Philippe Sollers 1a (08/01/2011)
Bloc-Notes, 8 janvier / Nyon
Quelle est donc cette mystérieuse alchimie qui précède notre choix de lecture? Quelques phrases parcourues au hasard d'une page, l'attrait d'un univers capable encore de nous bousculer ou nous surprendre? La fidélité à un auteur, à une musique des mots, à une langue, à un lieu? Dans le cas de Trésor d'amour, c'est tout cela à la fois.
Fermez les yeux... Vous êtes à Venise, la ville où Philippe Sollers achète quatre roses rouges qu'il dépose sur le sol aux Gesuati, à San Vio, à San Agnese, à San Trovaso, endroits où il a connu les plus grands bonheurs de sa vie. Un trésor de mémoire. Dans cette Venise dérobée et secrète, il y retrouve Minna Viscontini, 35 ans, professeur de littérature comparée, spécialisée dans le domaine français qu'elle consacre à un seul auteur: Stendhal.
Et comme entre Sollers et Stendhal c'est une histoire d'amour, celle de Sollers et Venise aussi, nous voici embarqués dans un théâtre d'ombres où apparaissent, derrière une improbable glycine violette débordant d'un balcon, Mathilde Dembowska; sous un soleil de feu, Fabrice Del Dongo, Julien Sorel, Madame de Chasteller, fiction et réalité de Stendhal mêlées sans autre souci que de les ressusciter sous le signe de l'Amour, clef de voûte de ce roman du bonheur. Célébration de la vie, de la beauté, de la musique, de la littérature, ce texte ne serait qu'une succession de chapitres supplémentaires au Discours parfait - paru voici un an chez le même éditeur - sans la présence de Minna à laquelle il consacre parmi ses plus belles pages d'écrivain.
On ne sort pas, on ne voit personne, l'eau, les livres, les oiseaux, les arbres, les bateaux, les cloches, le silence, la musique, on est d'accord sur tout ça. Jamais assez de temps encore, encore. Tard dans la nuit, une grande marche maritime, et retour, quand tout dort. Je me lève tôt, soleil sur la gauche, et voilà du temps, encore, et encore du temps. On se tait beaucoup, preuve qu'on s'entend. L'amour, c'est comme retrouver un parent perdu, son regard traverse la mort. Et plus loin: Je reste sur les quais rougis de soleil jusqu'à ce que la nuit tombe. Au bord des escaliers de marbre plongeant dans l'eau, les algues deviennent de plus en plus noires, et les piquets de bois du canal mercuriel ont l'air de s'élancer vers le ciel. Encore une fois, la grande certitude m'enveloppe. Je suis assis, à l'écart, dans ce quartier isolé de Venise , je vais rentrer dans un appartement où Minna m'attend, penchée sur son ordinateur. Bateaux illuminés dans l'ombre, barques amarrées tirant sur leurs cordes, derniers passants, bruits sourds, fermeture des volets. Neuf coups au clocher des Gesuati, là-bas, pour dire l'heure. Dîner de friture de poissons avec bouteille de bordeaux. Encore quelques lignes à la main, velours et silence, et puis sommeil, et puis soleil, et puis bonheur.
Et puis le temps s'arrête, on ouvre à nouveau les yeux, revenus d'un incroyable voyage à travers les siècles où se croisent et se découvrent - comme les lignes de la main où se forge le destin - ces mouvements du coeur qui sont de tous les temps, sous le regard de Stendhal, le personnage central du livre, derrière lequel Philippe Sollers s'efface ou se confond.
Nous allons écouter Don Giovanni à la Fenice, et voici que la musique et les voix font voler le théâtre, et toute la lagune avec lui. On sort, on marche un peu dans la nuit, on prend le bateau, l'eau nous enveloppe, tout est velours, tout est gratuit.
Un vrai bonheur!
Philippe Sollers, Trésor d'amour (Gallimard, 2011)
image: http://www.histoiredevoyages.fr/venise.html
00:38 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | | Imprimer | Facebook |