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08/01/2014

Le poème de la semaine

Georges Perros

merci à Maveric G

Ces envies de vivre qui me prennent 
Et cette panique, cette supplication
Cette peur de mourir
Alors que je n’ai pas encore vécu
Et que dans ces moments
J’ai ma vie sur ma langue
Il me semble que ça va être possible, enfin
Que je vais y aller d’une grande respiration
Que je vais avaler le soleil et la lune
Et la terre et le ciel et la mer
Et tous les hommes mes amis
Et toutes les femmes mes rêves
D’un seul grand coup
De poitrine éclatée
Quitte à en mourir, oui,
Mais pour de bon
Pas de cette mort ridicule
Déshonorante, inutile,
Qui accuse la parodie
Qui accuse le défaut
De ce qu’on appelle la vie
Sans trop savoir de quoi nous parlons.
 
On se renseigne auprès des autres
On leur pose des tas de questions
Avec cette hypocrisie de bonne société
On marque des points en silence
Ils souffrent autant que nous, tant mieux
On se dit même
Qu’on est un peu plus vivants qu’eux
O l’horreur
Et la fragilité
De nos amours.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle


18/12/2013

Le poème de la semaine

Abdellatif Laâbi

A la mémoire de Tahar Djaout

La terre s'ouvre
et t'accueille
Pourquoi ces cris, ces larmes
ces prières
Qu'ont-ils perdu
Que cherchent-ils
ceux-là qui troublent
ta paix retrouvée?
 
La terre s'ouvre
et t'accueille
Maintenant
vous allez vous parler sans témoins
Oh vous en avez des choses à vous raconter
et vous aurez l'éternité pour le faire
Les mots d'hier ternis par le tumulte
vont peu à peu se graver dans le silence
 
La terre s'ouvre
et t'accueille
Elle seule t'a désiré
sans que tu lui fasses des avances
Elle t'a tendu sans ruses de Pénélope
Sa patience ne fut que bonté
et c'est la bonté qui te ramène à elle
 
La terre s'ouvre
et t'accueille
Elle ne te demandera pas de comptes
sur tes amours éphémères
filles de l'errance
étoiles de chair conçues dans les yeux
fruits accordés du vaste verger de la vie
souveraines passions qui font soleil
au creux de la paume
au bout de la langue éperdue
 
La terre s'ouvre
et t'accueille
Tu es nu
Elle est encore plus nue que toi
Et vous êtes beaux
dans cette étreinte muette
où les mains savent se retenir
pour écarter la violence
où le papillon de l'âme
se détourne de ce semblant de lumière
pour aller en quête de sa source
 
La terre s'ouvre
et t'accueille
Ta bien-aimée retrouvera un jour
ton sourire légendaire
et le deuil prendra fin
Tes enfants grandiront
et liront sans gêne tes poèmes
Ton pays guérira comme par miracle
lorsque les hommes épuisés par l'illusion
iront s'abreuver à la fontaine de la beauté
 
O mon ami
dors bien
tu en as besoin
car tu as travaillé dur
en honnête homme 
 
Avant de partir
tu as laissé ton bureau propre
bien rangé
Tu as éteint les lumières
et puis en sortant
tu as regardé le ciel
son bleu presque douloureux
Tu as lissé élégamment ta moustache
en te disant: 
seuls les lâches
considèrent que la mort est une fin
 
Dors bien mon ami
Dors du sommeil du juste
Repose-toi
même de tes rêves
Laisse-nous porter un peu le fardeau
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle