Lire les classiques - Jean Racine (02/03/2013)
Jean Racine
Saintes demeures du silence,Lieux pleins de charmes et d'attraits,Port où, dans le sein de la paix,Règne la Grâce et l'Innocence;Beaux déserts qu'à l'envi des cieux,De ses trésors plus précieuxA comblé la nature,Quelle assez brillante couleurPeut tracer la peinture De votre adorable splendeur? Les moins éclatantes merveillesDe ces plaines ou de ces boisPourraient-elles pas mille foisÉpuiser les plus doctes veilles?Le soleil vit-il dans son tourQuelque si superbe séjourQui ne vous rende hommage?Et l'art des plus riches citésA-t-il la moindre image De vos naturelles beautés? Je sais que ces grands édificesQue s'élève la vanitéNe souillent point la puretéDe vos innocentes délices.Non, vous n'offrez point à nos yeuxCes tours qui jusque dans les cieuxSemblent porter la guerre,Et qui, se perdant dans les airs,Vont encor sous la terre Se perdre dedans les enfers. Tous ces bâtiments admirables,Ces palais partout si vantés,Et qui sont comme cimentésDu sang des peuples misérables,Enfin tous ces augustes lieuxQui semblent, faire autant de dieuxDe leurs maîtres superbes,Un jour trébuchant avec eux,Ne seront sur les herbes Que de grands sépulcres affreux. Mais toi, solitude féconde,Tu n'as rien que de saints attraits,Qui ne s'effaceront jamaisQue par l'écroulement du monde:L'on verra l'émail de tes champsTant que la nuit de diamantsSèmera l'hémisphère;Et tant que l'astre des saisons,Dorera sa carrière, L'on verra l'or de tes moissons. Que si parmi tant de merveillesNous ne voyons point ces beaux ronds,Ces jets où l'onde par ses bondsCharme les yeux et les oreilles,Ne voyons-nous pas dans tes présSe rouler sur des lits dorésCent flots d'argent liquide,Sans que le front du laboureurA leur course rapide Joigne les eaux de sa sueur? La nature est inimitable;Et quand elle est en liberté,Elle brille d'une clartéAussi douce que véritable.C'est elle qui sur ces vallons,Ces bois, ces prés et ces sillonsSignale sa puissance;C'est elle par qui leurs beautés,Sans blesser l'innocence, Rendent nos yeux comme enchantés.
Jean Racine, Louange de Port-Royal, dans: Cantiques spirituels et autres poèmes (coll. Poésie/Gallimard, 1999)
image: Cloître de Port-Royal / Hôpital Cochin, Paris (en.wikipedia.org)
08:30 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |