13/08/2011
La citation du jour
Colette Fellous
Bien après les jours et les saisons, et les êtres et les pays, je reviens encore et encore, juste pour voir. Pour essayer de reconnaître, de comparer mais aussi de retoucher, de comprendre, d'éclairer, de recomposer. Je rends visite aux disparus, aux balbutiements, aux fissures, aux tremblements, aux éblouissements, je m'arrête pile là où un jour j'ai perdu la voix. Je reviens pour la retrouver cette voix, phrase à phrase, seconde à seconde, pour essayer de bâtir un édifice fluide: regarde comme cette étoffe vient soudain se poser sur tes épaules, n'aie plus peur. Je reviens aussi pour faire face, pour vivre avec la stupéfaction, pour la mettre en scène, la draper, la nourrir, la décorer d'objets, de masques, de gestes, de couleurs, de rues, de visages fugitifs. Je n'ai plus peur des répétitions, elles forment un labyrinthe. Revenir, c'est construire son propre labyrinthe, c'est le porter sur soi comme un vêtement et l'offrir ensuite en partage, c'est garder sous ses doigts le goût du vertige, c'est surtout sauter dans le vide sans mourir. Dire non, désobéir à la chronologie, écouter le silence des ancêtres, de tous ces corps disparus qui sont encore si vivants dans le mien. Temples grecs, colonnes d'albâtre brisées, tombeaux d'enfants près de la plage, herbes fraîches, allées de mimosas tracées au milieu des ruines. Trouver enfin une terre pour chacun, pour être ensemble.
Colette Fellous, Un amour de frère (Gallimard, 2011)
00:37 Écrit par Claude Amstutz dans Colette Fellous, La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
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