06/03/2013
Le poème de la semaine
François Cheng
Argile pétrie de rêves durablesDe corps que l'eau départageRêves de jade et de roséeCorps de souffles et de sangQuelle main hors de la mémoirePétrissant l'un et puis l'autrePétrissant le vide médianOù tout désir sera échange Qui est brisé sera combléQui est comblé sera tout autreArgile pétrie de corps durablesDe rêves dont les corps sont nésRêves de souffles et de sangCorps de jade et de roséeQuelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
08:07 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
05/03/2013
Vendanges tardives - Du charme
Un abécédaire - C comme Charme
Non, Fred, tu n'es pas moche, et malgré tes jambes arquées et ta petite taille, malgré un âge qui avoisine celui de mon improbable fils, tu as encore toutes tes chances... Bien sûr, tu n'es pas à l'école du piercing et ne votes pas à la gauche de la gauche! Un handicap? Balivernes, car vois-tu, ce qui compte, c'est ta manière de glisser ton regard sur la peau des autres avec une sourde indifférence, à la manière d'un Robert Mitchum, ou t'exprimer avec une légendaire économie de mots comme ton idole Marlon Brando. C'est là ton charme, auquel il convient d'ajouter un humour décapant, quelque part entre Groucho Marx et Raymond Chandler. Pas convaincu? Et pourtant, cela ne vaut-il pas mieux que le profil de bellâtre d'un Ridge Forrester dans Top Models, qu'on immortalise dans un cadre photographique ou qu'on exhibe à la piscine municipale?
Tiens, par exemple, en ce qui me concerne, j'ai souvent fondu devant des beautés inoubliables - au cinéma une Louise Brooks, une Greta Garbo ou une Grace Kelly - mais même dans la vie réelle, celles qui m'ont laissé un souvenir marqué d'une pierre blanche, ne leur ressemblaient absolument pas. Elles avaient un charme particulier, imparfait, sensuel, pour tout dire unique, traduisant une grâce, une légèreté, une intelligence ou une fantaisie impertinente, inconnues chez les plus convoitées ou enviées. Je me rappelle alors les vers de Charles Baudelaire: Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres? Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien; tu sèmes au hasard la joie et les désastres, et tu gouvernes tout et ne réponds de rien... Camille Laurens use elle aussi d'une image pertinente: Le charme, parce qu'il est magique, est indéfinissable: en concurrence avec la beauté, il la surpasse souvent par cette énigme qui le nimbe, "un je ne sais quel charme encor vers vous m'emporte (Pierre Corneille)".
Une objection? Ta voisine? Quoi, ta voisine? Tu veux parler de la blonde platinée avec de longues jambes à la Julia Roberts? Alors là, mon vieux, oublie! Tu n'as ni le profil, ni les mètres carrés de pelouse ou piscine nécessaires, ni la sociabilité conquérante ou le look adéquat! Mais dis-moi, Fred, en toute franchise: pourquoi tu te scotches toujours aux empêcheuses de danser en rond?
Camille Laurens, Le grain des mots (Gallimard, 2012)
Charles Baudelaire, Hymne à la beauté, dans: Les fleurs du mal (coll. GF/Flammarion, 2012)
images: Marlon Brando et Robert Mitchum
21:45 Écrit par Claude Amstutz dans Charles Baudelaire, Littérature francophone, Vendanges tardives - Un abécédaire 2013 | Lien permanent | Commentaires (0) | | Imprimer | Facebook |
Morceaux choisis - Marie Noël
Marie Noël
J’ai vécu sans le savoir, Comme l’herbe pousse ... Le matin, le jour, le soir Tournaient sur la mousse. Les ans ont fui sous mes yeux Comme à tire-d’ailes D’un bout à l’autre des cieux Fuient les hirondelles ... Mais voici que j’ai soudain Une fleur éclose. J’ai peur des doigts qui demain Cueilleront ma rose, Demain, demain, quand l’Amour Au brusque visage S’abattra comme un vautour Sur mon cœur sauvage. Dans l’Amour si grand, si grand, Je me perdrai toute Comme un agnelet errant Dans un bois sans route. Dans l’Amour, comme un cheveu Dans la flamme active, Comme une noix dans le feu, Je brûlerai vive. Dans l’Amour, courant amer, Las ! comme une goutte, Une larme dans la mer, Je me noierai toute. Mon cœur libre, ô mon seul bien, Au fond de ce gouffre, Que serai-je? Un petit rien Qui souffre, qui souffre! Quand deux êtres, mal ou bien, S’y fondront ensemble, Que serai-je? Un petit rien Qui tremble, qui tremble! J’ai peur de demain, j’ai peur Du vent qui me ploie, Mais j’ai plus peur du bonheur, Plus peur de la joie Qui surprend à pas de loup, Si douce, si forte, Qu’à la sentir tout d’un coup Je tomberai morte. Demain, demain, quand l’Amour Au brusque visage S’abattra comme un vautour Sur mon cœur sauvage...
Marie Noël, Attente / extrait, dans: Les Chansons et les Heures, - Le Rosaire des joies (coll. Poésie/Gallimard, 1983)
00:23 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
04/03/2013
Vendanges tardives - Des bombardements
Un abécédaire - B comme Bombardement
Sur tes conseils, mon cher Fred, je relis ce document implacable de W.G. Sebald, De la destruction comme élément de l'histoire naturelle, et qui traite du bombardement massif des villes allemandes - Dresde, Cologne, Hambourg, Darmstadt, Munich etc. - à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Une page d'histoire peu souvent évoquée, encore taboue, voire vouée à l'oubli. W.G. Sebald note: Il se dégage des Strategic Bombing Surveys des Alliés, des enquêtes de l'Office fédéral de statistique ou d'autres sources officielles que la Royal Air Force, à elle seule, a largué au cours de quatre cent mille vols un million de tonnes de bombes sur le territoire ennemi; que sur les cent trente et une ville attaquées, une seule fois pour les unes, à de multiples reprises pour les autres, nombreuses sont celles qui ont été presque entièrement rayées de la carte; que les bombardements ont fait en Allemagne près de six cent mille victimes civiles; que trois millions et demi de logements ont été détruits; qu'à la fin de la guerre sept millions et demi de personnes étaient sans abri; qu'il y avait 31,4 mètres cubes de décombres par habitant à Cologne et 42,8 à Dresde. Mais nous ignorons ce que tout cela a signifié en réalité.
L'intérêt de cet ouvrage est de jeter une lumière crue sur une période largement occultée dans la littérature allemande - sauf chez Heinrich Böll, à peu de choses près le seul - comme une mémoire collective qui se concentrerait sur la grandeur passée de la nation, puis sa reconstruction. W.G. Sebald cite quelques réminiscences saisissantes, dont celle de Stig Dagerman, qui entre Hasselbrook et Landwehr, a traversé dans un train roulant à vitesse normale un paysage lunaire, et que dans cette contrée désolée, sans doute l'un des champs de ruines les plus affreux de toute l'Europe, il n'a pas aperçu âme qui vive. Le train, écrit-il, était bondé, comme tous les trains allemands, mais personne ne regardait par la fenêtre. Et l'on avait reconnu en lui l'étranger au fait que lui regardait dehors.
Deux autres exemples abondent dans le même sens, dont celui de Alexander Kluge, à Halberstadt mentionné dans ce livre, avec Madame Schrader, employée d'un cinéma et qui, aussitôt après que la bombe a explosé empoigne la pelle d'un poste de défense passive, espérant dégager les décombres avant la représentation de quatorze heures. Hans Erich Nossack, parle, lui, à son retour à Hambourg quelques jours après le raid, dans une maison isolée et intacte au milieu du désert de décombres, d'une femme en train de nettoyer les vitres.
Déni, espace blanc dans le temps, refus, choc, silence devant cette horreur, hélas en rappelant bien d'autres: Tandis que nous évoquons les brasiers nocturnes de Cologne et de Hambourg, il devrait aussi nous rester en mémoire la ville de Stalingrad, alors gonflée des flots de réfugiés comme le sera plus tard Dresde, bombardée par douze cent chasseurs. Et au cours de cette attaque suscitant les transports de joie des troupes allemandes cantonnées sur l'autre rive, quarante mille personnes étaient en train de trouver la mort...
W.G. Sebald, De la destruction comme élément de l'histoire naturelle (Actes Sud, 2004)
Heinrich Böll, Le silence de l'ange (Seuil, 1995)
Antony Beevor, Stalingrad (coll. Livre de poche/LGF, 2001)
image 1: La destruction de Dresde, 13-14 février 1945 (au-bout-de-la-route.blogspot.com)
image 2: W.G. Sebald (newyorker.com)
23:26 Écrit par Claude Amstutz dans Le monde comme il va, Littérature étrangère, Vendanges tardives - Un abécédaire 2013 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; histoire; livres | | Imprimer | Facebook |
La citation du jour
Sylvie Germain
Ecrire est le plus sérieux des jeux. Dans le territoire du roman, on écrit un peu à la façon dont on joue à la marelle, on pousse les mots de ligne en ligne, de page en page, on avance à cloche-main, et les espaces traversés ne sont pas sans danger. Mais on ne vise aucun paradis, aucun ciel; c’est vers le silence que l’on tend, que l’on conspire, en écrivant. Vers ce silence que l’on devine ouvert en amont du langage, que l’on pressent béant en son aval, et que l’on sent bruire autour, et tout au fond de chaque mot.
Sylvie Germain, Rendez-vous nomades (Albin Michel, 2012)
08:19 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | | Imprimer | Facebook |
03/03/2013
Morceaux choisis - Jean-Louis Kuffer
Jean-Louis Kuffer
Tout sera peut-être oublié? Tout n’aura peut-être été qu’illusion? Tout n’aura jamais été peut-être qu’un rêve ?Je ne me pose, pour ma part, aucune de ces questions. Je ne fais que m’imprégner. Ou plutôt je ne fais qu’être imprégné. Plus exactement je ne fais qu’être, et encore: je ne suis qu’à vos yeux. Faites de moi ce que vous voulez: courez après mon reflet, emparez-vous de mon ombre, clouez et exposez ma dépouille, mais qui dira ce que je suis en vérité? Quels mots diront mon vol? Quels mes voiles et le vent qui me porte? Quels toutes mes pages écrites à coups d’ailes? Quels les milliards de vie que je continue en planant au-dessus des jardins suspendus jusqu’où remonte l’air poissonneux du Haut Lac aux airs ce soir de fleuve immobile? Quels mes effrois et mes ivresses? Quels mes désirs séculaires, moi qui ai l’âge de mes pères fossilisés dans la roche claire d’avant les glaciers? Quels de vos mots diront mon inscrutable origine? Quels de vos mots diront mes fins dernières?
Vous avez tant écrit pour dire ce que je suis, quand je ne faisais qu’être. Tant d’idées se sont empilées dans vos pyramides de papier pour affirmer qui j’étais, quand je tombais en poussière. Tant de combats entre vous pour décider quel nom je porterais, quand je renaissais. Tant d’armes levées, tant de fracas, tant de têtes coupées, tant de décrets, tant de conciles et de congrès, quand je vous survolais. Tant de peine, tant d’amour, tant de savoir, tant de haine, quand je me posais sur la joue de votre enfant dans la lumière du soir. Tant de contes dans la clairière en forêt. Tant d’images premières. Tant d’essais, tant d’explications, tant de lois, tant de traités, tant de généalogies et tant de prophéties. Vous vous êtes élus et maudits. Vous vous êtes couronnées et répudiés. Vous vous êtes traités de purs et d’impurs. Vous avez écrit sur moi des encyclopédies, mais d’un vol je traverse à l’instant votre crâne poncé par les âges. Or, moi qui n’ai pas de mémoire à vos yeux, je me rappelle vos jeux d’enfants. Vous scribes de la nuit des temps et vous paumés des quartiers déglingués, vous guerriers des légions et vous désertant les armées, vous laudateurs et vous contempteurs, vous sages et vous insensés, vous femmes qui enfantez et vous chefs de guerre qui massacrez – vous tous je vous revois lever vos yeux vers mes couleurs, en toutes vos mémoires j’ai déposé ce reflet, cette ombre diaprée, cette insaisissable douceur.
Quelle main ne se rappelle ma légèreté? Sur quel doigt de quel ange ai-je jamais pesé? Qui ne se souvient de la prairie de son enfance où voltigeaient mes drapeaux? Qui ne se revoit, sous le tourbillon de mes ailes en foule, dans la rivière ou la rizière, les hautes vallées ou la féerie des contrées lointaines? Qui ne revit tel après-midi de sa vie dans l’ondulé de ma chenille sur les sentiers poudreux? Qui ne se rappelle le jeune garçon de la légende me voyant, de la bouche du vieil Homère mourant, m’envoler et rendre son chant à l’Univers? Qui ne revoit, à son plafond de malade que la douleur tient en éveil, la tache ou l’écaille dont on croirait qu’elle cherche l’échappée d’un autre ciel? Si je ne suis qu’à vos yeux, c’est par vos mots que je vous parle de vous. Je ne faisais comme vous que passer. Je ne sais trop ce que vous entendez par le mot beauté, mais un poète l’a écrit sur la nappe de papier d’un café : que je suis en visite chez vous.
Jean-Louis Kuffer, L'Ambassade du Papillon (Campiche, 2000)
image: Jean-Louis Kuffer, Autoportrait jeté / Huile sur panneau (2008)
15:16 Écrit par Claude Amstutz dans Jean-Louis Kuffer, Littérature francophone, Littérature suisse, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; essai; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |
02/03/2013
Lire les classiques - Jean Racine
Jean Racine
Saintes demeures du silence,Lieux pleins de charmes et d'attraits,Port où, dans le sein de la paix,Règne la Grâce et l'Innocence;Beaux déserts qu'à l'envi des cieux,De ses trésors plus précieuxA comblé la nature,Quelle assez brillante couleurPeut tracer la peinture De votre adorable splendeur? Les moins éclatantes merveillesDe ces plaines ou de ces boisPourraient-elles pas mille foisÉpuiser les plus doctes veilles?Le soleil vit-il dans son tourQuelque si superbe séjourQui ne vous rende hommage?Et l'art des plus riches citésA-t-il la moindre image De vos naturelles beautés? Je sais que ces grands édificesQue s'élève la vanitéNe souillent point la puretéDe vos innocentes délices.Non, vous n'offrez point à nos yeuxCes tours qui jusque dans les cieuxSemblent porter la guerre,Et qui, se perdant dans les airs,Vont encor sous la terre Se perdre dedans les enfers. Tous ces bâtiments admirables,Ces palais partout si vantés,Et qui sont comme cimentésDu sang des peuples misérables,Enfin tous ces augustes lieuxQui semblent, faire autant de dieuxDe leurs maîtres superbes,Un jour trébuchant avec eux,Ne seront sur les herbes Que de grands sépulcres affreux. Mais toi, solitude féconde,Tu n'as rien que de saints attraits,Qui ne s'effaceront jamaisQue par l'écroulement du monde:L'on verra l'émail de tes champsTant que la nuit de diamantsSèmera l'hémisphère;Et tant que l'astre des saisons,Dorera sa carrière, L'on verra l'or de tes moissons. Que si parmi tant de merveillesNous ne voyons point ces beaux ronds,Ces jets où l'onde par ses bondsCharme les yeux et les oreilles,Ne voyons-nous pas dans tes présSe rouler sur des lits dorésCent flots d'argent liquide,Sans que le front du laboureurA leur course rapide Joigne les eaux de sa sueur? La nature est inimitable;Et quand elle est en liberté,Elle brille d'une clartéAussi douce que véritable.C'est elle qui sur ces vallons,Ces bois, ces prés et ces sillonsSignale sa puissance;C'est elle par qui leurs beautés,Sans blesser l'innocence, Rendent nos yeux comme enchantés.
Jean Racine, Louange de Port-Royal, dans: Cantiques spirituels et autres poèmes (coll. Poésie/Gallimard, 1999)
image: Cloître de Port-Royal / Hôpital Cochin, Paris (en.wikipedia.org)
08:30 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
Maile Meloy
Maile Meloy, Pieux mensonges (Editions de l'Olivier, 2006)
Une heureuse surprise que cette première traduction en langue française, dans un style familier et attachant à la fois, narrant l’histoire de cette famille dans laquelle bien des Américains de sa génération se reconnaîtront. De page en page, on veut en savoir davantage et les personnages, très proches de nous, nous laissent l’agréable sensation que nous aurions pu les connaître en voisins ou amis. Comme avec Ann Packer et son roman magique Un amour de jeunesse, nous ne sommes pas au cœur d’une littérature de contestation, mais les humeurs qui la traversent sont bien agréables.
Egalement disponible en coll. Points (Seuil, 2007)
03:58 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |
01/03/2013
Vendanges tardives - De l'amour 1b
Un abécédaire - A comme Amour
Donne-moi tes mains pour l’inquiétudeDonne-moi tes mains dont j’ai tant rêvéDont j’ai tant rêvé dans ma solitudeDonne-moi tes mains que je sois sauvé
Lorsque je les prends à mon pauvre piègeDe paume et de peur de hâte et d’émoiLorsque je les prends comme une eau de neigeQui fond de partout dans mes mains à moi
Sauras-tu jamais ce qui me traverseCe qui me bouleverse et qui m’envahitSauras-tu jamais ce qui me transperceCe que j’ai trahi quand j’ai tressailli
Ce que dit ainsi le profond langageCe parler muet de sens animauxSans bouche et sans yeux miroir sans imageCe frémir d’aimer qui n’a pas de mots
Sauras-tu jamais ce que les doigts pensentD’une proie entre eux un instant tenueSauras-tu jamais ce que leur silenceUn éclair aura connu d’inconnu
Donne-moi tes mains que mon cœur s’y formeS’y taise le monde au moins un momentDonne-moi tes mains que mon âme y dormeQue mon âme y dorme éternellement.
Louis Aragon, Le fou d'Elsa (coll. Poésie/Gallimard, 2002)
11:57 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Louis Aragon, Vendanges tardives - Un abécédaire 2013 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
Vendanges tardives - De l'amour 1a
Un abécédaire - A comme Amour
Vois-tu, Fred, au bout du compte, l'amour - quand il ne se limite pas au désir, à la conquête, à la possession - est dangereux, toujours. Avec le recul, j'avoue. Ciel ou enfer quand il chahute les repères, abolit les frontières, brûle les habitudes les plus élémentaires, et, au plus obscur dépossède de soi, à la lisière de la félicité qui élargit ton horizon ou féconde tes rêves, mais risque de même, de te précipiter dans la folie la plus périlleuse ou le néant, si d'aventure le fil se romp et que tu te retrouves nu, sans armes et désespérément seul, abandonné. Oui, l'amour est dangereux, quand les mots sont impuissants à dire, à argumenter, à décrire le mystère qui t'envahit, te dépasse comme un territoire inconnu dont tu foules le sol pour la première fois.
Bien sûr, toutes tes rencontres amoureuses sont uniques, irremplaçables, et les souvenirs retenus, pour la plupart, aujourd'hui encore, n'entraînent ni regret ni amertume. Mais combien sont-elles, entre toutes, l'expression de l'amour, ce sentiment qui fait que non seulement tu te trouves aimable aux yeux de l'autre, mais indispensable, et que dans le reflet de l'être aimé, tu y lis le même émerveillement?
Et cet amour - les exemples en littérature ne manquent pas, de Tristan et Yseult à Roméo et Juliette, de Dante Alighieri à Catherine Pozzi - ce sont souvent les auteurs mystiques qui en ont parlé le mieux, encore que Ibn Hazm, philosophe et poète andalou du Xe siècle, lui consacre quelques vers inoubliables: Un jour, par surprise, j’ai donné un baiser, un baiser furtif, à celle qui tient mon coeur. Si nombreux que doivent être mes jours, je ne compterai que ce court instant, car il a été vraiment toute ma vie.
Jean de la Croix, dans une orientation spirituelle, ne dit pas autre chose: Voyez ce qui arrive quand le feu a pénétré le bois: il le transforme en lui-même et se l'unit.
Alors, franchement, Fred: ta moitié, où la situes-tu? Et ne réfléchis pas trop, tu serais tenté de tricher...
Catherine Pozzi, Journal 1913-1934 (coll. Libretto, Phébus, 2005)
Marie Eugène de l'Enfant Jésus, Je veux voir Dieu (Editions du Carmel, 1998)
sources: Amélie Neuve-Eglise, Leyla et Majnûn - L’amour fou à l’orientale (www.teheran.ir)
image: La Revue de Téhéran (www.teheran.ir)
11:50 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature espagnole, Littérature étrangère, Vendanges tardives - Un abécédaire 2013 | Lien permanent | Commentaires (1) | | Imprimer | Facebook |