait pas toujours ce qu'on ditLorsque naît la poésieFaut ensuite rechercher le thèmePour intituler le poèmeMais d'autres fois, on pleure, on ritEn écrivant la poésieCa a toujours kèkchose d'extrêmeUn poème Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:23 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |