Adieu à Gutenberg (19/07/2010)

Bloc-Notes, 19 juillet / Les Saules

apple-ipad.jpg
J'aime décidément beaucoup les chroniques de Frédéric Beigbeder, dans la revue Lire, intitulées De mauvaise foi. Dans son dernier article - numéro de juillet/août 2010 - qui fait suite à Celsius 233 le mois dernier, il poursuit son survol de l'histoire du livre pour atterrir sur l'iPad, et pas pour nous rabâcher les oreilles avec des lieux communs, ni jouer les prophètes comme le font bon nombre de professionnels du livre, notamment aux Etats-Unis.

Son propos contrasté, toujours plein d'humour ou d'impertinence, mérite d'être évoqué dans ces colonnes: L'invention de Gutenberg a duré cinq cent cinquante-huit ans. J'ai essayé de lire sur iPad: c'est très amusant. Un ingénieur chez Apple a pensé faire en sorte que l'écran tactile émette un bruit de papier froissé quand on glisse son doigt sur la surface. On vit une époque de malades ou pas? Toute la Bibliothèque d'Alexandrie tiendra bientôt dans la poche de mon blouson. Parfois je me dis que je dois être vraiment un vieux con pour penser une seule seconde qu'une telle invention n'est pas un progrès.

Mais il interpelle vraiment tous les lecteurs potentiels avec le prolongement suivant: On pourrait dire que le livre de Gutenberg implique un cérémonial silencieux, une forme de lenteur, un mode de vie moins stressé, plus détaché. Lire sur le papier est une lutte contre l'éparpillement, le livre sur écran est une fenêtre ouverte sur le zapping. (...) Mais il y a surtout une grande différence, plus grave. Il me semble que le numérique égalise tous les livres alors que le papier sacralise le texte. Lire sur papier suppose qu'on respecte l'auteur comme un être admirable, génial ou talentueux, bref, meilleur que soi; l'écran en fait un semblable, un pote, un mec normal, presque un blogueur, donc n'importe qui! En supprimant le papier, on banalise l'écrivain.

Contrairement à ce que je viens de vous citer, je crois que les moyens actuels pour accéder à la culture en général, ne rejettent pas aux oubliettes nos bons vieux livres, mais au contraire élargissent notre horizon, réduisent nos préjugés et nous surprennent bien davantage que les médias traditionnels qui, hélas trop souvent, disent à peu de choses près la même chose, au même moment et sur les mêmes livres, ce que j'appelle le diktat de la nouveauté. J'ajoute que, pas plus vieux con que Frédéric Beigbeder, j'ai découvert parmi mes amis sur Facebook, bon nombre d'oeuvres littéraires que spontanément, je n'aurais pas fait l'effort d'approcher.

En revanche, je ne lis jamais... un texte sur ordinateur! Le parcourir, à la rigueur, mais pas davantage car je sais que je ne me souviendrai pas de ce que j'ai lu: La toile est éphémère... Aussi, j''imprime les pages de son auteur et les lis à mon rythme, selon l'humeur du jour sur une chaise de jardin, dans l'autobus, dans le train ou dans mon lit, ravi de tenir entre mes mains un morceau de papier résistant à la déferlante des actualités. A l'étape suivante, ayant aimé un écrivain présenté, je m'empresse de me procurer le texte dans son intégralité, sur papier - Mahmoud Darwich, Addellatif Laâbi ou André Velter pour les plus récents - avec la dédicace invisible de la personne qui a servi de trait d'union à cet aboutissement, et à laquelle je pense avec une infinie reconnaissance.

Gutenberg a encore de beaux jours devant lui, croyez-moi! Le bûcher attendra...

 


00:17 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité; presse; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |