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06/10/2014

Morceaux choisis - Léon-Paul Fargue

Léon-Paul Fargue

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Souvenirs d’un passé qui dort dans une ombre si transparente... Des intimités insaisissables qu’on se croit bien seul à connaître et dont on voudrait enchanter les autres... Certains regards. La voix d’un être cher. La gaucherie d’une âme ardente.. Une inflexion familière très douce et bien humaine...

Des yeux qu’on revoit parmi vingt ans de souvenirs, dans une rue grise, un jour de promenade. Du soleil sur un peu de paille, devant la porte d’un malade... Un regret sobre. Une parole d’un chagrin vague... Un nom touchant qu’on n’arrive pas à retrouver... Tout ce qui porte une chanson triste au bord des lèvres... Et ce mutisme avant les larmes...

Le retour, un soir, dans un quartier où l’on a vécu jadis. Le tremblement de la voiture entre des arbres... L’odeur d’une avenue frissonnante où il a plu... L’odeur d’un chantier, sépulcrale et tendre... Un geste passe sur une fenêtre éclairée très tard, tout en haut d’une maison qui se reflète dans un fleuve... Le grondement lent d’un train sur un pont de fer... L’adieu long d’un remorqueur... Et la persistante vision de ce coin de faubourg où la vieille maison que j’ai tant aimée ne me connaît plus. Rien qui bouge à ses vitres. Un boutiquier maussade y tourne et pèse. Elle est sans regard, elle est sans rêves. Et il n’y a même pas de lumière à la fenêtre où j’ai songé...

J’allume pour nous deux les lampes... Une parole heureuse, un visage de femme, une fenêtre brûlante, des voix connues passent et se brisent... Ah je voudrais serrer tous les souvenirs sur ma poitrine, en bouquet, pour te les offrir. Mais ils sont lointains comme des signaux. Signaux du soir, avec leur douceur menaçante... Fanaux des trains et des bateaux, qui ont toujours ce regard triste... Signaux d’amour, tendres et fins comme des cœurs à la fenêtre... Signaux du ciel, un peu perdus, comme des fleurs dans un champ d’ombre...

De beaux accords plans se recouvrent. La mer qui remonte. Un rayon de Chopin m’arrive - et fait la lumière où je veux m’étendre - sans plus rien dire - avec un ami qui sache tout de moi-même, qui me reproche tout - et qui me pardonne...

Léon-Paul Fargue, Poésies (coll. Poésie/Gallimard, 1987)

image: http://bbcerne.blogspot.ch

00:35 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

05/10/2014

La musique sur FB - 2164 J.Haydn

Joseph Haydn

Sinfonia Concertante, Hob I:105

 

Orquesta del Siglo XVIII

Frans Brüggen


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04/10/2014

La citation du jour

Jules Supervielle

citations; livres

Ecoute, apprendras-tu à m'écouter de loin, il s'agit de pencher le coeur plus que l'oreille, tu trouveras en toi des ponts et des chemins pour venir jusqu'à moi qui regarde et qui veille.

Jules Supervielle, Le forçat innocent, suivi de: Les amis inconnus (coll. Poésie/Gallimard, 2007)

image: Jean Louis Marie Eugène Durieu (cultur-elles.blogspot.com)

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03/10/2014

La musique sur FB - 2163 R.Schumann

Robert Schumann

Symphony No 1, Op 38 - "Spring"

 

Cleveland Orchestre

George Szell


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02/10/2014

Morceaux choisis - Vassili Grossman

Vassili Grossman

Vassili Grossman.jpg

Vitia, je voudrais te dire... Non, ce n'est pas ça. 

Vitia, je termine ma lettre et je vais la porter à la limite du ghetto pour la donner à mon ami. Il ne m'est pas facile d'interrompre cette lettre, elle est ma dernière conversation avec toi; quand j'aurai transmis la lettre, je t'aurai définitivement quitté, jamais tu ne sauras ce qu'ont été mes dernières heures. C'est notre toute dernière séparation. Que te dire avant de te quitter pour toujours? Tu as été ma joie ces derniers jours, comme tu l'as été durant toute ma vie. La nuit, je me souvenais de tes vêtements d'enfant, de tes premiers livres, je me souvenais de ta première lettre, de ton premier jour d'école, je me suis souvenue de tout, depuis les premiers jours de ton existence jusqu'à la dernière nouvelle qui me soit venue de toi, le télégramme que j'ai reçu le 30 juin. Je fermais les yeux et il me semblait que tu allais me protéger de l'horreur qui s'avançait sur moi. Et quand je me rappelais ce qui se passait autour de moi, je me réjouissais de ton absence; ainsi tu ne connaîtrais pas cet horrible destin.  

J'ai toujours été solitaire, Vitia. Pendant des nuits blanches, j'ai souvent pleuré de désespoir. Car personne ne le savait. Mon unique consolation était la pensée, qu'un jour, je te raconterais ma vie. Que je te raconterais pourquoi nous nous sommes séparés, ton père et moi, pourquoi, toutes ces longues années, j'ai vécu seule. Et je me disais souvent: "Comme il sera étonné, Vitia, quand il apprendra que sa mère a fait des folies, qu'elle était jalouse et qu'on la jalousait, que sa mère a été comme tous les jeunes." Mais mon destin est de mourir en solitaire sans m'être ouverte à toi. Parfois, je pensais que je ne devais pas vivre lpin de toi, que je t'aimais trop et que cet amour me donnait le droit de finir ma vie à tes côtés Parfois, je pensais que je ne devais pas vivre avec toi, que je t'aimais trop.

