02/07/2014
Le poème de la semaine
Nicolas Bouvier
Depuis que le silencen'est plus le père de la musiquedepuis que la parole a fini d'avouerqu'elle ne nous conduit qu'au silenceles gouttières pleurentil fait noir et il pleut Dans l'oubli des noms et des souvenirsil reste quelque chose à direentre cette pluie et Celle qu'on attendentre le sarcasme et le testamententre les trois coups de l'horlogeet les deux battements du sang Mais par où commencerdepuis que le midi du prérefuse de dire pourquoinous ne comprenons la simplicitéque quand le cœur se brise. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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25/06/2014
Le poème de la semaine
Georges Jean
Se ramasse au fond du TempsLe secret des longues routes Visages emplis de ventMarais ouverts au soleil Promenade d’un enfantJ’entends le bruit sec des feuilles Sillons abandonnés où rouillent des charrues Sombres forêts perdues où passait une filleEt ses cheveux d’ardoise et ses mains de genêts Le soir est écarté aux limites du ciel L’immobilité me convient Alors les motscomme des bullesmontent. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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18/06/2014
Le poème de la semaine
Lucie Delarue-Mardrus
L’odeur de mon pays était dans une pomme.Je l’ai mordue avec les yeux fermés du sommePour me croire debout dans un herbage vert.L’herbe haute sentait le soleil et la mer,L’ombre des peupliers, y allongeait ses raies,Et j’entendais le bruit des oiseaux, plein les haies,Se mêler au retour des vagues de midi.Je venais de hocher le pommier arrondi,Et je m’inquiétais d’avoir laissé ouverte,Derrière moi, la porte au toit de chaume mou… Combien de fois, ainsi, l’automne rousse et verte,Me vit-elle au milieu du soleil et, debout,Manger, les yeux fermés, la pomme rebondieDe tes prés, copieuse et forte Normandie!…Ah! Je ne guérirai jamais de mon pays.N’est-il pas la douceur des feuillages cueillisDans leur fraîcheur, la paix et toute l’innocence?Et qui donc a jamais guéri de son enfance?… Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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11/06/2014
Le poème de la semaine
René-Guy Cadou
Un hommeUn hommeUn seul un hommeEt rien que luiSans pipe sans rienUn hommeDans la nuit un homme sans rienQuelque chose comme une âme sans son chienLa pluieLa pluie et l’hommeLa nuit un homme qui vaEt pas un chienPas une carrioleUne flaqueUne flaque de nuitUn homme. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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04/06/2014
Le poème de la semaine
Louis Aragon
Moi qui n'ai jamais pu me faire à mon visageQue m'importe traîner dans la clarté des cieuxLes coutures les traits et les taches de l'âgeMais lire les journaux demande d'autres yeux Comment courir avec ce cœur qui bat trop viteQue s'est-il donc passéLa vie et je suis vieuxTout pèseL'ombre augmente aux gestes qu'elle imiteLe monde extérieur se fait plus exigeantChaque jour autrement je connais mes limitesJe me sens étranger toujours parmi les gensJ'entends mal je perds intérêt à tant de choses Le jour n'a plus pour moi ses doux reflets changeantsLe printemps qui revient est sans métamorphosesIl ne m'apporte plus la lourdeur des lilasJe crois me souvenir lorsque je sens les rosesJe ne tiens plus jamais jamais entre mes brasLa mer qui se ruait et me roulait d'écumeJusqu'à ce qu'à la fin tous les deux fussions las Voici déjà beau temps que je n'ai plus coutumeDe défier la neige et gravir les sommetsDans l'éblouissement du soleil et des brumesMême comme autrefois je ne puis plus jamaisPartir dans les chemins devant moi pour des heuresSans calculer ce que revenir me permetRevenir Ces pas-ci vont vers d'autres demeuresJe ne reprendrai pas les sentiers parcourusDieu merci le repos de l'homme c'est qu'il meureEt le sillon jamais ne revoit la charrueOn se fait lentement à cette paix profondeElle avance vers vous comme l'eau d'une crueElle monte elle monte en vous elle fécondeChaque minuteElle fait à tout ce lointainAmer et merveilleux comme la fin du mondeEt de la sentir proche est plus frais qu'au matinAvant l'épanouissement de la lumièreLe parfum de l'étoile en dernier qui s'éteintQuand ce qui fut malheur ou bonheur se nomme hier Pourtant l'étoile brille encore et le cœur batPourtant quand je croyais cette fièvre premièreApaisée à la fin comme un vent qui tombaQuand je croyais le trouble aboli le vertigeOublié l'air ancien balbutié trop basQue l'écho le répète au loinVoyons que dis-je Déjà je perds le fil ténu de ma penséeInsensible déjà seul et sourd aux prodigesQuand je croyais le seuil de l'ombre outrepasséLe frisson d'autrefois revient dans mon absenceEt comme d'une main mon front est caresséLe jour au plus profond de moi reprend naissance. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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28/05/2014
Le poème de la semaine
Marie-Claire Bancquart
