Les pièces de Shakespeare 10a (15/11/2013)
Henry V
Avec une certaine ironie, le public français considère souvent Henry V - comme on a pu le lire voici quelques années dans les colonnes de Libération - l'une des pièces les moins palpitantes de Shakespeare! Il n'est pas étonnant non plus qu'au Royaume-Uni, elle demeure l'une des plus populaires: et pour cause...
En effet, si Henry V nous raconte la vie de ce roi dont le règne n'aura duré que neuf ans, l'histoire a retenu qu'après le règne agité de son père, Henry IV, il a incarné - en quelques traits de sa personnalité - la vertu, la droiture, la sincérité, la foi. Mais ces dispositions ne pèseraient pas lourd sans la puissance étendue de l'Angleterre sous son ère, dont le point déterminant se situe lors de la célèbre Bataille d'Azincourt, où, avec 6'000 hommes à peine, il inflige l'une des plus cinglantes défaites au Royaume de France, malgré ses 18'000 combattants. A Hardricourt - alors que la progression de l'armée anglaise a vu tomber Rouen et marche sur Paris - Henry V demande la main de Catherine de Valois, fille du roi Charles VI, héritant du même coup de l'Aquitaine et de la Normandie. Reconnu par le Traité de Troyes comme héritier et régent de France, tous les états d'Europe sont désormais sous son influence, mais son ascension fulgurante est interrompue à Vincennes, en 1422, où il meurt d'une dysenterie à l'âge de 35 ans: jeune donc, comme Alexandre le Grand...
La pièce de Shakespeare s'attache en priorité à faire revivre sous nos yeux un homme d'état - un vrai - pour lequel il éprouve une authentique admiration. Redoutable diplomate, fin stratège militaire, habile en paroles et doté d'un charisme politique exceptionnel, il se révèle aussi manipulateur, refoulant au fond de lui-même ses doutes, les incertitudes de l'histoire, notamment avant la Bataille d'Azincourt où il prononce devant ses troupes un discours célèbre entre tous - voir l'annexe 1b - dont la détermination affichée n'est peut-être pas le reflet de son intime conviction. Mais qu'importe, puisque seul le résultat compte et que les soldats lui emboîtent le pas et se reconnaissent en lui!
Shakespeare s'est sans doute laissé emporter par sa vénération pour un roi personnifiant l'unité de la Nation, le courage et la domination de l'Angleterre, à travers ses caricatures et moqueries envers la France, plongée alors dans un chaos indescriptible. Bien des critiques littéraires anglo-saxons - dont Harold Bloom - soulignent non sans humour, que Henri V est un homme qu'on admire certainement, auquel on ne peut résister en raison de sa force de persuasion; mais l'aimer? Rien n'est moins sûr, car sa sécheresse de coeur - le prix payé pour sa réussite et ses victoires -, son insolence typiquement britannique ou son autoritarisme n'abondent pas dans ce sens.
Mais l'histoire effacera ces ombres singulières pour retenir ces mots: Faites-nous jurer que vous valez autant que vos origines, ce dont je ne doute pas, puisqu'à aucun de vous, si modeste qu'il soit ne manque dans les yeux l'éclat de la noblesse...
Et comme on voudrait aujourd'hui que nos politiques sachent parler ainsi...
William Shakespeare, Henry V (coll. Folio Théâtre/Gallimard, 1999)
traduit de l'anglais par Jean-Michel Déprats
Harold Bloom, Shakespeare - The Invention of the Human (Fourth Estate, 1998)
00:03 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | | Imprimer | Facebook |