Enfin... Sois heureux avec ceux que tu aimes, qui t'entourent, qui te sont devenus plus chers que ta mère. Pardonne-moi. 

On entend dans la rue les pleurs de femmes, des jurons de policiers et moi, je regarde ces pages et il me semble que je suis protégée de ce monde horrible, plein de souffrances. 

Comment finir cette lettre? Oùtrouver la force pour le faire, mon chéri? Y a-t-il des mots en ce monde capables d'exprimer mon amour pour toi? Je t'embrasse, j'embrasse tes yeux, ton front, tes yeux. 

Souviens-toi qu'en tes jours de bonheur et qu'en tes jours de peine l'amour de ta mère est avec toi, personne n'a le pouvoir de le tuer. 

Vitenka... Voilà la dernière ligne de la dernière lettre de ta maman. Vis, vis, vis toujours...

Ta maman. 

Vassili Grossman, Vie et destin (L'Age d'Homme, 1995)

traduit du russe par Alexis Berelowitch et Anne Coldefy-Faucard  

image: Vassili Grossman

01:56 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

01/10/2014

Le poème de la semaine

Jean-Pierre Lemaire

Ceux qui ne sont inscrits nulle part
regardent au loin la ville illuminée
les immeubles nocturnes
comme de grandes stèles noires
couvertes d'une écriture inconnue
d'un alphabet de feu calligraphié
rigoureux, indéchiffrable
 
Ils pleurent de tant lire
sans pouvoir traduire
tandis qu'à l'intérieur, en nous
il n'y a rien d'écrit
et que toutes les pages
derrière la nuit
redeviennent blanches.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:08 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

La musique sur FB - 2162 J.N.Pancrace Royer

Joseph-Nicolas Pancrace Royer

Rondeau "La sensible"

 

William Christie


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30/09/2014

La citation du jour

Alexandre Vialatte 

citation; livres

L'homme n'est que poussière. C'est dire l'importance du plumeau.

Alexandre Vialatte, Chroniques de La Montagne, tome 1: 1952-1961 (coll. Bouquins/Laffont, 2000)

image: http://www.classiccleaners.net

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Morceaux choisis - Philippe Jaccottet

Philippe Jaccottet

littérature; essai; morceaux choisis; livres

Et viennent de nouveau les grands beaux jours...

Une fois encore, la sérénité d'octobre...

L'air entoure, c'est quelque chose qui n'est pas, c'est de la place, de l'espace, c'est une absence d'oppression et de murs: l'air libre.

L'étendue à peine relevée sur ses bords, ses lointains bords, comme un berceau.

C'est l'air qu'on ne voit pas, qu'on boit un peu comme de l'eau fraîche, c'est tout le ciel comme un grand verre d'eau, et l'air est frais, rafraîchissant, désaltérant. On taille les haies, le jardin bleu s'éclaire, et c'est comme si on montait les degrés d'une échelle. Les branches, les herbes sécheront en grands tas que l'on fera brûler plus tard avec joie: grésillement des flammes dans la fumée comme une autre espèce d'air, agressif, agité, coloré, ascendant. Cascade inversée.

Puisses-tu allumer encore quelques feux avec ces feuilles sur la pente du temps... où du fond de l'enfance remonte un bruit de cloches sombres... 

Philippe Jaccottet, Carnets 1968-1979, dans: Oeuvres (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 2014)

image: Jeanne-Marie Simon-Chapuis, Beauregard-Baret, France (map-france.com)

29/09/2014

Clémence Boulouque

Clémence Boulouque.jpgClémence Boulouque, Nuit ouverte (Flammarion, 2007)

Connaissez-vous l’histoire de Régina Jonas, première femme rabbin ordonnée à Berlin en 1935, déportée et assassinée à Auschwitz en décembre 1944? Non? Alors lisez vite ce très beau roman qui prête la voix à cette disparue et nous dévoile en contrepoint, le parcours ambigu de la famille d’Elise Lermont, la narratrice, de Champagne à Paris sous l’Occupation. Outre un tableau de la pensée juive de cette époque émaillé de citations jamais pesantes – Benjamin, Rilke, Celan, Mandelstam ou Akhmatova - ce récit nous révèle le comportement des entreprises champenoises pendant la guerre et l’interrogation de son héroïne, bien au-delà de ce contexte historique précis, nous interpelle tous : Comment accepter les siens, ni plus lâches ou désinvoltes que d’autres, se réconcilier avec eux dans le souvenir et le pardon? Aux liens de notre sang qui parfois nous écrasent par le poids de la culpabilité filiale, ceux de notre choix – pour Elise, il s’agit de Régina Jonas - peuvent-ils nous délivrer de la honte, nous propulser dans l’avenir avec force et nous épanouir, malgré les blessures irréparables du temps?