O vous du petit matin dans une chambre qui demandez si la grappe du jour vous réserve un grain délectable ne vous levez pas encore, attirez vers vous l'ordinateur, écrivez en italique votre espoir puis vivez vos heures et revenez au cœur du soir. Vous voici devant l'écran, les lettress'inclinent toujours Et vous les transposez en corps dix-huit pour lire Comme une affiche L'inscription de votre désir déçu - qui renaît. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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27/05/2014
Le poème de la semaine
Charles Vildrac
Arbre mutilé, maintenant sois libre! Ils avaient empoigné tes branchesPour les cingler et les briser ensemblePar le calcul et la rigueur de leurs pesées; Ils les maintenaient en branle éperdu,Ils les tourmentaient de durs élans captifs,Ils se disputaient tes fruits et tes feuillesEt jusqu’à tes nids! Ils ont fait de toi pendant vingt saisonsUn arbre d’hiver et de quel hiver!Le sol est jonché de tes frondaisons.Ton écorce pend en lanières blêmesPoisseuses partout de la même sève! Mais maintenant, veuille revivre et libre!Mais maintenant oh! veuille te garder! Ton faîte est brisé mais le tronc est fort,Mais l’espoir est fort, mais la terre est riche.Et vois tes bourreaux: leur oeuvre n’a puQue précipiter leur décrépitude! Arbre écartelé par leurs convoitises.Tes bras déchirés, tes bras ennemisFais-les se nouer, se croiser, s’étreindre,Se quitter, se tordre et se prendre encoreDe telle façon que tu ne sois plusUn déploiement de forces divergentes.Mais un seul destin, un amour, un arbre! Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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21/05/2014
Le poème de la semaine
René Char
La truite
Rives qui croulez en parureAfin d'emplir tout le miroir,Gravier où balbutie la barqueQue le courant presse et retrousse,Herbe, herbe toujours étirée,Herbe, herbe jamais en répit,Que devient votre créatureDans les orages transparentsOù son coeur la précipita? Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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14/05/2014
Le poème de la semaine
Guillaume Apollinaire
Me voici devant tous un homme plein de sens Connaissant la vie et de la mort ce qu’un vivant peut connaître Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l’amour Ayant su quelquefois imposer ses idées Connaissant plusieurs langages Ayant pas mal voyagé Ayant vu la guerre dans l’Artillerie et l’Infanterie Blessé à la tête trépané sous le chloroforme Ayant perdu ses meilleurs amis dans l’effroyable lutte Je sais d’ancien et de nouveau autant qu’un homme seul pourrait des deux savoir Et sans m’inquiéter aujourd’hui de cette guerre Entre nous et pour nous mes amis Je juge cette longue querelle de la tradition et de l’inventionDe l’Ordre et de l’Aventure Vous dont la bouche est faite à l’image de celle de Dieu Bouche qui est l’ordre même Soyez indulgents quand vous nous comparez À ceux qui furent la perfection de l’ordre Nous qui quêtons partout l’aventure Nous ne sommes pas vos ennemis Nous voulons vous donner de vastes et d’étranges domaines Où le mystère en fleurs s’offre à qui veut le cueillir Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues Mille phantasmes impondérables Auxquels il faut donner de la réalité Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait Il y a aussi le temps qu’on peut chasser ou faire revenir Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières De l’illimité et de l’avenir Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés Voici que vient l’été la saison violente Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps Ô Soleil c’est le temps de la Raison ardenteEt j’attends Pour la suivre toujours la forme noble et douce Qu’elle prend afin que je l’aime seulement Elle vient et m’attire ainsi qu’un fer l’aimantElle a l’aspect charmantD’une adorable rousse Ses cheveux sont d’or on dirait Un bel éclair qui durerait Ou ces flammes qui se pavanent Dans les roses-thé qui se fanent Mais riez riez de moi Hommes de partout surtout gens d’ici Car il y a tant de choses que je n’ose vous dire Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire Ayez pitié de moi Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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07/05/2014
Le poème de la semaine
Jules Supervielle
C’est beau d’avoir élu Domicile vivant Et de loger le temps Dans un coeur continu, Et d’avoir vu ses mains Se poser sur le monde Comme sur une pomme Dans un petit jardin, D’avoir aimé la terre, La lune et le soleil, Comme des familiers Qui n’ont pas leurs pareils, Et d’avoir confié Le monde à sa mémoire Comme un clair cavalier A sa monture noire, D’avoir donné visage A ces mots: femme, enfants, Et servi de rivage A d’errants continents, Et d’avoir atteint l’âme A petits coups de rame Pour ne l’effaroucher D’une brusque approchée. C’est beau d’avoir connu L’ombre sous le feuillage Et d’avoir senti l’âge Ramper sur le corps nu, Accompagné la peine Du sang noir dans nos veines Et doré son silence De l’étoile Patience, Et d’avoir tous ces mots Qui bougent dans la tête, De choisir les moins beaux Pour leur faire un peu fête, D’avoir senti la vie Hâtive et mal aimée, De l’avoir enfermée Dans cette poésie. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:08 Écrit par Claude Amstutz dans Jules Supervielle, Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |